Revenir chez elle lui fait toujours le même effet, ça renforce et confirme la sensation de manque qu’elle s’est évertuée à faire taire toute l’année. Quand ses prunelles se posent sur les décors de montagnes enneigées, de cartes postales immuables, elle éprouve ce bien être, cet apaisement, laissant de côté les appréhensions liées à ses parents. D’ailleurs, cette pensée minime à leur sujet, lui rappelle qu’ils ne sont pas au courant. Comme si elle pouvait oublier un détail tel que celui-là, convaincue que dans tous les cas, sa mère, en la voyant, c’est directement qu’elle comprendra. Non pas à cause de son apparence qui a changée de façon infime, mais parce qu’elle est persuadée qu’une mère voit ces choses-là. Peut-être, d’ailleurs, que sensorielle comme elle l’est, elle le sait déjà.

Et après plusieurs minutes à rouler, ils s’arrêtent finalement face à la maison de son enfance, un soupir s’échappant des lèvres d’Haiwee lorsqu’elle la contemple… Le berceau de ses espoirs, de ce qu’elle a été, de ce qu’elle sera, « Ils vont encore me refiler le tipi. » Son regard déclinant sur le profil du conducteur, elle ose lui remémorer un fait, « Pourtant tu y avais apprécié ta première nuit. » Ou presque. Celle où elle avait décidé de repartir avec lui. De changer le cours de sa vie. La main posée sur la poignée, elle crache un soupir déterminé avant de se décider à ouvrir afin de sortir. Suivant les mouvements de la brune, elle l’entrevoit s’extirper de la voiture qu’ils ont loué à leur arrivée, avant de se lancer ; « C’est peut-être le moment de t’avouer que… » sa voix est coupée par la portière qu’elle vient de refermer, contournant la voiture afin de se retrouver à ses côtés, « qu’ils ne savent pas. » qu’ils attendent un enfant. Elle lui offre un sourire contrit comme pour se dédouaner, se cherche une innocence lorsque sa paume va accrocher son bras, « Chez moi, c’est à l’homme de l’annoncer. » elle lui souligne, tout à fait sérieuse l’espace de deux secondes, le temps qu’il assimile la fausse tradition. Et se fond en une expression plaisantine avant d’articuler, « Je rigole, » et caresse la joue de ses doigts gantés, « pour la seconde partie seulement. » Pour ce qui est de la première, il leur faudra réellement affronter en direct le regard probablement désapprobateur de son père.

Malgré ce qu’elle aurait pu penser, la contrariété qui avait paré ses traits ne s’est pas envolée aux derniers mots de la Haiwee, c’est d’ailleurs plutôt l’inverse, presque… Car à l’instant où il s’exprime, c’est renfrogné qu’il reste, « D’accord, j’ai compris. » elle entend son trouble sans parvenir à déterminer ce qu’il a saisis, ce qui semble l’embêter autant. Parce que certes, elle aussi elle appréhende, mais pas de là à voir son humeur baisser. Elle trouvait simplement mieux de leur annoncer en étant face à eux, pas au travers de téléphones interposés. Déjà qu’ils ne sont pas fanatiques de technologie, ils n’auraient probablement pas supporté d’être mis, d’une certaine manière, de côté. « Tipi. » Elle en secoue d’instinct le visage de gauche à droite un tantinet amusée face à son dépit. Peut-être qu’ils seront moins catégoriques que lui, les températures négatives pourraient les convaincre d’apaiser leur aigreur…

Puis à l’aube d’une nouvelle année, des changements que la prochaine peut leur réserver, elle a des envies de croire que son père saura l’accepter, sa mère s’étant déjà bien faite à l’idée. Alors oui, on ne sait jamais. L’espoir et Haiwee. « J’aurais dû le parier, » il s’agace en se détournant de la brune afin d’aller récupérer leurs affaires, se charge de celles-ci, si elle prend le temps de le regarder quelques secondes s’activer, ce n’est que pour mieux planter sa vision sur l’entrée de la maison aux allures de chalet enneigée, bien qu’un peu plus grand que ceux présents dans les contes pour enfant. « Allons voir si j'suis toujours dans les bonnes grâces de belle-maman, » Un sourire en coin, elle lance avec affection une œillade à son amant, expirant pour se trouver la dose de courage qui lui manque pour avancer en direction de l’entrée.

