« Têtue… » Le mot, il serait si facile de le lui retourner, mais Ellie préfère se contenter de soupirer. Déçue de ne pas parvenir à ses fins, comme quoi, son charme ne fonctionne pas sur certains. En même temps, elle ne peut pas le blâmer, faute de son tumultueux curriculum vitae. Ancienne junkie aux atours de prostituée qui tente de faire amende honorable, loin d’être une princesse immaculée aux airs adorables. « Marche ou crève… tu connais ? » Le second plus que le premier. Les bleus qu’elle récoltait, elle prenant le temps de les compter lorsque son bourreau dormait après l’avoir corrigé. Faute d’une désobéissance trop marquée. Mais, peut-être naïvement, elle ne croit pas que Jared est un homme comme celui-là.

Alors ses souvenirs assourdissants prennent de plus en plus de place dans sa tête, elle voudrait bien une autre bière afin d’annihiler ce qui dans cette nouvelle vie persiste, reste. « Putain. » Elle efface d’un froncement de sourcils ses envies alcooliques pour se concentrer à nouveau sur celui qui veut bien la chaperonner. Mais le putain qu’elle désire prononcer pour répéter le sien se bloque dans sa trachée, « On n’est pas couchés. » Elle envisage de lui rétorquer que de toutes les manières, elle n’est pas fatiguée, mais ça pourrait jouer en sa défaveur par rapport à ses volontés d’être portée. Bien que ses chances soient de plus en plus minimisées. « Pourquoi ? » elle interroge, titubant toujours alors qu’elle se décide à marcher dans la direction qu’il semble l’inviter à emprunter. « Je croyais que pour toi, ce n’était pas loin… » et les mots elle les articule agrémentés d’un minois malin. Et lui redire que pour écourter sa torture, il connait la solution, elle est à deux doigts de s’y risquer. Mais elle n’est pas encore prête à essuyer un autre rejet, elle s’est persuadée que ça pourrait la faire régurgiter. « Si t’arrêtais de traîner. » Comme s’il était celui à blâmer pour leur rythme freiné.  

« Pourquoi ? » Son orgueil lui interdit de répondre quoique ce soit et jamais il ne lui confiera qu’il ne connait le chemin que dans un sens, les siens étant un peu en latence. « Je croyais que pour toi, ce n’était pas loin… » Rien n’est plus vrai mais encore faut-il qu’ils empruntent la bonne voie du premier coup sans quoi la nuit risque d’être longue et compliquée. Il observe alors vaguement les coins de rues et le carrefour qui leur fait face, s’attend à avoir l’illumination qui pourrait les conduire jusqu’à bon port mais rien ne lui vient. « Si t’arrêtais de traîner. » Cette fois il s’arrête net, le regard absent, ses oreilles ayant saigné avant de concrétiser sa pensée : « Finalement c’est toi qui vas me porter. »  Il payerait cher pour voir çà, rien que pour la voir tenter de ses bras rachitiques le faire bouger. Mais ce sont ses supérieurs qui lui en tiendraient rapidement rigueur s’il advenait qu’elle se blesse. « En fait. »  Les mots pèsent dans sa bouche lorsque son pied reprend le sens de la marche. « Je n’y suis allé qu’une fois. »  Loin de contrôler son quotidien alors qu’il le devrait mais voilà, il estime par-dessus tout que tout être humain a le droit à son jardin secret, lui le premier. Alors quand quelqu’un s’amuse un peu trop à le coller, à devenir familier, il a ce réflexe idiot de s’éloigner.

Au détour d’une avenue qui donne sur une multitude de bars, c’est un groupe de jeunes qu’ils croisent à contre sens, titubant presque tous et donnant une triste image de cette génération mais qui ne surprend même plus l’ex militaire. Des murmures s’échappent entre les esprits enivrés, des chuchotements presque inaudibles. « Il emballe plus que toi, crise de la quarantaine. »  Des paroles qui lui glissent dessus. Ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’on lui prêtera une aventure intergénérationnelle faute de pouvoir justifier sa présence auprès de ses jeunes protégées.

