@Taylor V. Foster
Un coup d'oeil à l'horloge, comme pour m'assurer qu'le temps défile toujours, que j'me suis pas planté d'heure ou de journée. Cravate resserrée, veston arrangé en conséquence; gestes minutieux, l'oeil attentif aux détails quand bien même j'irais prétendre n'pas me prendre la tête. C'n'est qu'un rendez-vous pour aller danser, rien d'plus. La légère pression du parfum sur ma jugulaire ira tout d'même affirmer l'contraire. J'ai besoin d'sortir, d'oublier les ennuis et l'quotidien chargé; les dossiers en attente et l'affaire personnelle, loin d'être terminée. J'aimerais voir plus loin, donner un sens à c'merdier; au fond, on est tous pareil, on a b'soin d'un prétexte, d'une carotte pour avancer.

T'as incarné l'espoir lors d'une soirée agitée, à l'instant même où j'pensais tout lâcher, tout arrêter; t'es presque sortie d'nulle part et tu m'as, à ta façon, sauvé. J'ai pas oublié l'café, ni l'anecdote décalée; rien d'fantastique dans les faits, mais j'crois pouvoir affirmer que la rencontre en valait la peine. Cela dit, j'pensais pas te revoir, en fait. Les types dans mon genre sont pas vraiment inspirants, tu vois ? Distant, froid, mauvais et insensible; la liste des défauts est longue, et t'en as seulement effleuré la surface. Attends d'voir l'envers du décor, les cicatrices cachées sous l'épiderme, le démon enfermé dans sa poche de glace. J'me regarde une seconde dans l'miroir, et j'en viens à m'demander si tu pourras faire face. Qu'une façon d'savoir, se rendre sur place.

Simplicité évidente, et manque flagrant de galanterie, j'suis pas venu te chercher. Rendez-vous sur place, dans un bar probablement sous-côté. Le rez-de-chaussée semble banal, et sans doute l'est-il vraiment d'ailleurs; peu importe, c'est à l'étage que nous attend une table, réservée. Froid mordant d'une énième soirée d'hiver, j'espère n'pas m'être trompé en lisant la brochure; l'établissement est censé avoir des équipements d'saison, pour nous permettre de rester dehors, dans de bonnes conditions. J'm'étais promis de pas fumer pour patienter, et j'ai pas tenu ma résolution plus de cinq minutes. Deux cônes supplémentaires, agonisants sur la chaussée; témoins silencieux du stress que j'conserve en moi, poison presque aussi handicapant qu'le goudron avalé. Même lorsqu'il ne s'agit que d'attendre, j'suis pas doué.  

@Taylor V. Foster
Certaines habitudes sont coriaces, bien ancrées, même lorsqu'elles n'ont rien d'bon. Être stressé par un rendez-vous, c'est tellement inédit qu'mon organisme cherche d'ores et déjà une porte de sortie, un moyen d'se détendre; n'importe quoi tant qu'ça permet d'apaiser les battements furieux du palpitant. Les seules entrevues qu'j'accepte en temps normal relèvent du professionnel; des témoins ou des collègues dans l'cadre des enquêtes. Mais toi, t'as rien à voir avec tout ça. Et moi, j'suis pas sorti avec une femme, d'cette façon, depuis Tan'. Longue route pour un organe torturé. La page se tourne au rythme du deuil, et j'ai beau faire des efforts, c'est loin d'être gagné.

Un taxi s'arrête là, et quelque part, j'devine que c'est toi avant même que tu n'en sortes. Les opales détaillent ta silhouette, sans trop en faire non plus, juste assez pour apprécier l'effort, ta robe notamment. J'relâche la fumée, visage tourné à l'opposé par principe de respect, avant d'accompagner ta démarche du r'gard tandis qu'tu t'approches, féline silencieuse, de moi. " Un défaut d'plus. Tu étais prévenue. " et j'en esquisse un sourire, désolé. Le café n'pourra jamais remplacer cette drogue, j'ai rien trouvé d'comparable pour l'instant. " Élégante. " ai-je prononcé, comme un écho mal synchronisé à ta question. Hors sujet. J'aurais dû m'taire, me contenter d'un "oui, et toi ?" pour la forme. T'as l'air aussi douée qu'moi en la matière; c'est, en un sens, plutôt rassurant. Parce qu'on a l'air idiots, comme ça, à s'regarder dans l'blanc des yeux, à n'pas oser un geste ou une phrase, qu'on juge p'tête de trop. Bonne année ? J'en écarquille les yeux, étonné. Parce que l'mois de février va pointer son nez, parce qu'on a échangé quelques messages et qu'cette formule de politesse m'a échappé. " Bonne santé. " j'en conviens, c'est ridicule à souhait. Tout ça pour t'montrer que j'suis pas plus avancé, que j'sais pas vraiment faire, non plus. Et, parce que j'ai pas l'intention d'rester éternellement sur le trottoir, j'me tourne dans l'sens de la marche et écarte légèrement mon bras, t'invitant implicitement à venir t'y accrocher. " Si tu l'acceptes.. " sinon, j'm'en formaliserais pas.     

