Lentement, Jefferson Senior déplace ses pions sur l'échiquier. Chaque action, chaque parole se doit d'être calculée. Pas seulement pour faire souffrir Shayn. Non, le diable voit plus loin. C'est à long-terme qu'il souhaite établir son emprise; c'est dans ce sens que se joue la partie. Et c'est la raison de ta présence, Lyra. Au départ, tu ne représentais rien d'autre qu'un problème supplémentaire. Une tête à faire tomber; une personne qui se devait de disparaitre. Mais ton appartenance au gang des Soul Stealers rendait la tâche trop.. Délicate. Le géant voulait éviter le bain de sang, même si le chaos aurait pu avoir quelque chose de divertissant. Perdre des dizaines d'hommes pour faire revenir son fils dans le droit chemin n'en valait pas la peine. Alors, il a été nécessaire de réfléchir. Comment t'écarter de sa vie ? Tout en te gardant sous la main, bien vivante. Obéissante. - Tu as le talent et l'intelligence. Ca devient rare de nos jours. sourire ponctuant sa réponse, appréciant ta volonté de venir le piquer. Tu n'es pas en position de force mais tu ne t'abaisses pas pour autant. C'est pour ce genre de petits détails qu'il t'as choisie. Tu restes calme, là où Shayn recherche l'affrontement. Tu fais preuve de réflexion, là où il s'emporte bêtement. - Vois-tu.. J'ai longtemps pensé que Shayn serait capable de prendre ma relève. C'est dans cet unique but que je l'ai préparé. Mais aujourd'hui, force est de constater qu'il n'a pas les épaules pour ça. ce monde, auquel nous appartenons, est sans pitié. Personne ne nous fera de cadeau. Il n'y aura pas d'indulgence. Pas de place pour l'erreur. Ni pour la chute. Il faut savoir encaisser, et c'est bien là ce qu'il a tenté d'apprendre à Jefferson Junior. - Il ne me reste que trop peu de temps. Et je dois absolument penser à l'avenir. l'ébène se confronte à l'azur, le bras s'allonge sur la table, te faisant parvenir un nouveau document. Sa condamnation à mort. - La faucheuse viendra bientôt m'enlacer. Je suis prêt à l'accueillir, mais je dois m'assurer de laisser mon affaire à une personne digne de ce nom. le cancer se répand et l'organisme ne tardera pas à le faire savoir. Sa forme du moment ne sera bientôt plus qu'un lointain souvenir. - Ce que j'attends de toi, jeune Lyra.. C'est que tu prennes ma succession. bras droit dans un premier temps, puis seule Reine au pouvoir. La puissance au bout des doigts. L'emprise sur la Californie et d'autres états du sud, comme l'Arizona et le Texas. La possibilité d'ouvrir d'autres établissements, à l'image du Sidh par exemple. La prestance pour se faire respecter. La lame pour abattre les fortes têtes. Les informations pour venger les tiens. Pourrais-tu réellement refuser pareille offre ?  

Flatterie dont il sait faire preuve, mais il ignore sans doute que faire les éloges de ma personne est un stratagème qui n’a jamais vraiment fonctionné. Je me contente de lui offrir l’ébauche d’un sourire alors qu’il enchaîne sur son rapport avec son fils. « Il est de votre sang pourtant, contrairement à moi. » Il est vrai qu’il ne lui ressemble pas et je ne vais pas m’en plaindre même si quelque part c’est cette part d’ombre qu’il avait fait naître qui m’avait attiré vers lui. « D’ailleurs où est-il ? » Parce que c’est la raison de ma présence ici, chose qu’il s’efforce de dissimuler, histoire de mieux me manipuler. « Vous êtes malade ? » Mes sourcils se froncent car cet homme semble être dans la force de l’âge, il ne montre aucune faiblesse. « Et pourquoi pas nous deux ? » Puisque par sa réponse il a confirmé ma supposition et je n’aurais pas besoin de plus de détails. Je ne souhaite pas forcément m’élever en ce bas monde, mais la réalité est aussi ainsi, dominer ou l’être, être au sommet ou bien aux ordres aux pieds de plus puissants, la liberté c’est une illusion dont se bercent la plupart mais la mienne s’est arrêtée le jour où mon père a rendu son dernier souffle, il m’a fallu survivre, quoi qu’il en coûte. « Et que dois-je faire pour ça ? » Parce que toute couronne ne se monnaie pas sans sacrifices, l’ascension au sommet se monnaie par certains sacrifices, et concernant son petit jeu, je commence tout simplement à en avoir assez. Qu’il avance les actes. Je ne suis pas femme de paroles.

