Si on lui demandait, elle serait incapable de dire à quel instant elle a basculé. Quand l’envie, le besoin de le provoquer a pris le dessus sur le reste. Ses volontés de liberté aussi, de ne plus être surveillée, elle était une bête en cage et maintenant c’est son âme qu’on a mis en prison. L’espace d’une seule et unique journée, elle voulait qu’on lui accorde le droit de flirter avec celle qu’elle a toujours été. Elle s’y paume, dans sa dualité. Elle ne saurait dire lequel de ses désirs sont vrais. Elle devrait s’estimer heureuse, elle le sait, alors pourquoi, parfois, elle a cette sensation que rien ne veut fonctionner ? Qu’elle devrait abandonner l’idée de survivre jusqu’au procès.

Parce que sa tête tourne plus qu’elle ne le devrait, elle s’extirpe de la foule, du groupe duquel elle faisait partie, sans oublier de s’arrêter face à lui. D’un battement de paupière lourd elle plante son regard dans le sien. Inconsciente qui sait que c’est ce genre de comportement qui l’avait mené sur e chemin. Avant. C’est ce qui avait retenu l’attention d’Ethan. « Très cher frère. » elle arque un sourire carnassier. « Je rentre à pied. » Et qu’il la suive, son chaperon, si ça lui plaît. L’annonce faite, elle se détache de la foule encore présente dans la rue afin de retrouver un brin de calme. Sur le bord du trottoir, elle est vacillante, alors qu’elle se veut vaillante. Dans ses propos enfers, la descente.

La bière et ses nombreuses variantes ont fait de cette soirée une réussite et il n’en espérait pas tant. Beaucoup d’étudiants se sont ralliés aux citadins et certains ont déjà du mal à tenir sur leurs jambes alors histoire de dégriser, ils ont préféré s’éloigner pour respirer. Instinctivement il s’est adossé de dos au bar pour les observer, responsable quelque part de tout ce qui pourrait arriver. D’ailleurs, le second mécène de ces festivités n’est pas venu mais ce n’est pas pour autant qu’ils ont lésinés sur la sécurité.

Et en parlant d’écervelés qui ne savent ni boire ni voir quand il faut s’arrêter, la chevelure d’une brune vient virevolter juste sous son nez. « Très cher frère. » Elle est arrogante et le ton mielleux employé n’est pas le rassurer quand il amène sa bière à ses lèvres, la dévisageant sans broncher, son souffle s’écrasant sur l’éther surnageant de cette ambrée. « Je rentre à pied. » Soit, un choix plutôt avisé mais elle est seule dans son champ de vision, les deux autres l’ayant délaissée. « Si tu l’dis. » Il ne les a pas surveillés toute la soirée, ayant d’autres prérogatives mais tout de même, il peut à un ou deux verres près quantifier ce qu’elle a sifflé. « J'observe » Et tandis qu'elle se fraye un chemin parmi la foule agitée, lui siphonne ce que sa pinte contient tranquillement, la commissure de ses lèvres se retroussant à la vue de la jeune qu’il imagine bientôt tomber. Elle disparait et ce n’est qu’à ce moment qu’il lâche un soupire profond pour déposer son bock à moitié vide, faisant un signe de la main au serveur pour le saluer et lourdement se donner une impulsion depuis le bar pour décoller. « Quand faut y aller… » Elle a disparu et pourtant il prend le temps d’ajuster sa tenue avant d’aller la retrouver, patientant sur le bord du trottoir où elle est en train de vaciller.  « Un taxi serait plus sûr. » Ce n’est qu’une idée bien qu’il soit déjà arrivé des incidents aussi. Mais elle devra débourser bien plus que tout ce qu'elle a pu récolter de pourboires si elle veut à l’abri rentrer.

L’insolence ayant voilé le timbre de sa voix, une réponse de sa part, Ellie n’en attend pas. D’ailleurs, sa présence ici, justifiée, elle ne la trouve toujours pas. « Si tu l’dis. » D’un battement de cils, elle balaie sa réponse, ces mots balancés qui lui donnent légèrement envie de crier. Oui, elle le dit, et oui elle va le faire. Parce qu’elle est libre – ou quasiment – maintenant, de toutes les manières. « J'observe. » Parfait. Elle n’a donc plus aucune raison de rester, ou de patienter, ou de se sentir obligée de se justifier.

