C'est pas mes tartines que je veux croquer mais son sourire. Je suis comme une ado amoureuse, toute gaga. Ses lèvres s'étirent alors qu'il mastique un knacki. "Y’a une première fois à tout, Bates. On commencera tout doux si tu veux. Tu verras, le monde des poupées c’est pas si brusque que ça." J'secoue la tête en riant et je croque dans mon bout de mon pain. "Même pas peur, Fraser." Je rirai sûrement moins quand je me retrouverai tout en haut du rollercoaster, face à la descente à pic. Je me remplis la panse, je fais mon stock d'énergie pour la longue journée qui nous attend. Et un visiteur surprise se joint à nous. Callum glousse comme un gosse, je tourne la tête. Le capitaine Crochet vient poser ses fesses à côté de nous, passe son bras autour de mes épaules. Il est entreprenant le corsaire ! "Bas le crochet, Pirate. Cette sirène est la mienne !" J'deviens rouge pivoine, toute crispée alors que j'sens le crochet en plastique près de mon cou. Callum dégaine son portable pour immortaliser le moment, j'rentre ma tête cramoisie dans mes épaules, comme une tortue. J'suis sûre que Callum sera le genre de père à embrasser Jane juste devant le portail du collège, devant tous ses potes. Crochet pose avec moins le temps de la photo et puis part à l'abordage de la table voisine, je le regarde partir et je sens déjà que mon visage reprend une carnation normale. "Des inconnus vont venir nous câliner toute la journée ?" Je lance mi-amusée, mi-inquiète. Pas que ça me mette mal à l'aise, hein, mais quand même. Callum me sourit, l'oeil taquin et puis je ris, je me sens con. Je bois une gorgée de mon verre de jus et puis j'esquisse petit sourire en coin : "Ta sirène ?" Je gousse en reprenant un bout de tartine. Callum finit son assiette en un temps record, reprend deux, trois trucs à grignoter au passage, je finis mes tartines, on salue le capitaine Crochet et on est dehors. Mon bras enroule celui de Callum, je plonge mes mains au fond des poches de ma doudoune, je planque mon nez dans le col de mon pull et c'est parti ! "Je te suis, emmène moi n'importe où, et j'ai bien dit n'impooorte où." Parole d'une nana qui a jamais mis les pieds dans un parc d'attraction. On passe devant le bateau pirate de Crochet, la cascade des sirènes, et puis fini l'univers Peter Pan : on atterrit dans un monde oriental, des couleurs chaudes, des minarets, puis les voix d'Aladdin et Jasmine projetées par des amplis fixées en haut de poteaux ornés d'épices. N'importe où, n'importe où. N'empêche que j'aperçois, au loin, une tour qui s'élève très haut, j'ai l'impression de pas voir le bout, des milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes. Fixé en haut de cette tour, un tapis volant, et sur ce tapis volant : putain, mais je rêve ? Des gamins qui hurlent alors que le tapis chute vers le sol à vitesse grand v. Je savais même pas que ce genre de trucs existaient. Les gens aiment vraiment s'infliger ça ? Je tourne la tête vers Callum, je vois le sourire de gosse qui fend son visage, ses yeux qui pétillent. Merde, je veux pas me dégonfler.

Alors que Crochet détale pour aller enquiquiner une autre table, le visage de Roxanne reprend quelques couleurs. Tu ne l’avais pas vu blêmir à l’arrivée du pirate, tellement content de voir des personnages. Des inconnus vont venir nous câliner toute la journée ? Tu souris avant d’écarquiller les yeux comme si sa question n’avait aucun sens. C’était l’idée d’un petit dej dans ce restaurant en fait, avec les personnages déambulant de tables en tables. lui réponds-tu en hochant la tête. Et puis ce n’sont pas des inconnus, c’est le Capitaine Crochet ! ajoutes-tu en mordant dans un pain au chocolat. Quand t’étais gamin et que tu passais tes vacances en France, nombreuses étaient les fois où tu avais visité Disneyland Paris. Tes parents possédaient un album avec d’innombrables photos de toi et divers personnages dans les allées du parc dont la réputation n’est plus à faire. Ta sirène ? reprend Roxanne en faisant référence aux quelques mots que tu as eu à l’intention du pirate. Absolument. La plus sexy de toutes. réponds-tu sans quitter son regard une seule seconde.

