J’ai essayé, à plusieurs reprises, d’imaginer le futur avec Beatriz et Cameron, les décisions que nous prendrons pour le bien de notre fille, avant de me convaincre qu’il fallait simplement laisser faire le temps. La seule chose dont je suis certain est que je souhaite la reconnaître officiellement, afin qu’elle porte mon nom, au plus vite. Pour le reste, je ne suis pas vraiment pressé, persuadé qu’on trouvera le moyen de faire ce qu’il y a de mieux pour la petite. La maison fait partie de mon plan pour avoir Cameron un peu plus régulièrement avec moi et pouvoir lui offrir la stabilité d’un foyer, avec sa propre chambre et tout ce qui fait qu’une maison est bien plus pratique qu’une chambre d’hôtel. Nous n’avons pas encore abordé le sujet d’une garde partagée et officielle, pour la bonne et simple raison qu’on s’entend jusqu’ici très bien sur les jours où on s’occupe de la petite et surtout, que je ne souhaitais pas changer les habitudes de Cameron du tout au tout. C’est une chose de passer du temps tous les deux, mais aujourd’hui me prouve encore qu’elle n’est peut-être pas prête à être aussi régulièrement chez moi qu’elle ne l’est chez sa maman. Je ne peux clairement pas lui en vouloir après plusieurs années habituée de la sorte, sans que je ne sois dans le décor, et je ne veux pas forcer les choses. Ca viendra quand ça doit venir.
Beatriz réapparaît après quelques minutes à la salle-de-bain, toute vêtue de Williams, et un sourire fier s’affiche sur mes lèvres. Nous n’avons beau être qu’au stade de deux adultes qui apprennent à se connaître, son rôle dans la vie de ma fille l’a placée malgré elle, malgré moi, dans le top des femmes les plus importantes de ma vie. Je ne l’exprime peut-être pas clairement mais Beatriz pourra toujours compter sur moi, que ça concerne Cameron ou pas, et la voir porter les couleurs de la famille, mon héritage, me fait plaisir. Mes yeux se perdent un instant sur sa silhouette avant de remonter vers son visage et lui sourire.  « Exactement. Je peux d'ores et déjà attribuer le titre de Miss Williams. » Canon, oui. Je pourrais ajouter que je ne fais pas un enfant à n’importe qui mais je ne veux pas paraître prétentieux et encore moins qu’elle prenne le compliment de travers alors qu’on s’apprête à partager le même lit. « Ah oui, tu fais payer l’exclusivité, c’est compréhensible. » Je souris et ramène un de mes genoux contre ma poitrine, le gardant en place en l’entourant de mes bras. C’est une position absolument pas confortable sur une chaise et surtout une position qu’on m’a souvent reproché, mais c’est plus fort que moi, c’est automatique.
Ma fierté est d’autant plus grande lorsque Beatriz mentionne le karting, où j’ai emmené Cameron une bonne dizaine de fois depuis le mois d’octobre. Je n’ai même plus à lui proposer, car elle est souvent celle qui demande pour y aller. Peut-être parce que je ne lui ai pas proposé mille-et-une autres activités, toujours un peu en terre inconnue lorsqu’il faut trouver des idées pour l’occuper plusieurs heures sans la mettre devant la télévision. « Si par “ elle s’en sort bien “ tu veux dire qu’elle sort tous les autres de la piste et fonce dans un mur dès qu’elle en a l’occasion. » Je dis, amusé, parce que Cami est pire que téméraire, elle est folle. Ce n’est même pas l’envie de gagner, mais juste le plaisir de sortir les autres qui la fait rire aux éclats. « Elle est bien protégée, je te rassure. Elle a un casque, sa nuque est soutenue aussi, et ils ne peuvent pas aller bien vite. » Ce sera la prochaine étape, lorsqu’elle aura appris à gérer son kart correctement, mais pour l’instant elle s’amuse juste. « J’en fais depuis que j’ai deux ans, oui. » Mais je suis né dans ce monde et ai voulu être pilote toute ma vie, je ne pousserai jamais Cami à avoir les mêmes ambitions. « On peut se prévoir ça. C’est pas toujours moi qui m’occupe d’elle, elle a un moniteur. » Pour des raisons de sécurité et pour apprendre plus que pour s'entraîner sérieusement. « Je tiens à dire que si on y va aussi souvent, c’est parce qu’elle le demande. Je jure solennellement que je n’essaye pas de faire un pilote de notre fille, même si ce serait assez badass. » Et d’ici à ce qu’elle soit en âge d’arriver en F1, je ne doute pas que plusieurs femmes l’auront précédés.