Alors sur son trottoir, elle se fait funambule, à osciller sur un fil invisible tout en s’essayant de mettre de l’ordre dans ses songes embrouillés. Mais ces gestes elle ne parvient pas à les calculer, ses actes n’ont que très peu de sens, et forcément, ça s’égare, ça se mélange. Elle se sent comme perdue dans un monde étrange. Cependant, elle ne nie pas que ça fait du bien d’éprouver ça. De voir la peur s’effilocher et d’être assez saoule pour se foutre du fait que l’on pourrait la retrouver.

Et sur ses lèvres se dessine un petit sourire, fière d’elle pour une pacotille. Elle se laisse envahir par ce ressenti de plénitude. Elle n’a le droit d’être elle que lorsqu’elle est enivrée, c’est juste qu’habituellement, elle ne court aucun risque lorsqu’elle le fait, entre les quatre murs du studio qu’ils lui ont filé. « Un taxi serait plus sûr. » Elle tourne son visage en direction de cette voix, son affirmation, elle ne l’a contredit pas, « Ca le serait. » toutefois il a oublié deux détails, bien que le second, il ne peut pas forcément y penser. « Mais, » elle l’apostrophe, l’index relevé, elle se sert d’un suspense totalement inutile seulement c’est plus fort qu’elle, sa bouche et son corps agissent sans qu’elle ne contrôle quoi que ce soit, « je suis ruinée. » à une dizaine de centimes près, son majeur venant rejoindre son index pour amorcer le deuxième point, « Et puis, » elle fait moins la maligne pour cracher cet aveux, « j’sais plus où j’habite. » alors déambuler dans les rues semblent être un meilleur jeu.

Un à un les pions sont posés sur l’échiquier de leur soirée et si elle avance d’un pas, ce n’est que pour lui permettre à lui de la suivre sans trop se faire remarquer. Les véritables raisons de cette liaison, ils ne sont que très peu à les connaitre pour le bien de cette opération. Alors lorsqu’il l’interpelle pour gentiment se moquer, elle n’est même pas surprise qu’il se soit trainé jusqu’à elle, un sourire sur ses traits. « Ça le serait. » Les mots peinent à prendre corps, dilués parmi les verres qu’elle a ingurgités. « Mais, » appuyé du doigt qu’elle vient de lever, il est plus aisé visiblement pour elle de se faire comprendre avec des gestes que par des syllabes difficilement prononcées. « Je suis ruinée. » Et ce n’est pas peu dire vu ce qu’elle a dû débourser pour elle et ses nouveaux amis qui ont tôt fait de dégager. Et pourtant il se doit de la féliciter pour cet effort dont lui serait incapable, pas très aimable et ne souhaitant pas se mélanger. Alors si elle n’est plus en possession de ses moyens et ne peut s’offrir ce luxe, c’est un cadeau qu’il peut lui faire volontiers, se voyant déjà payer la course jusqu’à chez elle….

Mais un deuxième point va lui être révélé : « Et puis, j’sais plus où j’habite. » Ce qui le décontenance un peu parce que c’est une info qu’il ne connait par cœur, un secret enfoui parmi tant d’autres dans les dossiers de ses geôliers. « Heureusement que les cartes d’identité existent »  parce qu’avec un peu de chance ils lui ont refait ses papiers après lui avoir assigné un nouvel endroit où loger alors il tend une main pour silencieusement la lui demander avant de devoir par la force la fouiller, ce qui ne serait pas de bons gouts vu la population écumant encore les trottoirs juste à la sortie des bars.

Les mots qu’elle a prononcés, elle les entend résonner dans sa tête, étonnée elle-même par leur teneur et leur véracité. Elle ne sait pas vraiment où elle est, et elle ignore où elle peut habiter. Sur ses lèvres se trouve son adresse à San Francisco, celle du club où Ethan faisait ses affaires, et le véritable baptême que lui avait donné sa mère. Seulement tout ça n’existe plus, n’existe pas … Elle ne reste plus rien d’Ophélia.

