ton coeur bat à cent à l’heure, malmène ta poitrine de l’intérieur. de l’extérieur, tu parais nerveux et inquiet. désorienté et mignon. on t’adopterait volontiers car tu ressembles à un petit chiot perdu. tu suis sans broncher la silhouette droite à quelques mètres devant toi traversant le bitume. tes jambes se pressent pour la rattraper. elle va vite. elle ne perd pas de temps. elle ne prend pas le temps de profiter du soleil. il fait beau. le ciel est bleu. les oiseaux chantent. la ville vit. que des bruits familiers et enchanteurs autour de toi. pourtant, t’as l’impression d’évoluer en territoire inconnu. c’est le cas alors que l’air est le même. mais personne ne sait qui tu es. n’est capable de deviner ce que tu ressens, ni de lire tes pensées. tu es un mystère entier. un parfait étranger. une tombe muette. pas tout à fait.

Fairchild. Pas un nom quelconque. Le tien. Il ne vous dit peut-être rien, c’est normal il n’est connu que si l’on est addict à la série où ta mère a tenu l’un des rôles principaux durant plusieurs saisons. Un soap, digne héritier de Dallas et pâle copie d’Amour, Gloire et Beauté, encore diffusé de nos jours. Tout à fait le genre de série à mater à l’hôpital ou en maison de retraite pour tuer le temps. Et il n’y a pas meilleur public que les ménagères de plus de 50 ans. Enfin bref, là n’est pas le sujet, le soap a fait les beaux jours de la jeune Adriana Gonzalez fraîchement mariée à Anthony Fairchild, encore inconnue du petit écran. Elle s’est vue ensuite offrir un rôle dans une autre série, dans la même veine que Desperate Housewives, quand la tendance du soap s’est essoufflée. Et c’est ce rôle qui a permis à ta mère de vraiment se connaître auprès du public et des critiques américains. Elle a été propulsée sous les feux des projecteurs, acquérant une notoriété jusque-là jamais atteinte et que toute personne du métier rêverait d’avoir. Mais on peut vite se faire oublier dans ce milieu et ta mère ne fait pas exception. Après qu’Hollywood lui ait ouvert toutes les portes, les productions auxquelles elle fera part ne marqueront pas le public, elles vont tomber dans l’oubli et c’est cette perspective qui faisait hérisser tous les poils de ta mère. Ses belles années en tant qu’actrice de télévision lui sont montées à la tête et cela entraîne tant dans le cercle familial que professionnel une discorde qu’elle ne cherchera même pas à stopper.

tu appréhendes voilà. tu te demandes ce qu’il va se passer, essayes d’anticiper la réaction des gens d’ici. tu ne connais pas vraiment leur culture. ni ce pays. c’est la première fois que tu y mets les pieds. c’est hier que tu es arrivé. ton paternel t’a attendu sagement à l’aéroport, puis ensemble vous êtes allés dîner. avec une annonce au menu. j’ai rencontré quelqu’un, qu’il te dit. il a épousé et vit avec une française. une belle-mère. un cadeau empoisonné. tu déchantes mais caches ta déception. une exception cette fois. pour pas le blesser, heureux qu’il est. une fois chez lui, tu es parti se coucher. dans ta nouvelle chambre. la belle famille, ça t’intéresse pas. tu ne les entends même pas rentrer du ciné alors qu’ils sont bruyants. un long vol ça épuise. ou peut-être l’effet des boules quies.

T’as eu la chance de côtoyer les plateaux dès ton plus jeune âge, ta mère t’emmenait partout avec elle à sa sortie de la maternité. Pour les besoins de son rôle dans le soap qui l’a fait connaître, elle t’a fait passer pour l’enfant de son personnage qui vient de naître. T’étais passé à la télévision bébé sans le savoir et après quelques épisodes, on t’a remplacé par un autre. Évidemment la supercherie est passée inaperçue auprès des téléspectateurs, les bébés se ressemblent tous après tout. C’est ce qu’on raconte m’enfin bon. Au lieu de passer du temps chez la nourrice, tu le passais dans les studios, si bien que tu t’es très vite imprégné de cet univers. Les gens tenaient à te porter dans leurs bras entre deux prises, à suivre tes premiers pas et mots qu’ils les ont immortalisés dans un album photo, l’unique que tu possèdes d’ailleurs. Quand l’envie de le feuilleter te prend, t’aperçois des têtes que tu reconnais à moitié et d’autres pas t’encerclant. Il y a là-dedans la trace d’une photo que tu as arrachée, puis brûlée car elle t’évoquait un moment marquant dans ta vie, qui a bouleversé tes convictions. Tu t’interroges encore maintenant sur le comment cela a pu arriver. Tu n’as pas cherché réellement à comprendre non plus. Tu n’étais pas concerné donc tu n’avais rien vu venir à l’époque. En même temps, tu n’avais rien soupçonné et papa non plus.

