Les mots de sa conseillère en image s’étaient sournoisement implantés dans ses pensées depuis le début de semaine tandis qu’il s’efforçait de trouver une idée afin d’aider l’amérindienne à gagner de quoi substituer. Naturellement, Haiwee allait refuser toute aide financière de sa part à moins de la mériter et ce n’est qu’en se promenant à côté de la vitrine où il allait devoir bientôt s’exposer qu’il réalisa qu’il serait plus judicieux pour cette enseigne d’y apporter une touche féminine. Après tout, la clientèle visée était aussi bien masculine. Le gérant avait passé une annonce afin de trouver un visage jeune, une silhouette dynamique pour faire la promotion de sa nouvelle literie et l’asiatique qui boycottait légèrement la WW devait trouver de quoi un peu s’occuper. Aussi y avait-il répondu après avoir pris en compte les recommandations de sa conseillère. Un seul contrat n’allait en rien lui porter préjudice vis-à-vis de ses précédents engagements, pas pour quelque chose d’aussi futile que de rester dans un lit des heures durant.

Alors le jour venu, il s’est hasardé à attendre l’amérindienne au pas de la porte de sa chambre, l’observant les bras croisés, sans se prononcer. Juste un regard balancé à son poignet, s’assurant de l'heure avant que sa mise en scène théâtralisée dans des draps frais ne débute, et il se décide à pénétrer à l’intérieur pour lui confier : «  J’ai un service à te demander » avant de s’arrêter, s’amusant avec un bibelot, un souvenir qu’elle a rapporté de son passage éclair parmi les siens au mois de janvier. Déjà souriant à la pensée du piège qu'il lui a monté, il lui soupire un seul mot en reposant l'objet de là où il l'a tiré: « M’accompagner. »

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Il attend sa réponse sans pour autant se hasarder à la regarder, à l’écoute seulement de quelques mots qu’elle pourrait prononcer sans appuyer du regard sa demande, sans l’y contraindre ni l'y forcer. L’accompagner ne l’engagerait à rien visiblement mais il a toujours eu de la suite dans les idées et l’amérindienne doit bien s’en douter après ces quelques mois partagés sous le même toit. Il amorce la traversée de la pièce alors qu’elle clôt sa séance de lecture en apposant ses doigts sur la couverture, effleurant l’illustration de ses doigts. « Mais encore ? » C’est qu’à ce rythme, il ne pourra conserver l’effet de surprise jusqu'à la boutique s’il lui donne de quoi sustenter sa curiosité et pourtant Dieu sait qu’elle est en droit de connaitre la vérité et qu’elle aurait toutes les raisons de se rebiffer.

Il a parcouru la moitié du chemin lorsque ses doigts se joignent, ses traits mimant la réflexion à la perfection pour soudainement se figer, l’extrémité de ses index s’accordant involontairement avec le pendule qui résonne dans le couloir. « M’accompagner, dans un magasin de literie, » un commerce comme un autre, rien qu’une vulgaire sortie. Mais il ne s’arrêtera pas en si bon chemin, connaissant ses penchants, sans aucun scrupule lorsqu’il empiète sur le territoire de ses sentiments. « Essayer » sous-entendu à deux, de quoi la faire méditer et faire pencher la balance de son côté. Il y a juste un détail qu'il ne se permettra de vérifier, la seule chose pour laquelle il ne peut qu'espérer: qu'elle porte sous ce pull des dessous assez coquets, visibles juste le temps de jongler entre peignoir et le lit qui leur sera demandé de présenter.  

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Encore un regard jeté discrètement à sa montre parce que l’heure se saurait reculer, les conduisant inexorablement vers ce rendez-vous préprogrammé et il se détourne vers elle lorsqu’elle tente de comprendre de sa présence son utilité. « Et pour ça, t’as besoin de moi ? » Il a joint les paumes dans un claquement sec, ses indexes la pointant avant d’insuffler cette réponse clairement. «  Oui » bien qu’elle n’ait jamais couché dans son lit à lui. Peut-être l’annonce d’un changement proche en ce qui la concerne ou bien peut-être s’est-il aperçu que celui où elle dort présentement ne lui convient tout simplement pas, pour le peu qu’il a partagé avec elle ses draps… Alors elle abdique sous son regard satisfait en abandonnant son livre, en remettant sa séance de lecture à plus tard, le roman mis de côté. « Si c’est un service... » Un service qu’il va lui rendre parce que c’est bien à elle qu’il a songé à l’écoute du montant qui lui était proposé, acceptant à la condition que les gains soient partagés. « Pas de temps à perdre. » D’un coup de tête bien prononcé le sino lui désigne la porte qu’il leur faut emprunter pour se diriger avec elle vers l’entrée. Il se laissera à un instant donné dépasser afin d’imaginer, les yeux bifurquant sur le jeans d’Haiwee qui le précède, ce qu’elle peut bien en dessous porter. Le hic avec l’amérindienne c’est qu’elle n’a jamais rien laissé dépasser, même durant ses déplacements, au gré d’un chalouper léger. Pas moyen de deviner et pourtant à ce jeu-là il est d'habitude très doué. Mais rien, pas la moindre dentelle, pas la moindre ficelle lorsqu’elle s’active à enfiler sa veste, geste anodin qui fait se soulever miraculeusement le pull qui lui effleure les reins. Tant pis, il en aura la surprise le moment venu, se faisant une raison lorsque lui aussi s’apprête en ôtant son trench du portant accroché au mur. Pourtant dans le doute et histoire de la préparer un peu, il ne peut s’empêcher d’insister : « On est d’accord. Essayer, essayer, » pour qu’elle ne puisse plus revenir sur sa parole une fois devant le fait accompli, la porte à présent déverrouillée.

