Un joli compliment à ton attention. J’étais un charmeur, on ne changerait pas ça. Et malgré la chaise roulante qui cassait un peu ton pouvoir de séduction, tu restais canon. Une fille canon qui commandait un burger végétarien. Le cliché. Est-ce qu’elle était végétarienne? « Absolument pas, c’est juste que je ne fais pas exprès de mal manger, vu ma condition physique. » Ah, d’accord. Bon, tu remontais dans mon estime, du coup. « C’est pas quelques kilos en plus dans les cuisses qui vont changer ton apparence… » Fallait qu’elle soit raisonnable, quand même. Le poids des nanas, c’était trop surcôté. Elle avait beaucoup trop d’infos sur moi, n’empêche. « Je t’ai souvent vue à la Winthrop, quand je rendais visite à l’un de mes amis. » Un ami? « Qui ça? » Moi, je ne l’avais jamais vue trainer dans le coin. « Sinon, en majeure j’étudie en administration et en mineure, le droit. » Hm. C’était pas ce à quoi je m’attendais. « J’te voyais plus dans un truc moins… terre-à-terre. Genre astronomie. » La tête dans les étoiles, un peu. « Pour faire quoi plus tard du coup? » Nos plats arrivèrent enfin, et je crevais la dalle. « Allez, bon appétit et encore merci. » « Merci, toi aussi! » Et je croquais dans mon burger sans plus attendre. Putain ce que c’était bon.

J’aimais ton naturel et la façon que tu avais de ne pas te prendre la tête. C’était vraiment cool. Et j’t’aimais d’autant plus que grâce à toi, je me retrouvais dans un fast-food à manger un bon burger bacon, alors que toi tu te limitais pour ne pas prendre trop de poids, chose qui ne changerait pas vraiment ton apparence. Apparence que je n’avais jamais aperçue dans les couloirs d’Harvard, alors que toi, à en croire tes dires, tu m’avais déjà croisé, notamment à la Winthrop House. Une connaissance en commun? « Kale, je ne sais pas si tu le connais. » J’hochais la tête. « De vue. Je ne lui ai jamais vraiment parlé. » On entamait le sujet des études et de notre futur, comme des adultes responsables — chose qu’elle était peut-être mais pas moi. Pas encore. « Je suis l’héritière de Prada… Enfin, je suis propriétaire maintenant puisque mon père est décédé il y a quelques mois de cela… Mais bon, je n’ai pas trop envie d’en parler. » Oh. « Désolé. » me contentais-je de dire en premier lieu, concernant sa révélation sur la mort de son père. Ce n’était pas le genre de choses qu’on voulait aborder autour d’un burger avec un inconnu. « Prada, hein? Excusez-moi, princesse. » plaisantais-je plutôt, pour détendre l’atmosphère, en mimant une petite révérence. Ouais, Prada — à moins que je me trompais — c’était le grand luxe. L’entreprise de mon père, qui pourtant valait des millions, à côté d’elle n’était rien.

« Tu devrais commencer à lui parler, c’est un mec bien. » J’haussais les épaules, quelque peu nonchalant. « J’imagine, c’est un Winthrop. » J’esquissais un léger sourire à ton attention. Ces clichés de maison, j’adorais. Ça m’amusait. « J’lui parlerai de toi, peut-être qu’il aura des choses intéressantes à me dire… » Bien sûr, je plaisantais. Je n’avais aucune idée du genre de relation que toi et lui entretenez. Ça s’trouve, c’était ton frère et lui aussi était l’héritier de Prada. Une famille royale, dis donc. Bon, tout ça n’était que spéculations, la vraie fille Prada c’était toi, la princesse assise juste en face de moi. « J’suis loin d’être une princesse mais merci beaucoup. » Je riais quelque peu. C’était un surnom sur un ton plutôt plaisantin. Tu verrais bien assez vite que je ne prenais pas grand chose au sérieux. Je terminais rapidement mon burger. « Sinon, qu’est-ce qui a fait en sorte que tu te lances dans ces études ? » Un nouvel haussement d’épaules. « Comme toi j’pense, j’ai été formaté pour reprendre l’entreprise familiale. J’sais pas si tu connais, Maxwell Sec. Pour Security. Mon père a monté son business de sécurité internet quand il était jeune en Australie et ça a cartonné, donc il a eu l’opportunité de s’implanter ici, à Boston. Comme ta famille, on gagne des millions, mais contrairement à vous, notre nom n’est pas connu de absolument tout le monde. » Même si, mon nom de famille m’ouvrait quand même pas mal de portes. « D’où mes études de relations internationales. Même si, entre nous, j’suis pas sûr de reprendre le flambeau un jour. » C’était pas ma came, mais d’un autre côté j’avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie. « Et le français c’est parce que ma mère est française donc je le parle couramment. Du coup c’était un cursus facile. » Ouais, je me faisais pas chier à la fac. J’avais choisi des trucs dans lesquels je savais que je réussirai, même si je venais à louper des cours. « T’inquiète, j’peux encore rester cinq minutes de plus. » répliquais-je en te voyant regarder l’horloge.

