Le calme vient toujours après la tempête. Toi et moi, c’était loin d’être reposant ou même serein mais à cet instant, tout simplement, nous sommes bien. Reposés dans les bras l’un de l’autre, profitant simplement de cette sensation de nous être retrouvés. Je laisse le soleil nous bercer quelques instants au rythme des remous de la barque. Paupières closes et lèvres offertes, d’un goût de sel et de nos effusions encore proches. Le feu ne s’éteint jamais vraiment et ne demande qu’à se révéler, mais les accalmies ont toutes leur importance. Mes délavées se révèlent à nouveau lorsque ta voix résonne encore après nos aveux. Je me redresse, repassant sur mes épaules la chemise que tu portais quelques instants plus tôt, joignant un bouton ou deux pour simuler une espèce de robe, un peu informe, un peu trop grande pour ma silhouette, me rendant sans doute plus encore ma silhouette de Gamine un peu perdue. Une femme qui pourtant chaque jour se révèle un peu plus à tes côtés. « Quelque chose ? » Mes yeux se plissent dans la surprise mais un vague sourire ne se ménage pas pour percer et illuminer en quelque sorte mon visage, me redressant et penchant mon buste vers toi, je sens une certaine impatience me gagner, alors que mon regard tente de sonder le tien. « Oui… » Te connaître, que tu te révèles. Ne rien ignorer de tes noirceurs mais aussi de tes lumières, je veux tout connaître, tout savoir de toi, te posséder entièrement quelque part. Malhabile dans l’attente de son offrande, de quelques parcelles que tu voudras bien me révéler.

Et si le monde ne nous correspond pas, nous en inventerons un nouveau. Toi et moi, nous sommes doués pour nous échapper des lignes, pour nous construire d’autres bulles. Chacun des instants qu’on partage semble être en dehors. Barque doucement bercée par le ressac, mes orbes se lèvent vers tes ambrées. Corps qui s’affirme et se pare d’orgueil à sentir le désir venir le dessiner. Je me sens puissante sous ton regard, comme si tout ceci vaut la peine que je continue encore simplement d’exister. C’est un semblant d’admiration qu’on peut lire sous mon regard, mais un sentiment bien plus puissant encore finalement, un amour indéniable, inattaquable malgré nos failles, nos incompréhensions. Le bien que tu insinueras en moi sera toujours plus important que les douleurs. Vague sourire qui vient hisser le rebord de mes lèvres lors que tu extirpes un petit paquet, gamine éperdument curieuse, suspendue à tes gestes, j’entrevois d’abord un éclat doré, une lumière qui m’incite à plisser les yeux quelques secondes avant de mieux voir le bijou, la chaine et l’animal aquatique dansant à son bout.  « Pourquoi n’en serais-tu pas digne ? » Mes sourcils se froncent, mais déjà mes doigts viennent caresser le relief fin et symétrique de la chaîne, saisissent le petit animal discret et qui a plus que jamais sa place ici, au milieu de l’océan. « Tu ne te rappelles pas d’elle ? » Une mère c’est important, fondateur, et toi tu n’as hérité que d’un père tyrannique, un monstre pour héritage. Elle était sans doute cette part de lumière, cette part plus humaine. « Tu es certain de ça ? » Parce que ce n’est pas le genre de cadeau qu’on vient accepter à la légère. Mes phalanges quittent le bijou pour se mêler un instant aux tiennes. M’offrir ton cœur est déjà un pas, mais m’offrir ton histoire, ton existence, c’est autre chose. Je ne suis qu’une Gamine, une meurtrière, je doute que je sois moi-même digne de porter un peu d’elle. Venant mordre ma lèvre, je m’imagine vengeresse, suffisamment incandescente pour lui faire face, portant peut-être la force dont elle a manqué, acceptant quelque part le sort insidieux de la venger. Chose étrange, mais force nouvelle qui vient animer mes parcelles. Glissant ma chevelure de côté, je tourne mon dos vers toi, pour t’inciter ma glisser la chaîne autour de mon cou. Accepter mon appartenance et mon sort. Reliée à toi, mais aussi quelque part à Elle. Poids d’une nouvelle vengeance sur les épaules. Du souhait insidieux qu’une mère pourrait murmurer à l’océan dans ses agonies de douleur, vague espoir émis, celui de sauver son fils.

Iris qui viennent apprivoiser un instant le doré de l’animal. De cette mère que tu me dévoiles, que tu énonces par quelques mots. Solaire, douce, la vie même, cette part de lueur qui t’a construit et qui t’a pourtant tant manqué par la suite. Elle a laissé son empreinte quelque part, quoi que tu en dises, par le simple fait que tu le regrettes. Doux sourire qui vient border mes lippes immatures. J’aime les histoires, je les ai toujours trop aimées. M’en berçant, de pages noircies, à la lueur de ma torche sous les épaisses couvertures, jusqu’au cœur de la nuit. Mes parents voyaient mes rêveries avec une moquerie un peu douce, un peu lancinante dans le myocarde, j’avais toujours su appeler la tendresse chez mes autres. Un peu trop sans doute, parce que ce surplus m’avait coûté un peu trop. La violence de la réalité ne m’avait que davantage arraché à mes rêves, créant ce monstre étrange, empli de haine, mais encore un peu doux, un peu poète du sommet de ses horreurs. « Je suis certaine que non. » Une mère aime inconditionnellement. Elle en voudrait au Monstre qui t’a façonné, mais pas à toi, jamais. Après tout, bien que tu en sois le premier surpris, tu es capable d’amour, là où ton père ne l’a jamais été. « Tu n’as jamais voulu la retrouver ? » Je sens encore la peine dans mes chairs de les avoir perdu, et pourtant j’étais adulte, alors je n’imagine même pas la béance que cela vient creuser lorsqu’on est encore enfant. Mais tu n’avais sans doute jamais eu l’espace pour le formuler, pour demander, devant suivre les ordres du tyran paternel. Comprenant pourquoi je suis digne de porter ce collier qui la représente, j’incline doucement la tête, humble face aux eaux qui nous entoure, à son souvenir surtout. « C’est notre amour qui en est digne. » Toi et moi, ne le serons jamais. Mais ensemble, on façonne une chose bien plus belle que ce qu’on est. Mes phalanges liées aux tiennes, je viens les serrer doucement avant de t’offrir mon dos, mimer par ce geste, mon accord pour porter ce symbole, cette promesse de lueurs qu’on tentera d’honorer pour Elle dans nos enfers. Frisson dont je me délecte lorsque tes lèvres s’emparent de la peau exposée de ma nuque offerte, un instant mon sourire s’élargit et mes paupières se ferment, consciente que nous profitons ici même d’une singulière trêve, étrange pulsion qui vient ranimer mes envies, cette envie de te posséder encore et encore. Je te fais à nouveau face lorsque tes mots viennent m’envelopper encore plus fort que tes caresses. « Merci. Tu es mon âme. » Dans ta noirceur, tu viendras porter ce que j’ai de plus beau. Comme ces promesses silencieuses qu’on s’accorde, comme nos corps peuvent parler ce qu’il y a de plus doux à l’intérieur, de ce qui reste humain encore dans nos singuliers accords. Mes mains reposant sur tes épaules, un orgueil novateur vient en border l’azur, alors que le gracile de ma silhouette en un instant domine le massif de la tienne. Point de pouvoir pourtant entre nous, juste une réciprocité qui s’étend lascive entre nos dermes, nos chairs, nos os. « Appartiens-moi encore. » Qu’on s’appartienne, c’est ce qui nous hante jusqu’au plus profond des veines nous rappelant néanmoins que nos corps vivent encore.