Il ne sait pas ce qui travaille Haiwee, mais il a décidé de répondre présent pour elle, volontairement, et non par hasard. Il n’a pas insisté quand elle a - indirectement - refusé de se confier, mais a décidé de laisser la porte ouverte, et de la laisser ainsi jusqu’à ce que la jeune femme soit prête à la pousser. Elle ne voulait pas parler, très bien, ils iraient boire un café le long de Charles River, discuteraient de tout et de rien, jusqu’à ce qu’un jour la jeune femme soit prête à se confier. Ou non. Il sait très bien Anders, qu’il n’y a pas de miniteur dans les états d’âmes et que ce jour pourrait ne jamais venir. Mais qu’importe, car les confessions entre amis se faisaient inconditionnellement sur toute une vie. Demain, dans six mois, six ans ou des décennies, il sait très bien que leur amitié ne s’arrêterait pas à ce qu’elle n’a voulu lui dire un jour où ça n’allait pas.

Le téléphone collé à l’oreille, il prévient Céleste qu’il viendra récupérer Anaé un peu plus tard que prévu pour pouvoir profiter de l’instant avec la jeune améridienne. Il aurait pû amener sa fille avec lui, sachant à quel point la jeune femme l’affectionne, mais l’hiver est presque là et Anaé bien trop souvent malade ces derniers temps. Il préfère donc la garder au chaud, éviter de lui faire passer plusieurs heures dehors, même chaudement couverte. A la crèche aussi elle est couverte, et pourtant, elle est quand même malade. Et bien sur, ça le chafouine, et ça se lit sur son visage. Il se pose des questions, auxquelles lui et Céleste attendent les réponses depuis environ deux ans. Trop tôt pour savoir avait dit les médecins, mais qu’en était-il maintenant ? Il ne sait pas, et redoute le jour où la réponse tombera.

En apercevant Haiwee, il écourte sa discussion avec la française, raccroche et range son smartphone dans sa poche. Il grimpe sur l’esplanade, sourit à la brune. ” Salut ! “ Il prend place à côté d’elle, tend la main pour saisir le gobelet qu’elle lui propose. ” Merci ! Ca fait vraiment du bien avec ce temps. “ Il aime l’hiver Anders, pour diverses raisons, et ces petites sources de chaleur qui viennent picoter ses doigts en sont une. ” Alors, comment se passe cette nouvelle année ? “ Il l’interroge, l’air de rien, sans chercher à évoquer le moindre sujet sensible, juste pour discuter avec elle, ce qu’il n’a pas vraiment eut l’impression de pouvoir faire avec elle lors de leurs dernières rencontres.

Il a toujours été habitué au froid Anders, aussi loin qu’il s’en souvienne. Enfant, il ne se rappelle pas des hivers passés à Copenhague, ou très peu, mais ses souvenirs de Genève, eux, sont encore limpides. Il revoit sans difficulté les montagnes et les plaine blanches, couvertes de neige. Il se rappelle le bruit du manteau neigeux qui crissait sous ses pas, la froideur de l’eau qui s'infiltrait sous ses vêtements lors des batailles de boules de neiges. Mais il se rappelait aussi la douceur et la chaleur d’un chocolat chaud quand il rentrait à la maison, le plaisir de s’emmitoufler à nouveau sous un plaid. Il apprécie les saisons froides Anders, mais il apprécie plus encore ces moments de chaleurs qui les accompagnent. Alors quand Haiwee lui tend le café, il ne peut que l’accepter, en apprécier la chaleur qui s’en dégage tout en la remerciant. Il acquiesce à ses propos, réalisant combien le temps est passé vite depuis la fin de l’été. Un temps qu’il n’a pas vu passer, trop occupé pour de multiples raisons qui risquaient de faire passer le reste de l’année tout aussi rapidement. ” Et on est encore loin du plus froid de l’hiver. “ Il ne peut s’empêcher de souligner que les températures actuelles ne sont rien par rapport à ce qu’ils risquaient de connaître. Il se rappelle encore la tempête qui avait sévi il y a deux ans, paralysant la ville quelques jours. S’il y échappait encore cette année, ils pourraient s’estimer chanceux. ” Pourquoi ça ne me surprend pas de toi ? “ Taquin, il n’admet pas - du moins pas encore - que lui aussi a hâte, parce que Noël avec un enfant change beaucoup de choses, et qu’il aime voir sa fille s’émerveiller de tout ce qu’il l’entoure, surtout à cette période de l’année.

