Elle n’a pas envie d’y aller, c’est tout ce que ses terminaisons nerveuses sont en train de lui conter. Elle ne veut pas faire face à celui qu’un jour elle a eu l’audace d’appeler papa. Jo’ elle a cette sensation qu’elle y va tout droit dans sa déraison. Que voir son géniteur va amorcer le fait qu’elle est encore loin de la perfection. Alors elle envisage, de ne pas faire naufrage, de s’accrocher à l’étrange, comme à une bouée de sauvetage. Ne pas rentrer, l’arrêter, faire en sorte qu’ils aillent le boire ailleurs, ce café. Et elle a horreur de se dire que son humeur a pu à ce point changer. Elle en a perdu, toute once de candeur, elle est réduite à néant, et elle voudrait se dire qu’ils se doivent à présent, d’être fuyants.   

Mais l’inconnu en décide autrement, il prend les devants. Et les ongles de Joséphine en essayant de le rattraper, ils s’accrochent au vent. Alors de reculer, il n’est plus le temps. Au travers des fenêtres elle tente de repérer les traits de celui n’ayant pas réussi à l’élever. Elle se demande même sur sa capacité à y arriver. Les drogues et l’alcool ayant altéré sa perception, elle ne sait plus depuis combien de temps il n’y a eu, entre eux deux, de confrontation. Un long soupir passe entre ses lèvres carmines, et la funambule sur le fil de sa vie, le suit. Il se tait, le compteur d’aventure, et Joey se meurt, à l’usure. Ce soir elle sait, qu’elle va gerber. Qu’elle va se heurter au pire de sa personnalité. Qu’elle va vouloir crever d’avoir trop existée. « Demi tour. » parce qu’il ne lui a fallu qu’une seconde, une fois dedans, pour se heurter au regard bleu qu’elle reconnaît comme le sien. Parfait reflet des iris qu’elle possède. Et elle ne pourra pas supporter cette déception liée à la haine. « Quoi que. » Elle vient d’avoir une idée. « Vous voyez l’homme là-bas ? » Celui qui vous a remarqué, elle n’en doute pas. « Allez lui dire que Joséphine est morte, il y a quatorze ans, et que Joey pour lui n’a plus le temps. » Dictatrice qui ajoute rapidement. « Et je vous invite au restaurant. » En plus de la lecture de sa destinée, s’entend.

Dans le crane de Joséphine ça matraque en un incessant tic et tac. Elle décompte jusqu’à l’instant où l’étranger slalome entre les tables afin d’atteindre celle de son père. Dans sa tête, finalement, c’est l’enfer. Et ça la débecte, ça la désespère, tellement qu’elle en détourne le regard, qu’elle laisse traîner ici et là, sur le bar. Elle ne tente même pas d’entendre ce qu’il pourrait bien lui dire au milieu de tout ce brouillard. Elle envisage de commander un verre, de lui montrer qu’elles n’ont pas changé ses manières.  

Quelques secondes seulement avant que le bohémien ne vienne à nouveau voiler sa vision. Mais elle ne s’attendait pas pour autant à sa prise de position. Quand elle l’observe là, assis, elle ne parlait pas de manger, ici. « Si Mlle veut bien connaitre son avenir… » Il n’est donc plus question de partir. Elle se retient de lancer une œillade en direction de celui qu’elle tente en vain de fuir, pour se laisser tomber sur la chaise, attablée en un soupir. « Maintenant ? » Car il semblerait qu’ils aient à présent, un tout petit peu plus de temps. Elle hésite, la Joey, elle manque de témérité, à croire que le géniteur a, sur elle, plus d’impact qu’il n’y paraît. Même sans l’avoir approché.

Et elle a cette sensation, de ressentir son regard sur elle, du coup elle se concentre pour ne pas céder et se retourner, pour lui démontrer que l’adage est vrai, et que dans l’ignorance, il y a le mépris qui prend naissance. De ses doigts, elle attrape une carte des boissons, comme si elle ne connaissait pas la plupart des propositions. « On boit un verre avant. » Ou deux, ou trois. Elle a besoin du néant pour affronter ce que la vie a prévu pour elle. Est-ce qu’elle parviendra à se rendre éternelle. « Ne vous gênez pas. » Pour ce qui est du choix. Elle est dans un jour de bonté, faute de son passé étriqué, alors autant en profiter, car la prochaine rencontre se pourrait être moins encline à l’amicalité.

Il semble se perdre dans les méandres de son esprit aussi bien que le menu, il le lit. Jo’, elle, elle laisse traîner le méthylène de ses yeux sur le côté, elle se force à ne pas observer celui qui l’a engendré, elle fuit son passé et n’ose pas entrevoir son avenir, non pas qu’elle ait peur, mais elle est spécialiste en ce qui concerne le fait de fuir. Et la rousse s’en revient à son invité du jour, qui semble finalement ne pas savoir que prendre, elle pourrait pratiquement en révéler son côté tendre. « Un… un… » Les sourcils froncés, le sourire amusé un brin caché, elle patiente pour cette décision qui s’étale en longueur, comme si un verre pouvait réellement expliquer une telle hésitation.

Et le doigt du bohémien effectue ce roulement au hasard, jusqu’à ce qu’il obtienne un résultat. L’index collé sur la liste et qu’il annonce tout fier, réinvoque la candeur dans ses airs. « une Suze, » et à la finalité, ils viennent s’arquer les sourcils de la Joey. De tous les alcools, il a réussi à opter pour un de ceux que la rousse ne boit jamais. Qu’elle n’est même pas certaine d’apprécier. De sa surprise en naît un sourire, un hochement subreptice de sa tête, et elle en lève la main, autoritaire qui ordonne ainsi au serveur de se pointer à leur côté. Le genre de geste qu’elle reçoit à longueur de service, et qu’elle sait mimétiser à la perfection. Elle est d’une candeur sa faille lorsqu’elle commande après qu’il ait fait son apparition. « Une suze, » ça lui écorche un peu la bouche, « et une vodka poire. » pour que ça tape directement dans son système nerveux, et le fruit pour ne pas avouer ouvertement son problème. S’il va lire son avenir autant ne pas lui donner des indications sur les choses qu’il pourrait prononcer. Bien qu'elle aurait pu demander, la bouteille et le shooter pour mieux se noyer.

Puis parce qu’elle n’a aucune logique, alors que le serveur retourne d’où il vient, elle éprouve le besoin de s’occuper, et si cela peut faire enrager son père sur ce qu’elle a pu devenir, une catin ou même pire, mais c’est le prix à payer, lorsque de son enfant on veut se débarrasser parce que pas assez parfait. Elle souffle toujours le chaud et le froid, Joey. « Allez, lisez. » paume tendue. Car l’on dit bien que chose promise, chose due.