Une date, une soirée pas comme les autres pour certains profils en particulier et il en est conscient pour être lui aussi l’un des premiers à être impactés. Pas besoin de la regarder pour comprendre qu’elle doute de la suite : il boit ses paroles fardées d’appréhension pour les partager aussi. « Absolument pas. » Nullement engagée, libre encore de faire machine arrière pour ne pas prendre de risques inconsidérés. Lui-même derrière son faciès enterré sait que ce rendez-vous peut tout changer.  « Mais c’est bien à un rencard que vous me conduisez. » D’une autre œillade il la toise silencieusement, garde pour lui tout jugement : elle est bien trop aristo pour s’être adonnée au même jeu que lui, la voyant mal s’être jetée tête la première dans une expérience sans connaitre le pédigrée de celui qu’elle aura la chance de rencontrer.

Les kilomètres découlent au compteur sous les reflets irritants des réverbères avant qu’un autre carrefour ne les ralentissent, stoppés au rougeoiement d’un feu tricolore tenant en respect la sombre berline. Discrètement il a posé sa main droite sur sa manche pour la retrousser et observer le cadran qui trône à son poignet, les secondes le rapprochant lui aussi de sa destinée. Une forte expiration se dégageant de sa cloison nasale, chose qui pourrait être interprétée par de l’impatience, et sa paume reprend place sur la boite de vitesse, solidement arrimée sur le pommeau pour passer la première et s’engager dans la file pour en revenir aux faits.  « J’imagine que je ne reviens pas vous rechercher. » L’after, il se l’imagine durer toute la nuit au cœur d'un lit, un programme qu'il ne cherchera pas à contrer et pour cause il ne sait encore comment le sien va se dérouler. Mais même si c'était le cas le concernant, il devrait tôt ou tard s'éclipser si elle exprimait elle le souhait de rentrer durant la soirée, le travail et ses engagements envers Witter prenant le pas sur le privé.

Un rencard ou potentiellement un fiasco, j’avoue avoir de gros doutes ce qui serait approprié comme mot. Ne pas savoir lequel utiliser est un peu en train de m’irriter. Cette perte de contrôle, de maitrise sur mon monde, ce n’est pas une sensation que j’affectionne. Et mes prunelles se défont finalement du rétroviseur, glissent à nouveau sur la fenêtre à contempler les façades bostoniennes. Décidée à ne pas m’épancher plus sur le sujet avec l’un de mes employés. Enfin, même s’il ne l’est pas tout à fait.

Sur les surpiqûres du cuir, mes ongles s’agacent une nouvelle fois lorsque nous marquons un autre arrêt dans notre trajet. Un réflexe nerveux car en réalité, je n’espère pas arriver trop en avance, déteste l’aspect femme désespérée que cela pourrait me donner. Cette histoire, c’est une question d’une seule et unique soirée, alors inutile de paraître impliquée. « J’imagine que je ne reviens pas vous rechercher. » Mon minois, je le relève vers lui, bat des paupières avec lenteur, de toute ma candeur. Ne pas revenir me chercher suppose que je vais passer la nuit en bonne compagnie. Mais comment l’affirmer quand on ne connait pas la personne que l’on va rencontrer ? Oui, c’est bel et bien un fiasco que j’aurais dû annoncer, cependant, j’ai beaucoup trop de fierté. Cela dit, me réponse le laisse songer ; « J’n’en sais rien. » Et puis, il ne faut pas oublier, que je suis une garce qui aime bien l’idée de lui flinguer sa Saint Valentin. Nouveau chauffeur… autant lui annoncer dès la première course, la couleur. « Je ne connais pas la personne que je vais rencontrer. » Comme s’il était nécessaire de me justifier. « Ca ne devrait pas prendre plus de quelques heures. » Un timing suffisant pour piétiner des espoirs et briser un cœur.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

