La suggestion lancée, il n'en faut pas moins pour que Maureen m'entraine par la main vers l'intérieur de la boutique, semblant prête à essayer ce pantalon crème qui a su capter son attention et peut-être lui promettre un look d'enfer pour la soirée qui s'annonce.

- Chto!? (Quoi!?) Lâchais-je sans filtre, un accent russe prononcé prenant le premier pas avant que je ne me reprenne dans la langue de Shakespeare : Je te demande pardon? La questionnais-je, plus que surprise.

Mais c'est pas moi qui avait l'oeil dessus, c'est elle! On est ici pour elle. Je ne veux même pas savoir de quoi aurait l'air le montant indiqué au bas de la facture si je devais prendre ne serait-ce qu'un vêtement ici. Les murs immaculés, les planchés lacqués et luisants, les rayons qui ne proposent que des vêtements qui semblent venir en exemplaire unique… Ça porte à croire que les zéros pourraient cumuler assez vite.

Je n'ai cependant pas le temps d'émettre la moindre objection que le rire amusée de mon amie me fuit entre les différents étalages pour ...trouver une perle rare sans doute. Abandonné au regard de la vendeuse, je ne suis pas dupe que mon jeans un poil trop grand, mes baskets pailletées et ma chemise sans forme passée sur une camisole coupée main, sont loin d'être le genre de style de sa clientèle habituelle. Le sac de cours en toile colorée, piquée de macarons diverses ne l'impressionne probablement pas plus, mais bon, j'ai l'habitude. En quelque sorte. Des regards plus hostiles pour de toute autres raisons m'ont forgé une carapace pour son attitude dédaigneuse.

Voyant revenir Maureen les mains vides, j'en suis vaguement soulagée. Je n'aurais pas voulu faire pleurer mon compte en banque pour lui faire plaisir, mais j'aurais probablement eu de la difficulté à le lui refuser si elle m'avait paru plus qu'enthousiaste pour une quelconque tenue à me faire essayer et garder pour la soirée. Cependant, la présente boutique ne semble pas l'enchanter, m'indiquant même qu'elle en chercherait une nouvelle, me questionnant sur ce que je peux bien aimer. Muette, j'en ferme les jointures, tapotant du poignet contre le côté de ma cuisse en un mouvement nerveux. Entre les grands designers fashion qu'elle aime et les friperies que je fréquente, peut-on trouver plus éloigné? Je vous le demande! Outre décidé de se lancer dans le nudisme intégrale? Non, je ne crois pas qu'on puisse faire mieux. Les excuses formulées me tirent néanmoins de mon malaise, me faisant rire doucement.

- Au description que tu me donnais à tous moments dans tes lettres au sujet de tes tenues, crois-tu vraiment que tu m'étonnes, me moquais-je gentiment.

Après tout, même si ce n'est pas le grand sujet de discussions, on ne peut pas nier que les vêtements et style font parties intégrantes de nos échanges. Que ce soit les nôtres ou celui de x ou y vedette ou artiste. Parfois la lettre arrivait avec un temps de retard sur la vague de popularité, mais c'était tout de même plaisant.

De retour à son application, j'en plisse les yeux et fronce légèrement le nez pour voir ce qui est écrit sur l'écran qu'elle me tends.

- Je ne connais pas, non, avouais-je en me redressant, m'étant légèrement penchée vers l'écran sans m'en rendre compte, reprenant une expression plus normale. Tu veux qu'on aille voir? Proposais-je, faisant déjà un pas vers la porte.

Riant doucement, j'en penche légèrement la tête sur le côté, faisant glisser certaines mèches de cheveux sur mon épaule par le fait même. Sans qu'elle n'aie besoin de me l'expliquer de vive voix, je savais que je devais m'attendre à ce qu'elle soit plus prompte aux changements et, ce, parfois même sur un coup de tête. Si, depuis des années, j'essaie de me fondre dans la masse, de ne pas attirer l'attention sur moi pour simplement vivre ordinairement, j'ai facilement compris, au fil de nos échanges, que Maureen est beaucoup plus fonceuse et n'hésite pas à se mettre au premier rang. S'il fallait comparer avec une mise en scène, elle ferait sûrement partie des grands noms de la distribution alors que ...je me complairais probablement en tant qu'éclairagiste ou même souffleur de texte. C'est ainsi que je le perçois. Après, peut-être aie-je tord d'un bout à l'autre, je vous laisse juger, mais c'est tout de même une évidence que Mau' et moi n'avons pas le même caractère. Du tout. Et pour ma part, je trouve ça très bien.

