Cette décennie qui s’est écoulée, c’est à m’élever qu’elle m’a servi. A l’époque de l’université, j’étais déjà à mon apogée, mais ces dernières années, c’est en véritable icone que je me suis transformée. Au sommet de mes performances, de mon art et de mes compétences. Business woman sans égale, toujours aussi éloignée de ce qui est banal. Et avec ma dernière acquisition, je complète la collection de mon ascension. Même si pour ce faire j’ai dû lier au sien, mon nom. Comme quoi il ne faut jamais en douter, de ma persévérance, du degré de ma patience. De cet adage qui dit que tout vient à point à qui sait attendre. Cette union maritale en est la preuve véritable, parfaitement irréfutable. Malgré ses réticences et son obstination, se rendre à l’évidence, c’était la seule des solutions.

Alors je me dois de l’avouer, j’ai hésité à me pointer à cette soirée. Me pensant mieux que les autres anciens de ces promos que j’ai, il ne faut pas se mentir, volontairement oubliés. Néanmoins, c’est un petit détail qui m’a fait flancher. L’envie de leur balancer à tous ma réussite en plein visage ; Savourer ma grandeur et songer à leur naufrage. Non, le temps n’a pas adouci mon égo, bien que quelques amabilités se cachent, perfides, sous ma peau.

Mais j’ai enfilé l’une de mes tenues, dernière collection récemment dévoilée, et je me suis pointée accompagnée – forcément – à cette réunion d’avance démodée. Une fois attablée, à côté d’une chaise évidée, j’observe les bulles de ma coupe de champagne, me désole, comme à mon habitude, de la qualité de cette boisson, certaines habitudes sont tenaces, comme le fait que la médiocrité m’agace. Et toutes à mes pensées, je me laisse surprendre par l’arrivée d’une silhouette connue à mes côtés. Peu croisée durant ces derniers mois, cela dit. Puisqu’il prend la parole, son regard, je le suis. « Il y a comme un air…de famille. » Un sourire narquois se faufile sur mes lèvres, mes prunelles posées sur Sheng et sa progéniture, je serais stupide si je le réfutais. Imbécile qui a cru bon d’engrosser la Haiwee. Mais je me console, me galvanise d’un fait, elle, il ne l’a jamais épousée. « Un accident. » Faut croire qu’il n’a pas su se retirer avant. Comme quoi, la reproduction, c’est à tout âge que ça s’apprend.

Puis ma vision délaisse le père de l’année, pour venir sonder, l’homme à mes côtés. Il y a quelque chose de spécial à penser qu’il est toujours là, dix ans après. Que quelque part, il ne m’a jamais quitté. « Dis-moi… » faussement suspicieuse, éternellement vicieuse, « ta patronne sait que t’es pas au boulot ? » non pas que je me renseigne vraiment sur ces agissements, mais il est vrai que l’on m’a conté, qu’il ne quittait que très rarement les labos.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

Il accueille mes paroles en un léger rire, appuyant sur l’ironie qui teinte ma question, car tout le monde sait je suis la patronne de l’équation. Il se fait plus audacieux que durant nos jeunes années, lorsqu’il dérobe un verre qui n’est pas le sien. « Malgré tout le mal qu’on dit d’elle, elle est assez sympathique tu sais. » Les paupières plissées tout en le dévisageant, l’air soupçonneux pour lui souffler en silence que c’est un secret qu’il n’a pas le droit de révéler. Sachant qu’ils sont très peu nombreux à bénéficier de mes bons côtés.

Alors j’en lève les yeux au ciel, en accusant un sourire finalement, si bien que l’arc de mes lèvres s’étend lorsqu’il poursuit sur sa lancée, « Et il m’arrive de… m’amuser tu sais. » tu m’en diras tant… J’en hausse les sourcils, acceptant cette idée de manière dubitative avant de porter mes lèvres les bulles bon marché. Tellement de mauvaises qualités, que le liquide me fait grimacer. Mais le regard de Dan retourne se poser sur le spectacle que Sheng, à présent rejoint par Haiwee, le tout combiné, ça risque réellement de me faire gerber. « Alors comment ca se passe au juste…. Un week-end sur deux il a le droit de … ? » A croire que c’est un sujet fascinant.