Ces vêtements sur le dos, je me demande ce que ça doit être la vie de riche propriétaire d’une écurie de Formule Un. Je me regarde dans le miroir et me demande sérieusement ce que ça doit faire d’être plein aux as sans avoir à bouger le petit doigt, d’avoir les poches qui dégueulent de billets juste parce que son nom est connu. J’aimerais beaucoup échanger ma place avec Jeremiah pour quelques minutes ou quelques heures, juste pour voir ce que ça fait. Mais bon, à moins de faire un remake de Freaky Friday - et j’ai un peu cette impression, dans ses habits - je sais bien que ce n’est pas possible. Peut-être que c’est mieux ainsi, je risquerais de m’habituer ou de m’ennuyer. Et encore, je vois cela comme un privilège - s’en est un - mais je sais que Jeremiah travaille aussi pour tout cela ; il n’est pas là à attendre que l’argent tombe du ciel, il le mérite, en quelque sorte bien que je pense que si c’était moi à son poste, mon salaire aurait été bien plus bas. Mais ça, c’est un détail qui ne m’intéresse pas ce soir. Ce que je préfère, c’est faire le pitre pour le détendre un peu, le faire sourire parce que cette mine déconfite, elle est bien triste et si j’ai échappé à la crise de Cameron, ce n’est pas pour gérer Jeremiah. Bien entendu, s’il a besoin d’une oreille attentive, je serai là pour lui mais je crois que tout le stress de ces quarante huit dernières heures doit tomber et plus vite que cela. Où est ma couronne et mon écharpe de Miss ? Que je demande, une fausse moue triste sur le visage. Ah, si ça m’importait réellement tout cela, je prendrais l’écharpe de Cameron pour m’accoutrer avec. Y en a là dedans, qu’est-ce que tu crois. Que je finis par souffler en tapotant ma tempe droite de mon index. Eh oui, je pense à tout, absolument tout. Je suis plutôt débrouillarde comme fille et plutôt maligne, on ne va pas se mentir. C’est peut-être pour cela que je dirige la conversation vers le Karting et les moments qu’il passe avec la petite. Elle est très bavarde mais avec elle, il est difficile d’avoir de vraies informations. Est-ce que “c’est trop cool !” veut dire qu’elle adore ça ou qu’elle ne comprend rien mais que ce qu’il se passe lui plaît ? Je n’ai jamais réellement vu Cameron râler de quoi que ce soit alors bon, les informations, je vais aller les chercher chez le principal concerné. Un m- J’ai à peine le temps d’ouvrir la bouche - le son qui en sort ressemble plus à un ‘mh’ qu’autre chose - qu’il m’explique qu’elle est bien protégée. Oui, si on pouvait éviter de me ramener ma fille en morceaux et sans sensation dans le bas du corps, ce serait bien. Je l’écoute mais mon cerveau est toujours bloqué sur ses premiers mots. Comment ça, elle fonce dans un mur dès qu’elle en a l’occasion ? Un mur de quoi ? En béton ? Est- ce que notre fille est suicidaire, en plus de ne pas avoir froid aux yeux ? Je ne suis pas trois fois sûre de tout comprendre ce qu’il se passe. Un moniteur ? Eh bien, je suis carrément perdue sur ce coup et je me rends compte que lui et moi, on ne prend jamais trop le temps de discuter de ce qu’il fait avec Cameron. Je lui fais confiance à cent pour cent et ça ne semble pas me réussir. J’ai des milliers de questions à poser - certaines surement idiotes et d’autres financières - mais ce que je fais, surtout, c’est souffler Si elle aime ça, je suis contente. Mais un peu paniquée parce que je sais que c’est dangereux mais je sais aussi une autre chose : c’est un sport de riche et moi… Je ne suis pas riche. Tu pouvais pas être propriétaire d’une équipe de foot ou mieux, de terrains de golf ? Je laisse un léger rire quitter mes lèvres et m’assois en tailleur sur la chaise, les jambes croisées avec une aisance folle. Merci la souplesse. Non sérieusement, il faut qu’on se fasse ça mais alors, tu t’en occupes après la séance aussi que je puisse fumer pour détendre mes nerfs. Et bien entendu, je ne parle pas de fumer de cigarettes. Ta mère n’a pas des conseils pour supporter la trouille que ça engendre ? Que je demande, plantant mon regard dans le sien. J’aimerais qu’il me dit que oui et qu’elle va tous me les donner. Les étoiles dans les yeux de Cameron quand elle rentre du karting sont folles. Et je suis assez intelligente pour savoir que la vitesse - et les risques qui vont avec - ne font qu’accroître au cours de la carrière d’un pilote. Ceci dit… Bad ass ? Parce que t’en serais le père ou parce qu’il n’y a aucune femme dans ce sport ? Je crois que j’ai vraiment beaucoup de choses à apprendre.