Alors face à cet homme qu’elle ne connaît pas plus que cela, elle attend de sa part une révélation, savoir si lui est capable de lui donner le nom de la rue où se situe ce studio qu’ils lui ont refilé. Cependant rien n’arrive, elle en reste les sourcils arqués, allant jusqu’à penser que des deux, c’est peut-être lui le plus paumé, à la finalité. « Heureusement que les cartes d’identité existent » Comme si cette carte détenait à elle seule la vérité.

L’espace d’une seconde, elle hésite parce que même si elle a aligné plusieurs billets afin de payer un bon nombre de tournées… Elle n’est plus certaine d’avoir pris avec elle, ses papiers. De sa bouche s’échappe un long soupir, à l’image d’un effort à venir, avant qu’elle n’aille chercher dans la poche de son jean, son porte-cartes. C’est tout ce qu’elle prend avec elle, à chaque fois, parce que les sacs, elle a une fâcheuse tendance à les laisser sur place. A l’inverse d’un tout autre style de femme. Elle n’a jamais ressenti le besoin d’aimer le matériel, puisque dés le départ que ce soit Ellie ou Ophélia, elle ne possédait rien.

De fait, elle ouvre le petit gadget, tire deux cartes qui ne lui servent guère pour arracher celle qu’on lui a refilé à la fin du mois dernier, puisqu’après avoir habité un hôtel miteux à son arrivée ici, ils l’ont finalement relogé. Elle lui tend, fière à cause de l’alcool, « Voilà, toute neuve. » Presque brillante à la lueur des lumières de cette nuit bien commencée. Et parce qu’elle est toujours en train de la lui montrer, elle s’écoute lui demander, « Alors, je vis où ? » tenant à peine sur ses pieds, « Loin ? » l’idée de se faire porter dans sa tête, toujours dans un coin.  

Par on ne sait qu’elle moyen elle a trouvé la force de plonger ses doigts dans son sac sans s’accrocher afin d’en ressortir du premier coup le petit bout de papier où se trouve consigné tout ce qu’elle est. « Voilà, toute neuve. » Un détail dont elle ne devrait pas se venter parce qu’il délivre un message, celui d’un renouveau, d’une nouvelle identité. « Pas trop fort. » D’un réflexe né de son ancienne vie, ses iris dévient fébrilement sur le côté pour s’assurer que personne n’a cerné les trois mots qu’elle vient de prononcer. « Alors, je vis où ? » De ses doigts il s’empare machinalement de la carte pour aller un peu plus sous le réverbère et lire sous les oscillations de ce dernier les quelques lignes qui y sont imprimées.

Seule une chose sur cette carte n’a pas vraiment changé : son visage. Tout le reste est factice et même s’il ne se souvient plus avec exactitude de ce que contenait son dossier, il est persuadé que nom, prénom, date de naissance et adresse ont été falsifiés, même sa taille a perdu quelques centimètres. « Ellie… » A chaque fois qu’il épelle le patronyme de la jeune femme il ne peut s’empêcher de se moquer de ceux qui l’ont ainsi baptisée.  Tatcher… à une lettre près lui aussi aurait pu la surnommer la dame de fer mais à dire vrai, et fort heureusement que ses bienfaiteurs furent radins sur l’encre ce jour-là ou tout simplement que l’imagination n’y était pas, elle n’en n’aurait que le nom à la voir débouler ainsi, ivre et sans détermination. « Loin ? » Le ton est railleur mais le molosse n’en est pas vexé, se concentrant sur le point fixe, l’idée de ce qu’il se fait de ce quartier. « Pour moi non. Pour toi oui. » Adepte des marches forcées il le saurait dire ce qu’il y a de très compliqué à errer la nuit sur la distance les séparant de son logement de fortune. Quelques kilomètres tout au plus, l’histoire d’une petite demi-heure à son rythme alors inutile de payer pour cela un taxi. Mais l’oiseau chanteur à coté reste volatile et incapable de prédire dans quelle direction il va s’envoler. Aussi va-t-il devoir jouer au chaperon le temps de la traversée, empochant la carte comme si elle lui appartenait. « Go. Tout droit. »

« Ellie… » Elle ne sait pas s’il l’appelle ou s’il lit, mais dans le doute, elle incline le visage sur le côté, en une tentative de compréhension, une attente aussi de savoir s’il y a une suite qui vient après cet Ellie. Mais à dire vrai, c’est le prénom Ophélia qu’elle aimerait l’entendre articuler. Une pensée qu’elle ne s’aventurera pas à prononcer, son instinct de protection, toujours existant bien qu’elle soit grisée, sa raison.

