I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

Si je doutais du bon augure planant sur ce rendez-vous, là, tout de suite à devoir me confronter à un homme qui fait littéralement deux fois ma taille et probablement le triple de mon poids, je me dis que je vais me faire flinguer avant d’y arriver. Au moins, Sheng aura eu raison, je vais le poser ce lapin au pauvre garçon. Alors je sonde le visage de l’inconnu, avec mon éternelle arrogance, ma suffisance, ce n’est pas parce qu’il est plus imposant que je vais avoir peur comme si j’étais une enfant. Si je réagissais comme ça, je ne serais jamais devenue moi. « Votre père m’a recruté. » Sourcils arqués, je marque la surprise, mais d’un autre côté, il ne m’aurait pas forcément prévenu, c’est vrai, « Lewis est indisposé. » Il m’en dira tant, je hoche le visage en un geste compréhensif mais tout dans mon être reste méfiant.

Et je le regarde aller vers la berline, tout ce que je me contente de faire, c’est incliner la tête, suspicieuse d’un rien tandis qu’il se retourne pour me harponner de son prénom, « Jared. » Je n’ai pas franchement le choix, même si l’idée d’arriver en retard m’enchante un tantinet, je me rends à l’évidence de quelques faits, nous sommes en début de soirée, c’est la Saint Valentin, la ville est bondée, et clairement un taxi mettrait presque une heure à débarquer. Alors j’inspire longuement et m’approche à mon tour de la voiture, de la porte qu’il tient ouverte, « La géolocalisation de mon téléphone est activée et mon père vous foutra dans le couloir de la mort, si jamais… » il lui prenait l’envie de m’abîmer. En un sourire aussi angélique que mauvais, je vais m’installer.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

Elle abdique mais ce n’est que parce que la logique lui dicte à elle aussi que c’est çà ou rester chez elle ce soir. Les rues bondées, les retours dans le centre de Boston après une journée de travail à la périphérie, ceux qui commencent à œuvrer de nuit… Ce n’est pas le moment idéal pour traverser la ville mais ils n’ont pas le choix puisque dans moins d’une heure débutera leurs rendez-vous. Alors elle se glisse à l’intérieur non sans lui persiffler une mise en garde qui le fait légèrement sourire sous son masque d’impassibilité. « La géolocalisation de mon téléphone est activée et mon père vous foutra dans le couloir de la mort, si jamais… » Pas grave : des preuves, il a appris à s’en débarrasser proprement alors un téléphone… Ce n’est pas ce qui l’arrêtera dans ses nobles projets. Il ne dit rien mais attend juste de voir le dernier talon décoller de la chaussée pour refermer derrière elle, un peu plus énergiquement que ce qu’il aurait dû, et faire le tour du véhicule.
Encore une fois ses doigts vont détendre les pans de sa veste avant de reprendre sa place, écrasant les surpiqures de son siège et la berline se rapprochant de quelques centimètres de la terre. Son occupante dévisagée au travers du rétroviseur centrale il étudie rapidement chaque point de sa tenue. « Où va-t-on ? » Si le mercenaire a pour habitude de ne rien laisser au hasard d’ordinaire, il en est tout autrement ce soir, laissant à sa passagère tous les droits puisque c’est elle qui détient – par le biais de son père – sur lui le pouvoir….

J’ai, en mon père, une totale confiance. Et ‘il m’a envoyé ce chauffeur, c’est qu’il est sur de lui, alors j’avoue que je ne doute que de moitié. Après tout, il connait le prénom de la personne qui me balade habituellement, et il semble aussi … sérieux qu’un conducteur de berline doit l’être. Endimanché dans un costume d’un goût douteux à mon humble avis, et trop serré pour sa carrure aussi. Mais j’imagine que le style ainsi que la mode ne font pas réellement partie de ses priorités.