tu es sans repères. tu n’as pas récupéré pleinement de son voyage que tu as été tiré du lit et propulsé sans ménagement dans un endroit que tu n’as jamais vu de ta vie. le quadragénaire qui t’a déposé devant le portail est ton oncle qui vit en france. il t’a assuré que tout est prêt pour ton entrée ici. dans un lycée. apparemment papa s’est montré prévoyant. sympa de sa part. tu fixes longuement l’entrée avant de rejoindre l’intérieur. sans regrets et impatient de démarrer une nouvelle vie. puisque tu te sais attendu, tu es tendu comme un string. et bientôt, sans aucun doute, au centre de toutes les attentions. t’es le nouveau. tu te sens comme harry potter qui découvre poudlard sans ron et hermione.

PDG d’un groupe d’import-export californien qu’il a remis à flots, il était trop pris par son travail pour se soucier un minimum de mère. Tu crois que le mariage l’a rendue malheureuse et elle s’est réfugiée avec toi sur les plateaux, son métier était sa raison de vivre, sa bulle d’oxygène. Depuis petite, elle a toujours aimé faire de la comédie et la rencontre avec ton père lui a donné cette opportunité. Franchement, n’étant pas à leur place, t’es incapable de dire s’ils se sont vraiment aimés. En fait, tu n’as jamais cherché à le savoir, tu ne te poses pas des questions à ce propos. Ce qui en résulte par contre de cette vision de tes parents, c’est que tu ne voudrais en aucun cas les ressembler si un jour tu venais à te marier. De plus, tu n’aimerais pas hériter de la place de ton père car tu es quasi convaincu que ta mère l’a épousé par intérêt et ce schéma risque fortement de se reproduire avec toi. C’est pourquoi tu n’as pas beaucoup vu ta mère quand t’es parti à Paris chez ton père.

le premier adulte que tu rencontres a un visage aimable. il t’indique le chemin des bureaux et, toquant à la première porte, tu tombes sur un pion. une pionne à vrai dire. ses cheveux ultra courts t’ont trompé. elle a l’air cool. te fait penser à ellen degeneres. elle t’invite à entrer. elle est assise derrière un bureau ordonné et discute au téléphone. elle te détaille de la tête aux pieds pendant que tu patientes. enfin elle raccroche et montre son plus beau sourire. léger froncement de sourcils. son enthousiasme craint. elle sait parfaitement qui tu es. tu toussotes et t’éclaircis la voix pour te présenter. elle à son tour. la proviseure. l’étonnement se peint sur ton visage. elle ne le remarque pas, ne le relève pas, son sourire reste figé. elle s’adresse à toi et te pose quelques questions. toi tu la comprends. le français tu l’as étudié, n’avoir que des A en cours et une tante française ça aide.

Vous n’avez pas gardé énormément contact suite à ça, peut-être qu’elle s’en veut, peut-être que le fait que tu sois avec ton père l’arrange grandement. Tu ne le sauras jamais, non pas que tu redoutes le jour où tu l’affronteras en face, t’as juste décidé de ne plus lui adresser la parole du tout, du moins verbalement car il vous arrive de vous envoyer des messages futiles sur le portable. Certes c’est une façon bizarre de se comporter avec sa mère, celle qui t’a porté durant neuf mois dans son ventre et enfanté dans la douleur, néanmoins elle a commis un acte impardonnable à tes yeux. Surtout vis-à-vis de ton père, homme que tu respectais beaucoup. Tu n’as pas compris ce qui l’avait poussée à agir de manière irresponsable, tu n’en as pas cru tes yeux quand tu l’as surprise et étrangement elle n’a pas cherché à s’excuser ou à ce que tu lui pardonnes. Elle t’a rattrapé et regardé d’un air qui t’a paru à la fois triste et songeur, t’a pris la joue et dit ces mots que tu ne pourrais pas oublier. « Don’t get to judge me because you're my son, my only love. You shouldn’t have been there, by the way. » Choqué, tu l’as carrément repoussée et elle s’est contentée de soupirer. Ta mère, tu la prenais déjà pour une folle avant. Tu ne la comprenais plus, elle est comme éteinte, dénuée d’émotions et de lucidité quelquefois. C’est arrivé depuis qu’elle a arrêté de fréquenter les studios. De son plein gré...?

