Je m'efforce ici de prendre des repères. Construire de nouvelles toiles, solides et ancrées dans un monde désespérément creux. Il y a des rituels que j'honore comme certains le feraient de leur religion. Moi c'est l'océan que j'implore, maîtresse aqueuse devant laquelle je viens m'incliner chaque jour. Célébrer sa puissance, son pouvoir de renaître et ses magies un peu plus mystérieuses. Tantôt calme et paisible, parfois plus tumultueuse, même ses couleurs aiment varier selon son humeur. Déesse qui a bercé les prémices de mes jeunes années, lorsque mon âme faisait encore partie d'un autre, la moitié révélée, lumineuse et facétieuse, ce n'est qu'en grandissant que j'ai compris que nous étions différents et non la même personne, mais ce genre de lien ne se détruit pas bien que se distend plus ou moins. Chaque jour, je viens célébrer la mer et je pense à toi au passage Denzel. Où le sort t'a-t-il conduit ? Et quelles conneries, tu peux bien faire encore ? Je te sais vivant, persuadé que j'aurais senti si il t'était arrivé quelque chose de grave. Paupières plissées sous la lueur orangée, je sens une silhouette plus lointaine poser son regard sur moi. Naturellement, mon regard dérive, un vague sourire aux lèvres, parce que je garde cet abord joyeux bien que silencieux la plupart du temps. Le cœur bondit puis s'apaise. T'es là. Tout simplement. Marchant jusqu'à toi, et voyant ton visage partagé par une larme saline, de celles que tu sais pas verser quand moi je les offre avec générosité. Pourtant c'est toi qui en fait cadeau aujourd'hui. « Pas mal ton bateau. » Sourire qui se dévoile davantage découvrant mes dents, et surtout le voile de toutes ces années. Les âmes destinées à être ensemble ne s'enrobent jamais de gêne, tout est naturel, facile et fluide finalement. « Tu me prêtes ton pinceau ? » Manière simple et tacite de renouer avec mon Alter. Mon âme, je saute avec désinvolture le gouffre des années passées pour te rejoindre sur la rive de nouvelles aventures.

Points de suspension que l'espace s'accapare, mais qui malgré tout gardent un fil invisible entre eux. Peu importe les distances, les expirations soufflées entre deux paroles, mon ombre ne sera jamais très lointaine de la tienne. Je ne surjouerai pas les retrouvailles, la joie de revoir ta face d'idiot. Parce que quand je suis ici, tu n'es jamais loin. Là, à l'abri entre les remparts osseux du sternum. Je n'ai pas besoin de t'avoir près de moi chaque jour pour sentir ta présence. La conversation reprend donc naturellement, ignorant et accueillant passivement tes chaos, dans cette présence douce et bienveillante, dont je suis la caractéristique. « Hissez-haut ! » Dents qui se dévoilent alors que j'observe nonchalamment la bicoque. On en a retapé des embarcations toi et moi. La plupart bancales, qui coulaient dès qu'on s'aventurait trop loin dans l'océan. Mais on ne lâchait rien, c'était là, notre principale occupation, une façon d'échapper un quotidien trop morne, d'y souffler des paillettes d'aventure et des espoirs plus tacites. Qu'à la conquête des embruns, on retrouve la chaleur des bras maternels. Mais elle n'était jamais revenue et les bicoques arc-en-ciel s'étaient parées de teintes plus grisées. « Pour changer. » Prenant le pinceau de mes mains, je commence à appliquer les nuances comme si de rien était. « Je suis plus doué. » Et c'est vrai. Pour cet art, pour l'art en général et pour les études. Mais t'avais plus de répondant, de charisme, plus de feu sous les phalanges et au cœur. Une énergie que je pouvais que contempler. Si je suis l'essence, t'en es le moteur. Sourire en coin qui vient marquer la pommette, lorsque t'avoues le manque. « Toi aussi crétin. » Les marques d'affection toutes fraternelles. Ma main libre qui passe un instant sur ton épaule, avant de la serrer jusqu'à la douleur. On est cons. « Qu'est-ce que tu d'viens ? » J'imagine qu'il y a une encore trois saisons et vingt-huit épisodes...

Je suis tellement heureux de te retrouver mais tu sais quoi, j'en ai jamais douté ? On finit toujours pas être réunis. Au début, je cherchais toujours à savoir où t'étais et puis j'ai abandonné, parce que t'es de ceux qui disparaissent et qui réapparaissent sans qu'on ait rien demandé. J'ai fait confiance au destin, et tu vois ? J'me suis pas trompé. Appliquant le pinceau sur ta bicoque, je tourne mon visage vers mon reflet. « Je rate jamais t'sais bien ! » Et c'est vrai en plus, je suis minutieux, appliqué, mes phalanges savent sans même que je leur apprenne. « J'vais tatouer ta face de rat. » Rire qui s'éprend de ma gorge, les épaules qui miment le rire qui vient les secouer. On est vraiment cons. Et puis bon, j'suis quand même curieux de savoir ce que tu deviens. « J'aurais pensé pirate mais bon ? Marin c'est un peu ça aussi non ? Vu comment tu dois foutre le bordel là dedans. » Chose que tu me confirmes quelques secondes plus tard. T'as toujours été flamboyant et encore plus quand je suis pas dans les parages. « Le frère t'attendait au port, tu vois ? Naturel. » A défaut d'une femme, tu récoltes la famille et c'est déjà pas mal non ? « Tu peux venir chez moi si tu veux, j'suis dans un appart dans le centre. » Etabli dans cette ville depuis plus d'une année. « Comme un poisson dans l'eau. » Je souris, parce que l'eau c'est mon élément et bien qu'on était pas très doués au départ, je suis plus que jamais dans mon élément ici. « Tu restes là quelques temps ? » Parce que crois-moi, je compte bien en profiter.