Il est temps d'accélérer le pas; ce petit jeu a assez duré. Cette conversation était nécessaire, pour qu'il puisse apprendre à te connaitre, mieux. Après tout, rien ne vaut un face à face pour tester les motivations d'autrui. - Le lien du sang n'est pas un gage de qualité. la vie l'aurait destiné à garder le caractère de sa mère sans doute; plus affectueux et solaire. C'était la mission première de Jefferson, de lui forger un mental digne de ce nom. Forgé dans l'ombre par le démon de sa création. Seulement, son impulsivité n'est pas contrôlable et c'est là que réside le problème. A frapper comme il respire, Shayn s'attirera des ennuis. Et tu le sais. - En sécurité, dans un placard. non, il ne risque rien. Si ce n'est de se blesser lui-même. Le sourire se dresse, toujours satisfait. Si tu ne réagis pas, c'est qu'il ne t'as pas parlé de sa peur d'enfance, à la limite de la claustrophobie. Le papier est poussé dans ta direction; coup de bluff ou véritable aveu de faiblesse ? - L'homme que tu as observé en février n'est déjà plus, Lyra. celui qui grimpe sur le ring, à l'assaut du sang et du fracas des os. Celui qui cogne sans se préoccuper de recevoir en retour; trop grand et trop fort pour réellement être inquiété. Celui qui a passé une correction à ton homme de main de l'époque, nouvellement petit-ami. - Parce que l'amour te rendra faible. Tu le sais aussi bien que moi; aimer, c'est donner aux autres le moyen de te faire chanter. la preuve est là, en ta présence. Pourtant, le diable se présente comme un potentiel allié cette fois. Peu de temps devant lui et le devoir d'assurer son départ. Tu es déjà Reine et respectée dans ton milieu; tu n'aura aucune difficulté à asseoir ton influence sur ce nouveau monde. - Je vais libérer Shayn de cette fausse promesse, celle dont tu as sûrement entendu parler. Il sera libre sur le plan sentimental. parce qu'il vaut mieux rompre des fiançailles plutôt que de voir les deux concernés se faire plaisir, chacun de leur côté. - En revanche.. Il n'est pas question de vous exposer ensembles. Shayn a un avenir sur le plan sportif, il ne doit pas entacher son image avec des affaires douteuses. et cela signifie, mettre une distance entre vous. L'amour est un frein à vos carrières respectives; s'éloigner l'un de l'autre vous permettra d'atteindre d'autres objectifs. - Tu vas tuer pour moi. Dès ce soir. la soirée va devenir intéressante. Le colosse se relève, t'invites à faire de même. C'est une sorte de mise à l'épreuve, un test de loyauté. En somme, ça revient presque à "une vie pour une vie." 

Monstre étrange à l’humanité ensevelie. Mes interrogations se bousculent aléatoirement dans l’acier apparent de mes méninges. Pourquoi s’est-il épris de ta mère ? Comment a-t-elle pu succomber à cette bête ? Peut-être a-t-il été humain un jour ? Cela semble désormais être mort et enterré, brûlé jusqu’aux os même. Il n’en reste que le creux et le sombre vide entre leurs lignes blanchies. « Mais il nous destine à certaines choses. » Observe la jeune poupée que je suis, belle, candide, les lippes encore rebondies des innocences de l’enfance. Rien ne me prédestinait à l’acier des lames, aux hurlements des mourants, et pourtant, le meurtre est une tradition que j’ai perpétué avec une facilité déconcertante. Comme si mes mains en portaient l’histoire, les rites. « Shayn n’est pas dénué de violences, ni même d’ombres, je suis étonnée que vous ne voyiez pas ce potentiel. » Il avait empli les poumons d’eau d’un homme sans l’once d’une hésitation, nous étions tout de même loin du chérubin inoffensif. Il avait su à un certain nombre d’occasions se montrer bien plus violent que je ne pouvais l’être. Je reste persuadée que son mépris cachait une rivalité malsaine. Mes billes se relèvent à sa confession, je me doute que la sécurité ne va pas avec le bon traitement concernant ma moitié. Mais je ne veux pas avouer ma faiblesse. L’amour rend faible. C’est une certitude mais c’est encore ce qui nous différencie des monstres, des entités dépourvues d’âmes. Et je ne suis pas certaine qu’il en porte encore une. Mince sourire sur mes lèvres carmines avec que j’offre effrontément l’ingénu de mon regard. « Vous l’aimiez elle ? » Ivoires qui viennent mordre le rebond, offrir une sensualité inoffensive et pourtant calculée. « Sa mère ? » Sujet flambant pour attiser les réactions de La Bête. L’intrépide que je suis n’aime que trop jouer avec le feu. Maintes fois j’ai remis ma vie à