Dans la fenêtre qui se trouve en face d’elle, dans le métro, elle observe son reflet, instinctivement, elle tente d’apercevoir le tatouage dans son cou qu’elle a encore pris soin, comme chaque matin, de dissimuler sous une couche de fond de teint. Le dernier vestige d’Ophélia et quelque part, ça la rassure de savoir que la vraie elle se trouve toujours là.

Son esprit vogue à la mesure de la conduite de l’appareil, et perdue dans ses pensées, elle cherche un pourquoi au fait d’être sortie en cette journée. Peut-être parce que dans son appartement, elle ne se sent toujours pas légitime. Parce que c’est un jour de repos, et c’est une chose qui peut très vite l’étouffer. Derrière son bar, elle est mal à l’aise, mais au moins, elle entend d’autres bruits que l’écho de ses propres maux.

Pourtant, elle s’égare ici et maintenant, les flashs l’assaillent, liés à l’avant, si bien qu’elle éprouve le besoin de sortir, de ne plus s’observer. Alors au prochain arrêt, sans réfléchir, elle s’extirpe de la machine et accélère le pas afin de retrouver l’extérieur et l’air qui semble lui manquer. Une fois dans la rue, elle court presque, sans savoir ce qu’elle fuit, probablement la vie. Jusqu’à ce que sa vision ne soit brouillée, son corps proche de la lâcher, ce qu’elle désire c’est retrouver sa réalité, et qu’elle heurte un homme de plein fouet. Presque accrochée à la personne quand elle relève ses prunelles mordorées, elle s’entend articuler, « J’vous connais ? »

Les incapables, les putains d’incapables. L’appel des autorités paniquées, une caméra qui déconne, et personne de disponible/compétent/réellement compétent, j’veux dire/ pour rétablir le visuel. Cet appartement, je l’ai visité il y a quelques semaines, pour m’assurer qu’il était complètement safe et sans interférences ou micros. Ils pouvaient le faire, ca n’a rien de compliqué. Sauf qu’”ils” se foutent bien de mettre tout mon boulot d’effacement en l’air ; fonctionnaires si peu impliqués. Alors, presque par jeu, je me rétrograde de quelques marches pour jouer aux sbires. Il y a quelques semaines, donc, puis aujourd’hui. Le logiciel de vidéo-surveillance vient de mon entreprise, et c’est presque pour en prouver qu’il n’est pas à l’origine de cette défaillance, que j’accepte cette mission. Entre deux réunions, la veste est ôtée au profit du costume du type le plus commun de Boston. Il ne faudra pas longtemps pour réparer cette caméra qui déconne, savamment dissimulée dans le couloir de ton appartement, et au niveau du numéro de ta porte. Tu n’as pas été avisée de tout, à vrai dire. La confiance n’est pas un mot commun dans la profession. Ni la leur, à ces flics, ni la mienne. Mission accomplie, la silhouette s’éclipse avant de devenir trop commune à ce couloir ; mes traits, tu n’as pas besoin de les connaître. Chemin inverse, la rue, la direction du metro pour retourner dans l’immeuble orné d’une plaque à mon nom. Te percuter. Ou, toi, plutôt, venant te confronter à ma tenue d’homme invisible. Le souffle qui se coupe à l’impact, et mes orbes qui te regardent. Qui captent, vite. Pensent se méprendre d’abord, mais comprennent rapidement. “J’vous connais ?” J’recule à peine, les mains légèrement relevées devant moi, pour matérialiser la division de nos corps. J’en arrache un léger sourire aux commissures. “J’aimerais bien.” Quoi ? Le beauf, c’est clairement l’homme invisible de base. Celui que tu zappes vite, sans te rappeler qu’il était le type du téléphone, celui aux instructions laconiques, intransigeant sur la sécurité. “Mais, non.. désolé mademoiselle y a erreur.” Une moue pseudo confuse, et mon regard se défile déjà sur la route à poursuivre, en amorçant la direction. Dans l'ombre, je retournerai me cacher. Une voix seulement, je serai.