Bras dessus, bras dessous, mes pas au même rythme que les siens, je suis mon amie sans trop me soucier de l'où on peut bien aller. Je ne suis pas une habituée de toute ces boutiques, mais, en vérité, ça ne me tueras pas non plus d'en faire le tour avec elle. Et puis, la bonne humeur dans laquelle cette virée shopping semble la plonger est très communicative!

Un éclat cristallin franchi mes lèvres, coupant la moindre inquiétude qu'elle peut avoir sur le sujet. Ou du moins, je l'espère, car elles n'ont pas raison d'être.

- Si tu ne voulais pas être mon amie, il fallait arrêter de m'envoyer toutes tes lettres quand le programme scolaire s'est terminé! Lui indiquais-je, amusée.

Les yeux pétillants, le pas souple et légèrement dansant, j'accélère en l'entrainant un peu plus avant, la tirant presque pour la motiver à nouveau à rejoindre le quartier visé pour la tournée qu'elle planifie selon l'ordre de ses envies. Son regard est facilement attiré par les grandes vitrines, plus chics que je n'en ai l'habitude, les costards-cravates côtoyant les robes de soirées et autres tailleurs ornementés alors que je me contenterais bien d'un jeans ou d'un simple chemisier si besoin. Cependant, voir ces pièces fièrement mise en avant sur les mannequins me rappelle les soirées de gala devant lesquels j'aime bien m'installer par moment, pour rêver en quelque sorte. Comme n'importe qui, j'imagine.

L'excitation de Maureen atteignant un paroxysme, je n'ai même pas besoin de voir les iconiques initiales pour deviner devant quelle boutique nous sommes arrêtées. Pas plus que je n'ai le temps d'en placer une lorsque mon amie m'explique que c'est un rêve devenant réalité.

- Bien sûr qu'on entre, m'exclamais-je, sinon, je vais craindre que tu n'exploses, ajoutais-je en la poussant vers l'intérieur, m'amusant de ses sautillements. Elle est comme un enfant, bourré de sucre, qui attends l'ouverture de ses cadeaux au matin de Noël! Qui oserait lui dire non?

Un rire m'échappe alors qu'elle me prévient qu'elle pourrait bien tout dévaliser. Tant qu'elle ne me force pas à acheter quoique ce soit, je n'ai aucun problème à l'aider à porter ses sacs. Je peux même me prêter au jeu et essayer ci ou ça, mais soyons honnêtes, on sait bien que je ne ressortirais du magasin avec de telles étoffes. Et je ne suis pas de celles qui paient le morceau pour sauver les apparences et cherchent à le rendre le lendemain pour essayer de payer leur loyer. Je sais comment cacher les étiquettes pour sortir le temps d'une virée, caché les tâches, refaufiler des fils tirées, ce n'est pas là le problème, je l'ai fait un nombre incalculable de fois pour mes copines à Chicago. Mais je n'aime pas ce principe. Je ne me sens jamais à l'aise dans ce que je porte, je dois toujours surveiller à ne rien briser, effilé, tiré… Autant vérifié chacune de ses respirations! Ça nous empêche de profiter pleinement de la soirée. J'ai préféré apprendre à retoucher les morceaux récupérés dans les friperies et savoir ou se trouvent les bonnes adresses pour trouver des trucs à prix minimes. C'est plus pour moi.

Le clin d'oeil de Maureen me fait tourner la tête vers les deux types dont elle parle, par réflexe, croisant le regard de l'un deux, ayant droit à un sourire de sa part, j'en rougis violemment et j'en tire presque Mau' plus loin afin qu'elle ne se mettent pas en tête d'aller leur parler et de s'arranger pour qu'ils soient nos cavaliers pour la soirée!

