L'accueil m'avait dit 2e porte à droite dans le couloir de gauche. Pourquoi notre salle avait changé ? Je ne sais pas. Probablement un problème dans l'ancienne. J'arrive alors dans mon cours en droit des contrats. La prof arriva. Je m'attendais vraiment à une vieille dame pour rester poli. Mais ce devait être une intervenante. Enfin, je n'avais jamais vu cette dame. Jamais, et pourtant, j'ai une bonne mémoire des visages.

Je reprends alors mon cours. Sors un stylo, prêt à prendre des notes. Elle commença à prendre son cours et parla de litiges entre époux. Mais ? A quel moment on apprend ça dans une filière de droit des affaires ? Attendez ... On m'avait dit à droite ou à gauche le couloir ?
Bon ok, je venais juste de percuter que j'étais pas dans le bon couloir. Mais en même temps, je pouvais pas trop partir en plein milieu d'explications, ça met mal quand même, et puis je m'imagine pas du tout dire, "désolé, je me casse parce que vous êtes pas ma prof enfaite".

Bref, elle posa une question sur la succession en cas de décès d'un des époux. Personne ne souhaitait répondre ou juste personne ne savait ? Au pire, c'est pas comme si j'allais avoir une mauvaise note ou quoi que ce soit.

Je me lève alors, regarde alors la prof dans les yeux et je vois dès lors qu'elle me remarque qu'elle semble aussi intrigué que moi au moment où j'ai compris que je m'étais trompé de salle.

"Même sans disposition particulière dans le testament, l'époux américain peut hériter de la totalité du patrimoine de l'époux décédé sans payer d'impôt, et oui, c'est plus stricte dans d'autres pays." avais-je donc répondu avant d'ajouter "Caesar Falls madame, je m'appelle Caesar Falls"

Quoi ? Un rictus ? Moi ? Jamais voyons ! Et quand bien même elle ne pouvait qu'admettre que j'avais plus que raison. Je voyais encore plus de questions se poser dans ses yeux. Mais bon, c'est pas comme si mon père avait hérité de la plupart de la pauvre fortune de ma mère à sa mort. Était-ce juste un coup de chance ? On verra à sa prochaine question.

Nous étions vendredi, dernière heure de cours et je savais que j’allais avoir des zombies en face de moi, que personne n’allait répondre à mes questions. Je peux les comprendre. Le dernier cours de vendredi est celui que tout le monde déteste le plus, celui où l’on n’est le moins attentif. C’est pourquoi, pour ne pas qu’ils prennent trop de retard en n’apprenant rien, je décide de faire tout simplement un cours de récapitulatifs durant cette heure-là. Mais même comme ça, j’ai l’impression que personne ne m’écoute. Je décide alors de poser une question très basique. Personne ne sut répondre, ou n’avait entendu la question. Un seul élève se leva pour répondre, tout en me regardant droit dans les yeux. Son visage ne me disait rien et cela m’intrigua. Je n’avais même pas besoin de lui demander qui il était car il se présenta de lui-même. Je soupirais. Encore un autre élève à la Flores. “Très bien Mr Falls, vous pouvez vous rasseoir.” Je continuais mon cours. Tout en ayant un œil sur cet élève. Était-il nouveau ? Je m’arrêtais de parler pour aller checker ma liste d’élèves. Il n’y apparaissait pas. Bizarre. Je regardais en sa direction et je le vis me regarder. Il devait être le seul dans la salle. Vraiment trop bizarre. J’avais cette impression d’assister à un cours particulier. “Ok. Comment définiriez-vous l’autorité parentale ?” Demandais-je à l’assemblée d’élèves, même si au fond, la question était posée à ce mystérieux élève. Je changeais de sujet, mais je souhaitais savoir si c’était un coup de chance, ou s’il s’y connaissait vraiment en droit.

Je m'étais rassis. Elle ? Elle avait jeté un coup d'œil sur un cahier sur son bureau. Elle faisait exactement ce que j'avais prévu. Elle cherchait mon prénom sur ma liste.

Je la regardais, peut-être la fixais mais moi, je n'avais rien à écrire, je n'avais pas à me concentrer sur des écrits futiles, je n'avais qu'à l'écouter en passant le temps. Elle me regarda, l'air songeur, dans l'incompréhension. Quoi ? Et ce n'est pas une de ses questions qui m'arrêtera d'avoir raison.