Cet effet de reconnaître une silhouette, il lui arrive bien trop souvent, c’est peut-être le lot des personnes qui fuient une vie, qui possèdent une existence cachée, qui se sentent en permanence, recherchées. Alors, elle se fait victime une énième fois, de cette sensation-là. Et quand les mains de l’homme se relèvent pour mettre de la distance, mimer une innocence, elle réalise qu’elle calque ses réactions sur les siennes, arquant elle aussi ses sourcils de surprise, comme si c’était elle qui venait d’être abordée. Un regard étonné lorsqu’il s’adresse à elle, à la finalité. “J’aimerais bien.” Les mots, à ses oreilles, sonnent mal, sonnent faux.

Elle ignore comment les prendre, et d’un réflexe idiot, elle pose sa paume dans le creux de son cou, une protection de son identité sous couvert d’un geste de réflexion. “Mais, non.. désolé mademoiselle y a erreur.” Elle reste dubitative encore quelques secondes tandis que le regard de l’inconnu se fait fuyant. Derechef, elle se dit que ce n’est pas à lui de faire preuve de politesse, car c’est elle, en définitive, qui l’a abordé, sans qu’il n’ait rein demandé. Une Ellie aliénée. « Non, c’est moi qui le suis. » Désolée, d’être dingue et de se croire persécutée. Il ne faut pas lui en vouloir, après tout, elle n’a jamais appris à bien fonctionner. Avant qu’elle ne puisse s’y essayer, le monde l’a brisée.

Mais à défaut de le laisser repartir de son côté, elle se trouve une âme impétueuse, elle qui n’avoue jamais être des plus courageuses, afin de lui préciser un point, « Evitez le j’aimerais bien, » un faible sourire sur ses lèvres dessiné, « pour la prochaine. » Fille paumée sur laquelle il pourrait tomber.

Le mensonge, ça s’apprend, d’une vie, d’une habitude, d’une illusion qu’on disperse à ceux qui n’comptent pas, puis contre ceux qui importent. On apprend à mentir quand on s’en fout, pour des détails, des anecdotes qu’on a pas vécu, et comme c’est facile, on continue. Des mensonges, j’en fais pas beaucoup. Jamais quand ça compte vraiment, quand est en jeu un cœur en face. Ou, sous couvert d’un bon sentiment. Ou, sous couvert de m’sauver la gueule, aussi, on va pas se mentir. Le mensonge, quand on le fait bien, quand on y croit, ça revêt vos traits comme un masque parfait. Il est comment ton masque, toi ? Est-ce que t’arrives encore à l’ôter correctement le soir venu, ou il te colle à la peau jusqu’à en arracher des morceaux d’épiderme ? Au bout de combien de temps, on oublie son propre nom ? Combien de temps pour se retourner sur l’autre ? Combien de temps, pour préférer le masque ? « Non, c’est moi qui le suis. » T’es désolée, et moi je le suis aussi, pour l’incompétence des gens censés s’occuper de ta sécurité. Ton histoire n’a été que trop résumée, pour que je me sois attaché au personnage. La pitié n’est pas un beau cadeau qu’on puisse te faire. Alors je regarde ailleurs, vers ce qui sera ma future direction. C’est-à-dire, partout où je ne risque pas de me dévoiler. « Evitez le j’aimerais bien, » L’attention revient sur toi, comme un élan coupé, décontenancé par une réplique non anticipée. « pour la prochaine. » Les sourcils légèrement haussés, et la tête qui se hoche une fois. “D”accord, j’en prends bonne note.” Les lèvres, amusées malgré elles. “Pour la prochaine.” En écho. Les pieds qui veulent décider d’une reprise de la marche, mais l’esprit, toujours éveillé pour gratter un peu d’imprudence. Le défaut des trop confiants. “Pour ma culture personnelle.. vous recommandez quoi, du coup ?” Quel personnage tu es, avec ton masque ?

D’une autre œillade, elle observe ses traits, peut-être pour les graver dans sa mémoire, comme ceux appartenant à un inconnu qu’elle se devra de ne plus jamais accuser, si jamais elle s’en venait, un jour, à le recroiser. Alors elle baisse la tête, n’ayant rien d’autre à ajouter, prête à reprendre le cours de sa vie, éradiquant d’un balayement de main, cet étrange aparté.