En faisant preuve de sincérité, il est possible que si elle n’avait pas l’esprit autant embué, elle n’aurait pas cherché à titiller sa nervosité. Car si elle possède un côté impétueux en tant qu’Ophélia, Ellie fait partie de celles qui ne bronchent pas. Et bien qu’elle plisse les paupières afin de le sonder, elle a un peu de mal à assimiler le pourquoi il vient de marquer un arrêt. « Finalement c’est toi qui vas me porter. » Là, techniquement ça va être plus que compliqué. Bien qu’elle s’y essaie, elle ne parvient pas à l’imaginer… Elle qui s’est dit ne pas être encline à la fragilité, pour le coup, elle s’y résout.

Alors l’alcool lui conseille de ne pas renchérir, au moins que le fait de ne pas chercher à vraiment réfléchir, même ses yeux, elle cherche à les fuir. Perdue qui ne sait plus quoi dire. « En fait. » L’attention relevée lorsqu’il l’apostrophe à nouveau, « Je n’y suis allé qu’une fois. » vers chez elle, cela va de soi. Pourquoi lui avoir dit que ce n’était pas loin dans ce cas ? Si à dire vrai il ne connaît pas le chemin désigné. Lorsqu’ils avancent sur un rythme quasiment décousu, la logique de Jared, la brune est en train de la chercher.

Mais les badauds éméchés par l’ambiance de l’oktoberfest gagnent l’intérêt de son chaperon de soirée, tandis qu’elle ne cherche pas à entendre ce qu’ils pourraient articuler. C’est déjà compliqué de mettre de l’ordre dans ses propres pensées. Pourtant, l’une d’elles s’égare jusque ses oreilles, « Il emballe plus que toi, crise de la quarantaine. » et le visage de son compagnon de fortune ne paraît pas se fermer, au contraire, c’est de la lassitude, de l’indifférence qui souligne ses traits, cela dit, elle n’en est pas choquée. Tenter de lire les gens, de les sonder, ça fait partie de ses passes temps préférés depuis qu’elle est arrivée, mais en ce qui concerne Jared, elle n’y arrive pratiquement jamais. A croire qu’il est différent ou bien plus compliqué… Tout bonnement plus doué. « Parce que tu les as vraiment ? » qu’elle interroge, observant ses pieds pour éviter de tomber selon où elle peut les poser, « Les quarante ans ? » Demain, elle aura oublié probablement, mais à marcher ensemble, ils peuvent causer en même temps.

Ce genre de critiques faciles te gratuites il a pour habitude maintenant de les essuyer même si au début forcément il avait tendance à un peu s’emporter. Ils sont passés tout juste à côté en ricanant mais c’est bien Ellie qui récupère la parole, délie sa langue pour faire taire ce silence. « Parce que tu les as vraiment ? » Sans s’arrêter, son regard s’est vivement déposé sur le visage plongé vers le sol. « Les quarante ans ? » Inutile de le préciser, il avait compris, peut-être vieux mais pas sénile. « Presque. » Encore deux ans et il pourra justifier ses sautes d’humeur par ce passage tant redouté. « Ça pose un problème ? » Il est presque agressif lorsqu’il l’interpelle, la fatigue prenant le dessus alors qu’il réfléchit au chemin, tente tant bien que mal de s’en représenter mentalement un plan alors qu’il doute de chaque recoin, de chaque embranchement à prendre.

Et ce qu’il redoutait finit par arriver parce qu’ils se retrouvent à force de marcher devant une bifurcation, une artère se divisant dans deux directions. « T’as un peu dégrisée ? » Parce qu’il a beau se replonger dans sa mémoire, il n’en subsiste seulement le hot dog qu’il était venu chercher et pas une seule trace du chemin emprunté. Les néons et les enseignes qui grésillent ne réveillent absolument rien chez lui, pas le moindre flash, pas le moindre souvenir. Alors il se maudit de n’y avoir songé plutôt, sa nuque se brisant en arrière pour expirer brutalement. « Ton téléphone. Donne. » Sa paume large s’abat vers elle et il n’y a pas à discuter. Si lui craint d’être piraté, il sait pertinemment que le sien - à elle -  est truffé de sécurités dont elle ignore jusqu’à l’existence, des logiciels installés par ceux qui se sont donnés pour vocation de la protéger.

