@Haiwee Wind River | Le crépuscule d’une nouvelle journée passée sous le soleil de Cancun se dessine dans le ciel, mettant fin à ces dernières heures à lézarder au bord de l’eau. Petit rituel qui s’est imposé pendant ces vacances, celui de prendre un peu de temps simplement pour me reposer au milieu de toutes ces activités qui me font bien trop envie et qui pourraient me pousser à oublier de prendre du temps pour moi. Que ce soit dans la matinée ou en fin de journée, prendre une heure simplement pour m’allonger au bord de la piscine ou sur la plage, et ne rien faire. Une attitude qui m’avait bien trop longtemps culpabilisé, n’ayant jamais été de ceux qui peuvent s’asseoir et rester tranquille pendant des heures, sans que le cerveau n’en fasse trop à la place du corps. Une évolution progressive qui découlait de tous ces évènements ayant marqué mon année depuis Septembre, de tous ces changements qui s’opéraient doucement, autant en moi qu’autour de moi. Je n’étais définitivement plus le même que celui que j’étais il y a quelques années, et plus récemment encore, je n’étais plus tout à fait le même que celui que j’étais en ce début d’année. Pas parfait, loin de l’être, mais peut-être tout simplement plus serein avec moi-même ?

Une douche pour me rafraîchir et me défaire de cette sensation que les rayons du soleil ont pénétré ma peau et je m’habille de vêtements légers et amples, la chaleur étant loin d’avoir disparu malgré la déclinaison du soleil. Quelques messages échangés sur diverses conversations, découvrant les plans des uns et des autres pour la soirée, et pourtant rien qui ne me fait particulièrement envie. Si les activités de la journée étaient souvent attrayantes, les activités nocturnes organisées par les étudiants eux-mêmes tendaient à me laisser le plus souvent indifférent. Mais l’envie de voir autre chose que les murs de cette chambre me poussent à descendre jusqu’au bar de l’hôtel. Qui sait qui j’y croiserais, et comment évoluerait la soirée.

Les pupilles parcourent la salle, identifiant les silhouettes, la plupart inconnues, à l’exception d’une seule. Les souvenirs de notre dernière conversation - il y a des mois de cela ? - me reviennent en mémoire, de même que les évènements qui ont suivi. Un départ sur lequel je n’ai osé la questionner, et des messages jamais envoyés par simplement égo mal placé, refusant de montrer que les mots échangés avaient été bien plus impactants qu’on ne pouvait l’imaginer. Mais les regards croisés, l’opportunité se dessine, alors que d’un signe de la main, elle me salue. Un geste qui me convainc de diriger mes pas vers elle. « Salut Haiwee. » Le ton contraste sans aucun doute avec celui de notre dernier échange. « Ca faisait longtemps. Je peux ? » Je pointe la chaise vide à ses côtés, attendant une réponse pour m’installer. Je ne voulais pas la déranger si elle ne voulait pas me voir, ou si elle attendait quelqu’un.  

@Haiwee Wind River | Je ne savais pas vraiment pour quelles raisons la jeune femme avait quitté la fraternité. Mon comportement avait-il eu un rôle dans tout cela ? Était-ce notre conversation qui avait impacté ce choix ? Bien sur, je m’étais posé la question, mais jamais il n’avait été question de la prononcer à haute voix, ou de sous-entendre qu’elle existait dans mon esprit. J’avais accepté l’annonce de son départ avec flegme, comme bien d’autres avant elle, comme bien d’autres après elle. C’était aussi ça la vie en fraternité, rythmée par les aller-venues des étudiant.es qui se cherchaient, par les aller-venues de ceux qui finalement ne se sentaient plus à leur place, pour bien des raisons. Des divergences d’opinion, la vie en communauté, des disputes car certain.es ne s’entendaient pas, etc. Les raisons étaient toujours différentes, le résultat similaire. Une chambre qui se retrouvait soudainement vide, jusqu’à ce que d’autres viennent finalement l’occuper. Et ainsi continuait la vie en fraternité, l’éternel recommencement, et pourtant, ceux qui avaient connu la vie en fraternité savaient aussi qu’on oubliait jamais complètement celles et ceux avec qui on avait partagé une partie de ce quotidien.