« J’étais pas préparé mais je dirai à Cameron de te préparer ça la prochaine fois qu’elle dessine. Une écharpe et une couronne faites maison. » En papier et colorier avec amour par notre petite princesse. Ça lui fera sûrement plaisir et vu les jours où nous risquons de passer enfermés à l’hôtel, la petite n’aura pas grand chose de mieux à faire. On peut toujours se rendre à la piscine tous les jours, se balader dans les couloirs du Copley, mais Cami finira bien par se lasser et sa petite âme artistique sera ravie de faire ça pour sa maman, je n’en doute pas.
Le sujet dérive sur nos petites escapades karting qui deviennent un peu plus régulières et j’essaye d’expliquer les choses à Beatriz avec humour, ce qui la panique plus qu’autre chose. J’ai beau chercher à me rattraper très vite, je vois très bien que mes mots ne sont pas tombés dans l’oreille d’une sourde et qu’elle va à présent se faire un sang d’encre à chaque fois que nous nous y rendons. La meilleure solution reste encore que Beatriz nous accompagne afin de constater de ses propres yeux que les risques pour la petite sont moindre. Elle ne roule pas si vite et est surprotégée, un gros hématome est sans doute la pire chose qu’il puisse lui arriver. Si je lui ai proposé dans le passé, je n’ai pas insisté pour qu’elle nous accompagne car avoir une activité en duo avec la petite qui ne l’implique pas me fait aussi plaisir. C’est notre petit truc à nous, comme Cami doit en avoir mille avec sa maman. « C’est des murs de pneus, pour délimiter la piste. » Pas certain que ça la rassure, mais Cameron ne fonce pas droit dans un mur de béton par plaisir. On va dire que si nous étions à la fête foraine, les auto-tamponneuses seraient clairement son activité favorite, je l’imagine déjà tout faire pour secouer les autres et éclater de rire lorsqu'elle réussit son coup. « Franchement, je ne suis pas certain que le foot soit vraiment mieux. Il y a bien plus souvent un blessé au foot qu’en F1. » A la seule différence que les probabilités de survies en Formule 1 sont bien plus basses, mais je ne souhaite pas y penser. Cami est encore loin de tout ça et ne fait que s’amuser à faire quelques tours de piste et rien ne me dit que ça ira plus loin que ça, il sera encore temps de s'inquiéter plus tard si elle développe une vraie passion pour le sport automobile. Sourcil arqué lorsque Beatriz parle de fumer, je ne peux m’empêcher de pouffer en comprenant que, contrairement à moi, ce n’était pas “ a one thing “ et qu’elle y est habituée. Je suis presque tenté de lui demander si elle a de quoi rouler sur elle, là, afin de permettre à mes muscles de se détendre et à mon cerveau de se mettre sur pause une petite heure mais je m’abstiens. Je n’y ai touché qu’une fois et, si le résultat est plutôt pas mal en fin de compte, je ne souhaite pas faire de la weed une habitude, quelque chose vers quoi je me tourne quand rien ne va. « Ma mère est née dans ce milieu. Je ne dis pas qu’elle ne s'inquiétait pas mais je pense qu’elle voyait l'adrénaline et la fierté avant de voir le danger. » Je pense que même si elle s'inquiétait, elle était au moins aussi heureuse que moi lorsque je me retrouvais derrière un volant. « Les deux ? » Dis-je avec un sourire. « Je pense qu’il y en aura plusieurs avant elle, je miserais même sur une femme en F1 pour 2022. Mais une Williams derrière un volant Williams… » Dis-je rêveur avant de lui adresser un large sourire, parce que je vois très bien que ça ne l’emballe pas autant que moi. « Je vais aller prendre une douche, fais comme chez toi. » Je désigne la pièce du menton et presse son épaule en me redressant, direction la salle-de-bain pour me débarrasser de toute cette sueur après ma séance de sport.