Mais tandis qu’elle ne s’attend qu’au silence puis à retrouver le brouhaha de la vie, elle se fait surprendre par son timbre de voix à lui. Relevant ses prunelles afin de les planter dans les siennes, “D”accord, j’en prends bonne note.” A ce qu’elle devine comme un départ d’expression rieuse, elle hoche le visage, d’un mouvement presque sec, comme si c’était entre eux, à présent, un marché conclu. “Pour la prochaine.” Encore, elle opine, les lèvres pincées, elle ignore s’il s’attend à ce qu’elle argumente à ce sujet. Ne voit pas de possible débat.

De fait, elle compte le reprendre, le rythme de ses pas, mais pour lui, ce n’est pas le cas, car il l’apostrophe d’une question qui l’étonne ; “Pour ma culture personnelle.. vous recommandez quoi, du coup ?” Comme si elle pouvait être de bon conseil à ce niveau, elle se perd dans un rire, faute de manque de parole. Son unique relation s’est déroulée selon les envies et besoins d’un salaud. L’emprise provoque bien trop de maux. Elle se veut honnête, quand elle secoue un tantinet la tête, « J’suis pas experte. » Pourtant elle sourit, de toutes ses dents, avant de se mordre la lèvre et de feindre une véritable réflexion, à force de jouer un rôle, on se prend au jeu de la représentation. Le moine de ses gestes, elle le sait mitigés, coincés entre le faux et le vrai. « Mais quelque chose de moins brut, peut-être. » De plus léger, une présentation, un sourire, une proposition de sortir de cette réalité. Un verre ; « Un café .? » incapable de déterminer, si c'est une idée ou un moment à venir, à partager.

« J’suis pas experte. » C’est marrant, cette position de type qui sait que tu mens, directement. Dans toutes nos relations, on s’demande, on s’interroge sur la sincérité d’une réplique, sur l'honnêteté d’une relation, d’histoires contées, adaptées selon ce qui nous arrange. Toi, je sais que tout est faux, depuis ton prénom, à ta peau maquillée. Une bonne couche de fond de teint sur ton passé, et du fard pour simuler une autre existence. Toi, j’sais directement que tout est fabulé. Mais, je me demande tout de même, si dans l’imprévu d’une discussion avec un inconnu, tu parviens à tout redessiner. Est-ce qu’il persiste un peu de la vraie toi, en dessous de tout ce costume ? Le “je”, sais-tu encore comment l’utiliser ? “Vous savez pourtant ce qu’il ne faut pas faire.” Soulevé, avec une moue amusée. C’est déjà un bon début, je suppose ? Enfin, soit dit entre nous, c’n’est pas compliqué de voir que ma réplique était digne d’un mâle alpha de pacotille. Soyons deux à mentir, d’accord ? « Mais quelque chose de moins brut, peut-être. » Surement, quelque-chose de plus subtile, moins direct, pour ne pas braquer l’âme d’en face. J’n’ai même pas réussi à le faire d’ailleurs, te braquer, mon pas n’arrivant pas à se décoller loin de notre aparté. A croire que nous ne sommes pas doués, autant pour les accroches que les adieux. « Un café .? » Les sourcils, froncés à peine, et la bouche persistante dans une certaine légèreté. “J’suis perdu.” Alter ego plus gauche que l’original ; et y a du boulot. “C’est une proposition ou c’est ce que je dois demander ?” On est toujours dans le cours, ou t’as décroché trop vite pour être une bonne prof ? Et moi, je m’amuse de voir les contours de ce personnage que tu t’inventes. Tu l’tisses encore, hein ?

Les mots qui sortent de sa bouche, elle ignore à qui ils appartiennent, égarée entre Ellie et Ophélia. La plus experte, c’était laquelle ? Celle qui s’est enfuit ou bien celle qui s’invente au fil de cette nouvelle vie ? Peut-être qu’il lui faudrait avouer qu’elle ne l’a jamais été en quoi que ce soit. “Vous savez pourtant ce qu’il ne faut pas faire.” Malgré elle, cette pensée énoncée l’interpelle. Peut-être qu’elle est devenue expérimentée en ce sens-là, elle sait par cœur les choses qui ne se font pas.

