Mes parents ont toujours rêvé d'avoir une descendance. Les cris perçants et les bouilles d'ange, auraient été ceux qu'ils auraient le plus mendiés dans leur vie. Mais lorsqu'on est femme et que la soixantaine approche, il est difficile d'espérer pouvoir encore procréer. Alors ils ont fait appel à la médecine et aux innombrables laboratoires, et voilà qu'après sept ans d'acharnement une cigogne leur apporte sur leur pallier de maisonnette typique de Boston, une petite fille du nom de : Oksana. C'est entre les tirages de joue et vieux bibelots, que ces incroyables parents l'éduquent en lui offrant toute leur attention allant même jusqu'à se consacrer une éducation qui refuse de rentrer en son temps par peur que elle ne grandisse trop vite – sans doute est-ce de là que mon côté enfantin provient – et qu'ils ne peuvent profiter du peu de temps qu'ils leur restent. Ce n'est pas nouveau que monsieur l'horloge adore accélérer la course que font circulairement chacune de ses deux aiguilles, surtout lorsqu'on arrive à la fin de sa vie ; je me rappelle être descendue de cet escalier qui grinçait beaucoup trop, ma fidèle peluche à la main que j'avais surnommé Miel, pour me rendre à cette cuisine où mon ventre connaissait assez le chemin pour m'y emmener même quand il faisait sombre. Par chance, nous étions le mercredi. Et, qu'est-ce qu'il y a le mercredi ? Les bonnes crêpes de maman. C'est sans compter l'aide de mon enthousiaste que je me dirige vers le meuble à côté du frigidaire, où elle y mettait toutes ces incroyables inventions culinaires. Ma main encore potelée pour mes huit ans, saisit alors l'un de ces disques de pâtes sucrés que je ne tarde à fourrer entre mes petites lèvres pulpeuses. Ce que je ne savais pas, c'est qu'il n'y avait rien dans ma main. C'est seulement en me mordant la langue, que j'ai rapidement compris que maman n'avait rien préparé pour aujourd'hui et que pour la toute première fois, elle oubliera ces souvenirs. La grande aiguille avait rattrapé celle de ma mère. Elle ne savait plus où elle était, et avec qui elle se trouvait. Le visage de mon père et le mien, n'existaient que dans l'espoir qu'on avait, si jamais – ne serait-ce – un jour, elle arriverait à se rappeler. L'infirmière tentait toujours de nous rassurer lorsqu’on la voyait délirer en marchandant le fait qu'elle n'était l'illustre créature que dieu avait créé pour offrir aux autres l'espoir de devenir immortel. Les autres patients la regardaient comme une folle, tandis qu'une partie la fixait d'un regard vitreux en attendant quant à eux que la créature mortelle vienne les emporter. Moi, maman, j'y crois. Je sais que tu peux me donner la longévité d'une vie toute entière, mais pour ça, maman, j'ai besoin de toi. Encore un peu, encore quelques années.

Mon père n'a jamais vraiment supporté la perte psychique de sa moitié. Je savais que chaque jour où l'on y allait, qu'il pleurait intérieurement et passait sa journée sur la seule photo qui pouvait encore lui faire rappeler son si beau sourire – parce qu'autour de nous, personne ne s'est vraiment intéressé à ce que l'on représentait dans la ville, c'est à dire : rien. Et ce rien est devenu un tout, lorsqu'il a commencé à fragiliser non seulement sa santé mais aussi la mienne en ayant un regard différent sur la vie. Je lui ressemblais en grandissant ; mes cheveux blonds allant jusqu'à mi-dos lui rappelaient sans cesse le toucher délicat qu'il avait lorsqu'il y passait ses doigts, mon regard océan était l'eau dans laquelle il se noyait en pensant à elle, et enfin mes pommettes tachetées de la couleur du soleil l'éblouissaient tant l'angélisme qu'il voyait en elle était à présent en moi. Quand on devient adolescente, on en veut au monde entier de ce qu'il nous offre au quotidien. Moi, il m'offrait une mère invisible – qui ne sait même pas qu'elle en a été une – et un père victime de regarder une maladie se personnifier en la femme qu'il aime. Pour échapper à ce quotidien mélancolique et cette bulle qui n'a rien de coloré, on m'avait conseillé de quitter le cadre familial – si on pouvait encore appeler ça comme cela – et d'emménager avec des personnes de mon âge de sorte à côtoyer les folies de la vie. C'est ce que j'ai fait ; à la différence, j'ai emménagé dans un petit appartement à côté de l'hôpital où maman reposait. La seule condition qui m'ait été imposée, était de ne pas rester seule. Une colocation leur semblait juste pour mon cas, et c'est là que j'ai rencontré la seule personne capable de me comprendre – de me supporter : Gladys Hampton. Une jeune femme de trois ans d'écart, qui reflétait l'exemple que j'aurai toujours voulu être : remplie de couleurs, de folies, de facettes les plus belles les unes que les autres, et enfin pétillante jusqu'à en confondre sa propre définition. Les côtés sombres et douloureux de son ombre sont des choses qu'elle ne montre que rarement ; je ne lui en veux pas, je préfère quand on rigole plutôt lorsqu'on se morfond.