tw - rejet de grossesse.

Les minutes sont des heures. Je n’aurais jamais dû accepter de la voir après nos journées respectives mais plutôt insister pour fuir nos responsabilités, tant que nous le pouvons, afin de mettre fin à cette attente. J’ai mal au crâne tant j’ai retourné la situation dans tous les sens depuis plusieurs jours, et particulièrement depuis ce matin et sa douce association de roses. Rarement aussi nerveux, je sors de la voiture et expire un bon coup avant de lever la tête vers le building d’appartement qui abrite le sien. Trop tard pour faire demi-tour à présent. Enfin, je pourrais, mais il y a quelque chose que Wendy doit entendre avant de perdre la possibilité de faire marche arrière. Je récupère le bouquet dans le coffre et décide de prendre les escaliers, dans un vain espoir que l’effort détende un peu mes muscles. Devant sa porte, je marque une pause avant de sonner et vérifie mon téléphone qui indique 19H59. Je crois bien n’avoir jamais été aussi ponctuel. Comme un lion en cage depuis 14h, je devrais sans doute patienter quelques minutes de plus mais je suis à bout de nerfs.  « Bonne Saint-Valentin. » Dis-je un peu froidement en lui remettant le bouquet de roses, au nombre de neuf, qui selon l’ami Google représente l’éternité. Sept rouges, une blanche et une noire afin de ne pas complètement ignorer ces derniers mois et l’essence même de notre relation. « Comment tu te sens? » Prête à s’en débarrasser ou non, elle n’en reste pas moins présentement enceinte et je sais que ma meilleure amie a eu droit à pas mal de nausées.


@Wendy Witter

tw - rejet de grossesse, suicide.

La tête qu’elle affiche lorsqu’elle me découvre, sur le pas de la porte, me laisse perplexe. C’était prévu depuis cette après-midi, non ? A suivre son regard, je comprends que la surprise n’est pas ma présence mais celle du bouquet que j’ai, je l’avoue, longuement hésité à lui offrir. Habitués aux montagnes russes, il faut admettre que nous nous surpassons dernièrement et avec la conversation qui nous attend, je ne sais pas comment agir.
Malgré les minutes interminables, c’est sans discours tout préparé que je me pointe chez elle et heureusement car si j’en avais un, je crois qu’elle me l’aurait fait ravaler avec sa réponse. « J’ai envie de crever. » Je déglutis et passe la porte en reprenant mon souffle, ne réalisant que maintenant que j’aurais peut-être dû le faire après avoir grimper au pas de course les étages. J’en roulerais presque des yeux devant tant d’exagération mais en est-ce vraiment, lorsque tout dans son expression appuie ses dires? « Arrête. » Je murmure, les dents serrées, parce que je déteste ce genre de réflexions devenues anodines, qui ne nous permettent plus de différencier l’exagération de la vérité. On a beau être dans la merde jusqu’au cou, cela ne justifie pas de vouloir finir six pieds sous terre. J’entre dans les lieux et fait plusieurs grandes enjambées, avant de revenir vers elle et joindre les mains devant ma bouche. « T’as envisagé une seule seconde de le garder ? » Je pense connaître la réponse et celle-ci me rassure autant qu’elle m’effraie. Est-ce qu’un mélange de nous deux est la pire chose qu’il pourrait lui arriver ? « Je ne dis pas que c’est ce que je veux, seulement qu'on n'a même pas considéré cette option. » Le plan est de s’en débarrasser comme d’un produit avarié, hors quelle que soit notre décision, elle mérite sans doute plus d’une demi-seconde de réflexion.

tw - rejet de grossesse, suicide.
Je ne sais pas trop à quoi m'attendre. Certainement pas à un “ pas bête, on pourrait le garder et former une belle famille “ mais définitivement pas à ce soupir et le regard noir qu’elle me réserve. Comme si je venais d’émettre la pire absurdité qui soit, comme si rien de pire ne pouvait nous tomber sur la tête. Sa question, son rire, l’expression corporelle qu’elle dégage… tout ça me retourne l’estomac et me glace le sang. J’ai souvent joué au con mais aujourd’hui, je me surpasse. L’idée ne lui a même pas traversé l’esprit alors que j’ai passé ces derniers jours à me jouer mille-et-un films dans lesquels nous prenions la décision de lui donner une chance de vivre. J’en secoue la tête, refusant d’entendre ce que Wendy insinue sur ce jour qui monte à la tête de plus d’un. Elle y compris, si j’en crois le bouquet reçu un peu plus tôt dans la journée. « Ça te dégoûte à ce point de savoir qu’il est de moi ? » Énervé, j’en laisse ma raison au placard, tout en sachant très bien que ce n’est pas là que se trouve le fond du problème. Le fait qu’il soit là, qu’il habite son utérus l’est, et ce peu importe la personne qui l’a généreusement engrossée. « Non, tu n’en veux pas. Tu ne m’as pas demandé mon avis, ta décision était prise avant même de passer ma porte. » Et j’l’ai suivie, parce que c’était logique. On mérite mieux que d’aller se tirer une balle dans le pied avec un gamin qu’il va falloir assumer sur les vingt prochaines années, minimum. Je sais tout ça, mais j’aurais voulu qu’elle considère au moins une demi seconde de se lancer dans cette aventure, avec moi. « J’ai oublié qu’il n’y a que ta petite personne qui compte, laisse tomber. » Celle-ci est gratuite, alors que je devrais m’estimer chanceux que Wendy ne cherche pas à me coller cette responsabilité sur le dos.