La demande n’a pas le temps de terminer son cheminement, qu’il répond sur instinctivement, « Presque. » et elle en dodeline, positivement, de la tête. Jaugeant l’information de ses lèvres scellées, mordant l’intérieur de sa jouer dans le seul but de s’empêcher de parler. Ce sont de nombreuses conneries qu’elle se sent capable de débiter. L’envie de le taquiner au bord de la bouche, ce n’est que lorsqu’il rajoute, « Ça pose un problème ? » qu’elle comprend, bien qu’alcoolisée, que ça le touche. Donc, interloquée par le ton qu’il utilise pour la question, elle répond quasiment directement un ; « Non, » comme pour se justifier d’un crime qu’elle n’a pas commis, et ajoute malgré tout un ; « Mais, » afin d’expliquer ce que voulait dire sa question, elle brasse du vent à l’aide de sa paume en achevant sa réflexion, « je trouve que tu ne les fais pas. » ce qu’elle voulait supposer c’était juste ça. Alors elle hausse les épaules, dédouanée, et continue d’essayer de marcher sans vaciller.

Elle se meut dans un mutisme volontaire lorsque ses pensées s’en deviennent de plus en plus contraires, pourtant désireuse d’y revoir clair. « T’as un peu dégrisée ? » Non, pas vraiment, pour faire sa route, l’alcool prend son temps, et son regard embué, elle le relève en direction de son assaillant. « Ton téléphone. Donne. » Pourtant, là, elle a la sensation de décuver assez rapidement. Les prunelles fixées sur cette main qu’il vient de lui tendre et qui impose la coopération de la brune sans qu’elle ne soit en mesure de le reprendre. « Non ? » elle articule à l’image d’une rhétorique interrogation. Elle ne voit absolument pas pourquoi elle lui donnerait quoi que ce soit. « T’en as un. » Dont il s’est servi il y a quelques minutes à peine, de fait, elle ne comprend pas pourquoi sa paume passerait de vide à pleine. Puis ça s’illumine dans son esprit, si bien qu’elle en sourit, « Si je te le donne, j’ai quoi ? » même en état d’ébriété, le nord, elle n’est pas prête à l’abandonner.

« Non ? » Ce n’est qu’un contre-temps auquel il ne répondra pas, persuadé qu’il ne lui faudra pas bien longtemps pour la faire se décider. Les paupières closes, il garde son sang-froid malgré cette pointe d’agacement qui vient encore caresser quelques synapses. « T’en as un. » Oui mais le sien est inexploitable pour des raisons qu’il ne peut pas lui communiquer, encore une barrière, un silence qui retarde leur heure d’arrivée. Les paupières s’ouvrent de nouveau sur sa paume vide, sa demande vacante… Jusqu’à ce qu’elle reparte dans son amusement. « Si je te le donne, j’ai quoi ? » Il n’a même pas le temps d’y songer que les mots sortent seuls de sa bouche, animé par la contrariété et le désir brulant de la faire obéir coute que coute. « Une chance de rentrer vivante chez toi. » Parce qu’à défaut de la laisser en plan, chose qu’il ne peut pas faire, il peut toujours la menacer du pire. Boston n’est pas encore une ville sure, surtout pour celles qui rentrent tard dans la nuit. « Ou le confort de ma baignoire. C’est toi qui choisis. » Ça aussi, il peut la ramener chez lui, apportant un regard nouveau sur la situation et sur les panneaux de directions. Il suffirait de prendre l’avenue principale qui dessert Boston Common pendant une vingtaine de minutes et il pourrait retourner se terrer dans son antre avec cet encombrant colis.  

Mais des deux possibilités qui s’offrent à eux, c’est à elle d’en favoriser une et une seule. Alors sa main soupèse le vide pour retraduire son impatience lorsque leurs regards se recroisent, insistant. « L'émaille c’est froid, » et par cette menace il aiguille un tantinet son choix quoique c’était mal joué de sa part vu par quel degré d’esprit de contradiction elle est animée.  