On est tous les trois différents mais on a des caractéristiques communes qui nous relient entre nous, pour Arya et moi c'est la passion du dessin, pour toi et moi celle de l'eau et de la piraterie et pour nous trois sans aucun doute celle des conneries. J'ai jamais pensé qu'on passerait une existence loin de l'autre, ça peut sembler dingue, même stupide, de faire confiance au destin à ce point, mais c'est comme si une partie de moi savait qu'on finirait par se retrouver, que nos pas de nouveau s'aligneraient de côté, tantôt ombre, tantôt lumière de l'autre. « tu sais qu'Arya est ici aussi ? C'est quand même dingue. » Le karma qui nous réunit à l'autre bout du pays. Famille en fragments à laquelle on a voulu échapper, se construisant chacun à notre façon pour mieux nous retrouver. « Je sais. » Sourire de gamin idiot que je viens t'offrir, passant mes doigts sur ta joue avant d'y donner une petite claque. « C'est vraiment con, une bite ça t'irait trop bien. » Mimique figé alors que je tente d'adopter le sérieux dans mes propos qui ne le sont pas du tout. « T'en as des tattoo ? » Question plus intéressée cette fois, j'avoue que ouais, j'aimerais déjà qu'on en adopte un en commun. « Hésite pas si t'as besoin d'une piaule et d'un peu de chaud pour une soirée, mais je vais pas t'attacher. » Je sais comme t'es, parce que je le suis un peu aussi, bien qu'en moins prononcé. Toi c'est presque instinctif, ce besoin d'appartenir à nulle part et à personne. Pas pour autant que les fils n'existent pas entre toi et le reste. « Quelques trucs ? » Pinceau qui reprend son travail alors que ton regard plus pensif m'échappe pas. Je sais que c'est une connerie encore mais qu'elle te tient à cœur alors je me demande ce que tu viens chercher ici... « J'suis sage-femme. » Ma tête qui s'incline avec joie parce que je suis trop fier de ça. « Et tatoueur. » Deux passions que je vis désormais pleinement. « Je suis avec des petits bébés toute la journée c'est trop de bonheur pour mon quotidien. » Homme définitivement solaire, épris des joies, de ces forces instinctives qui poussent vers la vie quand parfois ce sont les ombres qui viennent mordre ton échine, te happer. L'ego et l'Alter.

Je me marre à te voir réagir comme un gamin. Les gamineries sont jamais très loin. Et c'est bon de les retrouver. « c'est vrai que je les aime aussi. » dis-je avec une certaine nonchalance, queer assumé, je suis ce genre de mec, capable de balancer des vérités énormes entre deux silences. Ce qu'en pense le monde, tu le sais parfaitement, je m'en branle. Et voilà que je me marre. Observant ton schéma imaginaire, je vois parfaitement, parce qu'on en a souvent rêve de ce vaisseau de pirates, navire nous permettant d'échapper aux eaux troubles et vivre de nouvelles aventures. « Classe, on pourrait même le faire en commun, ou bien un autre. » Je suis certain que même Arya serait partante pour ce projet et elle pourrait même me faire le tatouage quand je m'occuperai de vos propres peaux. Sauf si je trouve un endroit accessible pour moi-même, mais bref, je m'égare. « Yep bro, tu feras comme tu veux, maintenant tu sais. » je sais comment t'es et j'ai appris à lâcher du lest là dessus. Enfant, ça me faisait souvent péter des câbles et puis finalement, je m'y suis habitué. « Ah ouais ? Il a disparu comment ? » Intrigué par ce sujet, rassuré que ce soit pas notre père que tu souhaites retrouver, parce que que moi je trouve qu'il est bien là où il est, mort et enterré sans doute, le foie bouffé par l'alcool, le cœur rongé par sa perte. Triste histoire pour le mec solaire que je suis. Personne pourrait dessiner les démons sur l'épaule, mais tu sais quoi, moi je les secoue, les force même à sourire. La vie est trop courte. « Merci ! Ça a pas été facile mais ouais j'suis heureux. » Et je me sens à ma place. Je t'observe en souriant alors que tu te dessapes. Toujours aussi timbré, mais je vois pas pourquoi ça aurait changé. « Tu rigoles ou quoi ? J'oublie pas. » Je suis un des rares tarés à me baigner en hiver alors ouais j'oublie pas l'Alaska. Pull et tee-shirt que je viens lancer sur le côté alors que la peau pâle se découvre dans ses encore multiples, motifs qui viennent parler des histoires que je suis pas doué pour raconter mais plus appliqué pour expliquer par les traits. Rébus humain. « On va voir ce que t'as dans le ventre. » Si t'en as fait ton métier, je reste un bon nageur également, toujours adepte de l'apnée, libéré de tout équipement, Mayol m'avait fait rêver gosse et ça s'était jamais arrêté. Le reste des fringues valsent et sans plus de cérémonie je m'engouffre dans les bras glacés de la Dame océane, sondant avec une certaine impétuosité ses profondeurs , lui offrant au cœur mes lueurs dans ses froides ténèbres.