Le froid s'en était allé. Le givre avait fondu. La neige amaigrie par la douche chaleur du printemps avait fini, elle aussi par disparaître, remplacer par l'épaisse verdure. Les arbres fleurissaient, embaumaient les prairies de leurs parfums. Les oiseaux s'en revenaient de leurs périples en annonçant leurs émergences par leurs chants. C'était l'apogée d'une nouvelle ère. L'intervalle adéquat pour que toi, joli petit minois, puisse naître. Devenir le septième enfant d'une si grande famille. Si aimante famille. Tu fus donc la petite sœur de cinq garçons, et d'une seule fille. Dominic, Aaron, Isaac, Gustav, Olivia, et Teodor. Ta mère, courageuse procréatrice, avait dû se reposer plus de six jours après son accouchement tant l'épreuve fut difficile. Elle-même sentait trop épuisée pour t'offrir de son lait et tu faillis presque mourir de faim. Et l'abandon paternel n'avait rien arrangé. Tes frères aînés devaient s'occuper des pâturages ainsi que des quelques bêtes qui faisaient la fortune familiale. Tandis qu'Olivia et Teodor s'attelaient à prendre soin de Sigrid votre mère, de toi, et de la maison.
Les premiers mois furent difficiles malgré l'autonomie pré - acquise des adolescents. La disparition soudaine de la figure paternelle n'arrangeait rien à l'absence préoccupante de Sigrid qui malgré toute l'attention dont elle disposait, ne semblait pas vouloir se remettre de cet événement. Pour les plus âgés, il était évident que cet état résultait d'une tout autre raison. Mais pour toi, si petit nourrisson, tu ne compris rien. Tu ne voulais pas comprendre. La seule chose que tu souhaitais était vivre. Survivre aux maladies, au froid, à la faim et à la soif. Survivre à l'abdique.
Les mois avaient passé. Ta génitrice s'était peu à peu sortis de son lit. En rampant, puis en marchant. Elle tentait de s'occuper de toi, de reprendre la vie là où elle l'avait laissée. Où ses enfants l'avaient attendu jusqu'alors.
Tu étais une petite fille pleine de vie. Tu partageais ta bonne humeur en laissant résonner dans la maisonnée ton rire tonitruant. À peine posé sur le sol, tu rampais, roulais, avançais tant bien que mal. Tu ne voulais pas être une seconde loin d'Olivia et de Teodor. Après tout, quand bien même Sigrid était de nouveau parmi vous, il n’empêchait que pour un si petit être que tu étais, tes frères et soeur correspondaient à l'allégorie qu'un enfant devait se faire de ses parents. Aussi, il t'a fallu un peu de temps pour accepter le retour prématuré de ta mère. Autant affectivement que physiquement. Aussi étrange que cela puisse paraître, tu ne supportais pas d'être dans ses bras. Elle te déclenchait d'horrible sanglot qui ne s'arrêtait que lorsque la fatigue te prenait. Finalement, c'est en grandissant, en apprenant la place qu'elle avait dans ta famille, que tu commenças à l'aimer pour celle-ci. Une mère. Malgré le faussée qu'elle avait toujours placer entre vous et dont tu ne comprenais pas la raison exacte, tu l'aimais.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, tu n'as jamais réussi à épouser le quotidien que ta mère t'avait imposé. Se lever aux aurores, s'occuper des quelques animaux que vous possédiez, entretenir le jardin comme le champ. Tu respectais beaucoup Sigrid pour le travail qu'elle exerçait mais tu n'étais malheureusement pas faites pour cette vie-là. Au début, c'était un mal-être fastidieux et pourtant chronique. Ce n'est qu'en entrant dans une période de ta scolarité qui t'eux permis de ne vivre plus proche de la ville, que tu compris ce qui n'allait pas. Tu étais fasciné par le contact humain, la société se formait autour d'un seul et même modèle complètement contrôlable. Tu étais si jeune et pourtant, tu l'avais déjà compris. C'était sans doute pour cette raison que tu ne ressemblais en rien à la petite Citadine à laquelle Sigrid pensait. Encore moins a la minuscule paysanne à qui tes camarades de classe t'identifiaient. Alors non, tu ne faisais pas partie de ces jeunes filles aux allures de mannequin, passant le clair de son temps à la recherche du parfait prince charmant. Ton surnom imposé par cette étrange catégorie d’étudiante . La binoclarde. À l'époque, tes lunettes aux branches si épaissement noires avaient fait ta renommée. À ton plus grands désespoirs. Toujours est - il que tu appréciais l'école comme tout à chacun aime apprendre ce qui le passionne. Tu te contentais de t'imposer une notation plutôt moyenne lors des devoirs afin de ne pas décevoir tes aînés, et t'assurer de passer en classe supérieur. Cela dit, tu préférais davantage t'impliquer dans une matière qui te passionnait littéralement. L'astronomie. L'observation des astres, cherchant à comprendre leur provenance, leurs évolutions et leurs propriétés physiques et chimiques. Harvard étant une des plus prestigieuses écoles de cette ère, à travers les pays, arrivant même jusqu'à Oslo, tu ne pouvais pas passer à côté de cette opportunité. Tu as travaillé dur pour avoir les meilleures notes, les plus agréables appréciations. Et tu t'es évidemment acharné à économiser le maigre salaire que ton patron de supérette pouvait te verser. C'était un temps que tu n'oublieras pas. Un temps où la famille t'était étonnamment présente et où les réveils se faisaient plus durs de jour en jour. Le travail pesait. L'école pesait. Les étudiantes aux commentaires véreux pesaient. Tu n'étais qu'une toute petite fille et pourtant tu faisais preuve d'une étonnante détermination. Inébranlable. Tu irais à Harvard étudier l'astronomie, quel qu'en soient les efforts à fournir.


Cambridge. Harvard. C'était le plus beau jour de ta vie. L'avion venait à peine de toucher le sol que tes yeux pétillaient d'avance devant ce paysage nouveau. Toi qui n'avais jamais vu autre pays que la Norvège, tu savais d'ores et déjà que tu ressentirais quelques difficultés à t’acclimater. Pourtant, tu ne perdais pas ton objectif de vue. Quoi que partiellement atteins, tu avais une tout autre raison d'être ici. Juste avant ton départ, le plus âgé de tes frères te confia le très lourd secret de l'abandon paternel. La vérité était que tu n'étais autre que l'enfant bâtarde de votre mère et d'un autre homme. Un infidèle de passage ayant fait sentir à Sigrid sa féminité perdue à travers le dur labeur des champs. La pauvre femme avait cédé à son charme, bien sur. Tu n'avais jamais été très proche de ta génitrice et à vrai dire, tu ne lui en voulais même pas. N'importe qui aurait sans doute fait la même chose. Sans doute. Cependant, tu ressentais comme une douce rancune envers elle. Tu aimais ta fratrie aussi passionnément que tu le pouvais, et se dire que tu n'étais que la moitié de leurs sangs te brisait le coeur. Tu n'avais donc plus le choix. Tu allais retrouver cet homme, ce père inconnu qui avait inconsciemment brisé une famille unie. Tu lui agiterais sous le nez une vérité pour laquelle il n'éprouve aucun doute. Tu étais sa fille. Aussi étrange que ça puisse paraître, et tant pis. Il allait assumer ces dix-neuf ans d'absence. Qu'il le veuille ou non.
Respire Petra.
Respire.
Ce n'est pas finis. Juste le commencement d'une nouvelle vie de passion et de vérité.