Insidieux venin persifleur qui vient naître entre tes lippes. Monstre aux yeux verts qui vient crier bien des faiblesses. Le propre de l’ego. Mes délavées parcourent rapidement ton visage d’Amazone. Comprennent qu’il ne vaut mieux pas offrir la moquerie en parade. Que même si l’idée me parait à moi absurde, tu viens la prendre au sérieux. Alors l’aveu se fraie un passage avec toute l’honnêteté dont je suis capable. Je n’envisage pas Dutch comme ça et je ne vois pas la chose changer. Il y a des liens qui ne passeront jamais cette frontière et il est de ceux là. « Point du tout. J’ai bien des vices, mais pas celui-là. » La luxure n’a jamais été de mes points faibles. Cela viendra expliquer sans doute pourquoi je parviens à gérer aussi fermement un bordel malgré mon jeune âge. Les plaisirs charnels ne sont pas de ceux qui m’attirent irrémédiablement. Loin d’être volage, désespérément trop bleuie de mes pétales peut-être, mais il en est ainsi. « Évidemment, il est libre, mais tu es mon alliée toi aussi. » Mon soutien quotidien. A même titre que lui. Alors ton avis importe. Il compte. Peut-être que tu n’es pas habituée à ça Joey ? Cette étrange sororité.  « C’est pour cette raison que je pense à lui. » Loyal, droit et rigoureux. Il est de ceux dont la confiance se donne facilement une fois qu’il laisse celle-ci se frayer un chemin jusqu’à lui. « Il sera encore plus présent donc ça devrait pouvoir s’arranger. » Légère malice qui vient saupoudrer mes traits candides. Je ne viendrai pas vous reprocher de laisser parler la passion des corps, l’irrémédiable passion qui sans doute vous dévore. Après tout, ma propre flamme se consume pour un allié censé être tout juste professionnel et allié de travail.

Indomptée, de celle qui ne savent pas vraiment se lier. Je devine les failles, les fêlures plus sauvages sous tes apparences de femme distante et autoritaire. On a tous nos blessures, nos noirceurs. Et je ne viendrai pas te les reprocher. Que tu sois méfiante, c’est un tant soit peu logique dans notre monde. Ici, les autres ne vous veulent pas du bien, ou bien rarement. On se protège mutuellement pour mieux lorgner nos ambitions, dessiner des buts communs et endormir les sentiments, bien qu’ils existent si on gratte un peu les armures, les écailles. C’est simplement un luxe qu’on ne s’autorise pas ici. « Je vais le faire oui. » dis-je avec un sourire plus sincère, bien trop heureuse d’avoir ton approbation, un peu gamine encore, à ma manière. Mes phalanges d’ivoire passent sur les rebords travaillés de la dentelle écarlate. J’imagine comme le rouge ressortirait sur ma peau, ferait parler les nuances plus mauves qui me parcourent. « D’accord. » Enfant plus légère, femme en devenir, mon corps, je ne l’ai jamais apprivoisé vraiment et j’admire ces femmes que je dirige pour le faire sans difficulté. A présent dans la cabine, je viens essayer les sous-vêtements, un peu mal à l’aise mais transcendée par le moment, après tout de quoi aurais-je à rougir. J’observe chaque jour à quel point nous pouvons être des armes tout aussi redoutables que ces demoiselles d’acier. Corps exposé et longiligne qui vient hanter les abords de la cabine, mon sourire s’échappe, bien trop futiles pour nos ombres mais qu’importe. Il n’y en a qu’une seule que je rêve de voir s’incliner. « Qu’en penses-tu ? » Tu sauras être franche, dire si le spectacle est enviable ou tout simplement ridicule.

Ainsi, ma décision est approuvée. Je n’aurais pas pu faire cette proposition à Dutch sans t’en parler et ta première réaction m’indique tout simplement que j’avais raison de suivre mon intuition sur ce point. Désormais, les choses sont dites et entendues, et mon mentor acceptera ou non de m’épauler plus officiellement. A tes yeux, ce ne sera pas une trahison mais bien un projet que nous aurons dessiné ensemble. Inutile de s’y attarder davantage. J’opte pour les tissus écarlates que tu m’imposes d’un autoritaire conseil. Loin de m’en formaliser, tu as ce charisme, cette prestance qui font qu’on se rangera de ton côté. Dans ce domaine, j’estime que tu as bien des choses à m’apprendre. Gamine égarée, qui vient se cacher la plupart du temps derrière l’informe des tissus. Le soir venu, j’opte pour des tenues un brin plus échancrées, mais c’est alors Nova qui vient prendre place dans sa tanière, loin de la douce et effacée Lyra. Pourtant, elle aussi, ne demande qu’à briller, à s’affirmer davantage. Oubliant l’espace d’un instant, que mon existence ne compte qu’une poignée d’années. Le corps est désormais exposé, longiligne et faim, privé comme il se doit d’aliments, pouvant provoquer la jalousie de ces mannequins de podium, certains y verraient la beauté, d’autre la souffrance qu’en silence, il parle. « Tu crois ? » dis-je avec une nouvelle lueur dans les prunelles. Ce pouvoir. Ce pouvoir de femme, il m’a toujours attiré et fait peur à la fois. Je me revois admirer les danseuses du cabaret new-yorkais dans lequel je travaillais. Le ridicule de mon comportement à répéter chacun de leurs mouvements dans le couloir de cuisine. Comme si une partie de leur aura pourrait ainsi m’appartenir. Je n’avais jamais assumé cette part. Et encore moins ce cœur qui s’épanche. « Tu ne devines pas ? » Tu as des yeux Joey, aguerris et acérés derrière la muraille du bar. Tu vois ce que d’autres ne perçoivent pas, et sans doute que notre manège commun avec Shayn ne t’a pas échappé, bien qu’on se tienne au professionnel la plupart de ces soirs.

Gamine encore mal à l'aise de ce corps de femme. Je sous-estime le pouvoir que j'incarne, pourtant c'est régulièrement que les clients tentent une approche. Mais je ne suis pas de ces femmes, trop innocente, pas assez brisée encore. Elles forcent mon respect parce que je n'ai pas cette force. « Je serai aussi souple que la barre de pôle. » dis-je en riant légèrement. Aucun talent pour la danse, aucune féminité assumée dans mes mouvements. Mon âme d'artiste s'exprime par le noir de mes encres, la férocité de ma plume, la mélancolie du décor, gamine en proie à ses failles, un peu trop poétique encore malgré les cauchemars que j'incarne désormais. Les facettes sont trop nombreuses pour être liées entre elles, compréhensives. « Toi tu ferais un malheur. » A en faire pâlir les têtes d'affiche, c'est une certitude. C'est toujours d'admiration que j'ai nourri les pensées à ton égard, solitaire et forte de sa seule ambition. On a ce commun dans nos ombres. Quelques parcelles de lumières en reflet, suffisamment pour attiser les convoitises des macabres. Mes sourcils se haussent à l'écho du prénom de mon allié. Fidèle ami, présence sur laquelle compter mais non convoité entre mes draps. « Nullement. » Mince sourire qui vient se dessiner sur mes lippes. Je sais pourtant que tu as pu observer à loisir ce petit jeu qui se trame pour l'avoir vécu de ton côté. « Shayn. » Inutile de tourner autour du sujet éternellement. Je me dois de calmer tes angoisses concernant Dutch. Et de cette identité révélée, tu comprendras que les deux n'ont rien de commun, hormis cette noirceur qu'ils incarnent quand la nuit tombe.