Les prix sur la carte narguent tes poches à peine renflouées. Une grimace brise ton visage stoïque. Rien dans ce 'rendez-vous' ne présageait quelque chose de bon ; le lieu déniché un quart d'heure avant l'heure, le décor typiquement italien, à la limite du stéréotype trop poussé à ton goût et le libre arbitre de ta présence - totalement inexistant. Rien de tout.. ça n'était de ton fait, le rôle du généreux et sociable voisin de pallier t'ayant empêché de rétorquer un joli refus à l'énième tentative de blind date de Mrs. Powell. Au bout de la sixième proposition amenée subtilement (non), la politesse et tendresse envers la vieille dame avaient fini par l'emporter sur l'agacement. Blind date. Concept dérisoire. La simple notion de 'date' ne rentrait pas dans ton vocabulaire au quotidien, désintéressé par cet aspect de ta vie et pleinement concentré sur ta fille et survivre ; alors, ajoutez 'blind' et ce désintérêt se décuplait comme tes traits de faciès, froids, bougons le montraient. Même les menaces subtiles (encore une fois, non) de Mrs. Powell n'arrivaient pas à plaquer un sourire factice sur tes lippes quand l'autre partie de ce date fit enfin son arrivée. Brune, grande, élancée. Bonsoir. Haze, enchanté. Ta place t'attend. Salutations des plus sobres, ne prenant même pas la peine de te lever de ta place à toi.

Léger retard. Faut dire que je n'avais pas eu beaucoup de temps pour comprendre ce qu'il se passait. J'avais sympathisé avec une dame adorable, qui avait des projets pour moi que je n'avais pas : rencontrer quelqu'un. Elle avait eu la volonté d'organiser un date, chose que j'avais pas voire plus fait de manière sérieuse depuis que j'avais rencontré Jude il y a bien des années de ça. Je ne sais pas faire, je ne sais plus faire. L'heure est annoncée et quand je regarde ma montre, je sais que je vais être en retard. Je me dépêche, tout de même, et l'endroit me semble trop cliché pour qu'on y sorte quelque chose de positif. Pas eu le temps de préparer pour l'occasion, j'arrive tout droit du travail. Le style est professionnel, bien que classique. J'entre, je le vois, il est le seul à être seul et à être forcé d'être ici, ça se lit sur ses traits. Mrs. Powell, q'est-ce que vous avez fait ? J'ai bien peur que ce soit une longue soirée. Bonsoir. Haze, enchanté. Ta place t'attend. La galanterie lui ferait mal, à cet homme, je pense. Je souris, me pince les lèvres. Je connais sa voix, d'où ? Aucune idée, mais je l'ai déjà entendu. Merci. Je suis Leandra, on s'est fait avoir tous les deux, trop attendris par une petite mamie ? elle est attachante, et en ce qui me concerne, elle a toujours des petits cadeaux pour Riley, ce qui en fait une autre grand-mère par extension.

La bienséance ne t'était tout de même pas inconnu, malgré ce que chaque interaction au quotidien dans ta vie pourrait l'attester et t'étais on ne peut plus conscient du manque de galanterie dont tu faisais preuve dès les premières secondes. Pour autant, Haze la statue n'avait jamais autant égalé une performance cinq étoiles. Seules tes billes s'agitaient et suivaient scrupuleusement l'arrivée de ton rendez-vous - en retard, l'étudiant sans discrétion tandis qu'elle prenait place en face de toi. Le critique était de sorti, jaugeant d'ores et déjà vos différences sociales de part et d'autre de sa tenue en comparaison de la tienne, presque délabrée. L'effort était tout de même de mise, encore une fois menacé par Mrs. Powell mais disons que dans un concours d'élégance, elle gagnerait haut la main. Sans débat. Attendri ? 'Effrayé' serait plus juste. Les sourcils se froncent en souvenir des dialogues - monologues - hauts en couleur avec la vieille femme. T'es du genre à céder facilement aux yeux doux d'autrui, si j'comprends bien ? Même si ce n'était pas intentionnel, le léger jugement dans ta voix ne pouvait pas s'empêcher d'embaumer la pièce. Haze, dans le début de sa splendeur.