Alors elle hoche la tête, comme pour approuver ce qu’il vient de prononcer, mais aussi elle se mord la langue pour éviter de lui souligner que lorsqu’on a vécu comme elle, c’est évident qu’on le sait. Seulement ça entre dans le sac des paroles qu’elle n’est pas en droit de révéler. Ça contribue à alourdir son secret. “J’suis perdu.” Tirée de ses souvenirs, le regard à nouveau dans l’intensité du sien, quelque part, sur les lèvres masculines, elle parvient à déceler un sourire malin. “C’est une proposition ou c’est ce que je dois demander ?” Ophélia aurait dit oui, impétueuse sans hésiter, à la première possibilité, désireuse de tomber dans un nouveau terrier, à la recherche du lapin toujours en retard, des merveilles et d’une autre histoire, de réaliser les vœux qu’elle souffler tous les soirs. Mais Ellie… Ellie ferait quoi ? L’inverse, le monde mais à l’envers. Les bonnes réactions, elle ne les a pas. Elle veut trop chasser ce qui est chez elle, naturel. « Je… » et cette façon de bégayer, ça a le don de l’agacer. Cette perte de contrôle, ce qu’elle peut la détester. Derrière son bar, à faire semblant de diriger l’entièreté de son comptoir, elle maitrise son rôle, elle sait ce qu’elle fait, elle porte le masque de la froideur, on ne risque pas de lui demander les couleurs qui se cachent à l’intérieur. « Les deux. » Ellie, Ophélia, elles s’entremêlent, elles n’arrêtent pas, elles sont toutes les deux là.

Peut-être qu’à force d’ériger des règles, ça et là, des limites qu’on plante dans le sol et qui se dressent pour bloquer nos élans, on finit par comprendre les nuances de notre liberté. Ce qui se fait, ce qui ne se fait pas. Ce qu’aujourd’hui, la société a décidé de ne plus tolérer. Ce que demain, elle permettra. J’le sens, le fossé avec les générations suivantes, j’capte de moins en moins ce qui se joue pour ceux qui n’ont aucun problème de rides aux coins des yeux. J’ai pas peur de vieillir, j’ai peur de plus comprendre le monde, d’être dépassé, de pas m’en rendre compte quand ça m’rattrapera. La solitude, ça aide pas. A croire que les années en profitent pour s’écouler plus vite, quand y a personne à côté pour surveiller les aiguilles. Moi, les yeux rivés sur mes ordis, j’ai pas fait gaffe, et j’crois qu’ils ont fait exprès de pas me prévenir. Est-ce qu’on se sent seule aussi, quand y a une bonne excuse pour ne pas entendre son téléphone sonner ? On t’as arraché à une vie, et on est plusieurs guignols à s’assurer qu’elle ne te rattrape jamais. Que la solitude soit ton unique compagnie qui valle. J’suis le mec qui passe les visages passant ta porte aux logiciels ; j’suis le mec qui peut broyer le peu de liberté qu’il te reste, sur une mauvaise décision que j’ferais remonter. Sur un type douteux, qu’un soir de doute, tu pourrais inviter. Alors, vas-y, au détour d’une rue, échappes toi. Ce n’est plus le cul, mais tout le corps qui s’écartèle entre deux chaises. Sois peut-être toi, au lieu d’un prénom que tu ne sais plus comment écrire. “Maintenant ?” Tu peux changer d’avis à n’importe quel moment, n’est-ce pas ? Moi aussi. Profitons d’une erreur de nos systèmes de défense, d’une micro faille dans laquelle nous pouvons y glisser deux silhouettes, pas plus. “Maintenant. Sinon je vais devoir demander votre numéro, et c’est aussi une chose qui ne se fait pas.” L’amusement à la bouche, trahi d’un sourire dosé de malice, je tranche puisque tu n’fais qu’osciller. La nuance, plus douce : “On va où vous voulez. ” J’connais pas les cafés de ce coin, alors, on n’sait jamais, que l’un d’eux soit synonyme de réconfort pour toi, de pseudo habitude, je te le laisse.

L’une devrait partir, l’autre a des envies de rester, et quelque part entre les deux, elle a oublié comment exister. Pourtant, ça fait plusieurs jours, deux mois déjà qu’elle s’y essaie. Elle fuit l’inconnu tout en étant attiré. Elle est solitaire en souhaitant être entourée. Elle s’assourdit d’un silence dans lequel elle voudrait pouvoir crier. Peut-être qu’à la longue, elle va apprendre à fonctionner, et devenir une version d’elle qui lui plaît. “Maintenant ?” Il y avait de l’audace dans ses premières paroles, celles qu’elle a remis en cause… Et là, l’aplomb a disparu, elle ne perçoit plus que de l’hésitation, s’en retrouve perdue. C’est sur sa première réaction qu’elle aurait dû rester, son instinct de protection, à la vue de sa réaction. Ne pas fraterniser avec les étrangers. Néanmoins, fuir est toujours une possibilité. Est-ce qu’elle se doit de répondre ou ne rien articuler ? Est-ce que c’est vraiment à elle de décider ?