l’impulsivité de mes actions. Et Devon avait su m’en faire payer le prix cher, me défigurant pour plusieurs jours. « Bien. » Cette fiancée, il doit se douter que je ne la portais pas aux nues, mais elle offrait une bonne couverture aux yeux du monde. Dans notre réalité, les jeunes promis comme lui ne s’entichent pas de sombres demoiselles. Mais voilà, il n’est pas cette couverture de magasine. Il ne l’a jamais été. Paumes posées sur le rebord de la table, voilà que les choses sérieuses s’annoncent. Meurtre de sang, loyauté programmée, serment qui vient s’attiser dans la tendresse de ma chair. Comme pour me rappeler que nous ne choisissons pas, entre vivre et survivre. Les êtres comme nous n’ont que le choix de la seconde option. « Sinon ? » Là est la véritable vengeance, l’enjeu encouru, les fils qui me contraindront à l’action. Parce qu’il connaît ma faiblesse.

Qui était-il, avant les meurtres et les gangs ? Avant la violence et le sang ? Le démon n'a pas toujours été ainsi. Joueur professionnel de football américain, véritable icône dans son domaine. Plusieurs titres à son actif; une carrière tout simplement impressionnante. Elève intelligent formé à Stanford, doué en gestion et finance. Engagé dans diverses causes; contre le racisme et le cancer, notamment. Seulement, dans l'ombre des dossiers médicaux, se cachent des dizaines de chocs non répertoriés. Des commotions et autres traumatismes, dont tout le monde se foutait royalement. Une dépendance aux médicaments et aux drogues, pour faire fuir la douleur. Un changement de comportement qui n'a jamais été mis en évidence. Mais la réalité est là, derrière cette façade de figure publique que l'on peut apprécier. Homme d'influence et de pouvoir, des deux côtés de la loi. Comment et pourquoi ? Ces réponses, Jefferson les emportera dans sa tombe. - Je ne crois pas à la destinée. Tu n'étais pas obligée de tuer. tu l'as fais de ton propre chef. Tu pouvais tout aussi bien choisir de t'éloigner, de disparaitre et de survivre; de devenir une jeune fille comme il y en a des milliers. C'est ta volonté de venger les tiens qui t'as rappelée à la lame; qui t'as amenée sur cette voie. Tout cela ne vient que de toi. - Shayn n'a aucun avenir dans notre monde. Il sera tué, ou finira en prison. Son impulsivité et son manque de réflexion le pousseront à commettre des erreurs. tu as sûrement eu vent du sort qu'il a réservé à cet homme de main. Battre à mort un homme au beau milieu d'une ruelle, cela n'a rien d'intelligent. C'est le genre de connerie qui peut faire plonger une organisation. Shayn est doué pour tuer; pas pour couvrir ses arrières ou ceux des autres. Le regard se relève, fixe avec intérêt ta lèvre, légèrement mordue. Joueuse insolente, douce funambule marchant sur un fil invisible; un pas de travers et c'est la chute assurée. - Je l'aimais, c'est vrai. quoique rien ne l'oblige à exprimer la vérité. - Mais je suis resté lucide, et j'ai compris qu'elle ne ferait que ralentir mon ascension. Alors je l'ai simplement écartée de mon chemin. sourire offert en retour, révélateur d'intentions moins réjouissantes. - Et toi, tu aimes mon fils. Sans doute un peu trop d'ailleurs. on ne risque pas sa vie pour une amourette. Tu ne serais pas présente si tu n'envisageais pas un avenir aux côtés de Shayn. C'est peut-être ta seule faiblesse; ou du moins, la plus exploitable qui soit. Bien évidemment, dans de telles circonstances, l'accord avec la famille Courtins-Clarins n'a plus lieu d'être. Il faut savoir se défaire des liens et en créer d'autres, plus avantageux. La couverture offerte par ces fausses fiançailles était sans doute profitable, mais pas autant que l'addition de ton talent à ces rangs. Le moment qu'il attendait est arrivé. Le seul test; cette loyauté que tu te dois de prouver. Maintenant. Après tout, ce n'est pas sorcier; puisque tuer est comme une seconde nature pour toi. - Je prendrai la vie de ton bien-aimé. la sentence est claire: une personne doit mourir ce soir. En dépit de toutes les tortures que Shayn a pu subir jusqu'à présent, le fait est qu'il reste malgré tout, vivant. - Suis moi. que les paroles cessent, au profit de l'acte ultime. T'invitant à le suivre le long d'un couloir; démarche calme et assurée du géant entre ces murs parfaitement blancs, le chemin s'arrête devant une nouvelle porte. - Je te donne cinq minutes pour choisir. La vie de Shayn ? Ou la personne qui se trouve derrière cette porte ? Le choix t'appartient.