Alors je plonge sur le cuir, l’air tout de même contrarié. Cette soirée ne parvient toujours pas à m’inspirer. Il y a ce truc qui me dérange, une mauvaise impression qui depuis peu me démange. Une pensée que je chasse tandis qu’il referme la portière avec une pointe de véhémence. Puis naturellement il prend place derrière le volant, et son regard vient trouver le mien dans le rétroviseur, sans sourciller, je le soutiens. « Où va-t-on ? » Une réponse telle qu’en enfer me brûle les lèvres, mais je ne suis pas certaine qu’il fasse le lien. Personne ne le ferait, ça ne fait de sens que dans mon esprit malsain. « Jamaica Plain, » je déballe l’air dégouté, comme si le quartier en lui-même me filait une réelle nausée, « Parkside. » Un lieu où je n’aurais jamais, en temps normal, mis les pieds. Prise à mon propre piège, car j’ai voulu jouer à la plus maligne, j’ai souhaité prouver que j’étais la meilleure, et encore une fois, j’ai désiré plus que tout abîmer l’amérindienne et son petit cœur. Et ce n’est même plus un plaisir personnel, ça ressemble à un amusement pervers auquel je suis habituée. A être une connasse sans que cela soit vraiment justifié, j’ai les meilleures capacités.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

 Les mains sur le volant il attend patiemment tout en la dévisageant avec une note de déférence. « Jamaica Plain, » Soit, il connait le chemin vers cette fraction de la ville qu’elle vient de mentionner puisqu’il doit s’y perdre juste après. Mais lorsqu’elle pousse le vice au détail, sa nuque décline légèrement vers l’arrière du véhicule avant de s’y refuser, gardant à l’esprit ce pour quoi il a été engagé. Curieusement il doit aussi se rendre précisément dans ce quartier pour son rendez-vous. Même horaires, même lieu, trop frappant pour n’être qu’une coïncidence hasardeuse. Et pourtant il ne dit rien, revenant à la chaussée ainsi qu’au trafic qui l’anime pendant qu’il donne le premier coup de clef.  La berline quitte son emplacement, cadencée par les ronronnements du moteur et le bruit du clignotant qui se meurt comme par enchantement lorsqu’ils sont bien engagés dans la voie. « Pour un vernissage ? »  Qu’il sonde, coupant court à l’atmosphère silencieuse, curieux de savoir ce qui peut amener une fille à papa dans un tel endroit.

« Il n'y a pas grand chose d'autre là bas. » Ce n'est que pour faire passer le temps qu'il tente d'amorcer une discussion, ses doigts jouant au premier feu rouge sur la tablette tactile de la console pour rentrer l'adresse qu'elle vient de lui donner. Lui même n'a jamais été appelé à errer dans ce coin précis de la ville, jugé beaucoup trop futile et sans intérêt. il n'y a que des maisons de quartier, des familles aux revenus modestes qu'il ne sert à rien de voler. Un coin tranquille sans histoire, du moins jusqu'à ce soir.

Naturellement après mon indication, il démarre et déjà mon regard quitte l’arrière de sa tête afin d’observer les détails de la ville par la fenêtre. Mais si je m’apprêtais à passer le reste de ce trajet silencieuse, à l’évidence, je n’avais pas réalisé le degré de curiosité de mon nouvel employé. « Pour un vernissage ? » Un sourcil arqué parce qu’il ose s’adresser encore à moi, je vais chercher ses prunelles dans le rétroviseur… Tentée de lui demander ce que ça peut bien lui foutre ce que je vais y faire, dans ce quartier. Mais je me fais violence, à la lisière de me mordre la langue.

Secouant le faciès par la négative, non, je ne vais pas à un vernissage bien que quelque part, je suis assez convaincue que j’y serais mieux que dans ce rendez-vous organisé par une bande d’inconnus. « Il n'y a pas grand chose d'autre là bas. » Là, c’est de haut en bas que je hoche le visage, approuvant ce qu’il vient d’articuler, ce n’est absolument pas mon quartier préféré. « C’est vrai, » que je prononce, griffant le cuir et ses surpiqûres du siège passager de la voiture, « Mais non, je n’y vais pas pour l’art. » Quoi que. En un sens peut-être un peu. « J’ai un … truc. » en rapport avec la date d’aujourd’hui. Un mystère aussi bien qu’une idiotie. Un truc qui me paraît improbable et qui n’est pas ce qu’on pourrait appeler une véritable bonne idée. « Et vous ? Pas de Saint Valentin pour votre femme ? » puisqu’il veut papoter, autant que je récolte quelques détails, de quoi aiguiser mes futures armes.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

