Mon prof de droit nous avait donné une liste de bouquins à potasser d'ici Noël. J'écume la bibliothèque pour dénicher l'ultime bouquin de philosophie du droit, un pavé. Le genre de trucs qui pourraient assomer quelqu'un sans mal. Une arme redoutable. Le truc pèse un âne mort, j'ai la flemme de prendre les escaliers, je tourne la tête et je vois les portes de l'ascenseur qui se referment. D'un bond, je saute dans la cabine alors que les portes se referment derrière moi. Je lève les yeux, god, je reconnais cette tignasse cuivrée, je suis en tête à tête avec Toni Caldwell. Par-fait. J'ai les yeux rivés sur mon bouquin, je fais même mine de feuilleter un peu les pages et là. Cric, crac. L'ascenseur fait un drôle de bruit, le sol vibre sous nos pieds. Et on s'arrête. Une minute, deux minutes, ça bouge pas. Je le vois appuyer sur la clochette, ça sonne, un fois, deux fois, quinze fois mais pas de réponse. Je laisse échapper un rire nerveux. "Tu penses qu'on en a pour longtemps ?" Je fais un petit sourire sur le côté, je détache mes yeux de mon bouquin pour le dévisager. Un petit moment que je l'ai pas croisé. C'est dingue cette aptitude que j'ai à éviter mes ex. Fallait que le destin s'en mêle.

Je dois trouver plusieurs livres pour mes études en anglais pour un dossier à rendre. Je suis dans la bibliothèque à la recherche de ses fameux bouquins que je n'arrive pas à mettre la main dessus. Une galère commence à montrer le bout de son nez parce que je suis à deux doigts de tout envoyer chié. Finalement, j'ai trouvé une âme charitable qui m'aide à trouver ses deux livres. Je la remercie du mieux que je peux en faisant le moins de bruit possible pour ne pas embêter les gens présents dans cette grande pièce. Je me dirige ensuite vers l'ascenseur quand je vois que Michelle s'y trouve. C'est une de mes ex. Celle qui m'a quitté sans aucune raison valable. Je pose mon regard sur mes deux livres ... quand soudain l'ascenseur s'arrête net. Le sol vibre sous nos pieds, l'ascenseur fait un drôle de bruit. Je viens à appuyer sur le bouton pour appeler les secours. Je n'ai pas envie de rester enfermé ici avec elle. Hors de question que je lui dis un mot. Je pensais rester calme sans dire un mot or, elle en décide autrement. « Je ne l'espère pas pour tout dire. » Je n'aime pas quand le destin se mêle de mes histoires, encore moins de celle-ci.

@michelle ford

"Je ne l'espère pas pour tout dire." Putain, c'est un froid polaire qui s'immisce dans cette cabine d'ascenseur. Sans déconner, il est aussi chaleureux qu'un glaçon. Je crois que j'peux le comprendre. Le parfait petit couple, je crois bien qu'on était heureux ensemble et je l'ai quitté. Sans explication. C'était moche et j'men veux. Une minte, deux minutes, un ange passe. Il a les yeux rivés sur son bouquin, moi sur mes pieds. Je sors mon téléphone de ma poche. "Pas de réseau." je glisse en soupirant, rien que pour briser ce silence inconfortable. Silence qui reprend sa place aussitôt, sans rien demander à personne. Quoi cinq minutes à rien dire, à attendre ? "Et sinon toi ça va ? Hum, ça fait longtemps." Ouais bah bien sûr que ça fait longtemps, je romps, je donne pas d'explication et j'me barre. Numa le papillon qui s'envole loin. Une audace soudaine qui me prend, je lève les yeux vers lui, ses pommettes roses, ses yeux marrons, sa tignasse cuivrée. Ouais, définitivement, j'me souviens bien de pourquoi j'en pinçais pour lui à une époque.

Je suis glaciale avec la jeune femme, je n'ai pas envie de lui accorder la moindre importance. Comme un besoin de lui montrer ce que ça pouvait faire d'être catalogué comme un simple inconnu, un simple homme qu'on a pu côtoyé à une époque de sa vie. Mon regard est figé sur les livres que je tiens dans les bras tandis que Michelle avait le sien sur ses pieds. Elle réessaye de me parler. Je fais abstraction de ce que je venais d'entendre, je viens même à siffler dans l'ascenseur pour essayer d'oublier un court instant que je suis coincé ici avec elle. Néanmoins, la jeune femme ne semble pas avoir compris que je ne dirais pas lui parler parce qu'elle réessaie encore une fois de démarrer une discussion. « Il a fallu des mois de silence et le fait qu'on soit coincé dans ce fichu ascenseur ... pour que tu te préoccupes de moi ! tu aurais pu le demander largement avant Numa ! » dardais-je en lui lançant un regard un peu noir. Il faut que je laisse évaporer toute ma rancœur envers elle, toute la haine pour avancer dans le bon sens.