Puis finalement elle attend de connaître son verdict, savoir si c’est loin, s’ils en ont pour quelques minutes ou jusqu’au lendemain. « Pour moi non. Pour toi oui. » La différence, elle ne la voit pas… Elle pensait que c’était d’avance signé, qu’il allait l’accompagner. A nouveau, elle plisse les paupières dans l’expectative de son explication, seulement l’homme qui se tient face à elle est avare de mots, et se contente de trancher… « Go. Tout droit. » Une directive balancée qu’elle se sent dans l’obligation de suivre, puisqu’elle se reposait sur lui pour les prochaines décisions. Le seul problème reste donc, pour le moment, ses vacillations.

Son corps hésite pour elle tandis qu’elle se veut assurée. Elle connaît ces sensations, par cœur, les a maintes fois subies et provoquées, mais cette nuit, contrairement aux habitudes qu’elle avait, de putes attitrées, par son chaperon, elle ne désire pas être jugée. Elle enchaîne les pas, une dizaine qui s’apparentent à des milliers, à la lisière de comprendre son allusion sur la durée étirée de cette balade sous le ciel étoilé. « Mais… » elle l’apostrophe, marque un arrêt alors qu’elle avait recommencé à marcher, « tu ne devais pas me porter ? » Malgré son état d’ébriété, elle a conscience que c’était une négation qu’il avait articulée. Cela dit, si tout à l’heure elle n’avait pas totalement apprécié ses réticences ainsi que d’être reléguée au rang de petite sœur, maintenant, elle ne dirait pas non à être soulevée par ses bras sans aucun doute, protecteurs.  

Entre deux pas de chat elle parvient, après avoir observé la direction qu’il lui a signalée, à s’engouffrer sur le droit chemin. Laborieux sont ses premiers pas mais il jauge derrière elle chacun de ses mouvements et s’attend même à la voir s’écrouler à chaque instant. Ce ne serait pas la première fois qu’il croise une étudiante éméchée au détour d’un carrefour et qui présume de ses forces en ne souhaitant qu’une seule chose : rentrer. Et malgré tout, le malheur de la jeune femme fait en quelque sorte son petit bonheur, un sourire bref scindant son faciès avant de le répudier. « Mais… » Voilà qu’elle recommence à vouloir négocier, une tentative qui se heurte à sa sérénité…. « Tu ne devais pas me porter ? » Elle prend ses désirs pour des réalités. Mais le mercenaire n’a pas déchanté puisqu’il a continué à marcher, lui passant juste à côté avant de lever le pied. « Je me ménage. » Il n’a jamais été question de la porter bien qu’il ne la laisserait jamais décuver sur le bas-côté. Le presque quarantenaire a beau avoir son sale caractère, il n’est pas chien et ne laissera jamais quiconque dans le besoin, encore moins s’il s’agit de celle qu’il est censé protéger.

Alors pour ne pas lui montrer à quel point il hésite malgré tout à lui céder histoire d’aller plus vite, il continue sur quelques mètres devant elle pour l’inciter à lui emboiter le pas sans chercher davantage à parlementer. « Tu n’es pas si fragile, » une affirmation questionnée, jouant sur cette corde sensible que les deux étudiants ont écorchée un peu plus tôt dans la soirée avant de s’excuser. Peut-être imposant mais pas impotent, il sait manipuler l’esprit féminin lorsqu’il en a la nécessité. Après tout, il suffit de penser au masculin et d’y ajouter un peu de naïveté.  « Plus tu traines et plus tu vas fatiguer », c’est un conseil gratuit, un avertissement alors qu’il se retourne vers elle, sa paume balayant le froid hivernal, agrémentant ses paroles de gestes, le mercenaire plus tactile que verbale.