Cet amusement que l’alcool accentuait, il s’éteint ou presque quand il rétorque derechef, « Une chance de rentrer vivante chez toi. » L’espace de quelques minutes, heures… Le temps d’une soirée, elle avait voulu oublier. Foutre de côté le passé, mettre sur pause ses hésitations entre Ellie et Ophélia, se retrouver et se perdre à la fois. Mais c’est une claque invisible qu’il vient de lui mettre, parce qu’il a raison, même si ça l’écorche de l’avouer. Si elle joue trop, s’il la laisse seule ici, tout ce qu’il restera, ce sont ses angoisses et le risque d’être retrouvée.

Alors elle détourne le regard sur le côté, contemple le bitume plutôt que d’assumer cette vérité, jusqu’à ce qu’il ne ravive son intérêt. « Ou le confort de ma baignoire. C’est toi qui choisis. » Ses pupilles reviennent à lui, l’incompréhension dans ces dernières et la réflexion aussi… La possibilité la trouble plus que ça ne le devrait, si bien qu’elle reste estomaquée, la voix, dans sa gorge, coincée. Elle ne sait plus où il veut en venir et elle, où elle désire aller.

Elle oscille entre les deux propositions, comme elle oscille entre l’ivresse et la sobriété, ne sait plus réfléchir et laisse glisser sa vision sur cette paume toujours tendue, qui espère récupérer le cellulaire. Avant de revenir se noyer dans les lueurs de son regard mordoré. « L'émail c’est froid, » à l’entente de sa voix, de cette menace déguisée… Elle respire profondément, c’est comme si sa réponse, elle la connaissait d’avance finalement, alors elle s’illumine à nouveau quand elle amorce, « Je ne sais pas, » que l’émail, c’est froid. Elle s’arme d’un autre sourire, palliant la crainte de ne pas rentrer vivante, « je n'ai pas de baignoire, moi. » et si elle ne prend pas sa main dans la sienne afin de l’inviter à la guider vers la route jusque son appartement, elle amène tout de même ses doigts vers le sien pour faire de sa paume un poing, le geste malin, pour lui faire comprendre qu’elle ne lui donnera rien, « Et t’as parlé de confort. » chose qui, à son studio, manque cruellement.

Sa patience mise à rude épreuve et victime de cette attente qui commence à le tendre sérieusement, il observe la jeune femme se questionner pour finir par lui assener une réponse qui n’en est pas une et pour cause, elle ne l’avance à rien, aurait mieux fait de se taire parce que tout ce qu’elle a gagné c’est d’un peu plus l’agacer. « Je ne sais pas, » Elle a ce sourire défiant, entre le vice poussé et l’innocence dont seules certaines femmes savent en jouer. « Je n'ai pas de baignoire, moi. » Soit, il prend pour acquis qu’elle souhaite dormir dans des draps, chez elle de surcroit. « Parfait. » Mais sa main reste toujours là, évidée de la présence de ce cellulaire qu’il réclame depuis un moment et cependant un geste non anodin va changer la donne : les doigts de la jeune femme viennent chercher les siens pour les forcer à se replier sur eux-mêmes, un mouvement qui le sidère au point de rester là à la regarder faire sans même démontrer la moindre résistance. « Et t’as parlé de confort. » Oui mais elle n’a retenu que la moitié des informations données, uniquement ce qu’elle bien souhaité enregistrer…. Aussi il la reprend en se baissant histoire qu’elle puisse mieux lire sur ses lèvres malgré ses mâchoires resserrées, qu’elle puisse clairement interpréter les mots qu’il va lui lâcher : « De ma salle de bains. » Et rien d’autre parce qu’il ne partage jamais plus que nécessaire à moins qu’il n’y voit un intérêt personnel.

Et puisqu’elle est prévenue, il se détourne lentement en récupérant son poing, le glisse dans sa poche en visualisant les différents embranchements et noms indiqués. « Tu vas en chier. C’est par ici. » D’un hochement de tête il lui indique le chemin à emprunter et en aucun cas elle ne sera aidée, lui qui commence doucement à marcher sur le bas coté pour traverser la voie bien loin des passages piétons et traverses conseillées. Depuis leur position, il a brièvement calculé qu’une quinzaine de minutes leur étaient nécessaires pour se rendre du point A au point B.

