Amityville, Annabelle, Poltergeist. Pour le commun des mortels, ce sont trois films ou séries de films. Pourtant, ce sont des affaires réelles, auxquelles ma famille est liée de près, très près. Trop, peut-être. Parce que oui, ce patronyme, beaucoup de personnes de cette génération le connaissent grâce à Conjuring. Mais la génération précédente le connaissent avec mes arrières grands-parents, Edward, dit Ed, et Lorraine. Et oui, ces démonologues réputés depuis les années 7, qui bossaient en étroit partenariat avec l'église pour des cas de possessions et autres phénomènes paranormaux, qui ont écrit des livres, fait des conférences sur le sujets, qui ont créé un musée sur des objets liés à ces cas, ces entités. Le fameux musée de l'Occulte.
Comme je le disais, je suis l'arrière petit-fils de ces deux personnes, et je n'ai pas eu le temps de beaucoup connaître pépé Ed. Il est mort quand j'avais neuf ans, mais j'en ai entendu parler des milliers de fois, avec ma mère, ma grand-mère et surtout par celle qui l'a le plus connu, mémé Lorraine. Elle m'a toujours dit que cette passion pour la musique, je la tenais de lui. Que cette fierté était également la sienne. Et qu'il aurait adoré me connaître une fois adulte.
J'ai un demi-frère, plus vieux. Même si ça a toujours été un peu la guerre à la maison entre nous, parce qu'il a cinq ans de plus et que je voulais toujours traîner avec lui et ses potes, mais on s'entend bien à l'heure actuelle. C'est surtout parce qu'il sait que je vais pas lui piquer ses meufs, je pense. Et j'ai aussi une soeur. On s'entend tellement bien qu'on nous prend pour des jumeaux. On a que huit mois de différences, et je suis le plus vieux. Notre père est toujours présent pour nous, alors que notre mère s'est tirée avec un écossais il y a huit ans. On ne l'a revue que trois fois, depuis, mais elle fait l'effort de nous envoyer des cartes postales pour Noël.
J'ai fait mon coming-out quand j'ai eu seize ans. J'avais fréquenté deux filles avant, et ça ne me faisait rien. J'appelais ça des relations de complaisance. Elles étaient belles, c'était pas le problème. C'était juste pas mon truc. J'étais plus du genre à mater mes potes dans les vestiaires, en fait. Mais je ne voulais pas m'y faire, jusqu'à me rendre à l'évidence. Ils l'ont tous bien pris, à mon grand soulagement.

Mon coming-out a été comme une renaissance. Je n'en reste pas moins viril pour autant, je veux dire, je vais pas finir dans une émission de Ru Paul ou dans un cabaret transformiste. Ca n'a pas changé, simplement libéré.
Adolescent, j'ai appris toutes les petites histoires du musée de l'occulte. Mémé Lorraine m'a tout expliqué, dans les moindres détails, avant que j'en sois le guide durant mes vacances d'été. Qui de mieux qu'un Warren pour expliquer l'existence des Warren ?
Je suis tombé amoureux plusieurs fois, entre mes seize ans et mes vingt ans. Des amours charnels, des amours purs, des ruptures violentes, d'autres plus simples. J'ai appris surtout que l'amour n'avait rien de simple, que ce n'était pas seulement des jolies choses ici et là. Aimer, c'est souffrir, c'est laisser à l'autre l'occasion de nous blesser. Mais c'est se sentir vivant. Aujourd'hui, je suis libre, je me laisse porter.
L'année dernière, au mois d'avril, j'ai perdu ma plus grande source d'inspiration. Lorraine s'est éteinte à 92 ans, ce qui est un bel âge, j'en conviens. C'est grâce à elle que j'ai choisi d'étudier la théologie. C'était pas pour l'amour de la religion, mais pour prouver que l'occultisme est bien présent dans toutes les sphères religieuses. Certains crieraient au blasphème, d'autres partageraient mon point de vue, et il y auraient les septiques, qui pleurent de peur devant Paranormal Activity. Qu'on y croit ou non, ça ne change pas les faits. Il y a des anges, il y a des démons. Le bien et le mal, le noir et le blanc, Dieu et le Diable, le Ying et le Yang. Sans mal, il n'y a jamais de bien.
C'est là-dessus que repose mon étude harvardienne. Et c'est comme ça que les gens me prennent un peu pour un fou.
Quand j'ai quitté mon Connecticut natal pour le Massachusetts, que j'ai comparé Monroe à Boston, je me suis senti infiniment petit et insignifiant. Mais je me suis rapidement habitué à ces bars qui ferment tard, ces boîtes de nuits où est prônée la tolérance, ces gens souriants, ces mecs plutôt bien foutus. Bref, j'aime ma vie ici désormais, et je ne compte pas retourner tout de suite dans cette petite ville qui m'a vu naître et qui a vu disparaître ces monstres sacrés du paranormal.