Haiwee, par un étrange je ne sais quoi, faisait partie de celles dont je me souvenais plus que d’autres, de celles dont j’avais quand même espéré des nouvelles sans jamais les obtenir. Mais par un heureux hasard, la vie semblait aujourd’hui m’offrir cette opportunité. C’est donc sans hésitation que je m’approche de la table où elle est installée, un léger sourire sur les lèvres, la saluant poliment, ce à quoi elle répond, elle aussi avec le sourire. Son accord donné d’un mouvement de tête, je tire une chaise libre pour pouvoir m’installer. « Septembre vraiment ? » Je sais que cela faisait longtemps, mais je ne pensais pas que les mois avaient été si nombreux. En tout cas dans mon souvenir, il me semblait que cela faisait une éternité, mais en même temps, peut-être pas si longtemps. Un peu comme si les événements de ces derniers mois étaient tous survenus en même temps, rendant la notion du temps plus abstraite qu’elle ne l’est déjà. « Ca va et toi ? Alors, heureuse d’être au Spring Break ? Ca te rappelle un peu cet été ? »  Je me souviens qu’elle m’en avait parlé, du Summer Camp, et de cette cohésion et insouciance qui avait marqué ses vacances. Avait-elle réussi à retrouver un peu de cela ici ? « C’est la première fois que tu viens au Mexique ? »

@Haiwee Wind River | Le temps s’est écoulé si vite cette année, et avant même que je ne puisse m’en rendre compte, nous n’étions déjà plus qu’à quelques jours du printemps, et l’année scolaire ne tarderait pas à prendre fin. Et c’est comme un bilan qui s’opère dans mon esprit, me questionnant déjà sur ce que j’en retiendrais. Les nouvelles rencontres faites, les anciennes, toujours présentes ou au contraire, disparues désormais, les contacts ayant été rompus par le cours de la vie, mais pas les liens. Il suffirait que l’on se recroise, qu’un événement nous remette sur le même chemin, et le naturel reviendrait simplement de lui-même, n’est-ce pas ? En tout cas c’est ce que j’ai envie de croire lorsque je prends place à la table de la jeune femme, qui fait partie de celleux qui ont disparu depuis plusieurs mois. Disparue depuis qu’elle avait quitté la Currier, laissant en suspens des questions qui ne trouveront jamais leurs réponses, laissant derrière elle un sentiment d’échec, la sensation de ne pas avoir fait les choses comme il le faudrait. Il est trop tard pour la ramener à la Currier, la convaincre de rester, mais pas trop tard pour comprendre, pour ne pas répéter les mêmes erreurs à l’avenir. Apprendre une nouvelle fois de ses erreurs, pour ne pas les répéter.

Installé, je la questionne amicalement, comme je l’aurais sûrement fait avec n’importe qui. Je me souviens qu’elle avait aimé le Summer Camp, alors, sûrement qu’elle aimerait le Spring Break, malgré une durée de séjour bien plus courte. Mais elle semble apprécier, à en croire ses mots, à en croire le ton de sa voix, débordante d’une certaine légèreté, solaire. « Décision de dernière minute ? » Elle n’était pas la seule parmi les étudiants, nombreux étant ceux qui ne savaient pas vraiment ce qu’il en serait, parfois jusqu’au jour j, pour diverses raisons. « Ca change de Boston n’est-ce pas ? » Elle vit sûrement une expérience unique depuis qu’elle a quitté sa réserve. Harvard, Boston, le Summer Camp, le Spring Break, tout cela doit lui paraître si déstabilisant par moment, mais en même temps, si rafraîchissant. J’avais été habitué à voyager dès mon plus jeune âge, mais chaque voyage était comme une nouvelle bouffée d’oxygène, alors je n’imaginais pas vraiment ce que cela pouvait lui faire, à elle, de découvrir tellement du monde à cet âge. « Ça doit être beaucoup moins intense, c’est sûr. Et avec les derniers mois de cours qu’il nous reste, ce n’est pas plus mal de profiter d’un séjour plus reposant. » Même si je ne l’avais pas tentée à cause de mes obligations professionnelles, j’avais bien compris que la compétition du Summer Camp était loin d’être facile et reposante, et à quelques semaines des examens finaux, je suppose que la plupart des étudiants préféraient des vacances plus reposantes, même si les activités ne manquaient pas pour autant. Je hoche doucement la tête, ayant moi-même bien profité des activités proposées ces derniers jours. « Oui. J’ai toujours été quelqu’un de très actif, alors pour moi c’est toujours l'occasion de découvrir ou essayer de nouvelles choses. »