C’est difficile pour elle de déterminer si c’est une bonne ou une mauvaise idée, peut-être qu’elle aurait dû se contenter de tenter de rentrer chez elle, d’éviter de jouer les chieuses. Seulement… l’alcool aidant, il n’y a plus grand-chose qui fait du sens dans son inconscient. Mais lorsqu’il plie son mètre quatre vingt seize pour approcher son visage de la brune, elle n’a pas besoin de plus tergiverser : elle était mauvaise, son idée. « De ma salle de bains. » Pour peu sa menace détournée est à la lisière de la dessaouler. Ses mots, comme il le désirait en usant de cette gestuelle, elle les a assimilés. Envisage le temps d’une seconde de lui demander si c’est trop tard pour reculer.

Tandis qu’il se retourne, elle ne lui emboîte pas directement le pas, hésitante par rapport à la suite de cette soirée, de la manière dont cette nuit, elle va la terminer. L’alcool qui lui est monté à la tête, elle n’a aucun mal à le regretter. « Tu vas en chier. » C’est gentil de le proposer, mais finalement, non, merci, « C’est par ici. » Dis comme ça, ça ne la botte plus vraiment, alors elle les traîne, ses pas, forcément. Si lui s’active et traverse, elle, elle se perd quelques instants à faire la tête. Malgré le vacarme qui se trame dans son esprit, il y a un truc qui ne colle pas, qu’elle ne parvient pas à comprendre et qui ne montre zéro signe de logique, il faut bien l’avouer. Pourquoi il s'évertue à la chaperonner ? « Oh mais… » elle l’apostrophe avec cette piètre accroche, encore à la recherche de ses mots, sans se rendre compte que ses pieds se sont activés, empruntant la même direction que son aîné. De toutes les façons, elle ignore où aller, alors autant gagner du temps, dans l’espoir de décuver. « Je ne suis pas obligée. » A la réflexion, elle ne trouve dans le fait de le suivre jusque chez lui pas la moindre justification. Sa présence l’emmerde, son comportement aussi, et quand elle y pense, tous les deux, ils ne sont même pas amis. « C'est simplement pour te raccompagner que je te suis. » De l'échange de leurs rôles, elle en sourit.

« Oh mais… » D’un pas leste il monte sur le trottoir pour se mettre à l’abri de certains dangers mais elle traine derrière lui alors naturellement, ses sens et sa conscience professionnelle dont il taira le nom lui rappellent de se retourner pour s’assurer qu’elle parvienne elle aussi à traverser en toute sécurité. « Je ne suis pas obligée. » Et pourtant il n’y a même pas dix minutes elle s’était invitée chez lui, caressant même l’espoir d’occuper le confort de son lit… Perplexe, son regard à lui s’est hasardé sur l’asphalte qu’elle vient de piétiner pour le rejoindre, ne sachant quoi dire ou quoi répliquer. Elle a totalement changé son fusil d’épaule maintenant qu’il est question de profiter d’une baignoire et pourtant elle est toujours là, à trépigner à ses côtés. Mais la réponse à ses doutes ne saurait tarder tandis qu’il reprend le chemin de son repère. « C'est simplement pour te raccompagner que je te suis. » Il tique à ce témoignage de gentillesse, sa paume large venant malaxer ses traits stupéfaits en n’oubliant rien de ses intentions premières. Entre ses phalanges toujours scellées sur son visage des mots s’échappent : « Rappelle-moi pourquoi au début tu avais besoin d’être raccompagnée… »  si tant est qu’elle ne l’ait pas déjà aussi oublié. « Où tu habites ? »  Elle n’en savait rien, l’alcool se jouant de sa mémoire et lui ayant fait perdre toute once de lucidité. « Alors pour ce soir tu n’as pas vraiment le choix. »

Il continue sur une dizaine de mètres avant d’ajouter, ses mains glissées dans ses poches pour contrer le froid qui commence à piquer te l’ombre grandissante à mesure qu’ils pénètrent dans des quartiers reculés. « Mais j’vois pas ce qui t’inquiète, je n’ai jamais fait disparaitre quelqu’un dedans. »  Il a compris d’où venait sa soudaine réticence mais son sourire suivi de son rire gras retraduisent pour lui la moquerie qui l’anime, balayant de la tête de gauche à droite face à l’image glauque qu’elle a pu se faire de lui . « Le canapé. »  Voilà la seule concession qu’il est prêt à faire, le seul bout de son territoire qu’il accepte de partager.