Une fois la soirée passée, sa chambre regagnée, à la suite d’un bain qu’elle s’est permis de prendre, elle a tourné plusieurs minutes dans ce lit qui n’est pas le sien, avant de prendre son téléphone en main. Lui envoyer un message, elle a y pensé à peine le pied reposé à l’intérieur de l’hôtel, mais elle a ce truc en elle. Celui de penser qu’elle pourrait le déranger. Qu’il ne l’attend pas, et ne l’espère pas assez. Qu’à son inverse, il n’est pas accroché.

Mais malgré tout ce qu’elle pourrait s’imaginer, son envie de lui parler, de lui raconter, d’entendre sa voix est bien trop présente. Son besoin de lui, ce n’est pas qu’un peu qu’il la hante. Alors sans se soucier de l’heure avancée, elle a fini par lui envoyer quelques mots, un ridicule texto, ne s’attendant pas au goût de ses mots.

Les derniers reçus, c’est plusieurs fois qu’elle les a lus, agacée par ce qu’ils sous-entendent, elle s’est assise sur le rebord de sa fenêtre, les yeux perdus sur les lumières de Dallas dès lors qu’elle a appuyé sur l’icône appelé. Le bruit de la tonalité résonnant maintes fois, jusqu’à ce qu’il décroche et qu’elle assène, directement. « Et ça ressemble à quoi ? »

Dormir chez Witter n’était pas dans ses intentions premières lorsqu’il avait eu la prétention d’aller chez. Devenue étrangement plus humaine, presque perdue s’il ne la connaissait pas tant, un brin changée, elle lui avait à sa façon proposé de rester, sans la moindre arrière-pensée. Pas de coup fourré cette fois, ils ne partageraient pas les mêmes draps, lui ayant attribué une chambre qu’un employé de maison s’était empressé de préparer le temps de quelques mots échangés.

Allongé, à bouquiner pour attendre que le sommeil vienne l’emporter, il apprend la théorie au fil des pages de ce bouquin qui relatent des besoins de l’animal qu’il vient de gagner. Et au fil des minutes qu’il y passe, plongé entre les lignes, la pensée de payer quelqu’un pour s’en occuper lui effleure l’esprit. Mais c’est un autre bruit, une vibration qui le tire de ses élucubrations, attirant son regard vers la table de chevet alors que sa tête n’a pas bougé. Un message, à deux heures un dimanche matin, encore l’une de ses rencontres d’un soir qui souhaite sans doute le revoir… Il n’en tient pas rigueur immédiatement avant de se décider à y regarder de plus près, l’écran affichant le nom d’Haiwee. Alors évidemment, l’ouvrage est lâché pour lui répondre, avec un peu d’aigreur parce qu’il la sait là-bas bien accompagnée, jusqu’à ce que les vibrations ne soient troquées pour une tonalité. Naturellement il décroche après quelques hésitations, ayant bien en tête chez qui il se trouve, pour porter à son oreille l’objet. « Et ça ressemble à quoi ? » Pas un bruit dans le couloir et pourtant il ne peut s’empêcher de fixer la poignée de sa porte, craignant à chaque instant de la voir tourner avant de pouvoir librement parler. «  Tiens... Wind River qui s'ennuie. Et tu penses que de vive voix je n'oserais pas te le dire?  »

Durant un fragment de seconde, elle se dit qu’elle pourrait regretter de ne pas avoir fait preuve de politesse au moment où il a décroché. De s’être contenté de suivre la discussion à peine amorcée. « Tiens... » ce son unique, elle en clôt les paupières, elle en profite, « Wind River qui s'ennuie. » toujours un peu lorsqu’il est question de lui, « Et tu penses que de vive voix je n'oserais pas te le dire ? » Son regard s’ouvre à nouveau sur la vue que lui offre la baie vitrée de sa chambre.

De l’allusion glissée dans les mots de son message, elle n’a osé entrevoir la véritable signification. Toujours aussi ingénue bien que certaines choses aient changé, en elle. Elle souffre encore de ses anciennes ritournelles. Une colombe petit à petit métamorphosée, qui reste égale à elle-même contre ce qu’elle souhaite afficher. « T’es pas connu pour le fait que tu n’oses pas. » C’est tout l’inverse, d’ailleurs, Sheng fait ce qu’il désire, il ne suit que ses propres lois. « Alors dis-moi, » intéressée par ce qu’il pense honnêtement, « ça ressemble à ? » elle réitère l’interrogation, tandis qu’elle déplace le rideau de ses doigts… « Eclaires-moi ? » L’assurance découlant du ton de sa voix.