Dans la voix de l’amérindienne, il perçoit une pointe d’hésitation qu’il commence à connaître chez elle. Pas de quoi s'étonner, quand il repense aux derniers messages échangés, mais l’intrigue quand même, plus familier avec l’aura radieuse de la jeune femme. ” Est ce que le ‘reste’ a à voir avec un beau brun musclé originaire de l’autre côté du globe ? “ Il pose la question avec un total détachement, ne souhaitant pas insister ni obliger la jeune femme à lui parler, mais il sait qu’un autre Adams est à l’origine de quatre vingt pourcent de ce qui peu la perturbée, et il ne serait pas surpris de savoir que cette fois encore, il pourrait justifier ce “haut en couleur” pour qualifier le début d’année de la brune.

Il ne doute pas un seul instant que les fêtes de fin d’années soient un moment qui sied à l’amérindienne. Il faut dire qu’aux yeux d’Anders, Haiwee, elle a cette innocence et cette insouciance qui caractérise le plus souvent les enfants. Le décor qui s’installe donc un peu plus chaque jour fait ressortir ce trait de caractère que le danois a appris à aimer chez le jeune femme, maintenant qu’il la connaissait bien. La question se veut donc purement rhétorique, parce que Anders, il sait très bien pourquoi l’amérindienne pourrait apprécier Noël. Pour tous ces sourires qui vont naître sur le visage des gens, de tous âges et de toutes origines. Ce dont il a hâte aussi, pour voir la joie et l’émerveillement de sa fille quand elle découvrira que le Père Noël est passé pendant la nuit, lui apportant divers présents qu’elle s’amusera sûrement à déballer autant que de jouer avec. Et puis il y aurait aussi sa famille, avec laquelle il tentait de réparer ses erreurs, doucement mais sûrement.

Leurs cafés dans les mains, Anders apprécie la chaleur qui se dégage du sien et qui lui réchauffe les doigts en l’absence de gants. Quoi de mieux qu’une boisson chaude pour dissiper le froid lors d’une telle balade ? Il en profite alors pour discuter avec la jeune femme, l’interroge sur les nouveaux mois qui se sont écoulés et pendant lesquels ils ne se sont que peu vu, la faute à leurs études prenantes, et très certaines, quelques activités extrascolaire. Malgré tout, il n’insiste pas vraiment sur le trouble qui semblait tarauder la jeune femme lors des derniers messages échangés. Si elle voulait lui en parler, elle le ferait, et si elle voulait garder ses états d’âmes pour elle, il devait alors respecter ça. Pourtant, il ne se retrouve pas vraiment étonné quand elle mentionne un jeune homme, fréquemment source de confusion pour la brune. Qu’il ne soit pas mêlé aux états d’âmes de l’amérindienne, ça, ça l’aurait étonné Anders, là, ça semble presque être une notion stable, bien qu’il note une subtilité dans ce qui avait été évoqué jusqu’à maintenant. « Je pensais que tu serais plus radieuse le jour où ça se ferait. » Depuis le temps qu’il en avait entendu parler, du fameux Sheng, il s’attendait à une annonce plus radieuse, et non pas à la mine basse qu’affichait actuellement la jeune femme. Et il en comprend mieux l’origine quand elle prononce ce fameux “mais”. Parce qu’il y a toujours un “mais”, et en amour, Anders aussi y était familier. « Je suis mieux que psy, je suis un ami. » Il ne nie pas le bien qu’une thérapie conjugale pourrait provoquer chez un couple, mais il sait Anders que parfois, ce n’est pas la lucidité d’un psy dont on a besoin, mais simplement du soutien d’un bon ami, d’une oreille attentive, et concernée. « Mais tu sais que je ne te forcerai pas à parler. Je suis là si tu as besoin, ne l’oublie pas. » Il vient doucement l’étreinte en passant un bras autour de ses épaules avant de la relâcher. Un geste de soutien et d’affection qu’il ne se permet que rarement, mais qui en fait ressortir la sincérité.

Il voit bien Anders, que l’amérindienne n’est pas comme d’habitude, que quelque chose ne va pas, mais il n’a aucune idée du pourquoi. Il aurait bien soupçonné Sheng d’être responsable de ce trouble, mais la confession de la jeune femme le laisse perplexe. Depuis le temps qu’il en entendait parler, qu’il les voyait se tourner autour, il aurait cru qu’elle se serait mise à rayonner Haiwee, que son sourire radieux ne quitterait plus son visage pendant des semaines. Mais au lieu de cela, elle semble abattue, en proie aux doutes, comme si, finalement, tout ceci n’était qu'une erreur. Il est peiné pour elle Anders, d’imaginer que finalement les choses ne se déroulent pas comme elle les aurait attendues. Une compassion à son égard qu’il exprime, sans chercher à creuser, sans chercher à être intrusif. Si Haiwee voulait lui en parler, elle le ferait, sinon, il attendrait qu’elle soit prête à le faire. Un jour peut-être.