Je te suis, emmène moi n'importe où, et j'ai bien dit n'impooorte où. Serrés l’un contre l’autre, vous déambulez dans les jolies rues du parc où tout est pensé dans les moindres détails. La maison d’Halloween a laissé place à celle de Noël et c’est de nombreux bonhommes de neiges aux célèbres oreilles qui ornent les vitrines des différentes boutiques et les nombreux coins de verdure. Par endroit, de faux flocons de neige vous tombent sur les épaules. Ailleurs, ce sont d’énormes cadeaux qui attirent votre attention. Même l’immense château semble respirer les fêtes de fin d’années. Hm, un incontournable : pirates des caraïbes ! lui réponds-tu en tournant la tête vers elle et l’entrainant sur la gauche, loin de cette tour qui semble lui donner le vertige rien que d’y penser. Ce sera pour plus tard, elle n’y échappera pas. – J’en profite pour remarquer que j’ai VRAIMENT un problème avec les pirates, j’te jure ! – Vous entrez dans la file d’attente et marchez, marchez, marchez… jusqu’à arriver en quelques secondes derrières les gens qui attendent. Peu de monde, c’était agréable ! Etonnant pour un samedi. Prête à rencontrer Jack Sparrow mademoiselle Bates ?.. vas-y, grimpe. dis-tu non sans en profiter pour lui coller une petite main sur les fesses lorsque c’est à votre tour de grimper dans un des nombreux bateau du ride. Tu t’installes à ton tour et passe un bras autour des épaules de Roxanne, l’appuyant contre le siège. C’est vraiment la première fois que tu viens à Disney, Rox ? lui demandes-tu comme si tu ne l’avais pas cru la première fois et que le bateau démarre.

Je vois même pas tous les sapins, les cadeaux, les petits bonhommes de neige, tous ces bonnes choses qui respirent l'esprit de Noël et qui font sourire mon homme comme un enfant. Non, moi je vois que cette tour, ces gens qui hurlent, je m'y vois déjà, arnachée, la poitrine comprimée par le harnais de sécurité, aux portes de la mort. On semble s'en rapprocher toujours plus, sans m'en rendre compte, je broie la main de Callum, resserrant mon emprise à chaque pas qui nous rapproche de ce pylône de l'horreur. Et finalement, à un carrefour, c'est la virée à gauche : "Hm, un incontournable : pirates des caraïbes !" Me lance-t-il tout heureux, alors je hoche la tête. "Oui, oui les pirates, parfait." Je suis rassurée, on s'éloigne de ce tapis volant, toujours plus loin et mon visage se décrispe. -numa et roxanne se réuniront sans doute dans le j'en-ai-gros-sur-la-patate-des-pirates-club- On passe sous une grosse voile blanche, "Pirates des Caraïbes" en grosses lettres rouges. On quitte l'animation que je connais comme ma poche, pas de princesses ou de Peter Pan par ici, mais je fais confiance à Callum, puis je suis comme une gosse moi, qu'il me fasse faire tout et n'importe quoi, tant que j'ai les pieds proches du sol, je devrais apprécier. Une file d'attente, évidemment, on peut pas avoir le parc pour nous tous seuls. Un petit quart d'heure, rien du tout pour les standards du parc, mais je m'impatiente, je sautille sur place. Finalement, le bateau arrive devant nous. "Prête à rencontrer Jack Sparrow mademoiselle Bates ?.. vas-y, grimpe." J'embarque, je sens sa main qui se pose sur mes fesses, je rougirais presque en lançant un regard aux deux gus assis qui embarquent derrière nous mais je le regarde juste en souriant, un petit sourire de garnement qui me plisse le bout du nez : "Fais gaffe, je vais m'enfuir avec lui, tu me vois bien en corsaire ?" Moi pas du tout. Mais alors pas du tout. Je crois que je serais physionomiquement incapable de braver les tempêtes ou combattre des méchants au sabre. Il passe son bras autour de mes épaules, on s'enfonce au fond du siège alors que la barque s'avance sur l'eau. "C’est vraiment la première fois que tu viens à Disney, Rox ?" Je hausse un sourcil, un petit sourire en coin. Alors comme ça il m'a pas cru ? Je hoche la tête, je fais remonter ma main contre la sienne, posée sur mes épaules, je joue avec ses doigts. "Heureusement que tu l'as pas rencontrée, ma mère, finalement. Pas le genre à aller à Disneyland." Je ris, je lui arrache un petit bisou. Et... "AH !" Je laisse échapper un cri, dans mon champ de vision directe, une statue mouvante qui agite un sabre en faisant une grimace affreuse. Elle effraierait même pas Jane. "Je me suis laissée surprendre !" Je glisse à Callum, les joues empourprées. Qu'il s'avise pas de me charier lui, je le sens venir.