Silencieusement ses doigts effeuillent le livre qui trône à côté de lui dans les draps, regardant de temps en temps les phrases sans en saisir le sens puisqu’il ne les lit pas. « T’es pas connu pour le fait que tu n’oses pas. » Il aurait dû s’inviter peut-être d’ailleurs histoire de la surveiller, prétextant avoir une réunion dans la même ville avec un autre PDG. Des excuses, il en a la pelle et mentir ne le fait jamais reculer mais cette fois, curieusement, il a souhaité accorder sa confiance à une femme, expérience nouvelle qui le fait doucement cogiter parce qu’il la sait guidée par un autre.

Et dès lors qu’il se le rappelle, couteau une fois de plus remué dans la plaie, les pages sont tournées avec plus de fermeté. « Alors dis-moi, ça ressemble à ? Eclaires-moi ? » Un homme et une femme seuls ensemble un week-end, après avoir fait plus amplement connaissance autour d’un verre et elle qui connait maintenant les plaisirs de la chair… Il a beau tenter de se convaincre que l’amérindienne saurait tenir tête, ses propres vices lui murmurent le contraire. « A un plan cul. » Et bien que le rire dont il argumente cette affirmation semble léger, son pouce vient de plier la page sur laquelle il était posé.

Prête à entendre le moindre son que sa bouche voudra bien lui confier, elle observe sur la vitre l’écran de buée, faute de sa respiration, en train de se former. Elle se fait patiente afin d’écouter sa grande théorie, au sujet de ce qu’elle serait venue faire ici. Elle attend ses nuances, son avis… « A un plan cul. » Aussi brut que direct, elle entrevoit son rire, ne sait pas tout de suite le définir, mais elle le paraphe, d’un « Ah. » Les traits renfrognés, elle qui n’a jamais vu en William une quelconque ambiguïté. Et bien qu’elle ait demandé quelques précisions, l’évidence est telle qu’elles n’étaient pas fausses ses suppositions. Des sous-entendus textuels, la définition. Mais parce qu’il est maître dans l’art de la mystification, elle n’envisage que très peu, que ses idées soient guidées par l’une des plus viles émotions.

De la pointe de son index, elle va esquisser dans la condensation, un dessin qui n’a aucun sens et ne sert qu’à ses réflexions. « Et c’est mon genre, ça ? » De partir dans un autre état enfin de passer une soirée de ce type-là. Se vautrer dans une luxure qu’elle n’a désiré apprivoiser qu’avec toi. Néanmoins, elle ne l’arrête pas directement, tentée de voir à quel point il pourrait douter – ou avoir besoin d’être rassuré – de ses volontés et sentiments.

« Ah. » Doutes légitimes parce qu’il sait combien les nuits sont longues pour un homme loin de chez lui, loin de sa famille et de ses appuis, ne pouvant trouver réconfort qu’auprès d’une étrangère dans un lit. Il le sait pour l’avoir vécu déjà de nombreuses fois, lors de ses voyages et déplacements au quatre coins du pays. « Et c’est mon genre, ça ? » Le sien peut-être pas mais ils ne se connaissent réellement que depuis quelques mois. Et si sa confiance lui reste acquise malgré les incertitudes qui l’assaillent, il n’en est rien pour celui avec qui elle a pris la tangente samedi au petit matin. Mais il ne se permettra pas de juger à voix haute, préférant ronger son frein comme on le lui a inculqué, comme à chaque fois, faisant preuve d’une réserve maitrisée.

S’il ressent une vive douleur subitement, ce n’est pas seulement par le fait de se sentir impuissant et réduit au silence par des années de doctrine encensée. Mais sur la page encornée vient de se dessiner l’illustration de sa nervosité, soulevant son pouce de la tranche contre laquelle il vient de se couper. « Pas besoin de te justifier, » elle est libre malgré ce qu’il peut en penser et n’a jamais rien signé. « Mais trois verres et... » il l'a déjà vue chanceler...

Elle s’interroge, c’est vrai, sur la façon dont il peut la voir, une fois qu’elle n’est plus à ses côtés. Ce qu’il s’imagine qu’elle pourrait faire, elle qui lui a fait comprendre maintes fois, qu’elle ne flanche que pour lui. Elle ne parvient pas à envisager d’autres mains la toucher. Elle a réussi à se convaincre que c’était écrit. C’est cette inclinaison qui lui a donné la force de se battre pour sa liberté. Abandonner l’idée de se marier.