   

Coquille d’acier, déjà ternie par les années, par cette folie qui vient ronger. Il n’a plus rien d’humain malgré les apparences, mais qui suis-je pour y trouver à redire ? Moi qui ai pris un plaisir non-dissimulé à tuer ? Ai-je encore moi-même quelque chose d’humain ? Si ce n’est cet amour que je ressens pour toi. Tu viens me rappeler ma condition humaine et à ce titre, t’éliminer serait renoncer à cette faiblesse, me parer un peu plus de cet acier sans âme que je lui reproche. Mais avoir une âme dans notre monde, est-ce toutefois utile ? A quoi bon… « Je n’étais pas obligée, mais le fait que j’y prenne goût, c’est dans mon sang, ma destinée. » Il y a des choses qui s’imposent à nous et qu’on ignore jusqu’alors. La naïveté de ma jeunesse me poussait alors à croire que je ne serai jamais capable de commettre une chose pareille et pourtant, prendre la vie s’était avéré être d’une facilité déconcertante et j’avais répété l’horreur à de multiples occasions sans éprouver la moindre culpabilité face à ces regards que j’avais éteint pour toujours. Il n’y a pas de sens à tout ça. Tout simplement. « Vous le sous-estimez. » Parce qu’il vient sans doute trop menacer sa propre force, fils prodigue, différent de ce qu’il a pu être et semblable à la fois. « J’ai vu sa noirceur, et le reste ne demande qu’à s’épanouir. » Sous mes ordres, la complexité de mes méninges, ses mains seront une force et notre duo sera indestructible, du moins, je m’en convaincs. Alors qu’il vient m’expliquer l’amour qu’il éprouvait pour la mère de Shayn, mes iris restent placides. Je doute de la capacité de cet homme à aimer. Il déteste le monde même et sans doute lui en premier. Mais je ne dis rien, écoute statiquement ses explications, je ne viendrai pas les commenter, cela n’a aucune utilité car je sais déjà le dilemme qu’il va me proposer. Pâleur océanique qui vient noircir sous la cruauté des propos, la douce Lyra s’égare pour laisser place à cette part bien plus sombre que je porte, cette part qui n’a plus rien d’humaine. Me levant, je viens suivre ses pas, luttant contre l’envie irrépressible de laisser mes griffes s’épanouir autour de sa gorge, mais même affaibli, il a encore trop de forces, c’est un risque que je sais impertinent de prendre. Mes yeux s’arrêtent sur la lame, puis sur le revolver et la balle. Enfin, la silhouette vient se présenter dans l’obscurité des lieux, révélant une femme amaigrie, abîmée par des années de lutte. Une victime, l’ombre d’une femme qu’elle a pu être autrefois. La décision ne sera pas trop difficile à prendre. Instinctivement, mes pas me rapprochent de cette femme pour laquelle je sens une étrange familiarité. Ses traits ne sont pas sans me rappeler ceux de l’homme que j’aime. Même douceur, même humanité dans les traits. Celle dont lui est dépourvue. Dans le silence, un instant, mon regard rencontre le sien, et je n’y lis que douleur, souffrance, des années de torture sans doute. Elle n’a plus rien d’humain en cet instant, ou bien elle l’est bien trop pour ces horreurs. Commettre l’irréparable, de ce choix entre Elle et son fils. Je n’ai pas besoin de l’entendre pour savoir ce qu’elle choisira. Sourire doux qui vient emplir mes lippes de gamine. Gamine je ne le suis plus depuis que ma famille m’a été arrachée, j’ai tout simplement appris à poser un pas devant l’autre. « Voulez-vous que je lui transmette quelque chose ? » Mon regard est doux, presque tendre. Bien trop humain alors que c’est sa vie que je m’apprête à prendre. Mais qu’elle y voit ici, un ultime geste d’amour qu’il ne sera jamais en mesure de comprendre.