tw - rejet de grossesse, suicide.
Je ne sais pas si j’ai toujours su qui elle est et me suis voiler la face pour ne pas perdre le pilier qu’elle est à ma vie, ou si je la découvre ces dernières semaines. Ses défauts, je les ai acceptés au même titre que ses qualités, j’ai appris à composer avec tout ce qu’elle est, comme la brune le fait depuis des années avec moi. Mais aujourd’hui, la situation nous surpasse. On a beau jouer aux grands, nous n’avons pas les épaules pour gérer sa grossesse et je suis le premier à l’admettre. Cela ne veut pas dire pour autant que j’apprécie la manière dont on a choisi de se sortir de là. Je ne la reconnais pas. A moins que ce soit moi, le problème. Je ne sais pas lequel de nous agit comme un étranger. « Ôtes moi d’un doute, » Je soupire, blasé d’avance. Quels que soient les mots qui suivent, ils ne vont pas me plaire.  « on est un couple toi et moi ?! » L’éternel refrain. L’argument favori que nous ressortons l’un comme l’autre à chaque désaccord, comme si cela pouvait faire mal alors que nous en avons fait le choix. J’en souris, balançant la tête en arrière pour fixer le plafond et calmer mes pulsions. « On a pour projet de devenir le cliché de la famille parfaite ?! » Non. « Vas-y Roman, la scène est plantée. » Même en essayant de nous y voir, je n’y arrive pas. Il y a le son mais pas l’image. Un futur bercé par nos cris. « La Saint Valentin, les roses échangées. » C’est bon, elle a prouvé son point. Je me mords l’intérieur des joues pour ne pas lever le ton plus haut que Wendy et m’ose enfin à capter son regard à nouveau. « Dis-moi que tu m’aimes et que tu veux garder ce bébé. » « Et si c’est le cas ? » Ça sort tout seul, mes yeux la défiant de me faire dire le contraire. « Tu te retrouverais bien conne si je te disais que je veux tout ça. » Y’a qu’à voir sa tête, elle va vomir la pauvre. « T’as pas l’impression d’être un monstre ? » La décision est si facile. « On s’en débarrasse comme on se débarrasse d’un déchet. » Sans même se consulter.

tw - rejet de grossesse, suicide.
J’ignore ce qu’il m’a pris, à venir à sa rencontre ce soir pour parler de la situation qui devrait être la nôtre mais qui n’est que la sienne. C’est en tout cas l’impression que Wendy me laisse. Peut-être que j’ai voulu nous prouver, à tous les deux, que j’étais en mesure d’assumer les conséquences de mes actes, tout en priant qu’elle ne me laisse pas faire. La froideur de ses mots et sa réaction, en revanche, je n’y suis pas du tout préparé. « Si. » Je ne comprends pas immédiatement où elle veut en venir. « Si tu le disais. » Pitié. On sait tous les deux que je pourrais encore poser un genou au sol, lui dire qu’elle est la femme de ma vie, que ça ne changerait pas l’issue de la conversation. « Mais tu le ne fais pas. » C’est donc de ma faute, pour ne pas lui dire qu’elle est mon monde lorsqu’on sait, l’un comme l’autre, que la déclaration la ferait fuir le plus loin possible de moi. Quoi que. A ce stade, je ne sais même plus si Wendy veut juste me faire remarquer que je ne suis pas amoureux d’elle, pour justifier sa décision, ou si elle attend sa déclaration. « C’est pour ça, pour ne pas ruiner nos vies que je m’en débarrasse comme d’un déchet. » Je secoue la tête, j’ai l’impression qu’il me manque des pièces de puzzle. Pour ça ? Parce qu’on a pas le profil de la famille parfaite ? « Ok. » Je rends les armes, ne sachant pas moi-même pourquoi je me bats. Pour avoir mon mot à dire, ni plus ni moins. Je nous torture inutilement, parce que pendant un court laps de temps, mon cerveau a décidé de me laisser penser qu’on avait d’autres options. « Tu me diras l’heure du rendez-vous, je serai là. » Et puisqu’elle ne me laisse pas le choix, je lui rends la pareille. Son corps, son choix, mais la chose dont elle va se débarrasser est à cinquante pourcent de ma responsabilité. Il n’est pas question de la laisser subir l’intervention seule. « Les familles parfaites, elles ne le restent jamais bien longtemps. » Alors que nous, on tient. A travers les cris, les disputes, l’absence, on ne laisse pas le poids de la vie nous briser. Jusqu’ici, je pensais que c’était suffisant. Peut-être pas pour accueillir un enfant, mais pour elle.