@Haiwee Wind River | Elle semble hésitante dans sa réponse, comme s’il y avait plus que ce qu’elle voulait bien me dire, mais je ne me permets pas d’insister. Nous avons beau avoir déjà eu un échange plus profond et personnel, je n’estime n’être personne pour l'obliger à me dire ce qu’elle ne voudrait pas dire, ce qu’elle voudrait garder pour elle. Après tout, j’aurais sûrement eu le même comportement à sa place, si j’avais dû, qu’importe la raison, faire face à des difficultés pour venir au Spring Break. Personne ici  ne voulait faire se torturer l’esprit avec les problèmes, restés pour la plupart à Boston. Le retour à la réalité n’en serait peut-être que plus brutal pour certain.es, mais c’était le prix à payer pour deux semaines d’insouciance et de détente. Le séjour semble en tout cas la ravir, car Boston n’a pas vraiment l’air de lui manquer. Ou si Boston lui manque, elle semble quand même savoir apprécier de changer d’air, de découvrir autre chose que l’urbanisme des grandes villes. « Tu es encline au changement toi maintenant ? » Je l’interroge, un léger sourire sur les lèvres, un brin moqueur. Moi qui pensait qu’elle n’appréhendait que trop le changement, je semblais faire face à une jeune femme plus confiante. Mais il est vrai qu’après six mois, je ne pouvais pas m’étonner de la voir changée.

Le Spring Break a toujours, à mes yeux, un petit goût d’été, et c’est naturellement que j’évoque les dernières vacances au soleil pour beaucoup. Le froid ayant été particulièrement intense cet hiver, il faut bien avouer que la chaleur du Mexique était réconfortante, et nécessaire pour s’habituer aux chaleurs qui suivront dans les prochains mois. Mais avant de pouvoir profiter, de l’été, du soleil, et du Summer Camp pour ceux qui s’offriraient à nouveau à l’expérience, il nous restait une dernière épreuve, redoutée par beaucoup, dont la jeune femme m’interdit l’évocation. « Très bien, je n’en parle pas alors. » Rieur, il faut bien avouer que même s’il m’arrive de commencer à y penser, je n’ai pas spécialement envie d’en faire le sujet de conversation de la soirée. Je préfère nettement parler du présent, de Cancun et de ce que j’ai pu y faire depuis notre arrivée. D’autant plus que je n’étais jamais le dernier sur la liste pour ce genre de choses. « La plongée ! » Réponse venue sans la moindre hésitation. « J’adore les activités sportives et les randonnées pour découvrir les environs, mais la plongée, c’est à part… C’est carrément un autre monde. » Et c’est le cas de le dire. Une activité incontournable pour chaque destination qui la proposait. « Et toi alors ? Quelles découvertes tu as faites ici ? » Je n’oublie pas d’où elle vient Haiwee, je n’oublie pas non plus d’où je viens, et je sais que nos vies n’ont rien en commun, alors je me demande, ce qu’il lui plait, à elle, de découvrir.

Regard qui se fronce légèrement quand elle évoque soudainement son départ de la fraternité, je hausse légèrement les épaules avec un petit sourire maladroit. « Je suppose que tu as pris la décision qui te convenait le mieux. Par rapport à tes attentes, à ce que tu cherchais. » Je sais que sa place au sein de la fraternité la travaillait. « Si tu t’épanouies à Harvard de cette façon, c’est que c’était la meilleure décision à prendre. Et dans ce cas, les excuses sont inutiles. » Ca faisait partie des valeurs même des fraternités, de la Currier plus encore, cette solidarité, cette bienveillance les uns envers les autres. Personne ne pouvait en vouloir à Haiwee d’être partie si c’était pour se sentir mieux, même si ça pouvait paraître inattendu. Seul le manque de nouvelles était quelque peu regrettable, mais désormais, je les avais les nouvelles de sa part.

