C’était le moment. Gabrielle s’était éclipsée, me laissant avec son très cher fiancé, l’occasion d’avoir sa réponse à lui à la question du timing de leur fiançailles. Qu’est-ce que j’espérais ? Que cela date d’AVANT nos retrouvailles et qu’elle ait donc –trompé- le jeune homme avec moi dans cet ascenseur ? Que cela date d’APRES, que donc nos retrouvailles de l’été n’aient en rien entravé son envie de l’épouser lui plutôt que de nous laisser une chance à nous ? Non, je ne savais pas ce qui était préférable, je n’étais même pas tout à fait sûr de vouloir entendre la réponse. Il se posa nonchalamment sur son canapé, me jaugeant un instant avec de reprendre la parole pour me dire de me calmer. Je serrai un instant mes poings, nerveux, et de plus en plus énervé par ce petit air supérieur du garçon. Il avait Gabrielle… Il était son fiancé, et rien que ça, ça me rendait déjà dingue en soit. Les surnoms, les gestes et les regards, ça ce n’était que des goûtes d’eau dans le vase. J’allais bientôt déborder. Il me fit alors part de leur –date de fiançailles- avec une imprécision agaçante, comme si ce jour, le jour de ses fiançailles, n’avait pas été d’une importance capitale… Une petite remarque ironique m'échappa donc : « Ca a l’air de t’avoir drôlement marqué dis donc… » Tu respires pas l’homme amoureux Ael. Bordel, moi, le jour où je me fiancerais avec une fille comme Gabrielle, je me ferais tatoué la date sur la peau. Je me raclai nerveusement la gorge, pour essayer de réfléchir : milieu du SC. Après l’ascenseur donc. Mais surement avant la rencontre sur la plage non ? Qu’est-ce que ça voulait dire ? Comment le comprendre ? Où est-ce que je me situais là dedans ? Nul part, Denys. Tu n’es nul part. Des bruits de pas me firent relever la tête. Un verre de vin à la main, Gabrielle nous rejoint, glissant ensuite le précieux breuvage dans la main de son fiancé. Petit geste tendre et de partage entre futur époux. Arrêtez moi j’allais vomir. Je détournai les yeux avec un air passablement agacé quand finalement la brune s’approcha de moi, me demandant si j’avais obtenu ma réponse. « Ouais c’est bon… » bougonnai-je. « Il est pas très enthousiaste ton fiancé par contre… » J’évitais ses yeux, son regard perçant, refusant d’y voir la lueur d’amusement qui y brillait, mais la demoiselle de son index me fit tourner la tête dans sa direction pour de demander ensuite ce que j’espérais, ce que je cherchais en venant ici. Mes prunelles n’eurent alors d’autre choix que de s’accrocher aux siennes alors qu’elle me confiait son interprétation à elle de ma présence ici. « C’était des illusions aussi, ce soir là, sur la plage ? » répliquai-je alors, blessé, ne réalisant pas que mes propos pourraient peut être lui causer des ennuis avec sa moitié. Je m’en fichais pour le coup, mes illusions, j’avais encore envie de m’y accrocher. Alors puisque de l’ascenseur, elle aimait reprendre ses gestes, moi j’allais reprendre mes mots : « Je te l’ai dit, je t’ai prévenue : je n'abandonne pas facilement. » Je serrai les dents quand ensuite, quand elle lança une nouvelle question piquante. Mes prunelles perdirent alors les siennes, qui semblèrent lancer un sos à son fiancé, là bas, assis sur son fauteuil. « Dis moi que t’es heureuse avec lui, dis moi que t’es amoureuse, assure moi que ce futur mariage t’épanouie complètement, et je ne poserais plus de questions… » Parce que ça m’intriguait, ce mélange de complicité et de détachement qu’ils montraient tous deux envers leur futures noces. Est-ce qu’il y avait véritablement des sentiments entre eux ? Les observer interagir était un spectacle déroutant qui me laissait en proie aux doutes…

Cette dualité me faisait plus de mal que de bien, c’était presque insensé, masochiste, de m’appliquer à faire Denys souffrir comme pour me prouver qu’il n’était pas possible qu’on puisse m’aimer. Alors qu’au fond j’étais de celle qui crevait d’amour, à la recherche permanente d’émotion, de ressenti et de tendresse comme pour combler l’immense trou dans ma poitrine. J’étais détestable avec lui, persuadée qu’il allait finir par lâcher l’affaire, la peur de l’avoir pour pouvoir le perdre étant beaucoup plus forte que la peur des remords et de la solitude. Et à chaque fois que je sentais que mes mots le blessaient, ça me blessait aussi, alors je cherchais désespérément de l’aide près d’Ael, qu’il m’aide à l’achever à lui faire comprendre qu’il pourra s’accrocher autant qu’il le voudra je ne laisserais jamais son prétendu amour m’atteindre. La question que Denys me posa provoqua chez moi une angoisse que je m’efforçais de dissimuler. Il aurait été facile de mentir, d’afficher un bonheur faux mais le faire serait tirer un trait sur lui et dans toute ma contradiction je ne voulais pas le perdre définitivement même si cela impliquait de le mettre dans une incertitude constante. Je ne réponds pas, je suis troublée, je n’arrive pas à répondre. Moi, Gabrielle, je n’arrive pas à mentir et ça me fait peur, ça me fait putain de peur parce qu’habituellement je n’aurais pas hésité. Ael se lève et je béni sa présence, je peux m’accrocher à sa présence pour finir ce que j’avais commencé. Mon meilleur ami, mon sauveur, s’approche de moi et ses lèvres se collent aux miennes. Embrasser Ael c’est comme commettre l’inceste, il n’y a que le sang qui ne nous lie pas et pourtant je suis le mouvement de ses lèvres, d’une façon tendre, parce que je sais qu’il a compris, qu’il tente de me sortir de cette situation.  Nos lèvres finissent par se décoller et je regarde Denys, dissimulant mon trouble comme je le peux, je regarde Denys et je me perds dans ses yeux. Je sais que les au revoir seront difficiles mais ils le seront bien moins qu’une trahison ou qu’une perte. Après tout je l’avais déjà fait une fois à la suite de nos vacances en Indonésie alors je pourrais le refaire une seconde fois. Je souris aux mots d’Ael, d’un sourire faux qui cache la peur et je m’accroche à mon meilleur ami pour ne pas vriller. « Tu es convaincu maintenant Denys ? Ou tu préfères qu’on passe à la phase suivante devant tes yeux … », insolente, impertinente comme toujours « Quoi que je ne sais pas si ce genre de voyeurisme t’attire».  Je prends la main d’Ael comme pour lui faire sentir de ne pas me lâcher et regarde Denys de ce petit air supérieur qui me définit tellement bien. «Oublie ces vacances, oublie le summer camp et accepte de n’être qu’un visage parmi les autres  ». Je ne suis pas à toi, je ne serais jamais à toi, même en ce moment j’arrive à peine à respirer. Le sous-entendu d’Ael au sujet de ma fausse grossesse manqua de m’achever, si jamais je n’étais pas appuyé à lui, je serais probablement tombé à la renverse. Je fis mon possible pour ne rien laisser paraitre articulant distinctement « Au revoir Denys …».