Les secondes s’étiolent, étirent le temps puis il se décide et reprend ; “Maintenant. Sinon je vais devoir demander votre numéro, et c’est aussi une chose qui ne se fait pas.” Il est palpable, elle pourrait le jurer, son attrait pour le danger. Cet esprit de rébellion qu’elle n’arrive pas à éradiquer. Que ses chaperons n’ont pas fini de détester. Un animal en cage qui désire se libérer. “On va où vous voulez.” Ca lui arrache un sourire, une expression incontrôlée. Où elle veut, ce serait potentiellement plus simple si elle connaissait Boston et ses recoins. Si elle s’était aventurée à jouer avec le destin. Mais elle n'a pas pris la peine d’explorer son propre quartier, elle s’est faite docile comme on lui a ordonné. Comme quoi, parfois, elle sait écouter. Alors ça tourne rapidement dans son esprit, consciente qu’elle n'a aucune idée d’où se rendre, son regard à la recherche d’une échappatoire, elle tombe dessus par hasard. Un kiosque ambulant, qu’elle désigne du doigt en souriant. Un choix qui leur donne l'opportunité de se balader après ou bien de se séparer. La suite est encore difficile à déterminer. « Là. » une lueur de défi dans la voix et une moue espiègle sur son expression. Rester dans un lieu public, entourée de badauds, lui empêchera un enlèvement et d’autres possibles maux. « Et je ne vous l’aurais pas donné. » Son numéro.

J’n’ai pas beaucoup de pouvoir à te donner, de liberté à l’accorder, de décisions à prendre. J’le sais, que ta vie est muselée sous bien des aspects, et que tout est restreint, dans tes gestes. On imagine pas les contraintes, quand on efface un nom et l’histoire qui était liée. Quand on doit oublier de se retourner sur son propre prénom. Ce prénom qu’on avait inscrit partout, sur chaque entête de devoirs, sur chaque papiers, ces lettres qui s’accrochent à notre dos et s’y installent jusqu’à la stèle. Ca fait quoi, de devoir prévoir deux lignes sur le marbre ? J’y ai réfléchi un peu, quand j’étais face à ton dossier. Et j’crois que je préfèrerai crever plutôt que perdre mon identité. J’aurai choisi le risque. Je ne veux qu’Ellington, au dessus des fleurs. Alors j’ai pas beaucoup à te donner, oui, et là, je n’ai même que ce choix d’un café. C’est un tout début de carrefour, un balbutiement de prise de décision. « Là. » Le regard qui vaque jusqu’à ton “là”, et les traits qui ne peuvent retenir une légère grimace. “Là”, c’est bon pour choper un café entre deux rendez-vous. “Là”, c’est bon pour écrire son prénom sur un mug en carton et prendre un taxi. Et encore, y a même pas de stylo j’suis sûr “là”-dedans. “Là ?” Encore. J’sais pas vraiment ce que j’espère - peut-être que finalement, l’index désigne un café super cosy derrière le kiosque, que j’avais pas capté jusqu’à maintenant. Mais, ouais, non, le doigt montre bien ce kiosque à deux pas. “J’m’en serais remis.” Répondu, rapidement, un léger sourire aux commissures, proche du rictus, les orbes brèves sur la compagnie, juste pour signifier que j’n’étais pas plus insistant que ça. Surtout que j’serais bien emmerdé, avec un numéro avec lequel je ne peux rien faire. “Par contre..” J’amorce un pas vers le kiosque. “J’suis beaucoup moins certain de me remettre de ce truc que vous voulez me faire boire.” Une punition, c’est ça ? “Vous pouviez refuser, plutôt qu’essayer de m’empoisonner pour une mauvaise réplique.” L’amusement à la bouche, bouche prête à affronter le liquide noir, pour quelques minutes encore d’intrigue. La curiosité me tuera. Plus tôt que prévu visiblement.