Tout à fait compréhensible sur le fait qu'elle ne veuille pas s'étendre sur le sujet de la religion, Dean ne pose pas plus de questions sur les pratiques religieuse de Sumalee. Tous avaient ces croyances et des idéologies propres à eux-mêmes. En parler par contre, pouvait emmener très de mauvaises ententes, par faute de ne pas comprendre l'un et l'autre. Quelque chose qu'elle préférerait éviter, bien qu'elle ne le connaît depuis maintenant, elle appréciait bien la présence du jeune homme et cette amitié qui semble se développer entre eux deux. Elle ne voulait pas gâcher d'aussitôt cela sur un sujet dont ils n'avaient pas besoin de savoir plus sur l'un et l'autre, mais respecter qui ils sont et à quoi ils croient, tout simplement.

" Oh si vous saviez, ce ne serait pas une question à laquelle ils auront peur de répondre à un inconnu. Si ce n'est pas leur talent de savoir mettre les gens à laisse et leur faire sentir de les connaître depuis longtemps, leur succès ne serait pas aussi grand qu'il ne l'est aujourd'hui." Et c'est tout ce qui fait le charme du restaurant des Luang. Les clients se sentent comme s'ils sont de la famille par la chaleur conviviale avec laquelle ils sont toujours accueillis ici. Elle-même en a hérité de ce trait de famille, toujours faire sentir aux autres qu'elle à l'aise en sa présence. Sociable, aucune onze de gêne de converser avec qui ne se soit. " Effectivement. J'ai étudié l'art visuel à l'université d'Harvard. Au grand désarroi de mes parents qui espéraient de moi un métier un peu plus "prestigieux" qu'une artiste indépendante. Explique-t-elle en faisant signe de doigts les guillemets quand elle prononce le mot prestigieux. Elle lui fait cet aveu sur ce même air rigoleur et amicale, mais une pointe d'insécurité se cache sous ce sourire collé à son visage. Sa carrière est encore à un point mort et l'impression ne pas du tout avancé dans ses projets lui pèse à tous les jours l'esprit. " Et vous ?" Dit-elle en déviant l'attention sur lui.

"C'est vrai, je n'ai pas fait attention non plus. Mais oui, tu peux me tutoyer sans problème. Ça serait plus crédible. " Une habitude qu'elle a toujours gardée. Elle vouvoie pour offrir son respect aux inconnus, car c'est ainsi qu'elle a été élevée. Mais si elle veut que son mensonge pas aux yeux de sa mère, elle doit traiter Dean de la même façon qu'elle le ferait avec ses amis.  

Dean avait été un peu troublé d’entendre que les parents de Sumalee ne trouvait pas les études d’arts prestigieuses. Peu de personnes pouvaient prétendre à un tel enseignement, encore moins à Harvard. La demoiselle devait faire partie de l’élite dans son domaine pour avoir été acceptée dans un établissement aussi connu que l’était l’Université dont elle avait fait mention. Et qu’est-ce qu’on apprend quand on fait partie des étudiants d’arts visuels, demanda-t-il, sujet inconnu au bataillon pour le soldat qu’il était. Lorsqu’on parlait de ça, il voyait tout de suite les grands tableaux de maîtres, les sculptures et la poterie, mais peut-être que son idée était un peu restreinte, et préférait se référer aux connaissances de l’Asiatique face à lui. Moi, se pointa-t-il de l’index, juste soldat. Pas d’études, il n'avait pas réussi à franchir les portes des écoles supérieures. Il s’était aussitôt engagé après le lycée et avait suivi plusieurs formations pour arriver à son grade ; Caporal.

Le tutoiement accepté, il reprit la conversation. J’ai reçu un peu les mêmes remarques par les miens lorsque je leur ai annoncé mon envie d’intégrer l’armée, dit-il – qu’il pouvait trouver mieux, et plus en accord avec les préceptes de leur religion, j’pense que si tu te sens à l’aise avec les arts, tu devrais continuer à suivre tes projets. Parce que ce n’était pas une honte d’essayer, ni de se casser la figure. Le tout était d’aller jusqu’au bout de ce qu’on avait en tête, et si ça ne fonctionnait pas, ça aura tout de même valu le coup. Valait mieux se planter qu’avoir des remords, c’était ce qu’il lui suggérait. Tes parents doivent avoir peur pour toi, et pour ton avenir, c’est normal qu’ils s’inquiètent, lui sourit-il – l’inverse serait plus surprenant. C’est ton objectif, aujourd’hui, de leur montrer qu’ils peuvent avoir confiance en toi, ajouta-t-il. C’était ce qu’il faisait aussi, en prenant du galon, en revenant grandi de chaque mission qu’il exécutait au bout du monde.