le sosie d’ellen te tend ton emploi du temps et ton carnet de correspondance. tu les attrapes sans te poser de questions. plusieurs jours sont nécessaires pour te familiariser à cette nouvelle vie. l’amérique, terre promise, ne t’inspire que des sentiments négatifs. aller de l’avant tu rêves de le faire. pour cela, vaincs tes incertitudes et suis-la sans réfléchir. car ellen est sortie. elle te conduit en classe. au premier cours de la journée, qu’elle t’a dit. tu es en passe de vivre un cauchemar. elle accélère dès que tu ralentis. elle semble prendre un long détour pour finalement frapper à la porte d’une salle de classe. le moment que tu redoutes le plus est arrivé. elle touche deux mots au professeur avant de partir. tu rentres et instantanément, des paires de yeux convergent vers toi. la prof t’entraîne devant le tableau, interpelle ses élèves qui chuchotent entre eux. elle demande bêtement ton nom. maceo bienvenue en 2nde b, qu’elle répète en plus fort avant de tourner vers la salle. voici votre nouvel élève, donc je vous demande de bien l’accueillir. les murmures reprennent. installe-toi là-bas, nous étions en train d’étudier une photo de doisneau. silence s’il vous plaît. on reprend là où on était.

Non et papa s’en fichait de tout ça. Il partait tôt le matin après t’avoir sorti du lit et revenait le soir quand ta mère montait se coucher, ils faisaient chambre à part. Papa mangeait tout seul l’assiette que vous lui aviez mise de côté et s’intéressait souvent à toi. Tu lui tenais compagnie en lui racontant ta journée. Et c’était le seul moment de complicité père/fils que t’avais avec lui de la journée, avec mère aucun. Elle était là sans être là, son esprit demeurait ailleurs, assailli par les visions du passé sûrement. Vieillir lui fait peur. Elle ne se préoccupait plus de toi depuis son départ des studios, plus personne ne voulait d’elle, pas après les échecs au box-office des films dans lesquels elle a joué. Tu étais proche de ta mère avant que tout cela n’arrive et devant son insistance à la laisser seule et à repousser toute marque de tendresse de ta part, tu as fini par t’éloigner de celle qui fut un temps une mère. La tienne. Toute once de bonheur l’avait quittée, ton père et toi n’avez pu rien faire. Vous avez continué vos vies comme si de rien n’était, jusqu’au jour où tu la surprends en rentrant plus tôt de l’école dans les bras d’un autre homme que ton père. D’habitude tu ne cries pas sur tous les toits que le mariage c’est sacré et mère, en trompant père, a bafoué cette loi divine. Tu ne crois pas en Dieu, ni au mariage, et pourtant à tes yeux, mère avait commis une faute grave. Elle était bonne pour l’asile. L’Enfer dans le pire des cas.

waouh ça promet. tu es de nouveau perdu. c’est pire que tu le pensais. les élèves ne font que chahuter la prof qui a interrompu un nombre incalculable de fois son cours. tu te marres déjà à l’idée de comment sera le prochain. enfin s’il est plus facile à suivre. tu vas t’ennuyer une nouvelle fois sinon. car t’as décroché quand elle s’est remis à parler des figures de style. quelque chose t’intercepte, attire ton regard. pas quelque chose, quelqu’un. une fille à deux rangées devant toi. un peu plus à droite. tu l’as prise en flagrant délit d’observation. elle s’est ressaisie en se replongeant dans ses feuilles. elle a titillé ta curiosité. et toute la matinée, tu n’as pas arrêté d’espionner ses faits et gestes. elle t’est pas insensible et ton voisin et nouvel ami mathis l’a remarqué. il semble en savoir beaucoup sur elle. léa delorme, 15 ans, parents divorcés, vit avec sa mère pédiatre qui a la garde exclusive, voit peu son père, a un petit frère, douée en sport et en maths, a connu la plupart de ses amis dont mathis au collège, vierge. tu le frappes à l’épaule, lâches un t’es con. la prof a tout suivi, soupire. désespérée de devoir gérer un élève en plus.

