Lorsque je monte dans le taxi en direction de la maison, je regarde les sacs qui prennent toute la place à côté de moi et m’en veux presque d’avoir dépensé autant aujourd’hui. Seulement voilà, avec le retour de Colin, je ne sais plus où donner de la tête et je pars - légèrement - en vrille. Des robes, du maquillage, des maillots de bain, des sextoys, de la nourriture, il y a de tout pour me combler et combler mes colocataires aussi. Le chemin jusqu’à la maison n’est pas long, j’envoie quelques messages à mes parents et coupe court à la conversation, quand ils commencent à me parler de Colin, ne souhaitant pas discuter de cela par messages. Une fois à destination, j’attrape les sacs et ressemble à un épouvantail avec des tas de sacs sur les bras. Tous réutilisables et en tissu, il est hors de question que je me balade dans les rues de la ville avec du plastique partout autour de mes bras. Ouvrir la porte d’entrée est un défi à lui même mais lorsque j’entre dans l’appartement, je me fais alpaguer par Haiwee. Holaaaa ! Que je lance avec une voix bien aigüe, retirant mes chaussures et les balançant à l’autre bout de l’appartement, au plus proche de ma chambre. Je lui adresse un large sourire et m’approche de la cuisine, écoutant ses questions. Le courant passe bien entre nous alors autant continuer sur la lancée, n’est-ce pas ? Il fait beau alors ça va et toi ? T’as fait quoi de beau de ton après-midi ? Que je demande en posant les courses sur le plan de travail. Il y a là dedans de quoi nous faire un petit festin pour lundi. Pâques. Je dois encore retrouver mes accessoires pour fêter ça d’une manière plutôt fun. Oui, j’avais besoin de me vider la tête alors j’ai acheté plusieurs trucs. Que je souffle en posant tout sur le fauteuil. Il y a un tas de tout et ça me ressemble bien. Mon psychologue dirait que ce n’est pas une bonne thérapie mais qu’est-ce qu’il en sait hein ? Parce que là, je me sens plutôt heureuse et clairement équilibrée.

Les débuts de cette colocation sont prometteurs. Cela ne fait que quelques semaines que nous vivons ensemble, Haiwee et moi, mais le courant est très bien passé. Elle n’est pas difficile - plus conciliante qu’autre chose - alors nos moments sont ponctués de beaucoup de rires, de discussions enrichissantes et de conseils dont elle n’a probablement pas besoin ni envie. Mais c’est plus fort que moi. Surtout maintenant que j’ai rencontré le zigoto qui fait battre son petit cœur. Cette proximité soudainement trouvée est tout ce dont j’avais besoin après le retour de mon frère. Je crois que sans la brune, sans cette nouvelle amitié, sans cette possibilité à pouvoir souffler sans être jugée, je ne serais pas aussi sereine et guillerette que je le suis là. Je surjoue beaucoup - tentant de convaincre mon esprit que tout va bien - mais je suis incapable de le faire avec quelqu’un en lequel je n’ai pas confiance. Mes parents me diraient de faire un peu plus attention mais… ainsi va la vie ! Et la vie n’a pas l’air de lui sourire, à la brune. Ah. Que je souffle en fronçant les sourcils, continuant de me balader dans l’appartement pour déposer tout ce que j’ai acheté là où cela doit aller. J’ai l’impression d’aller si vite sans toucher le sol et c’est à ce moment que je me rends compte qu’il faut vraiment que je me pose et me calme. À la question de ma colocataire, je ne peux m’empêcher de rire et dis Pas vraiment non. Je peux faire ce que je veux, je n’arrive pas à ne pas penser à tout ce que mon frère a dû traverser pendant ces années. Mais j’ai acheté de très jolies robes alors bon ! Je souris largement et termine de ranger mes affaires, balançant les affaires sur mon lit, sauf les robes bien entendu. Tu veux les voir ? Dis oui, dis oui, dis ouiiiiiiii. On dirait un enfant, des coeurs dans les yeux. Je peux même faire un haul !! Il n’y a pas assez pour une vidéo mais pour Haiwee, pas de soucis. Jouer aux princesses, ça me va très bien.