 
Plus ils se rapprochent de leur destination et moins il est certain de programme de sa soirée, le doute venant tendrement s’immiscer dans ses propres pensées. Elle aussi semble consciente de cette épée de Damoclès planant au-dessus dans ce ciel étoilé. « J’n’en sais rien. » Entre deux reflets de phares allant à contre sens il se sent rongé par la curiosité, assez pour oser franchir ces limites de la bienséance en la scrutant de plus belle par le biais du rétroviseur. Elle a tout de ses jeunes femmes à qui on ne peut rien refuser, caprices et suppliques qu’il ne vaut mieux pas contester sans se risquer à perdre plus qu’une place même si ce n’est que derrière un volant le temps d’une soirée. Un non est synonyme de préjudices dans leur monde et ne pas se plier à leurs exigences peut entrainer de lourdes conséquences, suffisamment conscient de cette vérité pour se méfier de cette cliente. « Je ne connais pas la personne que je vais rencontrer. » Une sensation de déjà vu parce que lui aussi devra bientôt s’y prêter. Curieusement autre chose vient lui effleurer l’esprit. Même endroit, mes horaires, plonger dans l’inconnu… Et si…. « Ca ne devrait pas prendre plus de quelques heures. » Il a subitement ce sourire lubrique en coin lorsqu’elle évoque le fait de ne pas durer le plaisir trop longtemps, son regard voguant de l’asphalte au turquoise de la rousse incandescente.  « Un rendez-vous arrangé par votre père peut-être. »  C’est monnaie courante dans leurs sphères d’offrir sa progéniture au consortium le plus offrant, une tactique vieille comme le monde et qui pourtant fait toujours office dans les cadres les plus respectés.

Et puisqu’elle ne semble pas emplie de joie à l’idée de le rencontrer, c’est qu’elle n’a nulle envie de se voir pieds et poings liés pour l’éternité. Dernière ligne droite avant d’arriver au point de largage, il se permet de ralentir pour observer, scruter l’endroit à l’enseigne qui réveille en lui quelque chose. « Nous y sommes. »  La berline se positionne sur le bas-côté au son répétitif d’un clignotant auquel il met un terme d’un simple mouvement de la main, cherchant ensuite dans ses propres messages l'adresse à laquelle il est censé lui aussi se présenter et en profite pour lui demander: « Vous avez mon numéro ? » Il n’est pas certain que son père lui ait donné puisqu’il ne s’agit que d’un simple intérimaire qui ne fait que passer mais elle en aura besoin lorsqu’elle en aura terminé.

Quelques heures… Quelques minutes peut-être, si je suis honnête. Parce que jusqu’aux capsules ça allait, pour contenir le naturel que je tentais de chasser. La rencontre en chair et en os, ça risque d’être plus compliquée. Loin d’être faite pour l’amour, ce qui se distille dans mes veines, c’est, le plus souvent, de la haine. « Un rendez-vous arrangé par votre père peut-être. » Ce serait probablement, tout autant malaisant. Je grimace en revanche, non pas pour sa supposition mais pour son obstination. Sa volonté à deviner ce que je compte faire de ma soirée. Soit, il désire simplement faire la conversation, trahissant passablement une nervosité à me conduire à cette soirée, soit, il est intéressé. Par quoi, j’avoue que je ne vois pas. Une décennie nous sépare à quelques années près, alors j’imagine qu’il n’est pas question, ici, de vouloir me baiser. Quoi que… rien est assuré. Je n’ai pas vraiment testé son degré de perversité. « Nous y sommes. » Merde déjà. Je le voyais plus loin le quartier de Jamaica.

Je mâchouille ma langue et ne bouge pas pour autant. Ce pourquoi il me relance, je suppose, « Vous avez mon numéro ? » Si jamais ce rendez-vous était un fiasco. « Vous avez le téléphone de Lewis ? » mon chauffeur habituel, si c’est le cas, alors oui, j’ai son numéro, et si non, forcément, je ne l’ai pas. Cela dit, je ne m’anime pas plus que ça, si bien que je pianote sur le cuir de mes doigts, « J’ai un rendez-vous à l’aveugle. » que je confesse avec une certaine aigreur. Je n’appréhende pas, je ne le prends que très peu au sérieux, « Je vais peindre un inconnu. » Même si dans le fond j’ai gagné contre Sheng, dans la forme, à être ici, sans avoir le contrôle de quoi que ce soit, je crois que j’ai perdu.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