@michelle ford

"Il a fallu des mois de silence et le fait qu'on soit coincé dans ce fichu ascenseur ... pour que tu te préoccupes de moi ! tu aurais pu le demander largement avant Numa !" C'est mérité. N'empêche ça pique. Je me tais, je ravale ma langue. Je mate mes pieds. N'empêche j'arrive pas, j'sais pas faire plâner ce silence, j'veux me justifier ou me lancer dans un mea culpa, j'sais pas. "Ecoute Toni, j'ai merdé, je sais, tu méritais pas ça." J'suis une sombre connasse je sais, mais si tu savais comme j'suis perdue dans ma vie. Je sais pas qui j'aime, je reluque mes amies alors que je me suis toujours jurée que je n'avais d'yeux que pour les mâles. J'relève mes yeux vers lui. "Tu sais c'était rien de ta faute, je suis trop conne, j'ai fait n'importe quoi." Je secoue la tête. Blabla, c'est pas toi, c'est moi. Tout le monde a dû l'entendre cette excuse à la con, mais elle veut dire un truc, c'est pas des mots tous creux. "Tu me détestes ?" Aïe, j'veux pas savoir la réponse en fait. Et cette putain de boîte de fer qui veut pas redémarrer !

Je ne vois pas pourquoi je devrais être encore gentil avec la jeune femme. Elle m'a brisé le coeur en me quittant sans véritable raison. Elle m'a ignoré comme ci j'étais un pauvre inconnu qu'elle avait rencontré lors d'une soirée. J'ai un peu perdu confiance en l'amour en cause de mes échecs sentimentales. « Il était temps que tu t'en aperçoives Michelle. » Une toute première fois que j'énonce le prénom en entier de la jeune femme. La plupart du temps je l'appelle par son diminutif parce que je sais qu'elle n'apprécie pas forcément son prénom. Bref, je sors mon téléphone pour essayer de voir si j'ai du réseau pour appeler les secours, mais il n'y a rien à faire. Je suis coincé dans ce fichu ascenseur à écouter les justifications de Numa que j'aurais aimé avoir il y a bien longtemps. « Arrêtes de dire ses conneries. C'est évident que c'est en cause de moi. J'ai fait quelque chose qui t'a déplu et voilà tu m'as quitté. Point barre. » Je n'aurais pas la force d'entendre que ce n'était pas de ma faute. Étant donné que ça fait encore plus mal d'entendre ses mots-là que si j'avais réellement merdé sur toute l'histoire. « Je ne te déteste pas ! J'ai seulement encore de la rancoeur et de la colère en moi ... il faut laisser le temps faire les choses. » Il y a que le temps qui pourra panser mes blessures.

@michelle ford

"Il était temps que tu t'en aperçoives Michelle." Michelle, aïe. Déjà, on partait mal. Les gens n'utilisaient mon premier prénom, celui de grand-mère, que s'ils m'étaient inconnus ou qu'ils voulaient prendre de la distance. Je sais pas quoi répondre, j'le vois qui plonge sur son téléphone. Il semble bredouille, ouais pas de réseau, je t'avais dit. "Arrête de dire ces conneries. C'est évident que c'est à cause de moi. J'ai fait quelque chose qui t'a déplu et voilà tu m'as quitté. Point barre." Je secoue la tête. Pourquoi je l'ai quitté ? Parce que je suis une poule mouillée, j'ai dû m'attacher, un peu, beaucoup. Et puis je me suis enfuie. Je suis le connard qui s'en va quand la fille dit "je t'aime". "Point barre." Je répète ses mots en soufflant. Pas que je les approuve, j'aime pas les points barre, je sais pas, je leur fais écho. Je fuis et les choses me reviennent dans la tête. L'echo de mes bêtises. "Je ne te déteste pas ! J'ai seulement encore de la rancoeur et de la colère en moi ... il faut laisser le temps faire les choses." Je hoche la tête, ouais le temps. Mais combien de temps ? Le temps de cette panne d'ascenseur, ou le temps de nos études ? Dix minutes ou dix ans, je sais pas moi. "Je suis conne j'aurais dû revenir vers toi, on aurait pu redevenir... amis ? je sais pas, tu me manques sûrement." Je sais pas si tu m'as vraiment manqué en fait. J'arrive tellement à oublier ce que je veux pas voir. Mais à te voir là, devant moi, je sais pas c'est comme me plonger dans mes souvenirs. Je nous revois à courir sur le port comme des gosses, les bras écartés à imiter les avions, à nous embrasser entre les allées de la bibliothèque en pleine séance de révisions, à danser n'importe comment dans ma chambre sur de la musique latino, les yeux imbibés d'alcool. Dans ma tête, la séance de projection des mois qu'on a passés ensemble. Tu m'as peut-être toujours manqué en fait. Je crois que j'ai regretté d'avoir rompu, d'avoir arrêté tout ça juste parce que j'avais peur de m'attacher. Je rétropédale et je me bousille la vie, je crève ton coeur. "J'aurais pas dû." Je souffle, à voir basse, en soufflant. Je secoue la tête.