Qu’est-ce que j’insinuais ? Rien, que les Winthrops étaient les meilleurs. Nath était passé chez les Quincy maintenant mais c’est pas grave, à la base, il était quand même Winthrop. Et puis, il pouvait être chez les Cabots que j’l’aimerais quand même, ce mec. Mais il fallait que tu te rassures, je ne comptais pas manipuler Kale pour qu’il me raconte des trucs sur toi. De un, c’était pas mon genre, je préférais demander, de deux, j’avais autre chose à faire. Comme me préoccuper de mon avenir professionnel, par exemple. Je n’avais pas forcément besoin de travailler vu la fortune familiale, mais il fallait quand même, pour l’honneur, que j’occupe un bon poste. Un truc où on fait pas grand-chose, et qui paye beaucoup. En tout cas, je savais que je ne reprendrai pas Maxwell Sec. Mon père, lui, ne le savait pas encore. J’crois qu’il fera un AVC le jour où je lui apprendrai la nouvelle. « C’est très intéressant. Pourquoi tu ne voudrais pas reprendre l’entreprise familiale ? » J’haussais les épaules. « J’sais pas. C’était le rêve de mon père. C’est pas le mien. » Mais en même temps, est-ce que j’avais un rêve ? Pas vraiment. Du moins, je m’étais jamais assez penché sur la question pour le savoir. « Et toi, tu vas reprendre Prada du coup ? T’inquiète, après cette question il sera temps pour moi d’y aller. Je ne te laisserai pas me mettre en retard, sinon, si je ne retrouve pas la mémoire, je te blâmerais pour le reste de ma vie ! » Petite blague bien sûr, pour que tu te détendes. J’étais assez responsable pour ne pas manquer mes rendez-vous de rééducation.

Faire ce dont j’avais envie. Ca me paraissait être un bon conseil sain d’esprit. Encore fallait-il que je sache ce dont j’avais envie. J’étais complètement paumé niveau carrière. Je suppose qu’il fallait vraiment que je me penche sur la question. Peut-être que Nath pourrait m’aider. J’avais parfois l’impression qu’il me connaissait mieux que je ne me connaissais moi-même. Toi, au moins, tu avais un avenir tout tracé : reprendre l’entreprise de tes parents, ça te faisait rêver, et c’était tant mieux. Moins de travail de connaissance de soi, de questionnement existentiel. « Je l’ai déjà reprise… Disons que je suis en décision sur le fait de rester à Harvard pour poursuivre mes études ou arrêter et me spécialiser à 100% dans mon entreprise. J’suis prise dans un dilemme comme pas possible. » Je réfléchissais quelques instants à son dilemme. « Si t’es sûre de toi, si t’es sûre que c’est ce que tu veux faire, alors fonce. Ton chemin est tout tracé, et t’as sûrement pas besoin des études si tu baignes déjà dedans. » Je faisais parti de ceux qui considéraient que l’expérience était plus valorisante que la formation. « Bon allez, on doit retourner à l’hôpital. » J’hochais la tête. Sage décision au vu de l’heure qui filait. Je me levais et allais régler la note, revenant vers toi une fois ceci fait. Tu attrapais alors ma main et y inscrivais ton numéro de téléphone d’un naturel qui me fit sourire. « Si tu t’ennuis un jour, appelle-moi. » Je riais quelque peu à ton clin d’œil. « Je tâcherai de l’enregistrer avant de prendre ma douche. » Oui, j’pourrais être assez con pour ne plus y penser et effacer ce cadeau de façon involontaire et qui me vaudrait des regrets. « J’dois y aller, j’vais finir par réellement être en retard sinon. A plus, princesse. » te lançais-je dans un large sourire amusé alors que je m’éloignais déjà à grands pas pour rejoindre l’hôpital qu’on avait quitté une demi-heure auparavant.

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