Fais gaffe, je vais m'enfuir avec lui, tu me vois bien en corsaire ? La jambe de bois, le cache œil, le perroquet sur l’épaule et le tricorne sur la tête, alors là pas du tout. Tu rapproches tes lèvres de son oreille pour lui murmurer : En corsaire surement pas mais alors en corset… Tu te mords la lèvre avant de secouer la tête pour chasser cette merveilleuse image. Tu lui souris chaleureusement tandis que la petite embarcation s’élance sur l’eau dans un parcours sombre à la rencontre des pirates et tout ce qui s’en rapproche. Heureusement que tu l'as pas rencontrée, ma mère, finalement. Pas le genre à aller à Disneyland. C’était triste. Disney ou n’importe quel parc d’attraction. Enfin c’était quand même de quoi passer une super journée en famille. Alors peut-être qu’ils n’avaient pas les moyens quand Roxanne était enfant, et ça excusait un peu tout ça. Mais quand même. J’espère que t’y prendras goût et que tu seras le genre de mère à adorer ça ! Et le couinement de Roxanne qui t’arrache un ricanement moqueur. Je me suis laissée surprendre ! Elle tente de se rattraper tant bien que mal mais trop tard : Roxanne était la fille la plus peureuse qu’il t’ai été donné de rencontré et tu allais prendre un malin plaisir à utiliser cette info-là. T’es sérieuse ? dis-tu d’un haussement de sourcil tandis le bateau est en pleine ascension d’une côte. Et qui dit montée dit descente, hein. Tu connais cette attraction comme ta poche et tu te gardes de prévenir Roxanne de la descente imminente après un court retour au calme. Et hop là, c’est parti pour une glissade en bateau. Le flash de la photo s’active, t’as les bras en l’air, t’es heureux. T’es impatient de voir la tête de Roxanne à la fin du parcours. Quelques gouttes d’eau vous sont arrivées dessus, rien de bien méchant. T’as vu un fantôme, Bates ? la taquines-tu en déposant un baiser sur sa tempe tandis que la scène finale avec Jack Sparrow sur un énorme trésor se dévoile sous vos yeux. Alors, ça t’as plu ? lui demandes-tu en lui tendant la main pour l’aider à descendre du bateau.