Il termina un plat, il ne restait que quelques bouchées de l’autre. Il s’arrêta, plus trop en appétit, sentant son estomac rempli. J’vais être un petit joueur, rit-il – il avait surtout pensé pouvoir compter sur l’aide de Sumalee, mais cette dernière ne semblait pas plus affamée que ça. C’était vraiment bon, et ça m’a fait plaisir de profiter d’un repas en ta compagnie, la remercia-t-il, certain de la recroiser, ou encore de reprendre contact avec puisqu’ils avaient échangé leurs numéros. Tu penses que tu pourrais m’avoir l’addition, j’vais pas prendre davantage de ton temps, fut-il déjà désolé de l’avoir obligé à rester près de lui.

 

C'est sans aucune surprise que les parents de Sumalee sont le genre typique de parent asiatique qui met une pression sur leur progéniture dans leur réussite académique. Surnommé "tiger parents" les enfants devaient exceller dans tout ce qu'ils entreprennent. Ils devaient surpasser tous pour prouver leur valeur et se distinguer parmi les autres. Cela va de même pour leur métier. Parmi ses frères ainés, un médecin, l'autre avocat, et le dernier de la famille ayant tout récemment été accepté dans le département des sciences de l'université d'Harvard, il faut dire que Sumalee et sa carrière artistique ne brillais pas de mille feux parmi ses frères. Ce n'est pas que ses parents ne croyaient pas en son talent, mais tout simplement que l'industrie de l'art n'est pas reconnue à leurs yeux comme une carrière sûre avec un salaire substantielle. Sumalee aimerait leur prouver tord, mais ce n'est pas en essuyant les tables avec son salaire dérisoire de serveuse qu'elle arrivera à les convaincre du contraire. " On touche à tous, peinture, sculpture, photographie, art digitale, bref, le programme englobe beaucoup d'aspect sur l'art. " Explique-t-elle, sa voix ne cachant pas sa passion pour l'art. Il lui avoue à son tour d'être simplement un soldat d'un air nonchalant, comme-ci cela n'avait rien d'impressionnant. " C'est quelque chose que tu dois être fière. Il faut un sacré cran pour intégrer l'armée" il ne fallait pas déprécier un tel métier.

"Ils sont tous aussi inquiets de te voir engagé cette voie. C'est toute de même honorable de ta part. L'armée, ce n'est pas fait pour tout le monde." Son frère ainée, qui a dû rendre son service militaire dans leur pays, lui a fait la confidence qu'il a trouvé ces deux années les plus difficiles qu'il ait vécu." Je persévère, mais j'avoue que mes projets n'aboutissent pas aux résultats voulus" et ce n'est pas par faute d'effort. Percer dans l'industrie de l'art est très laborieux comme travail à accomplir. " Je sais qu'ils ont peur pour moi, mais j'aimerais aussi qu'ils m'encouragent dans ce que j'entreprends et non critiquer. " Avoue-t-elle un peu d'un air dépité, car ce n'est pas la première fois qu'elle avait ses discussions avec ses parents. Il n'y a pas un jour où ils ne la questionnent pas sur sa carrière. Elle tente toujours de camoufler le tout sur des petits mensonges pour ne pas les inquiéter, mais elle voit très bien qu'ils ne la croient pas à 100 %.

Elle le regarde terminer un des plats laissant l'autre presque entièrement terminé. Rien qu'à en voir son visage, elle se doute qu'il ait encore faim. " Oh non, je ne crois pas. Tu as un sacré appétit" rit-elle à son tour. " Et bien, je suis contente que tu aies apprécié nos plats et ma compagnie. Ça a été un vrai plaisir de faire ta connaissance" Elle se lèves de son siège pour ramasser ses couverts et ramasser les plats, laissant celui ayant encore un restant par-dessus la pile. " Ne t'inquiète pas pour mon temps, ça m'a permis de prendre une pause bien méritée. Pendant que je t'apporte l'addition, t'aimerais un dessert à emporter ? C'est la maison qui paie." Lui dit-elle avec un clin d'œil complice.

Dean lui avait souri lorsqu’elle avait complimenté le courage qu’il avait eu de s’être engagé dans l’armée et d’avoir tenu son discours face à ses parents. Ça avait été simple pourtant : il n’en avait fait qu’à sa tête, avait cru en sa détermination et son intuition, et n’avait jamais rien attendu de personnes. Qu’importe si tu mets du temps à te lancer, le travail paye toujours, lui avait il affirmé. Il en était la preuve vivante. Athlète mince au lycée, il était aujourd’hui un caporal confirmé des forces spéciales américaines. N'attends jamais des autres qu’ils te portent, lui avait il conseillé par la suite, car à trop attendre d’autrui on oubliait qu’on était le seul bouton qui démarrait la machine, le seul coup de pied aux fesses qui donnait assez d’élan. Il y avait bien des amis qui aidaient les leurs à avancer et mettre en place des projets, mais il était préférable de ne compter que sur soi-même jusqu’à être assez puissant pour rallier les autres à sa propre cause ; les parents de Sumalee voulaient être témoins d'une réussite concrète avant de la soutenir, c’était évident.