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« On va essayer des lits. » Un lit, un seul. De nouveau un arc mord ses lèvres, un rictus qu’il tente d’enrayer en regardant ailleurs lorsqu’il tourne la clef. L’un après l’autre ils pénètrent dans le grand hall qui dessert les deux seuls appartements de l’étage du fait de leur superficie respective, l’autre appartenant à un homme d’affaires américain qui ne donne signe de vie que tous les quatre matins. L’amérindienne l’a devancé, déjà à quelques mètres pour appuyer sur l’appel du monte-charge et prendre les devants, leur faisant gagner un peu de temps.
Son boudoir verrouillé, il va la rejoindre sans se presser, observant l’affichage en amont s’incrémenter au fil des secondes, au fil de ses pas qui la rapproche d’elle, l’imitant les deux mains dans sa veste dans l’attente de voir s’ouvrir les deux portes de fer. Au tintement aigu d’une cloche fictive les battants leur libèrent l’espace où ils s’engouffrent l'un après l'autre, son doigt à lui pressant cette fois le bouton commandant l’accès au rez-de-chaussée. A cette mélodie inchangée, restée la même depuis tant d’années, le sino lève la tête vers les baffles dans les recoins pour afficher une mine plus que réjouie, satisfait de l'évolution des opérations, son plan se déroulant tel qu’il se l’était imaginé, voir mieux même puisque les bonnes questions n’ont pas été encore posées.  

Sous le regard interloqué du portier qui leur ouvre le chemin ils sortent tous deux, l’asiatique toujours spéculatif quant à la réaction de l’amérindienne une fois qu’elle se retrouva face à la literie. Elle pourrait tout aussi bien accepter sans rien dire mais ses origines le font douter, sauvage et indomptée, ne souhaitant se voir contrôlée. Il serait prêt à le parier même si elle lui doit bien un service ou deux. « Ce n'est pas très loin. » Juste une quinzaine de minutes à pieds, à l'orée du centre ville, où les plus belles boutiques ont jugé bon de s'implanter. Chemin faisant, il sort sur Harbor Street un paquet de cigarettes que ses doigts ne cessaient de triturer jusque-là, souhaitant assouvir un irrépressible besoin avant en ralentissant le pas.

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Répondant au besoin d’étouffer ses appréhensions il sert entre ses doigts cette chose roulée qui gagne l’intérêt de la sauvageonne même si elle crache dessus depuis qu’elle le connait. Il en joue, la fait rouler entre ses phalanges comme si de rien n’était, songeur face aux vitrines devant lesquelles ils ne font que passer, sans se soucier cette fois de ce qu’elle dira et quand bien même, elle n’est pas allumée, juste brassée entre ses doigts. « Tu m’en donnes une ? » Il s’est arrêté sans prévenir, stupéfait par ce qu’il vient d’entendre d’où ses traits froncés, le cylindre manquant de peu de lui échapper. Les lèvres entrouvertes il manque pour la première fois de répondant, la fixant assidument avant de ranger le paquet et de braquer le regard vers un autre point sur le coté, comme embarrassé. « Non. » Et ce ne sera pas négociable, ajoutant même qu’ « Il ne faudrait jamais commencer. » Alors la cigarette détenue entre ses doigts il la glisse sur son oreille pour plonger les mains dans ses poches avant de continuer à avancer, précisant non sans lui sourire «  ça détruit plus que ça ne fait du bien. » Un fait scientifiquement prouvé mais ce n’est pas ce qui le fera arrêter, l’héritier appréciant l’idée de se détruire à petit feu sans que sa famille ne puisse y remédier. Au moins c’est une chose sur laquelle il garde le contrôle, peut-être même la seule qu’ils ne peuvent empêcher.

Après quelques minutes de plus à marcher les voilà qui déboitent sur les pavés jonchant la devanture de la vitrine souhaitée. Des lits, des drapés et du mobilier de chambre à coucher l’ornent mais il manque quelque chose à ce décor pour attirer l’œil de la clientèle, seul l’asiatique le sait. Alors il pénètre à l’intérieur et cherche du regard le vendeur, restant statique à l’entrée parce qu’il n’est pas aujourd’hui l’un de ces clients intéressés. C’est un commercial endimanché qui vient à leur rencontre, se frayant un chemin entre les lits exposés pour venir leur poser la question fatidique qui ne sait que trop exaspérer. « Je peux vous renseigner ? » Un arc se dessine sur ses lèvres interdites lorsqu’il incline la tête vers la vitrine, refusant l’aide apportée en une formule toute préparée. « Vous aviez fait passer une annonce il y a quelques temps. » Ses yeux en témoignent, le vendeur vient de perdre tout espoir de commission sur cette vente qu’il s’était imaginée pour leur répondre en se détournant, les invitant à le suivre jusqu’à l’arrière-boutique où ils pourront se préparer. « Je m’attendais à ne voir qu’un seul mannequin. » Plutôt flatteur pour l’amérindienne, contemplée alors rapidement de la tête aux pieds par l’héritier qui ne cache pas rien de son amusement. « C’est elle, je ne suis là que pour faire figuration. »

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