"En corsaire surement pas mais alors en corset…" Je le vois se mordre la lève, un petit sourire vient étirer mes lèvres. Je note. Le bateau part sur les flots, la barque tangue un peu et on plonge dans le noir. "J’espère que t’y prendras goût et que tu seras le genre de mère à adorer ça !" J'ai envie de lui répondre que tant qu'il est là, je serai le genre de mère à aller à Disneyland, à partir au bout du monde sur une île de pêcheurs, à rester pour toujours une enfant. J'dis pas ça, je hoche la tête en souriant. "Arf non, moi je suis le genre de mère à faire manger des brocolis et faire des dictées le vendredi soir !" Bon, la partie sur les brocolis, j'avoue. Je tourne la tête, je suis face à face avec une statue de pirate. Redoutable. Le petit cri que j'ai laissé échapper était ridicule, je le conçois. Les gogoles derrière nous pouffent de rire, je tente de me justifier, comme une enfant vexée. "T’es sérieuse ?" Je sens notre embarcation s'incliner brusquement. La barque monte, monte, sur le cliquetis des rails métalliques sous l'eau. En bonne matheuse, je fais vite l'équation : quand ça monte, ça descend à un moment. J'me cramponne de toutes mes forces au bord du bateau, je suis toute raide dans mon siège. Mais non, la descente ne vient pas, on regagne une horizontale confortable, je me détends, je souris à Callum. Et... Putain, mon coeur remonte jusqu'à mes oreilles. La descente d'un coup, sans prévenir. J'arrive même pas à hurler comme les gamins assis devant nous. Je ferme les yeux de toutes mes forces. Je vois rien, je sens juste des gouttes d'eau qui me tombent sur le front, mon palpitant qui déraille et puis Callum en extase à côté de moi. De nouveau à plat, je desserre les lèvres, j'ouvre les yeux, je secoue la tête. "T’as vu un fantôme, Bates ?" J'ai la bouche grande ouverte, je dois le regarder avec une sacrée tête. Il vient me déposer un baiser sur la tempe alors que je découvre, les yeux écarquillés, un pirate assis sur un tas d'or. On arrive à quai, Callum bondit hors du bateau, faut croire qu'il a encore la pleine maîtrise de ses jambes. Il me tend la main, en vrai gentleman, moi je me sens un peu chancelante. "Alors, ça t’as plu ?" Je crois que ma réponse, spontanée, m'étonne moi-même : "Trop bien." La réponse de la gamine de cinq ans qui vient de sortir du carrousel. Malgré mon petit-déj qui remue dans mon estomac, je suis trop heureuse. Je retrouve un peu mes esprits, je sens mon coeur qui ralentit, puis progressivement cette euphorie à la sortie du manège. Attends, mais j'aime les sensations fortes où ça se passe comment ? "Trop, trop bien." Je répète avec un petit rire en regardant le rouquin, j'ai la banane, je suis trop bien. Juste avant la sortie de la grotte aux pirate, je vois tout un attroupement autour du stand photo. Callum me tire vers le comptoir, je vois ses yeux rivés sur les petits écrans. "Ils nous ont pris en photo ?" Quoi, que, quand ? On fouille les écrans des yeux et d'un coup je nous vois. "Là." Je dis en pointant une petite télé, en haut à gauche. Je suis toute rouge, les lèvres pincées, les joues gonflées, les yeux fermés. Tomate girl en apnée. Un ballon de baudruche au milieu des visages souriants. "Non, non, regarde pas ça en fait." Je crois qu'elle va éteindre la flamme cette photo. J'veux dire, je sais que je suis pas photogénique, mais alors là.

Arf non, moi je suis le genre de mère à faire manger des brocolis et faire des dictées le vendredi soir ! Tu grimaces, quelle horreur. Pauvre Jane. Les brocolis, c’est dégueulasse. Nom de dieu, va falloir que je redresse tout ça. Purement pour le bien de Jane, évidemment.