 Quelques mètres d’asphaltes avalés et ils parviennent, le moteur ronronnant sous les reflets d’un feu tricolore les contraignant à l’arrêt, à entamer un semblant de conversation alors qu’il devrait garder le silence dans le but de respecter les convenances. « C’est vrai, Mais non, je n’y vais pas pour l’art.» Voilà qui est intéressant parce que mis à part les petits musées et magasin fermés à cette heure, ce sont pour ses dealers que le quartier est réputé. Loin du centre-ville il est plus aisé de disparaitre des radars des autorités et les jardins clôturés des petites citées sont un terrain de jeu idéal pour les semer. Pas de gros trafiquants mais juste de petits délinquants qui s’essayent en groupe au crime organisé, une image qui fait sourire celui dont les paumes effleurent le volant. « J’ai un … truc. » Forcément sa première pensée rejoint ce dont il était question il y a un instant dans ses réflexions : jeunesse dorée qui ne souhaite attirer l’attention sur elle en s’éloignant de son domaine pour aller se réapprovisionner en poudre à sniffer. Mais la tenue ne correspond pas, ses pupilles s’heurtant aux reflets mordorés des boucles qui parent les oreilles de sa cliente par le biais de ce rectangle. Pas vraiment discret comme accoutrement…

Les roues reprennent lentement leurs rotations interminables dès qu’ils en ont l’autorisation, quittant les artères principales de la ville pour une toute nouvelle direction : Jamaica Plain. « Et vous ? Pas de Saint Valentin pour votre femme ? » Elle gagne le droit à un énième coup d’œil par le biais du rétroviseur avant qu’il ne replonge sur ce que la voiture pourrait heurter droit devant lui, conscient qu’il ne doit pas se laisser distraire. « Non. Divorcé. »  Pas d’alliance à son doigt comme il se plait à le vérifier lorsque ses mains poursuivent leur travail au contact du cuir surpiqué. « Mais… »  Il n’est pas coutume pour les chauffeurs de raconter leurs vies, aussi, il s’arrête en fixant le défilé des réverbères au travers de son pare-brise. « Vous l’êtes ? Mariée… » , ou bien engagée parce qu’il n’est pas totalement con et que si elle pose la question… C’est que la saint-valentin doit être au cœur de ses préoccupations.  

Nos regards se cherchent, s’entrecroisent dans ce rétroviseur, une manière réservée de garder active, malgré les silences, cette étrange conversation. Avec Lewis, je me permets, quelques fois, de me laisser aller au jeu des confidences, mais ici, je sais qu’il vaut mieux miser sur la méfiance, peu encline à lui faire confiance. « Non. Divorcé. » Alors l’information confirme mes réticences, si sa femme l’a quitté, c’est qu’il doit être compliqué à supporter. Alors je hausse les sourcils sur cette pensée, envisageant tout de même - légèrement - qu’ils venaient potentiellement d’elle, leurs problèmes. Mais imaginer des vies à des inconnus n’est pas mon activité préférée, de fait, j’abandonne rapidement, ce n’est pas comme si nous étions destinés à nous côtoyer plus longuement. Après cette soirée, il sortira de mon existence, ce remplaçant. « Mais… » Il m’apostrophe et je relève derechef les prunelles, détaillant un peu plus ses traits qui accrochent les miens, avant de détourner les yeux pour observer le derrière de sa nuque, la tension dans le segment de sa mâchoire que je peux contempler. « Vous l’êtes ? Mariée… » Le rictus qui m’échappe, il est incontrôlé, je pouffe en faveur de la vérité, je suis loin de l’être, sans compter qu’une mijaurée prend un malin plaisir à s’imposer dans mes projets. « Absolument pas. » Même si Sheng ne l’avait pas engrossé, son idiote, ce n’est pas encore que nous serions liés sur papier, étant donné que j’avais opté pour faire preuve de patience, attendre que l’on soit diplômés avant de débuter les hostilités. « Mais c’est bien à un rencard que vous me conduisez. » L’espace d’une seconde, j’ai hésité à le lui révéler, mais j’admets que dévoiler mon but me convient mieux que de passer pour une fille qui ne serait pas désirée, esseulée pour cette particulière soirée.

I am not a muse
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End of fucking story.