Les autres étaient tellement silencieux. Ca change un peu de certains de mes cours qui ressemble plus à des petits débats à la con, mené par des gens prétentieux qui ne savent pas plus que ce qu'il y a d'écrit dans leur cours. J'étais presque dans le fond de la petite salle, monté en mini-amphithéâtre mais c'est comme si j'étais à la place de chacun de ces étudiants, à chaque coin de la pièce.

Elle me fixa et me posa une nouvelle question. Et un air de défi m'envahit, comme un désir, non, un besoin. Je souris, la commissure de ma lèvre se releva, je baissai les yeux en me relevant pour pouvoir mieux replonger mes yeux bleus océan dans le regard profond et interrogateur de cette prof.

"L'autorité parentale concerne l'ensemble des droits et devoirs que les parents ont à l'égard de leurs enfants mineurs. Cependant, l'autorité parentale peut être révoqué sur décision de services sociaux. Aussi, tous les pays n'ont pas de services sociaux."

Pourquoi me rassoir ? Pourquoi me rassoir alors qu'elle allait me demander autre chose dans la foulée. De toute façon, elle devait se sentir abusée. Un prof enseigne ce que des étudiants ne connaissent pas. Là, elle devait probablement être frustrée car je connais déjà les réponses à ses questions. Je restai donc debout et elle prit une grande inspiration avant de froncer les sourcils et me poser une ultime question avant la fin du cours.

En lui posant cette question, je souhaitais tout simplement voir s’il s’agissait d’un élève en droit ou non. Voir s’il connait les bases, les définitions. Ma question n’était pas compliquée, mais je souhaitais voir comment il allait y répondre. Et sa réponse me plut. Si à un examen je posais cette question et que l’on me donnait cette réponse, je donnerais évidemment le point. Hochant de la tête, je me mis tout de suite à la recherche d’une autre question. Pourquoi ? Aucune idée. Mais sa façon de me répondre et de rester ainsi debout faisait que j’avais envie de continuer mon interrogatoire. Puis de toute façon, ce n’est pas comme si ça dérangeait mon auditoire. Au vu de leur non réaction, ils ne semblaient même pas s’être rendu compte de ce qui se passait. Ça leur vaudrait bien à tous, une absence. Car certes, ils sont présents physiquement, mais leurs têtes, pas du tout.

Alors que j’allais poser une question sur le mariage, je me tus. Non, ça allait être bien trop facile pour lui. Lui, qui semblait bien en savoir des choses. Il fallait que je corse un peu la chose. “Quel est l’article qui impose aux époux l’obligation de nourrir, entretenir et élever leur enfant ? ” C’est bien beau de donner une définition et de répondre à des questions. Mais je sais que ce qui reste le plus dur en droit, c’est bien de connaitre les textes de loi et leurs articles par cœur. Je soutenais mon regard envers ce jeune homme.

Il me semble que je connais la réponse, elle était ma fois plus dure que les deux premières mais j'en avais déjà vaguement entendu parler à Melbourne lors de mes 4 premières années universitaires.

C'est le plus dur. Devoir transposer et comparer le droit d'un pays à un autre. C'est pour ça que j'ai choisi le droit des affaires international à Harvard qui plus est la meilleure université de droit au monde. Et c'est pour ça que je ne comprenais pas pourquoi ses étudiants autour de moi pianotaient sur leur téléphone au lieu d'écouter leur prof.

"Cela dépend madame. En France, on parle de l'article 203 du chapitre 5 du Code Civil notamment. Mais cela n'est valable que pour les enfants mineurs. Ils peuvent également être protégés par l'article article 371-1 du Code civil il me semble."
Forcément, ils sont mineurs, ils doivent être protégés par leurs parents ou par un tuteur légal.
"Pour les enfants majeurs toutefois, rien n'est officiellement dit. Cependant les parents se doivent d'aider financièrement leurs enfants jusqu'à ce qu'ils puissent assumer leurs dépenses. Mais pour autant, cela ne doit pas mener à de l'oisiveté. Un juge peut en décider au cas par cas".

Je fronce les sourcils, je recherche alors cette histoire que j'ai lu sur un couple aux Etats-Unis, comment ils s'appelaient déjà ?

"Rontondo !" avais-je presque crié.

"Il y a au Etats-Unis une jurisprudence. L'affaire Rotondo amenée à la Cour Suprême d'un comté de l'Etat de New York qui accède à leur requête en rappelant qu'ils sont en droit de choisir qui habite dans leur propre maison, dont ils sont propriétaires. C'était face à leur fils d'une trentaine d'année il me semble."