Vous retrouvez le plancher des vaches lorsque tu demandes à Roxanne si cette première attraction lui a plu. Sa réponse glisse entre ses lèvres avec un entrain que tu ne lui connaissais pas. Trop bien. Ah oui vraiment ? Un petit air surpris, mais agréablement surpris, s’imprime sur ton visage. Trop, trop bien. Elle surenchérit, même. Et bien ça alors. Tu n’aurais pourtant pas parié autant en voyant la tête de Roxanne dans la descente. Finalement, peut-être était-elle prête à affronter la tour de la terreur. De toute façon, elle n’aurait pas le choix. Si Pirates des Caraïbes était un passage obligé à Disneyland, The Tower l’était tout autant. Prête à remettre ça alors ? Ce n’était que le début. dis-tu en avançant légèrement ton visage près du sien. Vous quittez la grotte et rejoignez le point photo où s’affichent les moments capturés dans la descente. Ils nous ont pris en photo ? Tu hoches la tête et scrutes les petites télés à la recherche de votre photo. Là. Tes yeux suivent la direction du doigt de ta copine tandis qu’elle t’arrache le bras pour te faire dévier chemin. Non, non, regarde pas ça en fait. Tu ris en dégageant ton bras et te rapprochant un peu du meuble vous séparant des photos digitales. Mais pourquoi tu voulais pas que j’regarde, t’es folle ou quoi ? Cette photo vaut tout l’or du monde ! dis-tu en tendant ton pass photo à la femme qui s’occupait du stand. Tu te retournes vers Roxanne avec la petite carte entre tes mains. Ce pass sera un nid à dossiers, j’ai bien fait de l’acheter ! Des photos que tu pourrais montrer à Jane lorsqu’elle sera plus grande, des photos que tu ressortiras à votre mariage si mariage il y a un jour, le genre de photo que l’on oublie et qui ressors le jour de ses quarante ans. De merveilleux souvenirs à tous les deux, vos premiers. A ton tour de choisir la prochaine attraction, poussin. Oui, poussin.

"Prête à remettre ça alors ? Ce n’était que le début." Je fais oui-oui de la tête. Je cherche même pas à me comprendre moi-même, sûrement que mon ventre me crie d'en rester là pour aujourd'hui. J'suis dingue. Les yeux rivés sur les écrans, je cherche nos bouilles mais non, non putain. Je peux pas être aussi ratée, fin j'imaginais bien que j'étais pas réussie mais là, non. J'veux emporter Callum loin d'ici mais pensez-vous, il éclate de rire et vient se coller les rétines à la petite télé. Presque. "Mais pourquoi tu voulais pas que j’regarde, t’es folle ou quoi ? Cette photo vaut tout l’or du monde !" Mon dieu, mon dieu. S'il veut bien de moi cette nuit après ça, je crois que notre couple peut survivre à tout. J'exagère à peine. Il tend le pass à la dame de la caisse, tout sourire. Il est  bien lui sur la photo, il est toujours bien sur les photos. Il est trop beau de toute façon. Il se retourne vers moi, tout satisfait, à agiter la carte magique dans les airs. "Ce pass sera un nid à dossiers, j’ai bien fait de l’acheter !" Je secoue la tête en riant. Objet satanique. "Je sens que la répartition des dossiers va être ca-rré-ment inégale." Bon, c'est de bonne guerre. Puis peut-être que quand je serai vieille, rêche et ridée, les pirates de Disneyland me feront sourire. Le pass finit dans sa poche, je viens enrouler mon bras autour du sien et mes petits yeux se plissent, éblouis par le soleil d'hiver alors qu'on sort de cette grotte. "A ton tour de choisir la prochaine attraction, poussin." Je sais pas moi, je regarde partout, dans tous les sens. Tchou-tchou. Le petit train qui passe devant nous, qui s'arrête à une dizaine de mètres. "Tu l'accompagnes pour un p'tit tour de train ton poussin ?"

Le labyrinthe d'Alice au pays des merveilles, le déjeuner dans le restaurant du Cozy Cone, motel emblématique de Cars, fournée de marrons chauds pour le dessert, l'amour comme des voyous, planqués dans une entrée interdite au public, putain mais censurons-nous, trois-quatre photos que je n'assumerai jamais de ma vie, des rêves plein la tête. Je crois que c'est assez pour toute une vie. Pas pour Mister Fraser. L'attraction ultime nous attend : Space Mountain. Le seul nom aurait fait pâlir une Roxanne dans son état normal. Je me suis pris un coup d'amour, ou alors Callum a mis un truc sur mes tartines, je sais pas, j'accepte avec la banane. Je suis même impatiente. On se pose dans la queue. Déjà, y a trois fois moins de gosses qu'à l'accoutumée, mauvais signe. "Tu peux mourir d'un AVC dans ce genre de truc ?" Je demande ça comme ça, hein. J'insinue rien. Juste une petite question comme ça qui me passait par la tête, pour savoir.