Ses bottes s’enfoncent en un bruit sourd dans la neige, à chaque pas, « Mon père apprendra à t’apprécier, tu sais, » un jour ou l’autre, et en un sens, elle est certaine que la balance sera penchée au moment où ils accueilleront leur bébé. Au moins, elle se rassure du fait que les siens fournissent un effort, qu’ils s’ouvrent tandis qu’ils ne l’avaient jamais fait jusqu’alors. Et bien qu’elle ne se permette pas de l’acculer, elle ne peut pas freiner ses songes, et penser que ce n’est pas du tout le même schéma de son côté. Pour la famille de Sheng, l’amérindienne n’existe pas, elle le sait… « Puis le froid pourrait jouer en ta faveur. » Pour l’histoire du tipi, elle plaidera pour lui.

Les quelques escaliers grimpés, elle pose ses doigts sur la porte, hésite une seconde avant d’ouvrir, comme si elle attendait l’approbation de Sheng, savoir s’il est prêt, donc après un coup d’œil complice, elle actionne la poignée, choisissant pour s’annoncer de quémander la douceur maternelle ; « Amá* ? » elle la devine non-loin de là, puisqu’il y a un feu dans la cheminée, surplombé d’une théière en fonte en train de chauffer, la lueur des flammes attire la vision d’Haiwee mais aussi l’odeur qui s’en dégage, qu’elle connaît, en une fraction de seconde, elle s’imprègne de cette ambiance, des souvenirs de son enfance. « Houx sauvage et Agastache. » Une preuve qu’ils étaient attendu, même si pour le moment, les Wind River brillent par leurs absences.

*mère

« Ouais enfin, c’est pas un cadeau non plus ton père. » Bien sûr, il remet en question ses espoirs, et ça ne la perturbe même pas, elle est habituée à ce que ça fonctionne entre eux comme ça. Et c’est là tout ce qu’elle aime, leur dualité, leurs différences et points communs, les détails qui font que c’est ancré – dans son esprit en particulier - que tous les deux c’est fait pour durer. En tous cas, il est clair que l’amérindienne est sure d’elle et y croit.

Et puis les voilà à l’intérieur, et elle reprend si vite ses marques, catapultée dans cet univers qu’elle a toujours connu. En un battement de cils donc, elle se retrouve au cœur des hivers de son enfance, elle en reconnait la lueur, les odeurs, cette infusion destinée à les réchauffer, comme celles que sa mère faisait lorsqu’une
tempête de neige grondait. C’est plus fort qu’elle, malgré toute cette volonté dont elle a su user pour les fuir, l’évidence c’est qu’elle aime tant être là.

Dans son dos, son partenaire bougonne, lui arrachant un sourire, « Tout ce trajet pour rien. » elle en a des envies de rectifier, elle aime être ici, mais ce qu’elle adore, c’est de s’y trouver avec lui. Persuadée que ses parents ne sont pas très loin, elle ne répond rien. Cela dit elle se laisse volontiers enlacée par ses bras, éprouvant son côté joueur lorsqu’il essaie de lui arracher son bonnet. « J’ai une idée. On est les premiers. A eux la tente. » Alors Haiwee étire ses lèvres en un nouveau sourire, entremêlant ses doigts aux siens, aussi gênée, faute de l’endroit où ils sont, que bien.

Ses ressentiments s’entrechoquent lorsqu’elle effectue un mouvement léger afin de se retourner vers lui et d’incliner son visage vers celui de son amant, accrochant son regard en silence l’espace d’un court instant … « Autant tirer un trait sur ton acceptation dès maintenant. » S’il compte réellement négocier avec ses parents le fait de dormir dans le tipi, sous couvert de premiers arrivés, premiers servis… il faut être réaliste, ses chances de se faire une place dans sa famille sont d’avance compromises. Dévorée par l’envie, elle se laisse tenter par une approche, sa bouche déclinant en direction de ses lèvres dans l’espoir d’y déposer un effleurement au goût de baiser volé. Mais le décompte des millimètres qui les sépare de l’impact imminent est avorté soudainement.