@Taylor V. Foster
Alors c'est ainsi, mmh ? Deux idiots perdus dans la nuit; incapables d'être normaux, d'échanger deux mots sans qu'ça ne devienne bizarre, limite gênant. J'pensais pas être de ce bord, moi qui suis plutôt du genre à vouloir tout contrôler, tout maîtriser. Tu m'rappelles finalement, qu'à l'image de c'type que je poursuis depuis longtemps, il n'existe rien dont j'sois réellement maître. C'est une illusion, pour le moins traître. Et peut-être, qui sait, qu'toi aussi t'en es la victime. J'imagine qu'on l'est tous plus ou moins, à espérer influencer comme on l'souhaite notre quotidien. Quelqu'un a dit un jour, que l'humain s'compare facilement aux passages des étoiles filantes dans l'ciel; on apparaît, traverse l'existence quelques secondes durant, puis on s'éteint. Le tout étant d'briller, d'éclairer les astres même si ça n'dure qu'un instant.

Est-ce qu'on saurait faire ? C'est la question que j'me pose, c'est c'que mon regard te demande. Est-ce que l'temps d'une soirée, on pourrait être, disons juste bien ? Deux anonymes, moteurs d'une même énergie. J'sais plus danser, j'sais plus faire grand chose d'ailleurs, depuis qu'mon univers a implosé; mais ce soir, j'espère oublier. Rien qu'un peu, à ton côté. Faire comme si tout était bien, duper l'organisme et vivre les prochaines heures à fond. Mon bras s'ouvre, prêt à accueillir le tien; geste banal pour tant d'autres, mais pas pour toi, n'est-ce pas ? Mes opales s'veulent bienveillantes, et j'me permets d'apprécier ta présence, ton parfum; sourire en coin à constater la démarche, encore hésitante. Ta remarque fait sens, et j'en hoche la tête, avant d'ajouter sur l'même ton, " j'imagine que ton compagnon sait qu'tu es ici. Avec l'homme qui parle aux canards. " ça semble évident, on gravite dans l'incertitude et l'idée de lâcher prise nous effraie. On s'rattrape aux branches, on comble avec c'qu'on a sous la main, alors qu'au fond on maîtrise rien. " Pour deux, au nom de Rashford. " j'avais réservé, un coin justement, en particulier. Le garçon nous invite à l'étage, sur la terrasse avec vue sur le port, le fleuve Charles et Boston, illuminée. Les installations sont là, surprenantes sans doute, alors j'espère que ça t'plaira. " Un verre, pour entamer la soirée ? " alors que je nous dirige vers la rambarde, pour apprécier la vue. C'est une première, pour moi aussi; le point d'vue est plaisant, pratiquement détaché de la ville. " Sinon, j'crois qu'ils font des cafés excellents.. C'était sur la carte. " parce que j'ai "scrollé", comme dirait Lyra. A défaut d'être venu t'chercher, j'ai misé sur l'originalité, l'ambiance particulière; en dernier recours seulement, les boissons caféinées.     

@Taylor V. Foster
C'est bancal comme soirée, sûrement à notre image; et peu importe finalement, j'suis certainement pas doué pour la normalité. L'homme aux canards et la femme du café, ça fait un duo d'choc à n'en point douter. A dire vrai, j'ai pas envie d'poser le moindre statut là-dessus, sur ça, sur nous, sur quoi qu'ce soit; s'contenter de vivre et respirer, découvrir l'autre et plaisanter, ça m'paraît être un programme approprié. Eviter d'faire ce qu'on pratique déjà au quotidien, la prise de tête. Parce qu'on est aussi là pour changer d'air, pas vrai ?