"Un véritable Tanguy, moi je vous le dis" avais-je presque soufflé, riant. Et sur ces mots les étudiants, dans un geste synchrone rangèrent leurs notes et partirent, comme des robots programmés. Ce devait être l'heure. Je pris mon sac, et descendit les escaliers, m'approchant de l'enseignante.

"Je suis désolé d'avoir perturbé votre cours, je me suis trompé de salle."

Décidemment cet élève m’épate. Je m’attendais à tout sauf à cette réponse-là. Il me surprenait même à connaitre les lois étrangères. Mais qui est-il donc ? Car je n’irais pas bien loin avec seulement son nom. Alors qu’il terminait sa réponse, je vis tous les autres élèves ranger, quoique je me demandais bien ce qu’ils pouvaient ranger. Je regardais l’heure : en effet, c’était déjà le week end. Ce cours m’avait semblé duré une éternité, sauf à la fin, où ce mystérieux élève avait un peu pimenté mon cours. Avant que le premier élève ne sorte de la pièce, je criais : “Ne vous étonnez pas si vous avez une absence pour aujourd’hui !” Ils allaient me détester. Commencer le week end avec une mauvaise nouvelle comme celle-là. Mais ça leur apprendra à ne pas être attentifs.

Alors que tous mes élèves partaient presque en courant, je vis ce cher monsieur Falls, au contraire, venir à moi. Il s’excusa alors, tout en dévoilant le mystère : il s’était trompé de cours. Cela me fit légèrement rire. Tout en rangeant à mon tour mes affaires, je lui répondis. “C’est dommage, j’aurais aimé avoir un élève comme vous.” Il aurait pu pimenter mes innombrables cours dans ce style. Ce cours du vendredi soir. “Rassurez-moi que vous étudiez tout de même le droit.” Ou alors j’avais tout simplement face à moi un petit génie qui retenait tout ce qu’il pouvait lire ou entendre. Ils sont rares mais ils existent.

"Si je peux vous assurer deux choses, c'est que 1- vos élèves sont des robots, presque des zombies et 2- vous m'auriez détesté si j'avais été votre élève. Mais oui, je suis étudiant en droit. Droit des affaires, vraiment rien à voir avec votre matière. On ne fait pas de droit civil dans mes cours. Disons que je m'y étais intéressé il y a longtemps, peut-être en première année ou deuxième année grand max."

Mes profs ne m'aimaient pas, ils me supportaient à peine pour être honnête. Je me retourne, la regarde. Une question trotte dans ma tête. Pourquoi ? Pourquoi ?

"Vous saviez que je n'étais pas un de vos élèves, pourquoi m'avoir laisser assister à ce cours ? Le règlement stipule que ce n'est pas autorisé."

Oui, j'ai kiffé répondre à  un cours qui n'est pas le mien. Est-ce que j'ai montré que j'étais meilleur que tous ces abrutis ? Absolument. Mais pour autant, je risquais ma place à l'Université rien qu'en répondant.
Mais le goût du risque, l'envie de dépasser les autres, de prouver une certaine valeur. Sentir que j'avais de la valeur. Sentir que je suis quelqu'un. On dit toujours que les enfants issus des familles aisés sont les moins à plaindre et sont les plus heureux car ils nagent dans la fontaine de Crésus. Mais moi, je me suis noyé. Noyé dans le manque de figure maternelle, noyé dans le violence d'un père qui bien que grande figure politiquement économique du Commonwealth, se permettait de se lâcher sur le fils qui avait vu sa femme le dernier. Sa femme, c'est à peine s'il la supportait. Maman était devenu une inconnue pour lui. Et moi, depuis ce jour, je n'avais de cesse d'essayé de prouver ma valeur à mon père, en vain. Alors si répondre aux questions d'un prof me fait perdre ma place ici, à Harvard, j'en assumerais les conséquences la tête haute, mais au moins, je pourrais dire que j'ai eu raison, même si cela parait futile pour la plupart des autres, c'est important pour moi.

Car je resterais, comme le Malin, le génie de l'imitation.