Ainsi vient la fin. Nous y sommes finalement arrivés, tout au bout de cet interminable chemin. La porte s'ouvre et la lumière rayonne enfin dans la pièce. Prendre une vie pour permettre à une autre de continuer sa route. Le sacrifice ultime, de la mère pour son enfant. Jefferson ne voit que la violence du geste et la puissance de l'impact psychologique qui en résultera. Mais toi.. Jeune demoiselle, tu as conscience que tout ceci n'est qu'un immense gage d'amour. De ta part, comme de celle de ton aînée. Cette femme respire la douleur; son corps transpire la souffrance. Des années de lutte dans un enfer quotidien. L'obligation de souffrir et l'interdiction de mourir. Madame Jefferson ne pouvait disparaître sans jamais revenir au devant de la scène. Il fallait la tourner en exemple; l'utiliser comme une arme. Shayn sera probablement fou de rage en apprenant que sa mère est morte, sans qu'il n'ait eu l'occasion de la revoir. Peut-être te détestera-t-il, de ne pas l'avoir laissée partir. Autant de perspectives sur lesquelles le géant s'appuie. Eliminer la concurrence et assurer la relève. Lorsque tu te rapproches, la mécanique de défense tente laborieusement de se mettre en marche et les jambes se replient contre le buste. Agitée par quelques tremblements avant que son regard ne rencontre le tien, la bouche s'entrouve sur un soupir silencieux. Tu es l'ange de sa mort, la vision de la délivrance. Assez douce pour l'aimer, assez forte pour le soutenir et suffisamment loyale pour te retrouver ici, près d'elle. Grâce à toi, vient renaître dans le regard ébène, cet éclat de joie dont se souvient Shayn. Il vivra, et c'est le plus beau cadeau que tu puisses lui offrir. Les ambrées s'accrochent à tes océanes, te remercient en silence. Ce collier, que tu portes à ton cou, lui permet de savoir que tu es l'élue. - Tu es si belle.. Mon tout petit est amoureux.. souffle-t-elle doucement. L'usage de la parole restera compliqué, après tant de temps passé sous le couvert du silence. C'était sa plus grande peur, que Shayn puisse suivre de trop près les traces de son père, sans jamais ressentir la moindre émotion. Mais tu te tiens devant elle, avec la promesse que cette flamme brûle dans son myocarde. - Comment est-il..? larmes déjà prêtes à couler au bord des yeux; son âme restera à jamais marquée par l'absence de son fils, qu'elle n'a pas vu depuis plus de dix ans. - Dis lui simplement.. Que je l'ai toujours aimé. A chaque journée, je n'ai pensé qu'à lui. Dis lui de ne pas laisser la violence le guider, c'est votre amour qui doit vous permettre d'avancer. mince sourire offert, expression simple et pourtant oubliée. Que dire à son enfant, dans un laps de temps si restreint ? - Comment t'appelles-tu ? ose-t-elle demander en avançant sa main vers ta joue. Tu sera de ces visages, ceux qu'elle gardera en tête. Ton nom s'accordera à celui de Shayn, tandis qu'elle partira. Et au moins, elle aura la certitude, que son fils n'est plus seul.    