On grimpe à l'emplacement désigné et j'découvre en même temps qu'toi, le résultat final. J'ai toujours un peu peur, qu'les photos ne représentent pas fidèlement la réalité. Mais sur c'coup là, j'me suis pas planté. Les bulles sont originales, la vue elle, imprenable. Boston prend une autre allure, d'cet emplacement. C'est comme être détaché, tout en étant dedans. Et tu vois, depuis mon arrivée, j'ai jamais pris l'temps de m'arrêter. Juste, de contempler. Parce que j'suis pas là pour ça, et qu'une partie d'moi ne veut pas s'plaire ici. Parce que ma maison restera toujours, d'une certaine façon, en Californie. Et pourtant, j'dois l'admettre, c'est plutôt mignon. Disons qu'ça a du charme, même si on s'gèle en hiver. C'est un détail. " Deux verres de blanc.. Votre bonne cuvée là, c'était sur le site. " j'commande au garçon, et heureusement qu'il comprend de suite, sinon c'était la honte assurée. J'suis pas expert en vin, j'ai une préférence pour le whisky. " C'est ce dont on avait b'soin, je crois. " je n'irais pas m'avancer outre mesure sur la question, mais c'est c'que tu m'laisses penser. Avant-bras sur la rambarde, mes opales dérivent le long du fleuve; d'ici, tout a l'air si calme, reposant. " J'avais pas envie d'aimer cette ville. J'pensais que ce serait une étape, et que j'finirais par repartir. " la nostalgie m'ancre encore dans l'passé, aux côtés d'un fantôme, de draps poussiéreux. Tu vois, à quel point j'suis rongé ? Mon regard s'reporte sur toi, et j'sais même pas pourquoi j'te confie tout ça. " J'suis pas un exemple en matière de bonne humeur. J'comptais sur toi pour relever le niveau. " l'esquisse d'un sourire s'dessine enfin sur mes lèvres, mais j'voudrais pas t'mettre la pression. J'ai plus l'habitude d'ces conversations. De ces situations. J'suis sans doute étrange mais j'ai plus l'envie d'être normal. J'te présente Dwayne, pompier au myocarde cramé, fumeur et pas spécialement intéressé. Ca fait pas rêver, même pour une simple amitié.    

@Taylor V. Foster
Finalement plus simple de s'confier à une presque-inconnue, que d'évoquer tout cela avec les proches. J'suppose, sans doute inconsciemment, qu'tu sauras rester neutre quoi que j'puisse révéler. Des p'tits secrets insignifiants, jusqu'au mal être profondément enfoui. Après tout, tu m'as rencontré à un moment particulier d'ma vie, lorsque mon esprit était prêt à m'lâcher. Est-ce seulement différent ce soir ? Pas vraiment. J'vis sur un fil, funambule qui contemple l'inévitable; chute prévisible un jour ou l'autre. Il suffirait que j'lâche prise pour tomber. " Excellente question. J'ai pas encore la réponse. " Boston n'a rien d'comparable à Redding ou Sacramento. J'étais bien en Californie, j'étais attaché au quotidien hors des buildings. Battre le feu en pleine nature, c'était quelque chose d'autre. Le Massachusetts ne représente pas grand chose pour moi, tu vois l'idée ? J'suis pas venu avec l'idée d'construire autre chose, d'prendre un nouveau départ. Ma présence rime littéralement avec c'foutu besoin, la vengeance. Pour toi, c'est différent. J'en apprends un peu plus à ton sujet, d'la même façon; le Kentucky ne m'parle pas, mais Boston semble être ancrée en toi, désormais. Avoir fait place dans ton esprit. Faut dire que onze ans, ça fait autant d'souvenirs te liant à ces bâtiments, ceux qu'on observe présentement. J'imagine sans mal tes années étudiantes dans l'coin, pour être devenue médecin. " Et pourquoi Boston ? J'veux dire, il y a d'autres villes sur la côte-est. " j'pense à Baltimore, Yale et Columbia notamment. Des exemples parmi tant d'autres. J'crois pas que l'université définisse vraiment l'talent des gens. Mais encore une fois, commentaire passé sous silence. " Danser, ce sera déjà pas mal. Tu crois pas ? " après tout, c'est pour ça qu'on est là. Le serveur nous ramène un verre chacun, et j'le remercie d'un signe de tête avant d'lever légèrement ledit verre dans ta direction. " A notre rencontre, atypique mais qu'importe. " et à cette soirée, unique à sa façon. Qu'tu sois amenée à devenir une figure régulière d'ma vie, ou seulement une silhouette de passage au coeur d'une sombre existence.