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Je ne vois pas pourquoi j'aurais envie de rester proche de mon ex. De la fille que j'ai aimée réellement et qu'elle m'a largué sans la moindre explication. Je n'ai pas non plus envie de lui accorder un seul mot de ma bouche, je me plonge dans mon téléphone pour essayer d'appeler les secours. Manque de bol. Aucun réseau non plus. Je grince des dents au moment où elle répète après moi, point barre. Elle n'a toujours pas de réelles explications pour moi. Ça montre seulement que je n'ai pas été un homme qui a marqué sa vie, qui lui a donné de l'amour à revendre. J'ai été d'un simple petit jouet qu'elle adorait pouvoir avoir quand elle le désirait. C'est peut-être ça qui me fait le plus mal dans l'histoire. De n'être relégué comme un simple pion. « Si tu serais revenu plus tôt ou que j'aurais eu de véritables explications, c'est fort possible. » Je n'ai pas la force de lui dire qu'elle me manque certainement, ça serait malsain de lui avouer ceci. J'ai un nœud à l'estomac en étant enfermé ici avec elle. Ça me replonge dans nos moments par le passé, de notre complicité inébranlable du moins je le pensais. De nos conneries plus folles les unes que les autres. « Pour une fois, on est sur la même longueur d'onde. »

Spoiler:

@michelle ford

"Si t'étais revenu plus tôt ou que j'avais eu de véritables explications, c'est fort possible." Ouais. J'ai merdé sur ce coup là, salement. Je hoche la tête, j'peux faire que ça de toute façon. "Pour une fois, on est sur la même longueur d'onde. " Pour une fois ? Tu peux dire ce que tu fais mais il y a eu un temps où on finissait les phrases de l'autre, presque comme un toc. Insupportable pour tous nos potes. Mais je dis rien, ça serait cruel. Alors je me tais. Il doit se passer quoi ? Dix bonnes minutes, sans que rien ne se passe, rien ne bouge. Toujours pas de réseau. Et un silence terrible qui me presse les épaules, j'ai beau faire semblant de lire mon bouquin, je peux pas nier que la situation est tendue. "T'as retrouvé quelqu'un ?" Je finis par demander en rompant le silence. J'le regarde, les sourcils haussés. Parce que moi, non. J'ai dû coucher avec une vingtaine de gars, en même temps je bois comme un trou maintenant. Je suis un peu la nana facile de fin de soirée. C'est pas glorieux. Sûrement que si on fait le bilan de nos vies, lui et moi, je me fais exploser à plat de coutures. Il est drôle, beau gosse, sympa. Sûrement qu'il y en a des filles qui lui tournent autour. Un petit pincement au coeur, une sorte de jalousie malgré moi.

Je n'ai pas été tendre dans mes dernières paroles. J'aurais pu m'abstenir de lui sortir cette phrase bateau qui n'avait ni queue ni tête. Surtout pas après la connexion qu'on avait eue à l'époque. Vous étiez tellement soudés que vous finissez les phrases de l'un et l'autre, que vos amies pensaient que vous ferez un grand bout de chemin ensemble. Belle foutaise. Étant donné que des mois après, vous êtes comme deux parfaits inconnus. Déjà parce que la jeune femme n'avait pas eu le courage de t'affronter bien avant. Deuxièmement, je n'avais pas la force de lui parler. De me remémorer nos tendres moments ensemble. C'est de l'histoire ancienne pour moi. « J'ai bien quelqu'un dans ma vie. J'ai mis un très long moment avant de pouvoir me remettre en scelle. » Je préfère préciser la chose pour que Michelle ne puisse pas croire que j'avais tourné la page facilement de notre histoire. J'ai mis des mois à m'en remettre totalement. Du moins, je le pensais encore, il y a une demie-heure. « Tu as réussi à trouver l'homme qui te comble de bonheur ? » L'opposé total de ma petite personne.

@michelle ford