Il ne peut pas comprendre, ce monstre qui vient tapir de sa haine ce misérable décor. Amour qu'il porte en rejet, héritage qu'il promet à le destruction. De ses fils d'acier, il tient ma gorge enserrée mais je ne lui ferai pas offrande de ma douleur. J'ai appris à courber l'échine face à elle et avancer quand même. Parce que toute horreur porte elle aussi sa part de beauté. La femme reprend peu à peu stature humaine, le corps oublie l'espace d'un instant les cauchemars affligés par les vestiges d'un amour désormais déchu. Ma silhouette s'abaisse, gamine accroupie qui vient recueillir les ultimes messages avant l'acte qui paraitra barbare et parfaitement incarné pour l'Ogre, mais qui respirera de bien d'autres choses entre âmes féminines. L'Amour c'est ce sentiment qu'il me porte oui, mais pour combien de temps encore. En sera-t-il encore capable lorsque je viendrai le dévêtir de sa dernière parcelle d'humanité ? Arracher le souffle de Celle qui lui a donné la vie. Les solutions sont impossibles et elle sait tout comme moi que c'est la seule issue recevable. L'ultime libération, finalement, le seul cadeau que je puisse lui faire. Elle est morte depuis des années. Elle n'est qu'un corps hanté de quelques bribes de souvenirs heureux, l'amour qu'elle porte à son fils. Ma tête se penche à sa question. Comment est-il ? « Brisé mais fort. Il porte sa part d'ombres mais bien plus de lumières encore qu'il ignore. D'amour, il est capable encore. » Et n'est-ce pas une prouesse quand la croissance s'est effectuée entre les griffes d'un monstre ? « Il est libre surtout. » Aussi libre que je puisse l'être. « Et grâce à vous, il le sera plus encore. » dis-je en murmurant la dernière phrase entre mes lèvres. Ces confidences, le Bourreau les ignorera, une subtilité bien trop fine qui ne peut que lui échapper. De ces confessions maladroites entre deux femmes, brisées, contraires et similaires. L'aube et le crépuscule assemblés. Sa main vient se poser sur ma joue et la brisure se fait plus lourde dans le myocarde, phalanges qui viennent accrocher doucement et respectueusement la peau flétrie et abîmées, opales qui viennent s'accrocher aux ébènes. Si semblables aux siennes. Dire que je ne suis pas déroutée serait mensonge quand un discours indicible s'élève entre nos âmes. De cet amour qu'on partage. Et que je porterai pour Elle désormais. « Lyra. » L'étoile. Fugace et vagabonde mais bien ancrée à ses ombres. Je suis prête à porter le rejet de sa part si c'est pour le sauver. N'est ce pas là l'ultime preuve ? « Et vous ? » Car ce prénom, je ne veux pas l'oublier, je ne veux pas que l'absence viennent orner ses lettres, je veux en porter l'héritage, la fierté, le souvenir d'une lutte perdue mais féroce, acharnée pour son sang, elle mérite la plus noble des couronnes, l'ultime délivrance.

Le jeu est malin, le diable en est fier; car c'est de tes mains, qu'il va prendre la vie d'une mère. En revanche, il ignorait probablement, que ces cinq petites minutes de répit allaient permettre aux deux femmes d'échanger quelques mots; une douceur inaccessible et incomprise au monde du démon. C'est un laps de temps horriblement court pour recevoir une once d'humanité, quand on a passé une vie toute entière à se la faire arracher. Le choix est finalement évident, presque facile; cette femme présente devant toi.. N'est plus qu'une ruine, le vestige d'une âme aimante. Personne ne pourrait la sauver, la seule flamme de liberté que tu puisses lui accorder, c'est ce droit de partir; cette permission de souffler et de s'en aller, en paix. En sachant que son fils ne sera pas seul, pour aujourd'hui et pour les jours à venir. - Laissez l'amour vous porter, tout les deux. La violence ne vous amènera jamais que des torts.. Vous devrez être forts, ensembles; vous soutenir. C'est ainsi que vous avancerez. sourire difficile mais sincère, le souvenir d'un petit garçon devenu grand, devenu ombre sans doute.. Mais encore capable de lumière et d'amour, comme tu le précises. Shayn sera libre, déchargé de l'absence d'une mère et certain que son esprit le veille depuis le ciel. - Sois libre toi aussi, jeune Lyra. Je sais que tu le mérites, au moins autant que lui. la douceur des phalanges sur un épiderme déjà fissuré, prêt à craquer. Une pointe d'humanité, une main pour réparer, redonner un semblant de vie à ces cellules mourrantes. Il n'y a pas meilleur ange que toi, à cet instant de sa vie. - Dakota. si Shayn l'avait oublié, tu sera en mesure de le lui rappeler. La rage risque de le faire bouillir mais il ne devra pas se laisser aveugler par la haine; encore moins par la vengeance. - Shayn aurait dû s'appeler Lyas, si j'avais eu le choix.. les secondes sont comptées mais toute information est bonne à prendre, n'est-ce pas ? Après tout, tu ne pourra pas compter sur son père pour te dire quoi que ce soit de positif à son sujet. - Tu as ma bénédiction Lyra. Fais ce que tu as à faire et retrouve mon fils. Je suis en paix. et ainsi, le plan machiavélique du démon aura échoué; car il n'y a rien de triste dans cet acte, juste un profond sentiment de soulagement, le confort d'une dernière conversation et la puissance de l'amour, de deux femmes pour cet homme qu'il s'entête à vouloir briser.      

