DIX-HUIT ANS. A travers le miroir orné d'or, t'observais ton reflet. Tes yeux topaz parcouraient ton image, tu te devais d'être parfaite Stella. Ton chignon tressé ne voyait aucune mèche dépasser, ta robe Valentino épousait parfaitement les courbes de ton corps d'adolescente, ton teint de poupée étincelait. Tu souriais face à ton portrait, tu brillais, ce soir c'était ta soirée. Gabriella s'immisçait derrière toi, ton collier Cartier mélangeant perles et diamants venait souligner la valeur de ton corps, de ton coeur. Les invités s'affaissaient dans la demeure Cavalero, palace du textile fusionnant argent et beauté, luxe et fascination. Ils étaient tous là ce soir, pour t'observer, te juger, t'embrasser, te féliciter. La cadette de la famille grandissait, la majorité c'était le ticket final pour entrer dans le cercle fermé de l'élite italienne. Stella tu descendais les marches de marbre le regard déterminé, les prunelles de milliardaires s'étincelaient. T'étais le bijou de la famille Cavalero, tu connaissais les cérémonies, tu connaissais les enjeux, tu connaissais les apparences. Tu n'avais jamais décliné cette responsabilité, respectant bien plus les traditions que ton frère ainé. Ce n'était pas sans te déplaire, Stella. Et ta récente majorité indiquait également que les plus beaux partis de l'élite pouvaient s'intéresser à toi, amour déguisé, amour conseillé, amour dirigé. La grâce de ton corps de danseuse les éblouissait, les hommes te désiraient, les femmes te méprisaient. Ils te regardaient tous, sans exception, mais toi le seul que tu voyais, c'était ton ainé. Tu lui adressais ton plus beau sourire, et t'étais belle Stella, t'étais l'être parfait que tu devais être.

LE JOUR. Tu serrais tes cheveux, remettais en place tes vêtements de danse. Tu n'étais pas en retard, tu ne l'étais jamais lorsqu'il s'agissait d'être au studio. Tu échauffée ton corps, le préparant aux divers mouvements que tu allais effectuer. Ta professeure t'observais du coin de l'oeil, le regard bienveillant. Tu étais sa préférée Stella, même si parfois, elle t'en faisait baver. Elle voyait en toi la danseuse, l'étoile montante, l'étoile filante. La gloire était à ta portée, elle le savait, elle. Alors tu donnais tout ce que t'avais, tu tirais au fond de toi tes émotions, ton arrogance et ta détermination, ta fragilité et ta sensibilité. Tu versais tes tripes sur le parquet lustré, t'enlevais les artifices sur ton corps, tu te dévoilais comme jamais. T'allais auditionner pour la Juilliard School, tu ne pouvais plus reculer, être effrayée. Prendre ton destin en main, ne pas le lâcher, le provoquer jusqu'à y arriver, c'était ça ta destinée.

LA NUIT. Tu tirais légèrement sur ta robe à paillettes pour couvrir ton entre-jambe, elle était sans aucun doute trop courte mais peu t'importais. Tu rigolais à gorge déployée, la nuit t'allait si bien au teint. La bouteille de champagne entre ta main, tu buvais au goulot comme une assoiffée. Ton corps se trémoussait, la musique te saisissait, tes talons tu les jetais, tu t'en fichais. La jeunesse dorée italienne savait s'amuser, et toi Stella t'y avais ta place comme si tu en étais la reine. On adorait faire des soirées à tes côtés, l'ange se diabolisait. Tu embrassais cette fille à l'envolée, demain tu n'aurais aucun regret. Et tu dansais, encore, encore, encore. Tu tournais sur toi-même aux rires enjolivés. Demain maman allait te gronder, encore fallait-il qu'elle ait remarqué que tu t'étais sauvée pour toute la soirée.

UN JOUR. C'était allé si vite que tu ne savais plus comment tout c'était passé. L'absence de ton frère créait des insomnies, puis les bruits s'étaient éveillés, tu t'étais affolée, t'avais déboulée. Tu te revoyais simplement au milieu de l'entrée, ta mère hurlait, ton père tirait. Tu te rappelais du sang, de la détresse des hurlements. Tu te souvenais de la douleur, de ta peur. Tes yeux s'étaient ouverts face au blanc immaculé, les souvenirs jaillissaient, ton corps s'emballait mais ne pouvait plus bouger. Tu ne savais plus, tu ne savais pas, tu ne te rappelais pas. Maman était morte, et toi Stella, ton état n'en était pas si loin que ça. La danseuse n'était plus, la jambe était touchée, ta tête chavirait. On t'avait enlevé tes espoirs, ta passion, ton avenir. On avait tué ta jambe, tu ne pouvais plus danser, Stella. Et maman, elle n'était plus là. Et Cosmo, tu ne l'attendais plus. Pourquoi ne revenait-il plus ? Tu pleurais, tu pleurais en espérant crever. Mais les Cavalero, c'était une famille plus forte que cela. Malgré la une des journaux, malgré le drame familiale, malgré ce cambriolage, vous deviez vous relever. Alors tête haute et jambe blessée, t'avais continué. Stella ne tomberait pas comme ça, pas si facilement, pas si aisément. Blessée, touchée, mais pas achevée.