Il était clair que mes élèves n’avaient pas donné leur meilleure image aujourd’hui. Pourtant, ils sont un très bon auditoire en règle générale. Ils répondent, posent des questions, savent se taire quand il le faut. Mais oui, cette heure-là ne leur convenait pas, à moi non plus, pourtant il faut bien faire avec. J’apprécie mes élèves, alors non, je n’allais pas le laisser dire du mal d’eux. “C’est l’effet du vendredi soir, sinon, je n'ai rien à leur reprocher.” Bon, sauf quelques élèves, comme miss Davenport, par exemple. Mais il ne s’agit que d’une minorité. Je l’écoutais alors me dire ce qu’il étudiait. J’hochais la tête. “Je comprends mieux.” Il a donc juste une bonne mémoire. C’est rassurant. Alors que j’étais en train de ranger mes affaires, il me demanda pourquoi je l’avais laissé assister au cours. Je le regardais, souris et répondis. “Je ne voulais pas mettre dehors un potentiel nouvel élève.” Puis je lui lançais un clin d’œil. Je savais qu’il n’était pas nouveau, car on nous prévient toujours et c’est très rare qu’un élève arrive en cours de route, mais sait-on jamais... “En revanche, la prochaine fois, je ne laisserais pas passer.” Tout en parlant, j’avais terminé de ranger mes papiers dans mon sac. A mon tour de poser une question, avant que l’on sorte de la salle. “Et vous ? Pourquoi être resté alors que vous aviez bien vu qu’il ne s’agissait pas de votre cours ?” C’est bien un comportement étrange. Je n’avais encore jamais vu d’élèves faire ça.

Le vendredi soir ? Mais un jour n'y ai pour rien voyons ! Le monde du droit, c'est plein de rapaces, il faut faire abstraction du jour. "Vos élèves ne seront pas de bons avocats ni de bons juges s'ils pensent à leurs weekends plutôt qu'à leurs partiels ou leurs cours alors qu'ils sont encore en plein dedans. On ne fait pas une omelette sans œufs. Vous devez le savoir mieux que moi." avais-je répondu avant de me diriger vers la porte et de m'arrêter.

“Et vous ? Pourquoi être resté alors que vous aviez bien vu qu’il ne s’agissait pas de votre cours ?”

"Et pourquoi pas ? Je suis resté parce que ... Vous sembliez passionnée et puis je n'allais pas vous déranger en plein milieu d'un discours vraiment passionnant, ce n'est pas très poli." La réalité ? Elle me faisait penser à quelqu'un que je connaissais. D'il y a longtemps. Était-ce une autre vie ? Je ne sais plus trop, je ne suis pas sûr, c'est un peu flou pour moi encore.

"Faites attention" avais-je ajouté, me retournant vers la professeure. "Vous risqueriez de me revoir ..." Car qui sait ce que je pourrais faire. M'inscrire à un cours du soir ? Changer de voie au risque de décevoir mon père ? Me dédoubler, oui, tout est possible, tout est possible dans ce monde. Le bien comme le mal. C'est pour ça qu'on a besoin de gens comme moi. Des gens ambitieux qui oseront bousculer les idées reçues et défendre les bons avec éthique.

"Là vous allez trop loin Mr Falls!” Je n’allais pas débattre sur ce qu’il venait de dire ou continuer tout simplement à parler avec lui. Car oui, ce qu’il venait de dire, je l’avais mal pris. Il venait, ouvertement, de me dire que j’enseignais mal à mes étudiants et qu’ils ne deviendront pas de bons avocats... Ou je ne sais quoi. Je n’avais même pas écouté jusqu’au bout car il m’avait déjà énervé. Mais pour qui se prend-il pour dire ces choses-là ? Il assiste à un cours et c’est bon, il croit tout savoir ? J’étais déçue et en colère. Alors oui, j’avais “apprécié” cet échange de questions/réponses, mais c’est tout. Il avait eu raison sur un point : je l’aurais détesté comme élèves. Encore une fois, il avait raison. J’haussais les épaules à sa réponse concernant sa présence à mon cours. Il m’avait enlevé toute envie de continuer à discuter avec lui, si ce n’est pour recevoir des leçons de mr je sais tout. Ah, il s’entendrait bien avec Miss Flores. Ou au contraire, ils se détesteraient et se battraient surement pour être le meilleur de la classe. Heureusement que je ne les ai pas tous les deux dans un cours. Bien que... j’aimerais bien voir mon étudiante lui clouer le bec. Car non, mes élèves réussiront très bien. Même s’ils ne sont pas parfaits. “Ne vous donnez pas cette peine, je m’en passerais bien de votre présence.” Puis je lui fis un signe de la tête pour qu’il aille vers la sortie.