Cette femme, ta mère, te faisait détester le mariage et ressortir cet aspect troublant de ta personnalité développé au cours de l’adolescence, qui laissait exposer une partie de toi que tu craignais. Mère l’a entrevu et en était devenue terrifiée. Puis, père a demandé le divorce et a accepté la proposition d’une holding française qui cherchait un nouveau directeur général. Il présentait l’avantage d’avoir fréquenté l’ESSEC lors de sa jeunesse et t’a prié de le rejoindre en France. Tu avais 15 ans. Dans l’avion, tu pensais à cet homme, celui que ta mère voyait en secret. Il ne t’était pas totalement inconnu, la preuve est cette photo qui figurait dans ton album. Il avait les traits plus fins et les cheveux plus clairs sur le papier brillant que le jour où tu l'as vu avec mère. Cet homme... Il t’avait pris dans ses bras et regardait l’objectif d’un air enjoué. Tu apprends plus tard qu’il s’agissait d’un acteur avec qui ta mère avait partagé de nombreuses scènes, pas étonnant qu’elle se soit consolée auprès de lui vu que ton père n’était jamais là. Lui n’avait jamais été très fan des femmes, mais est-ce que cela excuse le geste de mère ? Non et la vision de son amant souriant sur la photo t’incite à aussitôt la détruire. Elle a fini dans une poubelle Dieu sait où. La suite, vous la connaissez un peu. Tu as rencontré Mathis le premier jour au lycée et Léa...

C’était Mathis qui t’a donné le courage d’aller voir Léa pour lui parler. Tu avais tout simplement peur de te prendre un râteau, c’est même la première fois que tu t’intéressais autant à quelqu’un, une fille de surcroît. Ça pouvait paraître ridicule quand on voit ce que tu es devenu maintenant mais c’est la vérité. Léa t’émoustillait. Mathis, avec qui tu t’es très vite lié d’amitié, se payait ta tête en te faisant rappeler sans cesse ton attitude quand tu paniquais à l’idée de l’inviter à sortir car les choses ont évolué depuis. Même si tu as gardé encore en mémoire les gloussements des amies de Léa lorsqu’elles t’ont entendu arriver. Difficile d’oublier la façon dont tu as intercepté la jolie brune, t’y es allé cash avec elle, c’était la solution que tu as trouvée, solution approuvée par Mathis, et elle a plutôt été surprise par ton audace, dans la mesure où elle ne s’y attendait pas. Elle ne t’a pas ri au nez comme se retenaient de faire ses copines, elle a compris que tu ne te jouais pas d’elle et t’a laissé entrevoir une réponse positive, à condition que tu l’attendes à la fin de la journée devant le portail. Tu l’amusais et tu en étais fier. Le regard de Mathis à ce moment-là en disait long, il était le premier à voir que Léa signifiait plus pour toi mais il s’est contenté de ne rien soulever. Lui-même avait été aussi charmé par Léa en classe de quatrième avant de constater qu’il préférait l’avoir en amie et qu’il avait des vues pour les personnes de son sexe. Eh ouais, ton meilleur pote était bisexuel et il savait qu’il n’avait aucune chance avec une fille comme Léa.


Léa et toi filez le parfait amour, si seulement cela ne tenait qu’à vous deux. Personne n’était aveugle au lycée mais à la maison, c’était autre chose. Le jour où tu as attendu Léa à la fin des cours, après qu’elle ait quitté ses copines, vous étiez allés faire un tour dans Paris. Comme c’est la première fois que tu voyais la ville, elle en a profité pour te faire une visite rapide du quartier et te conduire au pied de la Tour Eiffel. Ça fait cliché je vous l’accorde mais elle en avait très envie. Pour elle, c’était une sorte de baptême, chaque nouveau venu méritait de voir la dame de fer de près et tu n’y échappais pas. Tu l’as en quelque sorte charrié à ce propos et votre alchimie naissante ce jour-là était indéniable. Tu étais en extase devant elle, tantôt elle riait tantôt elle était faussement dubitative et taquine. Tu l’intriguais beaucoup tu le voyais, elle commençait à apprécier ta compagnie de même qu’elle refusait d’admettre qu’elle est un livre ouvert pour toi. Tu l’as raccompagnée chez elle non sans passer à la vitesse supérieure. Alors qu’elle s’apprêtait à te saluer, tu t’es approché d’elle plus que de raison et lui as dérobé un baiser. Cette fois, elle a ri. Nerveusement. Elle ne s’en remettait pas et c’est toute chamboulée qu’elle est rentrée dans son immeuble. Tu appréhendais le lendemain, tu n’avais pas envie qu’elle agisse de manière différente qu’aujourd’hui. Tu voulais passer du temps avec elle, apprendre à la connaître, espérer une amitié et plus si affinités. Néanmoins tu n’imagines pas une seconde la confusion qui t’attend car son immeuble était aussi le tien. C’était la même adresse, tu ne pouvais pas te leurrer. Tu n’avais juste pas fait le lien avant que Léa ne disparaisse de ta vue, tu étais trop absorbé par elle. Jusque-là rien de choquant, vous pouviez très bien vivre dans deux étages différents. Tu prendrais soin de lui poser la question demain et vous ririez ensemble du comique de la situation. Devant une porte que tu entreprends d’ouvrir, tu t’attends à voir ton père, en lieu et place tu découvres Léa qui est aussi stupéfaite que toi. « Euh salut, tu fais quoi là ? » t’es-tu empressé de briser ce silence gênant. Déroutée, elle t’a retourné la question. « Bah je vis ici. » Vous cherchez à comprendre, aussi perdus l’un l’autre. Une femme est entrée dans ton champ de vision. « Ah Maceo, nous t’attendions. Je suis Monica et je te présente ma fille Léa. Bienvenue chez nous. » Elle sourit et tu regardais Léa. Vous vous êtes compris d’un regard, tout ceci n’était-il pas une grosse blague ?