La porte de la maison s’ouvre, et au regard que leur lance le nouvel arrivant, peu importe les bonnes grâces citées, ils sont rhabillés derechef pour l’hiver à ne pas en douter. La mère de l’amérindienne reste sans mot dire tandis qu’Haiwee se décale d’un pas sur le côté, à la recherche d’un moyen de tirer ses marrons du feu afin de se sortir de cette démonstration d’affection sur laquelle sa mère est tombée et qui n’est pas réellement, ici, autorisée. Comme une gamine prête à se faire enguirlander elle se décide à articuler, « On se demandait où tu étais, on vient juste d’arriver. » et se détache totalement de Sheng afin de s’avancer vers sa mère qu’elle hésite à étreindre. Parce que leur relation reste à demi cautionnée, elle perd de son naturel pour se comporter, malgré tout, c’est dans sa langue maternelle qu’elle lui souffle ces quelques mots, « Je suis heureuse de te retrouver. » la politesse et le respect accentués, elle espère que l’Adams fera de même pour la saluer.

Emplit d’une émotion sur laquelle elle peine à mettre un nom, elle contemple le visage de sa mère. Elle cherche les différences par rapport aux traits qu’elle garde en mémoire de celle qui a été son héroïne durant son enfance.  C’est peut-être bête, mais elle remarque ses rides, celles qu’elle connait et celles qui sont apparues durant les mois qui viennent de passer. Depuis la dernière fois qu’elle l’a vu, un an s’est écoulé. Elle a une étrange sensation de louper des détails, de manquer de lucidité, entre ce dont elle se souvenait et l’apparence de celle qui se tient face à elle. Les réminiscences s’entremêlant au réel.

Elle a envie de la prendre dans ses bras, de reconnaître son odeur et d’entendre en parfait écho aux siens, les battements réguliers de son cœur. Mais elle se fait hésitante, n’ose pas s’approcher, parce qu’elle ignore encore sur quel pied danser. A quel point leur relation est abîmée, si elle peut toujours se rapiécer. Il n’empêche que dans l’émotion de ses retrouvailles, elle revient à elle lorsque la voix de Sheng vient briser les silencieuses secondes, enchaînant à la suite des mots prononcés par la brune. « Bonsoir. Désolé. » Les commissures de de ses lèvres s’étirent en un arc léger, appréciant qu’il ait opté pour le fait de présenter des excuses, reconnaissant le fait qu’il montre patte blanche afin de mieux se faire accepter, « On est peut-être arrivés un peu trop tôt, » alors son regard se détache de la silhouette maternelle et va se poser sur celle de l’homme qui l’accompagne. « On aurait peut-être dû vous tenir au courant. » Elle affectionne qu’il assume de former avec elle ce nous et ce face à ses parents, même s’il n’y a que sa mère dans la pièce pour le moment.

Elle qui espérait qu’il ferait preuve de respect, elle n’est pas déçue au contraire, mais dans le fond, c’est d’avance qu’elle le savait, car malgré les différences de leurs cultures, l’égard à avoir envers les anciens, ils l’ont appris tous les deux… Une pointe d’appréhension toujours présente dans les gestes de la Haiwee, elle soupire de soulagement à la finalité, lorsque sa mère se décide à parler, « Nous étions au courant, » elle répond à Sheng, un brin sèche pour la forme, plus que ce qu’elle ne l’est véritablement, ils savaient qu'ils allaient arriver mais ils ne se sont pas arrêtés de vivre pour autant. Avant que sa paume s’aventure à cajoler la joue de sa fille retrouvée, murmurant à son tour dans leur dialecte, « Tu as changée. » Si bien qu’Haiwee lui en offre un sourire excusé, parce que oui, elle l’a fait. Sans le vouloir, sans s’en apercevoir, elle n’est plus tout à fait celle qu’elle était. Puis la doyenne se reprend, « J’ai fait du thé, » encore, c’est à l’étudiant qu’elle s’adresse, elle se déplace pour récupérer des tasses dans lesquelles le verser, « ça va vous réchauffer, » comme s’il avait naturellement plus froid qu’eux qui sont nés ici-bas, « ton père va arriver. » Pour les prévenir du début imminent des hostilités.