THE SALEM WITCH TRIAL • Me rendant après les cours chez Haiwee pour cette soirée bien particulière, je n’ai pas pu résister à l’envie de faire un détour vers les quartiers considérés comme les plus beaux et plus décorés. Les habitants de ces derniers n’ont pas lésiné sur les moyens, employant de vieilles roues de vélo avec du matériel de récupération pour donner à ces rues à la fois un air morbide mais automnale. Des toiles récupèrent déjà les quelques gouttes des averses passagères et parfois, sans le moindre coup de vent, les jantes rongées se mettent seules à tourner. Mais ce soir nous resteront bien calfeutrés chez elle, Haiwee se sentant naturellement fatiguée par la créature qui en elle tout doucement germe. Le garder ou pas n’est plus d’actualité aujourd’hui, je me suis fait à cette idée et attend de voir avec curiosité comment les choses vont se dérouler, les prendrais telles qu’elles viendront puisque le sort en a décidé ainsi.  

Elle a souhaité regarder un film d’horreur en mode cocooning, un bol de friandises sur la table basse qui devait à la base être installé à l’entrée si je ne me trompe…. C’est tout dire, c’est elle qui les grignotera et non les gamins. Mais à peine installés sous le plaid que l’on frappe déjà à la porte, détournant la tête vers la porte pour glisser à l’aube du générique. « Ils sont tôt cette année ». Et levant ma paume pour lui laisser l’opportunité de buller, mon corps s’extrait du velours, les pommettes saillantes, « On va pt devoir piocher dans ta réserve personnelle si ça continue », indexant son saladier garni de confiseries.

Derrière la porte les gamins se font bien patients et quelle n'est pas ma surprise d'ailleurs en trouvant un petit gnome accompagné par un humain, main dans la main. Quelques confiseries remisées dans le sac qu'il vient de me tendre et tous les deux s'enfuient en silence mais il en est tout autrement pour le véhicule qui est stationné, une berline à l'immatriculation familière qui ne semble pas vouloir bouger. J'y suis, je sais où je l'ai déjà vue: il y a plus d'un an maintenant, au bal de fin d'année. L'identité de sa propriétaire n'étant plus un mystère je me suis rapproché, dévalant lentement les marches du péron pour glisser sur la longueur de la carrosserie et frapper à la vitre arrière. " Bonjour. Témoin de Jéhovah c'est çà? "

THE SALEM WITCH TRIAL • Le ciel tend à se couvrir et cette entrevue aussi, le moteur du mécanisme annonçant la fulgurante descente de sa vitre et l’apparition de ses traits dans cet habitacle sinistre. Elle observe et visiblement est agacée par ma présence, prise sur le fait d’en attendre un autre. « Mauvaise pioche, j’ai beaucoup trop péché.» Et çà je peux garantir que c’est vrai, que ce soit avec moi ou pas, elle a toujours su s’amuser et repousser les limites de la pondération, s’offrant du plaisir avec les plus nobles étalons. Mais si ce n’est pas moi qu’elle attend ce soir en stationnant sur ce trottoir, il n’est pas bien difficile de savoir à qui elle veut offrir ses faveurs. « Il ne saura pas me pardonner. » Même en enfer on la brulerait pour ce qu’elle a pu dire et faire. A peine vouté pour la jauger, un coup d’œil est donné dans l’habitacle que je n’ai visité depuis maintenant bien des mois, pour en sourire lorsque de nouveau nos regards se recroisent. « Ton père le sait que tu cours après un roturier ? » La chute de l’empire Witter est annoncé parce qu’elle aussi s’est faite hameçonnée par ce dont elle s’est toujours moquée.

Le plat de la paume sur le toit pour prendre appui, j’accuse une première goutte de pluie, légère et peut-être unique qui m’inciterait presque à rentrer, une mise en garde divine pour ne pas rester. « Tu nous le ramènes avant minuit. Haiwee tient à lui. » Ce n’est que son coloc mais quelque part ça me rassure de ne pas la savoir seule dans cette habitation, surtout maintenant qu’elle a de quoi ruminer, que les sautes d’humeurs vont se multiplier. D’un autre côté, s’il joue le rôle du punching-ball émotionnel, qu'à cela ne tienne, cela me convient très bien aussi.

THE SALEM WITCH TRIAL • Oui, la pluie ne devrait pas tarder à tomber et l’idée de retourner à l’intérieur m’abriter devient plus tentante à chaque seconde qui passe, à chaque goutte pressentie sur la carrosserie. Qu’elle aille s’amuser avec lui, pauvre Wendy. A force d’ausculter l’intérieur de l’habitacle mes yeux se sont acclimatés à la pénombre qui l’abrite et maintenant je peux entrevoir ce qu’elle espère de la soirée, son déguisement, cette robe surpiquée de dentelle d’un noir geais. « Quoi, elle se le tape aussi ? » Pourquoi avec elle tout tourne autour du cul…. Nympho en manque perpétuel et envieuse de se faire sauter. Aucun risque avec l’autre simplet et c’est d’ailleurs ce qui doit la gratter, mais c’est une hypothèse qui petit à petit commence à germer, relevant la tête vers notre porte d’entrée. Non. Haiwee est bien trop loyale pour aller voir ailleurs même quand je ne suis pas disponible pour la combler. Bien essayé Witter. « Ça te va presque bien… » Et dans sa bouche ce pseudo compliment prend une étrange tournure, me rabattant sur elle afin de comprendre. « Le rôle de papa. » J’en suis resté con l’espace d’un instant, presque à me demander si l’autre ne le lui aurait pas craché parce qu’il est peut-être au courant. Après tout ils habitent ensemble, Haiwee et lui, la moitié du temps.

Alors sentant le vent tourner en ma défaveur, j’abrège cette confrontation avant qu’elle ne frappe plus fort, martelant deux fois le toit de sa voiture du plat de ma paume pour marquer mon agacement. « Halloween, la seule fête où tu peux vraiment te montrer telle que tu es. » Faire tomber les masques au travers d’un autre, qu’elle en profite, ça n’arrive qu’une fois dans l’année. « Pas besoin de déguisement. Bonne soirée Wendy. »

Rebroussant chemin, mes réflexions ne cessent pourtant de tourner autour de cette réplique assenée, celle de la paternité, au point de ne voir son valet qu’au dernier moment, en nous croisant sur le palier. Un "bonne soirée" lui est également décoché, un good luck appuyé d’un geste parce qu’il va en avoir besoin pour la supporter.