Monica ne plaisantait pas, c’était la nouvelle madame Fairchild, la seconde femme de ton père. Ta belle-mère. Léa et toi avez dû apprendre à cohabiter dans le même appartement tandis que tes sentiments pour elle commençaient à prendre forme. Cette fille occupait toutes tes pensées, tu rêvais d’elle toutes les nuits et chaque jour qui passait, elle occupait une place plus importante dans ton coeur. T’es amoureux d’elle tu ne pouvais pas le nier. Tu essayais tant bien que mal de penser à d’autres filles mais le coeur a ses raisons que la raison ignore. Si au départ, vous passez souvent du temps ensemble, au nom du lien qui vous unit, aucun de vous deux n’a semblé avoir oublié le baiser échangé le premier jour. Puis tu as cherché à l’éviter le plus possible mais personne n’en est sorti gagnant. Le désir est là enfoui quelque part, il ne faiblissait jamais. Impossible pour toi de le refouler plus longtemps car en plus de partager le même appartement, vous êtes dans la même classe. Les mois ont passé et vous avez commencé à vous voir en secret. Vous allez au cinéma, à l’hôtel, dans des endroits où vos parents n’ont pas leurs habitudes. Au lycée, vos amis ne sont pas dupes. Ils savent que vous êtes ensemble, que vous êtes faits l’un pour l’autre. Vous avez même passé le cap de la première fois. Ce n’était pas le meilleur souvenir que t’as avec elle mais vous en avez créé d’autres. Tu n’en manques pas car tu considères l’année de seconde comme l’une des plus belles années de ta vie. Seule ombre au tableau, ton père n’est pas au courant de votre relation amoureuse, ni la mère de Léa. L’été pour les vacances, tu t’es envolé pour les Philippines où vivent Pap’s et Granny, les parents de ton père. Tu ne les avais pas vus depuis un bail, depuis que tu avais 12 ans en réalité. Ce sont de chouettes personnes et laxistes, ils t’ont gâté comme pas possible et ne te refusaient jamais rien. Bien sûr tu ne leur demandais pas la Lune. Malgré leur âge avancé, ils te faisaient beaucoup penser aux parents Weasley, ils sont si gentils et attentionnés avec les gens comme eux, des personnes comme il devrait y en avoir plus souvent. Tu leur as parlé de Léa restée en France et qui te manquait énormément. Heureusement qu’il y avait MSN et le portable. Ils t’ont promis de ne pas en toucher mot à Papa s’il les appelait. Et puis, Granny trouvait que vous étiez différents, lui et toi. Elle vous aimait tous les deux à sa façon.