Il s’était mis à rire lorsqu’elle l’avait contredit et avait ajouté : faut bien compenser les calories dépensées. Il ne s’était pas entraîné à la base depuis jeudi dernier, mis au repos pour affronter les lourdes missions de son déploiement prochain, mais le weekend avait été quelque peu mouvementé. J’espère vraiment qu’on aura l’occasion de se revoir, appuya-t-il ses mots d’un hochement de tête avant de tapoter l’endroit où son téléphone était, de toute façon, tu ne pourras pas ignorer mes messages, je vois lorsqu’ils sont lus. Il plissa les yeux avant qu’elle ne lui propose d’emporter un dessert. Est-ce que ça serait raisonnable, l’interrogea-t-il en portant sa main droite sur son estomac qu’il malaxa un peu ; il n’avait clairement plus faim mais… : si c’est offert par la maison alors… Il laissa ses dents apparaître, acquiesçant face au cadeau culinaire qu’elle voulait lui offrir. Je t’attends ici, pour l’addition et le dessert alors, fit-il avant qu’elle ne quitte la table pour retrouver la cuisine où elle donna sûrement ses ordres.

Dean resta sagement assis, tournant la tête vers la vitre pour observer les passants qui, pressés, couraient presque dans la rue. Il se dit intérieurement qu’ils ne savaient sans doute pas ce que c’était que de courir pour sauver sa vie, accoutumés à accélérer le pas pour simplement ne pas être en retard, ne pas louper le prochain bus ou parce que ça faisait tout simplement partie du quotidien de se dépêcher. Il soupira, parce que dans quelques jours son paysage ne ressemblerait plus à une ville libre et sereine, parce que dans quelques jours il allait combattre sous le drapeau américain loin du continent qui l’avait vu grandir, parce que dans quelques jours il allait peut-être frôler la mort, voir sa vie défiler devant ses yeux, et revenir dans plusieurs mois avec des images qu’il peinerait à effacer. Sa réflexion l’avait porté loin, à tel point qu’il n’entendit pas la Thaïlandaise revenir. Les yeux dans le vide, il fixait la route jusqu’à retrouver peu à peu la réalité sous les interpellations de sa comparse.

Excuse-moi, se réveilla t’il en sortant une liasse de billets. Le bon compte et un pourboire sur la table, il se leva pour accepter le sac  qui contenait le dessert. C’est quoi, du coup, demanda-t-il, curieux, en ouvrant les deux hanses pour tenter d’entrevoir ce qui se cachait à l’intérieur.
 

Malgré les difficultés qu'elle rencontre, elle ne baisse pas les bras pour autant. Il est vrai que cela peut être parfois décourageant de ne pas arriver, ne serait-ce que d'obtenir une soumission d'un client. Pourtant, Suma ne se laisse pas démoralisé par cela, la détermination étant sa meilleure arme pour finalement percer. Et même, en attente d'une approbation, elle sera bientôt l'autrice d'un webtoon. Elle avait finalement entrepris les procédures pour publier sa bande à dessiner au grand public. C'était l'une des décisions les plus angoissantes qu'elle ait pu faire, mais elle en regrette pas moins. En espérant qu'elle soit acceptée. " Tu n'as pas tort. Je devrais me soucier de ce que je fais moi et non ce que les autres en pensent. Souhaitons que mon travail porte enfin ses fruits." Il a raison. Elle devrait arrêter de se torturer sur ce que peut bien se soucier ses parents et de leur avis. Elle souhaite les rendre fières un jour, mais au bout du chemin, elle doit vivre de sa passion et non celle des autres.

