Ce dont je me souviens de cette époque-là? De Nath? Mon adolescence? « J’étais pas avec Nath pendant mon adolescence. » Non, malheureusement, j’avais pas passé toutes ces années avec lui. « J’ai déménagé quand j’avais dix ans, et Nath est resté en Australie. J’allais le voir pendant les vacances scolaires. » Est-ce que c’était quelque chose qu’on m’avait raconté ou dont je me souvenais? Impossible de savoir. « Il était pas là quand j’ai su que je me tapais ma demi-soeur, mais il a bien rigolé quand je lui ai dit. » Moi même, j’en riais quelque peu. Cette histoire me dégoutait toujours autant, même si pour ma défense, je ne savais pas qui elle était à l’époque et qu’une fois éclairé, j’avais coupé les ponts avec cette nana. Je savais pas trop quoi dire. C’était comme si rien ne venait, comme si y’avait rien eu de vraiment important ou marquant pendant toutes ces années. Et au final, ça m’attristait un peu, et ça me faisait me poser la question : quel genre de vie je voulais donc mener?

Ta voix me rappelait à la raison, et quand j’ouvrais les yeux, j’avais qu’une envie, c’était de dormir. « J’suis… exténué. Comme si je venais de courir un marathon. » Alors que pourtant, à ce que je sache, tout ce que j’avais fait c’était de rester allongé dans un vieux canapé miteux. « Qu’est-ce qui s’est passé du coup? » C’était étrange comme expérience. Je savais que j’avais été hypnotisé, je savais que j’étais réveillé, mais tout ce qui s’était passé entre mon endormissement et mon réveil semblait inexistant. Je ne me souvenais de rien, comme un vide d’une heure. Je me redresse pour m’assoir dans le sofa, face à toi et à ton prof référent. Alors, tu me racontes que j’ai beaucoup parlé, j’ai ouvert mon esprit et certains souvenirs en sont sortis. Plus que tu ne l’espérais. C’est bien, non? C’était bon signe, n’est-ce pas? Oui, tu m’assures que c’est une ‘très bonne séance’. « Tant mieux. Merci, j’suppose, du coup. » Ouais, c’était con à dire mais sans toi, j’aurais pas fait ça. Finalement, t’étais une tête de con peut-être douée quand même. Et ça me confortait dans le fait de t’avoir choisi toi, et pas quelqu’un d’autre. « Est-ce que tu préconises de recommencer? C’est quoi la suite du programme? » Oui, parce que j’espérais toujours retrouver la mémoire de façon complète. C’était pas forcément pour les faits, mais plutôt pour les liens qui m’unissait aux autres. Les sentiments, les émotions. C’était surtout ça, que je voulais retrouver. Pour éviter qu’ils ne soient que de vulgaires étrangers à mes yeux.

J’acquiesçais à tes mots, à ton explication de la séance qui venait de se dérouler. Tu essayais de me rassurer, de me convaincre que tout s’était très bien passé et que ce premier essai avait été concluant. Et au vu de ce que tu me racontais, ça avait l’air pas mal, en effet. Mais là, mes paupières étaient lourdes et mes muscles endormis. J’étais crevé. C’était ultra éprouvant, malgré ce qu’on pouvait imaginer. C’était peut-être ma crise de panique. Ça ne m’étonnait pas, j’en avais eu quelques unes après l’accident d’hélicoptère. Et du coup, c’était quoi le programme maintenant? Tu me confirmais que continuer serait bénéfique, et j’en étais soulagé. En revanche, tu précises que les séances devront être espacées pour ne pas surmener mon esprit. Soit. « Combien de temps? » Je me grattais la nuque. « Aussi, avant de partir… J’ai une requête. » C’était pas évident pour moi de demander ça. C’était reconnaître une faiblesse, alors que je me pavanais en prétendant que tout allait bien et que je n’avais aucune faiblesse. « J’voulais savoir si vous pouviez me prescrire un truc pour le sommeil, et le stress post-traumatique. » Les insomnies dues aux cauchemars, et les crises de panique dues aux souvenirs qui me frappaient comme des flashs d’appareil photo en pleine nuit noire. « S’il vous plait. » Ouais, je suppliais, parce que j’en avais besoin. J’en pouvais vraiment plus de mes trois heures de sommeil par nuit et mes réveils en sursaut, les draps trempés de sueurs froides et le coeur battant à quatre mille à l’heure. C’était pas une vie ça. Et j’avais beau me dire que ça allait passer avec le temps, parfois, il fallait un petit coup de pouce extérieur.

C’était peut-être pas une bonne idée de te demander des médocs. Et si j’pouvais plus faire sans d’ici quelques temps? Mais d’un autre côté, je savais que j’en avais besoin. J’avais besoin de plus de quatre heures de sommeil par nuit, j’avais besoin que les cauchemars et les flashbacks cessent, et j’avais besoin de calmer la panique qui parfois prenait le dessus sur ma raison. Mais toi, tu prends mon pouls, et j’comprends pas trop à quoi ça sert. Oui, je suis bien vivant. J’hoche la tête sans broncher — pour une fois — à tes explications. Une séance d’hypnose toutes les deux semaines, mais tu veux quand même me voir entre deux comme on en a l’habitude. Par contre, je secoue la tête. « J’vais pas t’appeler en pleine nuit juste pour te dire que j’dors pas. T’inquiète, ça ira. » Ton prof me tend une ordonnance, et je me sens soulagé. J’espère que ça sera bénéfique, j’espère que ça m’aidera à retrouver un esprit un tant soit peu tranquille. Tu te lèves et fais tes au revoirs. Je me lève donc à mon tour, acquiesce rapidement d’un hochement de tête. « Ouais. Mh… Merci, en tout cas. » Et je te serre la main. Peut-être qu’on était plus si sauvages que ça, au final, à force de passer tout ce temps ensemble enfermés entre quatre murs. Je dis au revoir à ton professeur et le remercie lui aussi pour le temps qu’il a bien voulu m’accorder et sors de la pièce, mettant fin à notre séance.