De retour en France à la fin de l’été, tu as gardé tes distances avec Léa car Papa et Monica voulaient fêter vos retrouvailles. Tu te tenais difficilement en place que la nuit venue, tu t’es glissé dans son lit. La rentrée de première approchait à grands pas, Léa avait choisi la filière scientifique et toi, la filière économique avec Mathis. Sauf que tu avais changé d’avis à la dernière minute pour être avec elle. Il y avait des chances que vous soyez séparés dans des classes différentes mais tu t’en foutais. Tout ce que tu désirais c’était passer le même bac qu’elle et cela représentait beaucoup pour toi. Le jour de la rentrée, tu partages la même joie que ta copine quand vous découvrez que finalement vous serez ensemble dans la même classe comme en seconde. Mais parfois on ne chasse pas éternellement les nuages sombres et menaçants qui n'attendent qu'à entraver ton bonheur. Ta joie elle est si immense que tu en es aveuglé. Ce n’est pas l’amour tu en es certain, ou peut-être si. C’est tellement alambiqué que c’est subjectif. Dans ton cas, on pouvait dire que tu as vécu longtemps sur un nuage que la chute sur terre a été particulièrement brutale. Et cruelle. Une semaine après la rentrée, ton père vient dans ta chambre et t’annonce que t’iras t’installer aux Philippines à la fin du mois et ce, de manière définitive. Il a appris pour ta relation avec Léa Dieu sait comment et évidemment il n’est pas content. Tu vivais un cauchemar, ton père avait dû faire face à un dilemme : choisir entre toi et Monica. On sait tous quel a été son choix et tu l’as très mal pris. Ta relation avec Léa n’était pas saine à ses yeux, alors il t'expédie à l’autre bout du monde. Tu n’approuvais pas sa décision, loin de là. Tu ne comprenais pas le choix des Philippines. Pourquoi pas des choix évidents comme l’Angleterre ou l’Amérique ? Sans doute car Pap’s et Granny sont là-bas. De ce que tu sais, c’est que tu devais quitter la France et ne pas y revenir avant longtemps. En gros, il te bannit. Ton propre père te jette dehors, c’est ainsi que tu le vois. Tu en as les larmes aux yeux, cet homme, celui que tu as vénéré pendant longtemps ne se soucie même pas de ton bonheur. Il s’en balance et ça te dépasse. Il t’explique que c’est pour te protéger qu’il t’envoie aux Philippines, en vain. Tu t’es disputé avec lui violemment, tu en avais assez qu’il te prenne pour un gamin que t’es parti te réfugier chez ta tante Steph et ton oncle Joshua. Ils t’ont proposé de t’héberger si le conflit s’éternisait, ils sont beaucoup plus compréhensifs et complaisants. Tu ne voulais pas quitter la France, cela ne pouvait signifier qu’une chose, la fin de ton histoire avec Léa. Quelques jours plus tard, tu as fini par écouter ton père malgré tout. Il avait raison sur un point, que c’était pour te protéger. Mais de quoi ? C’est cela que tu ne comprends pas.


Tu avais découvert entre temps que c’était ton soi-disant meilleur ami Mathis qui vous a dénoncés, Léa et toi, à ton père et à ta belle-mère. Encore amoureux de Léa, il était jaloux de votre relation et n’a pas supporté ton transfert en S alors qu’il aurait voulu t’avoir avec lui en ES. Il a trahi votre amitié, détruit la confiance aveugle que tu lui accordais. A tes yeux il méritait donc de mourir. En fait tu n’étais pas vraiment toi-même lorsqu’il est venu te voir pour s’excuser. Il faisait peine à voir, on voit qu’il regrette mais ton esprit était accaparé par autre chose, consumé par la rage. Alors, sans réfléchir, tu t’es jeté sur lui et t’as serré de toutes tes forces son cou, si fort qu’il suffoquait. On t’a écarté de lui à temps et la sentence est tombée, tu as été renvoyé. La proviseure ne tolérait pas un tel acte de violence dans son établissement. Mathis n’a pas porté plainte mais c’était trop tard, tu avais franchi le point de non-retour. Les Philippines t’attendaient à bras ouverts et les adieux sont difficiles. Papa et Monica avaient fait le déplacement, ils tenaient à toi mais le montraient d’une façon maladroite. Tu apprécies leur geste tout en leur promettant de donner de tes nouvelles, tu ne leur en voulais pas à mort après tout. Léa avait dû rester chez eux, ils n’ont pas voulu l’autoriser à venir. Néanmoins tu as pu lui faire tes adieux, l’épreuve la plus difficile et la plus douloureuse que t’aies eue à faire. « Reste s’il te plaît, reste. Sans toi, je suis perdue, Si tu pars, je ne suis plus certaine de savoir qui je suis, ce que je veux. » La réalité fait mal, t’as le coeur qui se serre atrocement et qui se brise en mille morceaux. Elle sait que te supplier n’y changerait rien. Retenant tes larmes, tu trouves le courage de la regarder une dernière fois. « May we meet again. » Tu n'as plus pleuré depuis ce jour-là. Plus jamais.