Je vais être la plus belle du quartier. Que je souffle avec un petit rire. On apprend encore à se connaître avec Jeremiah mais s’il y a une chose qu’il a bien cerné chez moi c’est le fait que ma fille, c’est mon monde, et bien que j’aime me mettre doucement en avant, je n’ai rien à envier à ce petit monstre chéri. J’espère qu’elle dort paisiblement en tout cas parce qu’avec la journée qu’elle a eu, elle doit être fatiguée. Sans compter que les enfants sont toujours hyper excités quand il y a de la neige… J’appréhende presque demain mais j’ai aussi très hâte de voir comment ils se comportent tous les deux, de voir ce qu’ils partagent puisque, bien que nous ayons déjà passé du temps tous les trois ensemble, rien ne ressemble à cette situation. En tout cas, Cameron est heureuse et malgré ses yeux gonflés, j’ai rapidement pu le voir. La conversation dérive rapidement sur le karting et je dois dire que ça me panique un peu. Oh. Donc elle fonce dans du caoutchou plutôt que du béton... D’accord. Ok. Cool. Sympa. Vraiment, très sympa. Elle n’est jamais revenue blessée c’est qu’elle est bien protégée mais je ne suis quand même pas franchement fan de l’idée. Je sais que je peux faire confiance à Jeremiah parce que si elle venait à revenir avec un gros bleu, terrorisée ou avec un membre dans le plâtre, je crois que j’hurlerais si fort qu’on m’entendrait en Europe. Et alors que le stress monte doucement, je joue avec mes doigts pour me calmer. Oui, mais au foot, ils ne meurent pas sur le terrain. Que je dis en serrant les dents. Je sais que je m’inquiète pour rien et que Cameron est, certes, téméraire mais pas inconsciente non plus. Promis, je vais voir les bons côtés à un moment. Parce qu’elle adore ça, la petite. Elle m’en parle souvent et j’essaie vraiment de me dire que tout va bien et que rien ne va lui arriver. Je l’espère du moins. J’étais aussi comme Cameron lorsque j’étais plus jeune. Toujours à foncer, à ramener des habits troués aux genoux à ma mère, des baskets qui ne restaient jamais blanches ou roses. Alors, pour Cami, on va peut-être pas la mettre derrière un volant en 2022. Que je lance en retenant un léger rire bien stressé. Non, vraiment, si on pouvait se passer de la jeter sous les roues ça serait cool. Je garde l’esprit ouvert, promis. Que je souffle avec un sourire, incapable d’être au même niveau d’excitation que lui. Je le laisse filer à la douche, envoie quelques messages à ma famille et finis par trouver le lit où il me rejoint rapidement.

Cela fait déjà deux jours que nous sommes coincés ensemble et c’est aussi agréable que perturbant. Allongée dans le lit, le corps de Jeremiah ne cesse de tourner et ça m’arrache un sourire. Une pièce pour tes pensées ? Je me mets de profil et lui donne un petit coup dans les jambes pour le faire se tourner et me regarder. T’es sur les nerfs Jeremiah, qu’est-ce qu’il se passe ? On est pas les meilleurs amis du monde mais, pour sûr, ces quelques jours ensemble nous ont rapprochés alors bon, autant discuter un peu non ? Surtout quand le sommeil nous laisse tous les deux sur la sellette ce soir.