" Je ne crois pas que ce sont ces plats qui vont gâcher tes efforts, crois moi." Vu le physique du jeune homme, elle se doute que ce soit le genre d'homme qui s'entraînait régulièrement. Et puis, sachant qu'il était soldat, il fallait une certaine forme physique pour soutenir le rythme du métier. Elle ne peut s'empêcher de sourire à ces mots quand il lui dit souhaiter qu'ils se revoient, et qu'elle ne pourras pas s'en sortir aussi facilement en l'ignorant. " Et j'imagine que tu sais où me trouver si je persiste à t'ignorer ?" lui demande-t-elle sur un air taquin devinant déjà sa réponse. " Je peux t'assurer que ça n'arrivera pas monsieur-je-ne-veux-pas-me-faire-ignorer." Elle avait tout autant apprécié sa compagnie aujourd'hui et ne refusera pas d'en profiter dans une autre occasion. " Un dessert une fois de temps à autre ne fait jamais de mal. Et puis je te l'aurais tout de même apporter si t'aurais dit non." Déclare-t-elle avant de mettre les plats sur son plateau pour les apporter en cuisine et lui prendre son dessert. Sur son chemin de retour, elle se rend à la caisse enregistreuse pour entrer la facture de Dean et recueillir cette dernière une fois imprimée.

Quand elle se rapproche de sa table, son pas se ralentit en voyant le regard du jeune homme porter sur l'extérieur du bâtiment, la mine concentrer, sans laisser transparaître le moindre indice sur ces pensées. " Dean ?" l'appelle-t-elle d'une voix douce pour ne pas le surprendre par surprise. "Dean ?" dit-elle une deuxième fois, haussant légèrement le ton. Sortant finalement de ses pensées, il s'excuse auprès d'elle " T'inquiète, je comprends, ça m'arrive toujours" elle ne pose pas de question sur qui peut occuper son esprit, bien qu'il semble préoccuper par quelque chose. Il lui tend l'argent pour sa facture, elle compte les billets qui il lui avait tendu et remarque qu'il lui avait donné aussi un pourboire. En temps normal, elle aurait accepté après avoir servi des clients, mais comme elle s'étais assise pour discuter avec Dean pendant qu'il mangeait, elle avait cette impression qu'il l'avait payé pour le temps passé à parler avec lui. " On appelle ça du Khao Niao Mamuang. C'est fait avec du riz gluant, de la mangue et du lait de coco. C'est super bon promis. Ah et aussi..." Et lui tend le dessert avec les billets qu'il lui avait donné comme pourboire " Entre ami, on ne se donne pas de pourboire, ne me paye pas pour un moment que passer à jaser avec toi okay ?" Dit-elle sérieuse, ne voulant pas accepter le montant offert par le jeune homme.

Dean lui avait souri lorsqu’elle avait complimenté le courage qu’il avait eu de s’être engagé Kokoa namamang, tenta-t-il de répéter, omettant des syllabes et inversant quelques lettres. Pour couronner le tout, il avait ajouté un accent typiquement américain qui n’allait pas du tout. Tu devineras que j’ai encore beaucoup à apprendre, rit-il. Parlant déjà couramment trois langues, l’américain, le farsi et l’arabe, et ayant des notions non négligeables en kurde et arménien, il pourrait au moins assimiler les classiques du thaï auprès de Sumalee. Je te dirai si j’ai aimé, lui promit-il en lui adressant un sourire amical. Elle lui tendit ensuite les billets qu’il avait glissé comme pourboire et Dean les prit, gêné. Il ne les rangea pas tout de suite, les observa un instant, confus, avant de dire : ça me rend mal à l’aise de les reprendre. Malgré le bon moment qu’ils avaient passé tous deux, elle méritait amplement ses quelques dollars supplémentaires, pour son sens du service – parce qu’elle avait été aux petits soins. Vois ça comme un soutien financier, pour ton projet en cours, ou celui qui suivra, retendit-il la monnaie, j’insiste.

Si ses propres parents ne pouvaient lui offrir le soutien qu’elle méritait, alors il était prêt à être de ceux qui l'aideraient à débuter sa carrière d'artiste à coup de généreux pourboires. J’aurais peut-être plus l’occasion de faire ma bonne action, sortit-il ; humour peut-être trop noir, pour le coup ? Il savait, de toute évidence, qu’il allait revenir vivant, comme ça avait été le cas ces dernières années. Il était attaché à tellement de gens, tellement de choses, un moteur pour son instinct de survie. Merci beaucoup pour ce moment partagé et… pour tout le reste, ne put-il pas citer tout ce qu’elle avait fait pour lui ; le sauvetage in-extremis, le service, les compliments, sa bonne humeur, sa conversation, son cadeau. Tu salueras tes parents pour moi, du coup, lui demanda-t-il, puisque le restaurant leur appartenait et que par l’intermédiaire de leur fille, il avait eu le droit à un dessert gratuit. Valait mieux pas qu’il y aille lui-même, histoire d’éviter quelques rumeurs qui pourraient les impacter tous deux. Il lui lança une dernière esquisse avant de tourner ses talons.

Il parcourut le chemin de sa table à la porte de sortie en humant la bonne odeur qui se dégageait du sac. Avant de sortir, il tourna son regard vers la jeune femme et lui fit signe de la main.