Je sens que la répartition des dossiers va être ca-rré-ment inégale. Et elle sent bien, la Roxanne. Evidemment que tu serais parfait sur chacune de ces photos, évidemment que plus rien ne te surprenait. C’est ça de connaître le parc. Enfin bon, lui tu ne le connaissais pas par cœur, y’a des attractions qu’il n’y avait pas en France. Mais quand même. A charge de revanche, Rox. lui glisses-tu avant de lui laisser le choix de la prochaine attraction. Tu l'accompagnes pour un p'tit tour de train ton poussin ? Un tour de train ? Allons bon, si ça lui chantait.

La journée file à une vitesse assez dingue. Vous enchaînez les attractions, mangez par-ci par-là, remplissez le pass de photos que tu as hâte d’exposer dans le salon dans un beau cadre Disney acheté pour l’occasion. Vous trouvez même un petit coin interdit au public pour faire l’amour, à la volée. Bande de voyou. Et puis le jour décline peu à peu. La grande parade aura bientôt lieu, il vous reste le temps de faire… Le Space Mountain ! Tu peux mourir d'un AVC dans ce genre de truc ? Dans la file d’attente, tu t’appuies contre les petites barrières métalliques et lâche un rire France. Evidemment. J’veux dire où serait l’intérêt si on était sûr de ressortir vivant ? Tu sembles si sérieux. T’imagines un peu si c’était le cas ? Mais j’imagine que y’a des risques ouais, c’est bien pour ça que c’est interdit aux personnes avec des problèmes cardiaques. Et aux femmes enceintes. dis-tu en désignant de la tête le panneau qui faisait rappel aux règles de l’attraction. Au fur et à mesure que vous avancez dans la queue, la musique et la déco spatiale vous plongent un peu plus dans l’univers du manège. Prête, petit Jedi ? demandes-tu à ta copine alors qu’un train démarre à une vitesse folle sous vos yeux et qu’un autre arrive et se vide. C’était à vous, vous qui allez créer fort et avoir la tête dans les étoiles presque deux minutes.