@Haiwee Wind River | Ca me surprend d’entendre Haiwee parler de changement. Elle qui semble pourtant se plaire dans sa bulle, qui semble avoir du mal à sortir de sa zone de confort. Peut-être avait-elle changé bien plus que je ne pouvais l’imaginer ces derniers mois, mais je l’imaginais toujours appréhender les changements, éviter un bon nombre d'entre eux pour ne pas se perdre, pour ne pas se sentir dépassée par la vie à Boston. Et elle me confirme, ne pas avoir changé tant que ça. Ce qui l’enchante, ce n’est pas le changement, mais la découverte. Comme ces deux semaines de vacances sur le point de s’achever. Le dépaysement total, un cadre totalement différent de celui dans lequel nous évoluions et pourtant, sous le signe de la découverte, et non du changement. Dans quelques jours, nous serions de retour à Boston, et notre vie reprendrait telle qu’on l’avait laissée. Mais il ne tenait qu’à nous d’en profiter jusqu’à la dernière seconde, de laisser Boston à sa place et les préoccupations du quotidien avec elle. La discussion se concentre alors sur ce que nous avons fait ici, notamment sur l’activité qui aura marqué ces vacances. Bien sûr, la numéro un pour moi est ces premiers jours en compagnie de Novel que je retrouvais après des semaines de troubles. Mais ne pouvant mentionner ma relation avec le sportif, j’évoque plutôt une autre activité qui m’émerveille toujours autant, la plongée. Une activité pour laquelle la jeune femme semble partager mon admiration, à ma plus grande surprise. Finalement, elle avait peut-être découvert plus de choses que je ne l’avais imaginé. « Complètement. » J’approuve ses propos avant de l’écouter évoquer ce qui semble être le plus beau souvenir de ses vacances au Mexique. « Je comprends aussi ! C’est impressionnant de voir ce que la nature peut créer d’elle-même, et de découvrir des lieux comme cela, à l’écart de la civilisation. » D’autant plus que ces endroits offraient un cadre plutôt intime pour ceux qui faisaient l’effort de les chercher. Comme une bulle en pleine nature, l’espace d’une journée.

Boston ayant été mise de côté en raison de ses fausses menaces, je suis surpris de l’entendre évoquer ce qui peut nous ramener là-bas, ce qui peut nous ramener, quelques mois plus tôt. La Currier. Même si ce fût court, la jeune femme en avait fait partie, et quelque part, elle restait l’une des notres. Alors je tente de la rassurer, bien que j’ignore les raisons qui ont motivé son départ. Si c’était ce dont elle avait besoin pour s’épanouir dans sa vie à Boston, alors, c’était un mal pour un bien. Mais à ma grande surprise, les raisons que j’imagine pour justifier son départ sont à des années-lumières de la réalité. Sa main posée sur son flanc, je comprends que le traumatisme n’a pas complètement disparu, je devine des heures de souffrances, d’angoisses et de peines immenses de penser qu’on aurait pû y perdre la vie. Et je reste un peu bouche bée devant cette révélation inattendue qui semble survenir si tard, comme si j’avais manqué des années complètes. « Et comment tu te sens depuis ? Physiquement. Mentalement ? » Si certains ont peur de poser ce genre de questions, ce n’est pas vraiment mon cas. Plus maintenant. L’armée a également laissé sa marque dans mon âme, quand bien même elle n’est pas visible à l'œil, la blessure est toujours là, présente, et certains jours, elle brûle encore. « Tu n’es pas obligé d’en parler si tu ne veux pas. Mais je sais que ce genre d'événement peuvent être lourd à porter psychologiquement, alors si tu as besoin de vider un peu ton sac, n’hésite pas. » Même si elle avait sûrement reçu une aide psychologique adaptée, parfois, ça pouvait faire du bien d’en parler à… un ami ?  « Ca doit définitivement te faire du bien de prendre des vacances alors. J’espère que les prochaines te seront tout aussi plaisantes. » La prière est sincère, d’autant plus qu’elle semble être capable de profiter des plaisirs les plus simples, alors espérons qu’elle est l’occasion d’en découvrir bien d’autres.