« Pas besoin de te justifier, » Sur la fenêtre, elle avorte le mouvement de son doigt. Perturbée qu’il ne réponde pas. « Mais trois verres et... » Derechef l’étonnement vient parer ses traits. La vision qu’elle s’est égarée à quémander, elle est loin d’être plaisante, même plutôt dérangeante. Celle d’être une fille facile à manipuler. Une qui abandonne ses principes à la faveur d’un homme pour une soirée. « Je ne me justifie pas. » Elle baisse le regard, ramène ses jambes à elle, recroquevillée alors qu’elle vend de l’assurance à celui se trouvant à l’opposé. « Je te pose une question. » Un léger sourire, « à laquelle tu ne réponds pas, » pas vraiment en tous les cas, « je n’ai pas bu, » elle a trempé ses lèvres dans la coupe qu’on lui avait confié lors de ce toast porté, « je voulais garder ma lucidité. » Pas pour terminer la nuit avec son cavalier, mais pour ne pas trébucher dans un monde qu’elle ne connaît. « Pour mieux profiter. » Petite joueuse. Piètre menteuse.

L’art et la manière de manipuler, depuis la nuit des temps les femmes savent en jouer et la langue de l’amérindienne également, même inconsciemment. Son pouce apporté à ses lèvres il goute à son propre sang, la laissant parler depuis le beau milieu du continent. « Je ne me justifie pas. » Un peu, suffisamment pour qu’il la considère comme fautive de quelque chose qu’elle n’ose avouer, mais Haiwee et sa naïveté ont toujours su l’embrouiller. Pourtant la suite de ce qu’elle va lui souffler ne va que le conforter dans son idée. « Je te pose une question à laquelle tu ne réponds pas. » Question qu’il a si bien éludée qu’il ne s’en souvient plus déjà, le fil rouge de ses pensées perdu depuis qu’elle y a implanté le doute. « je n’ai pas bu, » et il en est soulagé mais cela ne durera qu’un temps, relâchant son pouce avant de l’entendre prononcer : « je voulais garder ma lucidité. Pour mieux profiter. » Confession lâchée. Forcément il n’a pas songé à d’autres possibilités, ses traits changeant d’expression pour fixer face à lui un point fixe sans raison. « Pas ton genre… » qu’il répète irrité, comme quoi elle revient sur ses propres mots, tentant de le manœuvrer. « J’espère que t’en as bien profité alors. »

Elle a l’impression d’entendre son cœur battre dans ses tympans, comme une rythmique qui ponctue l’instant. Jouer avec le feu n’est pas la spécialité d’Haiwee. En sa faveur, en sa présence, c’est à la force d’une autre émotion qu’elle préfère brûler. « Pas ton genre… » Non, car tu es le seul à être le sien. Ses lèvres, elle les pince, pour se retenir de se mettre à rigoler. Car elle a réussi à l’entrevoir, l’aigreur qui a teinté le timbre de sa voix. Elle aime constater qu’il éprouve envers elle une bride de possessivité, cette jalousie qu’elle a espérée. Qu’il tienne à elle ne serait-ce que le quart de ce qu’elle éprouve pour lui. « J’espère que t’en as bien profité alors. » Elle balance sa tête en arrière, jusqu’à heurter le rebord, elle soupire, ridiculement amusée, par cette réplique qu’il s’est forcé à prononcer. « J’ai profité… » elle laisse planer un suspense qu’elle n'est pas certaine de maîtriser, « de la musique, » nouveau soupir, « du repas, » bien qu’elle ait oublié la plupart des plats, « de la chambre, de la salle de bain, » et elle pourrait probablement détailler encore un petit moment, toutefois son sérieux est de plus en plus défaillant, « seule. » en un souffle, murmuré.

« J’ai profité… » Qu’elle se soit amusée le temps de son séjour où elle ne peut être jugée que par lui, par ses aveux qu’elle vient de lui glisser, c’est tout le mal qu’il puisse lui souhaiter même s’il s’ouvre nerveusement les chairs, son pouce s’écrasant sur la page déjà entachée  pour la tourner et faire claquer la couverture afin de l’observer, murmurant silencieusement le titre afin de se le remémorer. Un livre qu’il devra lui racheter, ne souhaitant pas laisser de traces de son passage ici et encore moins prendre le risque de la voir le lui réclamer … avec indemnités. « De la musique, » le genre de gala qui ne se chorégraphie qu’à deux, « du repas, » toujours plus vivant en tête à tête encore une fois, « de la chambre, de la salle de bain. » il en ferme les yeux, agacé parce qu’il s’imagine être les lieux qu’ils se sont amusés à essayer, rejetant le livre sur le côté dans le molletonné sans plus de prudence, l’ouvrage s’ouvrant sur un chapitre qu’il n’a pas eu l’occasion de feuilleter. « Seule. » Voilà que .. rattrapé par la réalité, ses paupières s’ouvrant sur cette lumière tamisée lui font perdre de vue cette fiction qu’il s’était imaginé. « Seule ? » Le murmure à peine audible de l’amérindienne mérite d’être répété.