Je ne sais plus quoi faire pour me recentrer et arrêter de partir dans tous les sens. J’essaye, vraiment. J’ai augmenté mon nombre de consultations chez le psychologue, y allant deux à trois fois par semaine si nécessaire mais rien n’y fait. Le retour de Colin est aussi agréable que perturbant. Il m’a fallu plus d’un an pour accepter la mort de mon grand-frère et aujourd’hui, je dois m’habituer à son retour dans nos vies. C’est trop pour moi. Sa disparition a été brutale et son retour tout autant. Je n’avais plus d’espoir alors la hâte de le revoir n’existait plus. Je m’étais juste rendue à l’évidence et aujourd’hui, mon monde est sans dessus dessous. Cependant, je refuse de me laisser abattre alors ma journée shopping, bien qu’elle ne m’a pas trop aidé à relativiser, m’a permis d’augmenter le nombre de produits dans ma collection. Ce n’est pas responsable mais personne n’est obligé de le savoir. L’anonymat que je possède toujours est fortement apprécié dans ce genre de situation. Génial alors ! Que je lance, frappant dans mes mains et faisant un petit bond pour me diriger vers ma chambre. Je laisse la porte grande ouverte mais me mets dans un coin pour troquer ma tenue actuelle pour ce que je viens d’acheter. Je ne suis pas pudique pour un rond mais je ne veux pas mettre Haiwee mal à l’aise. On a encore besoin de s’apprivoiser toutes les deux et je pense que je la brusque assez comme ça. Oui, juste une ! Elle était beaucoup trop belle mais je n’ai pas d’occasion pour la porter. Que je lance en soupirant légèrement. Il va bien y avoir une soirée à un moment ou à un autre mais pour le moment, ce n’est pas le cas. Je sors avec une robe écrue Sézanne sur le dos et lui adresse un regard. T’en penses quoi ? T’aimes bien ? Elle est fluide, plutôt décolleté mais n’ayant pas vraiment de poitrine, ça ne choque pas. Pour l’été je me suis dis que ça serait parfait ! Et pendant que je dis ça, une petite idée me vient en tête. Et toi, t’en as des robes de soirées ? Question presque anodine. Je me demande si elle va me donner toutes les informations dont j’ai besoin…

Tout ce qu’il se passe en ce moment me retourne le cerveau. Je ne sais pas l’expliquer, je ne sais pas dire pourquoi je ne dors plus la nuit, pourquoi j’ai besoin de m’occuper pour ne pas trop penser… Je n’arrive pas à trouver les réponses à mes questions et malgré les nombreux changements récents dans ma vie, ces derniers devraient m'apaiser et ne pas me stresser. Colin est de retour, il n’a jamais été mort et je devrais m’en réjouir. Il a vécu des choses dont personne n’a envie de discuter alors on pourrait repartir comme avant. Une vie sereine, des sourires sur les lèvres et des âmes qui se croisent et se lient. Manque de bol, je suis incapable de mettre mon cerveau sur pause et pour éviter de ruminer, je sors, je flâne dans les boutiques, je sors ma caméra de vlog plus que d’habitude parce que là, je suis obligée d’être heureuse, joyeuse, souriante et tout ce qui va avec. Si à la disparition de mon frère j’ai été assez franche avec mes abonnés, je ne leur ai pas encore annoncé la bonne nouvelle. Je ne sais pas comment le monde va réagir et je n’ai pas besoin de me préoccuper de tout cela pour le moment. C’est bien mieux de dépenser un peu d’argent et de parader dans le salon. Ça me permet de souffler un peu plus longtemps et j’aimerais vraiment remercier Haiwee pour cela. Une révérence face à ma colocataire, je souffle Je sais, merci. J’en balance mes cheveux en arrière, comme si nous étions dans un mauvais film mais toutes mes réactions sont quelque peu poussées à leur limite, rendant le tout presque comique. Une manière comme une autre de supporter la vie en général. Je m’approche d’elle et me pose sur le canapé à ses côtés. Le découpé de la robe montre mes jambes et j’aime bien l’effet que cela a lorsque mes pieds se posent sur la table basse. Ça fait un drapé plutôt