Elle est Celle qui lui a donné cette part de lumière. Ténue désormais mais toujours présente puisqu'il est capable de m'aimer. Lui prendre la vie sera peut-être aussi l'ultime affront face à ce sentiment plus doux. Mais comment faire autrement ? Elle n'est déjà plus qu'un corps abîmé, l'âme en sursaut. Quelques réminiscences viennent encore animer les chairs, nourrir le sel de son eau, mais la vie est fugace dans ce corps déjà semblable à un tombeau. Cimetière de ces amours plus funestes. « L'amour se marie parfois avec la violence, mais je n'envisage pas la route sans lui, c'est une certitude. » Trop d'aimés déjà perdus et un autre de plus ne me paraitrait pas supportable. La résonance est trop grande pour renoncer à Lui. La plupart ne comprendraient pas et peu m'importe en réalité. Shayn et moi n'avons pas besoin de mots pour comprendre nos failles mais aussi sublimer nos forces. Ensemble. Visage maternelle qui s'éclaire sous le souvenir de son seul trésor , vestiges d'une femme qui fût sans doute trop humaine pour ce monde. « C'est mon seul but. » La liberté, d'action et d'être. M'affranchir des limites rigides de ce monde et vivre ma propre existence. Sourire qui se veut sincère à l'énonciation de son nom. Ma mémoire n'est pas prête de l'oublier et sans doute qu'au travers de moi, elle vivra encore. « Pourquoi Lyas ? » Mes sourcils se haussent, un peu frappée par la similitude de nos prénoms, comme si notre reconnaissance était tacite dès le départ. Des destinées différentes et pourtant faites pour s'assembler, une évidence qu'on ne peut nier. Une partie de moi sachant qu'il sera brisé par cet acte mais que le lien que nous entretenons ne pourra pas agoniser de la sorte. Il est indéfectible puisque insidieusement scellé à l'existence de l'autre. La chose pourrait paraître effrayante et pourtant elle est étrangement réconfortante. « Ca ne fera pas mal. » Comme une promesse, comme une libération après toutes ces souffrances, paradoxalement, une manière digne de quitter ce monde, de vagabonder hors de ces enfers qui sont devenus son quotidien. Doucement, mes phalanges passent une ultime fois sur le rebord de sa joue. Perle salée qui vient strier ma pommette encore jeune, unique fardeau face à ma décision qui n'en est pas une, ultime acte de bonté et d'amour face aux horreurs qu'il a commise. De ces choses subtiles qu'il ne pourra jamais comprendre. Il me fait presque pitié en cet instant. Mes doigts saisissent la balle pour armer le canon. « Je ne vous oublierai pas Dakota et je ferai en sorte qu'il en soit de même pour Shayn. » Ultime promesse pour apaiser la gisante, de s'obstiner à perpétrer son héritage, cette part enfouie de lumière, elle survivra dans notre amour, malgré les noirceurs. Longueur métallique qui vient reposer en douceur contre la tempe épuisée de cette femme, cette mère. Reprenant la vie de Celle qu'on m'avait arraché quelques années plus tôt. Pression de la détente. Et le sort s'achève, larmes carmines qui viennent camoufler le sel de mes larmes, vestiges écarlates pour tromper la porcelaine. Gamine perdue entre la Sauveuse et le Monstre. Déchue mais non moins pourvues d'ailes ou bien d'Elle, à sa manière. Que son sang m'abreuve pour me permettre de poursuivre la lutte. Le corps s'écroule, inerte, libérée et la stature Assassine m'enlace à nouveau, corps qui retrouve de sa prestance pour tourner le dos à la scène, retrouver le véritable Monstre de l'histoire. Mes pas me conduisent au Geôlier, lui offrant le simulacre de son but, une joie amère, pathologique. « C'est fait. » dis-je en baissant la tête et en lui rendant l'arme. Les apparences me font sienne mais je n'ai jamais été aussi libre.