Elle avait presque oublié, faute d’une sobriété forcée, ce que ça pouvait faire que d’avoir le cerveau à l’envers. Cette sensation d’ivresse, dans le corps ralenti, ressentir malgré tout l’euphorie. Mais aussi, ces capricieuses envies, celles d’abuser de la possible gentillesse de son protecteur en cette fin de soirée. Alors oui, bien qu’elle n’en soit pas encore au niveau du supplie, elle envisage de minauder afin d’obtenir ce qu’elle désire de lui. « Je me ménage. » Comme s’il allait devoir fournir un véritable effort pour soulever le poids plume qu’elle est.

Elle en fronce les sourcils, montrant son insatisfaction façon à son refus d’obtempérer. « Tu n’es pas si fragile, » des mots qui lui donnent un drôle d’effet d’écho, elle entend encore sa propre voix les prononcer, lorsqu’elle était un tantinet piquée, au départ de ce festival, avec des inconnus partagé. Elle veut bien l’être, fragile, à la finalité, si ça lui donne l’opportunité de ne pas plus vaciller. « Plus tu traines et plus tu vas fatiguer » Mais fatiguée, la brune paumée l’est déjà, en plus, à ne pas connaître cette ville, elle n’est même pas certaine qu’ils soient en train de marcher vers ce studio qu’on lui a attribué. Sa confiance, peut-être qu’elle n’aurait pas dû lui donner. Pourtant, depuis Ethan, on lui a appris, la méfiance.

Alors comme pour montrer qu’elle n’est pas des plus obéissantes dés lors qu’on lui demande, elle traîne d’autant plus des pieds à la vision de la main de son accompagnant qui brasse le vent, l’invitant à accélérer les mouvements. Une moue boudeuse s’esquissant sur son visage tandis qu’à nouveau, elle tente. « Justement, si tu n’es pas content de ma cadence… » La solution est juste là, à porter de ses bras, même si Ellie ne le redira pas. Pas encore en tous cas. Il faut savoir doser, pour mieux amadouer. « Faut arrêter de te ménager. » Comme si la première insinuation n’était pas assez. Bon, et il est possible qu’elle, elle devrait arrêter de faire comme si elle flânait dans les rues de la ville durant une journée d’été.

Et s’il a donné le ton pour le reste de la soirée, elle ne peut s’empêcher forcément de vouloir le contrer. Alors les traits froncés comme à son habitude, il la contemple en train de s’époumoner parce qu’elle ne tardera pas à sombrer à force de vainement lutter. « Justement, si tu n’es pas content de ma cadence… » Plus il la pousse et plus elle recule, ce qui en soit contredit tout ce qu’il a connu de son existence et de son vécu. « Faut arrêter de te ménager. » Le sous-entendu il l’a clairement intégré, imprimant qu’elle fera tout pour lui tenir tête jusqu’à ce qu’elle soit rentrée. « Têtue… »  Il aurait pu la comparer ouvertement à son ex-femme si seulement s'il avait osé. De là à céder à son caprice alors qu’ils n’ont pas encore commencé, il n’est pas fou à ce point et ne s’engagera pas sur ce chemin. Terrain glissant que de faire des concessions le premier, il le sait. « Marche ou crève… tu connais ? »  Évidemment que non, elle est trop jeune comparé à lui, un sourire effilé alors qu’il se retourne pour continuer en palpant sa poche afin d’en sortir de quoi se repérer : son téléphone sur lequel il rentre l’adresse. « Putain. » Mais avant de valider, son pouce reste en suspens, toujours à craindre d’être piraté et que ces recherches personnelles ne lui soient volées. Il voit de vue la rue, la petite supérette de piètre qualité au détour du carrefour dans laquelle il a déjà trainé son squelette au moins une fois pour une bouteille lors d’un détour. Mais de là à être certain de pouvoir la retrouver du premier coup…. Rien n’en est moins sûr.

D’une pression appuyée les caractères sont rapidement effacés et l’objet rangé. Même les cordonnées du magasin, il ne se risquera pas à les rechercher faute de son inflexibilité. « On n’est pas couchés. » Rien qu’à ces quelques mots, une volute de condensation s’échappe de ses lèvres pour traduire de la fraicheur de la soirée, son souffle perdu dans la noirceur de la nuit bien installée.