Tu les regardais par dessus l'épaule de l'infirmière et ton corps s'anesthésiait. Tu sentais l'engourdissement se saisir peu à peu de tes membres, t'immobilisant là, au milieu de ce couloir. Le feu avait cessé de crépiter, il y a bien longtemps déjà. A vrai dire, ta flamme a été terrassée lorsque la bombe avait explosé. Dans cette éruption mélangeant les débris, les corps et les coeurs, les moeurs et les morts, le souffre avait soufflé sur l'ardeur qui animait tes braises. Tu n'étais plus qu'un corps, un corps sans flambeau. Il était triste pour un astre solaire de s'éteindre ainsi. Seulement ta destruction avait commencé il y a bien longtemps déjà, Stella. C'était ce soir là, lorsque la balle avait traversé ta jambe. C'était des petits bouts de toi qui s'étaient envolés, laissant un souvenir amer du passé. Depuis cette obscurité, tu ne faisais que semer des morceaux de vie ici et là. C'était peut-être pour qu'ils se souviennent de toi, parce qu'au fond de toi, tu savais qu'il ne te restait plus assez longtemps pour que ton nom soit allié à la plus belle des soie. T'observais l'unique astre de votre univers, il s'approchait de toi, il s'aventurait même à essayer de recoller les morceaux qu'il avait pu trouver à terre. Ironique lorsqu'on pensait au fait que c'était lui qui avait entamé la destruction de l'étoile blanche. Cette étoile qui, fatiguée et lassée, avait fini par brûler le peu de ressources qui lui restait. C'était écrit là-haut, Stella, ce n'était pas uniquement à cause de toi. C'était les astres, ils l'avaient écrit, ne te laissant aucun moment de répit. Alors tu regardais cet homme qui s'aventurait vers toi, se fichant bien d'entendre que tu étais fatiguée. Peut-être devrait-il y faire plus attention, Stella, n'est-ce pas ? Tu le regardais, droit dans les yeux, et tu ne ressentais plus rien. Ce n'était plus de la haine, plus de l'amour, uniquement de l'indifférence. Tu étais déjà morte, tu ne crois pas ? T'observais ses lippes prononcer un prénom qui fût le tien, autrefois. Tu fronçais les sourcils, légèrement. Il était agaçant, il frôlait le ridicule et tu soupirais. Qu'est-ce qu'il pensait trouver ? Alors que toi, Stella, tu le savais qu'il n'y avait plus rien à récupérer. Tu l'écoutais débecter les mots, ça sonnait presque comme une insulte à ton égard. Mauvais regards. Pourquoi revenait-il vers toi lorsque toi tu avais décidé de quitter la partie ? Il pensait retrouver quelque chose que lui-même avait abandonné ? Si t'avais la force, tu lui rirais à la gueule. Et ce corps qui ne répondait plus, ce corps qui s'attardait, ce corps qui s'enfonçait. T'étais entrain de tomber, lentement, juste assez de temps pour observer le spectacle qu'ils t'offraient. Et tes mots s'élançaient, comme des balles sans cible, cherchant à atteindre des coeurs volatiles eux aussi. "Si j'avais eu un frère, il serait venue à mon chevet lorsque j'étais entrain de crever". Le ton sec, les yeux qui commençaient à tourner. Tu voyais Lucrezia qui pleurait, juste à ses côtés. Il n'avait jamais été question de toi, Stella. Peut-être avais-tu simplement permis à ceux deux-là de se rencontrer. Ça te donnait la nausée, tu devrais faire attention à ne pas tomber. Pas cette fois, pas encore une fois. La fois de trop. T'entendais le monologue, t'écoutais à peine. La pièce divaguait, les souvenirs s'emmêlaient. "Je.." Tu serrais la perche plus que jamais, tes phalanges blanchissaient, tes dents se serraient. Tu manquais de force, Stella. Et puis tu sentais le soleil d'Italie sur ta peau, et la douleur vive qui se perchait là-haut, dans ton cerveau. Tu secouais la tête, un pas en arrière, tout était de trop. Besoin de toi, besoin de toi, besoin de toi. Tes genoux rencontraient le sol, arrachant la perfusion qui se logeait dans ton bras. Tu les regardais, une dernière fois, espérant que cette fin soit la dernière. Il était temps de t'en aller, Stella. Et ton corps s'échouait, comme un SOS qui n'avait jamais eu la chance d'être interceptée. L'infirmière appelait à l'aide, tu pouvais l'entendre, parce que c'était la seule que tu voulais bien écouter. Ella attrapait ton corps avant que ta tête ne s'écrase violemment contre le sol. Peut-être pensait-elle qu'il y avait encore une once d'espoir ? Ils s'affolaient à tes côtés, et toi, ton esprit s'en était déjà allée. À la prochaine que tu pensais.