La convaincre de s'enfoncer au milieu des différents étalages n'est pas tellement difficile, cependant, elle semble flotter, complètement sur un nuage de bonheur dont je n'ai pas tellement envie de la faire descendre. Alors je la suis, le sourire ne pouvant totalement quitter mes lèvres de la voir ainsi heureuse tandis qu'elle m'entraîner dans les rayons. Ses doigts s'égarent sur les tissus, alors que j'en suis plutôt à essayer de ne rien faire tomber. Il ne manquerait plus que ça! Pourtant, je ne peux empêcher mes yeux de glisser sur les vêtements, d'apprécier les variantes de tissus et de couleurs. C'est vrai que c'est beau, tantôt plus sport, plus jeune, tantôt ô combien chic, digne d'Audrey Hepburn avec sa classe naturelle. Me prenant à fredonner Moon River inconsciemment, j'en sursaute légèrement lorsque mon amie m'interpelle. Mes pas errants me ramenant vers Mau' je ne peux m'empêcher de sourire un peu plus en reconnaissant les goûts de mon amie, appris ici et là au fils des lettres échangées.

- Vraiment jolie, soufflais-je. Tu seras magnifique avec.

Comme si elle ne l'est pas déjà! Je suis certaine qu'elle arriverait à avoir du style peu importe ce qu'elle porterait! Lorsqu'elle me questionne sur ce que j'ai bien pu trouver, je lui pointe une simple jumper dress noire à larges boutons dorés mis sur un mannequin avec un chemisier blanc-rosé semi-transparent à col noir. C'est simple, délicat, mais félin à la fois et mes yeux y retourne toujours.

Surprise, je vois Maureen faire signe à la vendeuse de mettre de côté l'ensemble que je viens de lui pointer. Oui, je peux bien essayer pour lui montrer. À dire vrai, je serais curieuse aussi de voir ce que ça pourrait donner autrement que sur un mannequin immuable et sans vie. Jaugeant nos tailles, la représentante ne semble avoir aucune hésitation pour piger les pièces qui conviendrait. M'apprêtant à la suivre vers les cabines, je ne fais pourtant pas un seul pas puisque Maureen décrète que ce sera ma tenue.

...Chto!?

Soufflée, figée un instant sur place, je vois mon amie se diriger vers la caisse et régler une note qui doit être des plus salés. Ce n'est que lorsque je réalise la véracité de la chose et que mon amie se dirige vers l'extérieur, que mes pieds acceptent finalement de se défaire de leur enceinte de béton imaginaire et que je la rattrape presqu'à la course avant qu'elle ne passe les portes.

Sans flancher le moins du monde par le montant qui s'est vu retirer de son compte, elle m'indique qu'elle aimerait encore compléter la tenue avec les souliers assortis. Du Louboutin, rien que ça! Je l'admets, ces chaussures sont à faire rêver! Qu'il s'agisse de "simples" Sandale du Desert , au pump Private Number , en passant par les bottes Suzi Folk ou les indéniables merveilles de collections en éditions limitées… les semelles rouges viennent toujours apporter LA touche finale à une tenue. C'est indéniable. Seulement...

- Mau' attends, s'il-te-plaît, fis-je en la retenant pas la manche alors qu'elle serait probablement déjà prête à s'élancer vers cette nouvelle boutique qu'elle a déniché et qui, vendant du rêve, promet aussi que j'en vendrais un rein si je devais payer un article. Du moins, c'est l'effet que j'en ai. J'ai… commençais-je avec hésitation. Je n'ai pas ce genre de budget, articulais-je finalement, les joues rosies. Ça me prendrait déjà plusieurs paies pour te rembourser l'ensemble que tu viens de payer, expliquais-je en relevant progressivement le regard.

La carte de crédit dormant au fond de mon portefeuille ou même les chiffres inscrit à mon compte en banque diraient peut-être l'inverse, mais je n'ai pas l'habitude de dépenser d'aussi hautes sommes. Pas en une fois. Pas pour ça, non plus.