Callum jubile, j'peux le voir dans ses yeux coquins. Je suis plus sur la réserve, y a mon estomac qui s'emmêle, un sac de noeuds dans le fond du ventre. Puis elle est légitime ma question, non ? "Evidemment. J’veux dire où serait l’intérêt si on était sûr de ressortir vivant ?" Ha-ha. Je hausse les sourcils avec un petit sourire en coin, je suis vraiment une andouille. "T’imagines un peu si c’était le cas ? Mais j’imagine que y’a des risques ouais, c’est bien pour ça que c’est interdit aux personnes avec des problèmes cardiaques. Et aux femmes enceintes." Il me dit en pointant le panneau juste devant nous. Noir de régles écrites en tout petit. Mes yeux le parcourent hâtivement, j'me repasse tous les les examens médicaux de ma vie. "J'me demande si je serais pas un peu cardiaque moi, tu sais j'ai un corps fragile, hein, ce que le médecin m'a dit." Je suis la plus sérieuse du monde quand je croise son regard moqueur. Puis sans mentir, là tout de suite, ça m'arrangerait. Je passe même pas pour une poule mouillée, je le retrouve à la sortie et ce coup-ci, y aura que lui sur la photo ridicule. Mais ça passera pas, mon excuse médicale de derrière les fagots tient pas debout. On avance dans la queue, un petit quart d'heure au milieu des planètes, des étoiles. Puis plus on approche, plus on entend des cris au loin. Merde, merde, merde. "Prête, petit Jedi ?" Je m'apprête à hocher la tête quand un wagon démarre juste à côté de nous, à fond les ballons. A cette vitesse, ils vont vraiment quitter la stratosphère, c'est pas possible. De toute façon, plus le moment de faire machine arrière, y a le petit portillon automatique qui s'ouvre juste devant moi et Callum qui me pousse à bord. Troisième rangée. J'aurais voulu être toute à la queue moi. Je m'assieds au bord de la rangée, j'abats mon harnais sur mes épaules avant qu'une nana aux cheveux bleus vienne me le plaquer sur les cuisses. Elle veut me couper la circulation sanguine ou quoi ? Arnachée sur mon siège, j'ai presque du mal à tourner la tête vers Callum, Pirate des Caraïbes, tout le reste c'étaient des blagues. Là, je suis carrément en panique. "C'est le moment où je te dis que je t'aime avant de mourir." Un petit rire nerveux. Le clic sous nos pieds et ça démarre. Première accélération prodigieuse qui me coupe le souffle puis on ralentit d'un coup. Je suis déjà décoiffée, j'me dis que j'ai bien été assez secouée pour une vie. Mais la chenille se met à monter, à monter. Un décor tout noir, des étoiles partout, mes yeux fouillent partout, tentent de voir la descente mais je vois rien, je nous sens juste monter, monter. Et c'est la chute. A la verticale. On tombe putain, on tombe. On va se crasher au milieu des étoiles. Je hurle à plein poumons, un cri qui vient me percer les tympans, sur-aigü. Mes mains se cramponnent à mon harnais, je ferme les yeux tellement fort que ça me fait mal aux tempes. Et puis le train revient à plat mais que pour quelques secondes, je nous sens bientôt tourner sur nous même, monter, descendre, sûrement qu'on doit se retrouver la tête en bas à un moment. Je sais pas. Je hurle. En continu, sans reprendre mon souffle, je hurle. Et viouuu, le gros coup de frein, mon corps bascule en avant. On voit de nouveau la lumière et la chenille arrive doucement à quai. Dans un clic, le harnais se lève. Tout le monde bondit hors du manège, frais comme après une bonne petite sieste. Je suis KO au fond de mon siège.

C'est le moment où je te dis que je t'aime avant de mourir. Bien attachés dans vos harnais, tu lis l’appréhension dans le visage de ta copine. Tu te souviens de la première fois que tu étais monté dans un grand huit avec looping, tu ne faisais pas le fier. T’étais avec ton frère et ce grand guedin avait été heureux de te rappeler pendant de looongs mois combien t’avais manqué de t’évanouir avant et après l’attraction. Arf, on a tous des moments qu’on souhaiterait oublier, hein ? Ce qu’il ne dit pas, c’est combien tu en avais redemandé après avoir retrouvé une couleur décente. Ouais. Un grand sourire sur les lèvres, un clic et le wagon qui démarre avec une accélération à en rester collé au fond de son siège. Une interminable montée et c’est parti. Des couleurs partout, des planètes, des étoiles filantes. Plus d’une fois vous vous retrouvez la tête à l’envers, au milieu de la galaxie. C’est la folie, tout s’enchaine, tu cris, t’es heureux. Roxanne t’explose les tympans. Tu paris qu’elle a les yeux fermés avec une force que tu ne lui connais pas. Un flash, la photo. Encore quelques sensations et le wagon s’arrête là où vous étiez quelques instants plus tôt. WOOOW ! T’extériorise en secouant la tête pour replacer ta tignasse tandis que le harnais de soulève. A côté de toi, Roxanne toute livide, reste assise le regard dans le vague. Tu vas pas vomir quand même ? glousses-tu en l’aidant à se relever. Fallait que t’arrêtes d’être moqueur, surtout dans ces moments là. Eh, ça va ? lui demandes-tu en n’ayant toujours pas de réponse de sa part, marchant lentement de l’autre côté du quai alors que les gens se pressent pour aller voir les photos. Rox, dis quelque chose, fais quelque chose !