Le café à ses lèvres, il manque de se brûler lorsque l’amédienne l’interroge sur ce choix qu’il aurait pu faire il y a un peu plus de deux ans, si seulement il avait sû. Difficilement, il avale sa gorgée, relève les yeux vers Haiwee. « Honnêtement ? » Il marque une petite pause sans pour autant attendre une réponse. Si elle lui pouvait la question, c’était sûrement parce qu’elle désirait une réponse la plus sincère possible. « Si j’avais sû, j’aurais demandé à Céleste d’avorter. C’est certain. » Il confesse, un peu honteux d’avouer que s’il est le père aimant qu’on lui connaît maintenant, c’est par la force des choses, que lui, aurait fait un tout autre choix en amont, si seulement il avait sû. « Je ne regrette pas la naissance d’Anaé, hein, qu’on s’entende bien, mais oui, si Céleste était venue me voir à quelques semaines de grossesse, c’est ce que je lui aurais demandé. C’était à peine une connaissance pour moi, et je ne me voyais pas être père avant la fin de mes études, encore moins comme ça alors… » La balance, elle aurait vite basculé d’un côté et l’hésitation n’aurait pas eut sa place dans le chemin de réflexion du danois. Pour un bébé, il n’était pas prêt. La preuve, même au pied du mur, il lui avait fallu plusieurs semaines avant d’être prêt, d’envisager à ce petit bébé qui était le sien. « Mais je ne l’ai pas eu. J’ai simplement eu le choix d’être un père présent ou absent. Et maintenant, je regrette presque d’avoir manqué certaines choses. » Sa naissance, ses premiers jours, et même, les échographies qui auraient dû être faites, le rassurant sur l’état de santé de son enfant à naître.

Jamais il n’avait été si honnête sur le sujet Anders, jamais on ne lui avait demandé de l’être. Cette paternité, il ne l’avait pas choisi. Elle s’était imposée à lui, sans qu’il ait son mot à dire, sans qu’il puisse y renoncer. Il n’avait jamais parlé de ce que ça avait impliqué pour lui, de ce choix qui n’en était pas vraiment un. Il aurait voulu que cela se passe autrement, aujourd’hui encore il voudrait que Céleste n’ait pas fait de déni, que la capote ait fait ce pour quoi elle a été conçue. Certains jours, il aimerait encore ne pas être père, parce que tout n’est pas tout rose et qu’il aurait voulu plus de temps pour s’y préparer, plus de temps pour se guérir de ses propres traumatismes avant d’essayer de protéger sa fille de tous ceux que l’univers pourrait lui faire subir. Mais malgré tout, il l’aime cette enfant, son enfant, et quelque part, la vie sans elle, il ne l’imagine pas. Il ne l’imagine plus. Car contrairement à ce qu’on dit, ce ne sont pas dix-huit ans de hauts et de bas qui l’attendent, mais toute une vie, jusqu’à son dernier souffle.

D’un regard, il remercie Haiwee de ne pas l’avoir jugé, de ne pas l’avoir interrompu et de ne pas avoir remis en cause la décision qu’il aurait voulu prendre. Il sait que d’autres n’auraient pas compris, que d’autres l’auraient jugé comme un monstre, sans même savoir quels étaient les enjeux de la parentalité. Il n’aurait pas forcé Céleste à le faire - quoiqu’il aurait pu être très insistant - mais c’est une discussion qu’il aurait eu avec elle, indéniablement. Et une discussion qu’il aurait pû regretter par la suite. Il se tait enfin Anders, laisse Haiwee prendre la parole. Au fond de lui, il se doute que ce n’est pas par hasard si elle lui a posé cette question, devine que quelque chose la travaille également. Il ne savait pas quoi encore avant leur rendez-vous, mais maintenant, il semblait y voir plus clair. « Seulement si tu as envie d’en parler. » Il ne la forcera jamais à aborder un sujet si elle n’en avait pas envie, quand bien même il ait deviné de quoi il s’agissait Anders. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était essayé de lui rendre la vie plus facile, de lui épargner d’avoir à prononcer certains mots si elle ne n’en sentait pas encore capable, même si devinait, s’il ne faisait pas fausse route, que ces mots, elle avait dû les prononcer auprès d’un autre. « Mais si ça peut faciliter les choses, je pense que l’on sait tous les deux de quoi il s’agit alors… Tu peux aller directement parler de ce qui te fait peur, tes doutes, ou je ne sais quoi. Tu n’es pas obligée de commencer par le début. » Si on pouvait appeler ça ainsi, sur le pourquoi et comment, parce qu’il est bien placé pour le savoir Anders, que la vie trouve un chemin qu’on le veuille ou non, et qu’il n’est pas utile de lui demander à la brune, où est ce qu’elle avait la tête. Ces leçons de morales, ces jugements, il allait lui épargner Anders, pour se concentrer sur ce qui allait vraiment compter : qu’allait-elle faire (ce qu’il devinait déjà) et comment se sentait-elle ?