joli qui glisse de chaque côté, j’apprécie. Deux ? Eh bah ! C’est qu’on ne se refuse rien ! C’est sur que les paillette dans la forêt, tu serais vite retrouvée. Et si ce n’était pas de sequins dont sa robe était pleine, ce serait probablement un amont de tissu, provoquant une jupe imposante. Un peu comme Cendrillon, je l’imagine bien courir dans la forêt. Trop bien ! T’as des photos ? Que je demande rapidement pour voir le style réel de ma colocataire. Après tout, elle est plutôt simple comme nana, carrément posée et en contact constant avec la réalité. Sauf quand il s’agit d’amour mais ça, je crois que l’on vit tous dans nos têtes. Je te laisse chercher ça, je reviens. Que je lance en filant dans ma chambre telle une mini tornade. Et dans cette dernière, je quitte mon achat pour la seule robe de bal que je possède et prépare deux trois petites choses. Ma chambre est une vraie caverne d’Ali Baba alors je cherche les ballons que j’ai mis quelques parts mais étant incapable de les trouver, je gonfle quelques préservatifs colorés et mets le tout dans la grosse boule transparente que je garde depuis des mois dans un de mes placard. Je suis obligée de vider le contenu sur mon lit et glousse à mon idée. Avec mon marqueur j’écris “PROM ?” en gros dessus et demande T’as trouvé ? La demande ne la fera peut-être pas rêver mais elle est sincère et faite dans la rapidité parce que je veux lui offrir cette chance, cette soirée et l’opportunité d’être heureuse et de voir que les copines, c’est tout aussi important que les garçons. Une poignée de confetti en mains, la balle qui pend au bout de ma main, je sors de ma chambre et souffle Haiwee…

L’idée me tourne en tête depuis quelques jours mais je voulais lui laisser la chance de pouvoir me dire qu’elle était déjà invitée. Je ne l’aurais pas mal pris, loin de là même, et ça m’aurait fait plaisir. Pas parce que je le propose par dépit mais bien parce que je sais l’importance que cela a pour elle. Je veux lui faire plaisir, la faire rêver et c’est à ce moment précis, aujourd’hui précisément, que je me lance. Je n’ai rien pour rendre cela mémorable mais j’ai ce qu’il faut pour que ce soit Eloisable. Je suis naturelle du début à la fin et ne changerais cela pour rien au monde. Je sais que ça lui fera tout aussi plaisir qu’un truc dénaturé. J’espère qu’un jour, elle aura une demande digne de ce nom mais pour le moment, c’est avec moi qu’elle va passer sa soirée de bal. Je la vois se relever rapidement et souris largement. Sa candeur, sa spontanéité et sa douceur, c’est quelque chose qui perdure chez l’amérindienne et il n’en faut pas plus pour me convaincre que je prends la bonne décision. Ma décision, c’est de la rendre heureuse et de la soutenir même s’il y a des moments où j’ai envie de lui crier dessus. Je t’ai même pas proposé ! Que je dis quand elle me demande si je veux. J’éclate de rire et acquiesce Haiwee Wind River, me ferais-tu l’honneur d’être ma cavalière ? C’est moi qui m’incruste mais c’est elle qui est ma cavalière, on aura tout vu ! Je fais bouger la grosse balle transparente pour que les ballons-préservatifs bougent et quand elle accepte, je pose l’objet au sol. Aaaaah, l’honneur est partagé ! Et alors que je sautille jusqu’elle pour la prendre dans mes bras, je lance aussi la poignée de confetti que j’avais dans l’autre main. Hiiiii ça va être troooooop bien ! J’en suis sûre. Les paillettes salissent tout l’appartement et tombent autour de nous comme des flocons de neige. Je prends ma colocataire dans mes bras et tangue de droite à gauche pendant l’étreinte. Il va falloir qu’on aille faire les boutiques. Je veux qu’on soit élue les plus belles de la soirée. Et même si la doyenne ne nous donne pas notre award, je sais que moi, je nous le donnerai cet award ! J’embrasse sa joue et souffle Les copines d’abord. Le petit doigt tendu, je suis prête à signer notre nouveau pacte.