 Sous ses yeux se profile l’adresse exacte du quartier où il est censé lui aussi se pointer et curieusement ce qui est contenu dans ce texto correspond à celle rentrée dans le GPS de la berline. Ses doutes n’en deviennent que plus intenses lorsqu’elle reprend la parole, le rappelant d’une seule phrase à l’ordre. « Vous avez le téléphone de Lewis ? » Pourquoi aurait-il celui d’un absent ? Les traits froncés il reprend position, réajuste son allure dans le fond de son siège baquet sans perdre le contact visuel au travers du miroir qui lui renvoie l’image d’une femme déterminée. « J’ai un rendez-vous à l’aveugle. Je vais peindre un inconnu. » Voilà qui met un terme à ses suppositions, le regard insistant sur ce reflet. Le ridicule de la scène le fait subitement sourire alors qu’il détourne les yeux pour ne pas la vexer, se heurtant à la façade de cet immeuble où ils doivent tous les deux se présenter. « La vie est parfois surprenante… »  Et quand il faut y aller, il faut y aller. Alors sa paume se pose lourdement sur la poignée de sa portière afin de se libérer et surtout de contourner le véhicule, trainant son quintal jusqu’à la vitre fumée pour frapper contre cette dernière de deux doigts afin de mettre un terme à son attente.
La portière de sa passagère une fois ouverte, son visage s’affaisse vers sa jeune cliente. « L’inconnu a ses avantages. Je ne vous dis pas à tout à l’heure… » Persuadé qu’elle se laissera aller puisqu’il n’y a pas à avoir de regret. Cela dit, elle a tout l’air de les choisir d’ordinaire au pédigrée alors il espère pour cet inconnu, et dans son intérêt, qu’il saura à juste titre lui plaire. « Si vous voulez vous en donner la peine.» Il s’est écarté de l’accès, lui laissant le champ libre afin de sortir de sa zone de confort et de gouter à l’air frais, impatient lui aussi de se préparer.

J’ai sur la langue un goût de ridicule après lui avoi dit que j’allais passer le reste de la soirée à peindre de gribouillis sur un inconnu. J’ai bien des talents, mais le dessin est loin d’en faire partie. Tout comme les relations, alors oui, je suis Wendy Witter, mais je suis aussi en pleine hésitation. Cette situation, elle est sacrément con. Et à voir poindre sur ses lèvres un sourire qu’il détourne du rétroviseur, j’accuse un sentiment d’aigreur. « La vie est parfois surprenante… » Non, pas vraiment, la mienne est on ne peut plus calculée, le hasard ce n’est jamais que je le permets. En revanche ce qui me fait tiquer, c’est que ça lui semble naturel et tout à fait normal que je m’apprête à aller jouent les peintres en herbe sur la peau d’un étranger. Et si… ? S’il avait joué, lui aussi ?

Mais mon interrogation reste en attente, parce qu’il s’extirpe de la voiture et me laisser quelques secondes seule avec mes pensées, jusqu’à ce que la porte s’ouvre et qu’il suppose, « L’inconnu a ses avantages. Je ne vous dis pas à tout à l’heure… » Traduction, le timing que je lui ai précédemment donné ne lui paraît pas justifié. C’est donc à supposer que si ma propre hypothèse est véritable, lui, il compte bien y passer la nuit… « Si vous voulez vous en donner la peine. » Alors qu’il se décale pour me laisser sortir, le bleu de mes yeux trouve le mordoré des siens, un sourire glissé sur les commissures de mes lèvres à l’instant où je me relève, la porte claquant derrière mon dos, « Alors, » je l’apostrophe une fois perchée sur mes talons, « vous allez vous essayer à l’art aussi ? » et même s’il est mon chauffeur ce soir, je peine à croire qu’il est celui que je m’apprête à rencontrer. Pas la même façon de s’exprimer, même si je lui accorde le fait qu’il y a les barrières automatiques d’une patronne envers son employé. Mais surtout, l’âge ne correspond pas, je dois rencontrer un garçon plus jeune que moi. « Pas d’appréhension ? » Puisque l’inconnu a ses avantages, faussement expert en la situation.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.