Ma langue suivant le chemin de l’émail de mes dents, je ne dis rien pour le moment, parce qu’il est vrai que ce mariage n’est pas aussi glorieux et pailleté qu’il n’y parait. Pourtant, sur papier, à ne pas en douter, il est parfait. Parfaitement arrangé. De bout en bout calculé. Mais entre nous c’est platonique, de A à Z, et pour une question d’égo je préfère ne pas savoir s’il couche encore avec elle. Seulement à les contempler… Il faudrait être stupide pour ne pas comprendre combien, l’un à l’autre, ils sont attachés. Deux idiots gavés de sentiments depuis des années. « Je te trouve vachement intéressé par les détails de cette histoire. » D’ailleurs, je pourrais même commencer à croire que c’est suspect, bien que je n’arrive pas à comprendre ce que Dan Hackman pourrait gagner à obtenir des informations à ce sujet. Ce n’est qu’après avoir bu une autre gorgée que je m’entends articuler. « Dis-moi d’abord ce que tu fais pour t’amuser. » avant que je ne dévoile les dessous de mon mariage.

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Étonnement, il rend ce moment un peu plus divertissant, mon mari ayant à faire avec son fardeau amérindien. Quoi que… Ses fardeaux païens, il me faut les mettre au pluriel, puisque Sheng est et a toujours été – dans certains de ses choix – un sombre crétin. Engrosser la Haiwee positionné comme choix stupide numéro un. Mettre tant de temps à abdiquer face à mes volontés, suivant de très près le premier.

Chassant mes pensées à ce sujet, mes intérêts se concentrent sur Dan qui débute ses aveux. « J’ai abandonné les jeux. » Il a fini par grandir, donc. Clairement, c’est pour le mieux ; si à l’époque c’était un petit point négatif, son addiction, si elle avait perduré, je l’aurais facilement trouvé pathétique. « Je me suis lancé dans…le sport et les ragots. » Un sourcil haussé en signe de surprise, que ce soit pour les potins ou bien le côté physique. J’ai en tête un étudiant fermé et d’un homme ne supportant pas son corps. En dix ans, l’espoir n’est donc pas mort. « J’écoute d’une oreille attentive ce que les autres pensent, de tout le monde. De toi y compris » Ca me rend curieuse, même si je suis conscience d’à peu près tout ce qu’on dit. Le bon comme le mauvais, mais j’aimerais bien savoir ce que lui a choisi de noter.

Mais le problème c’est que si je compte le lui demander, il ne perd pas le nord et revient trop vite à la charge. « Tu ne m’as pas répondu. Alors ? » Après une longue inspiration, j’accepte de répondre à sa question, pour le moment, on va dire que je suis d’accord pour la carte du donnant donnant, puisqu’on fête nos dix ans. « Alors… » je reprends, « non, elle et moi, nous n’en avons pas la garde partagée. » Cela dit, je ne suis pas crédule au point d’ignorer qu’il va souvent la retrouver, puisque notre union n’est pas consommée. Le sexe entre nous, c’est terminé depuis des années. Je sers leur couple, sans moi, ils s’ennuieraient. Ils devraient même me remercier. Ce point réglé, à mon tour d’aborder un sujet. « Et toi ? Le sport, les ragots … » c’est beau mais et ; « Les femmes ? » Je me souviens d’un gars qui en avait peur, n’est-ce pas.

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La question paraît le surprendre, cela dit, je la trouve on ne peut plus appropriée, dans la continuité de son interrogation impudique au sujet de mon mariage et des tromperies qu’il peut cacher. Les prunelles de Dan se font évasives, son regard préférant s’égarer sur les nombreuses silhouettes qui nous entourent plutôt que d’affronter mon faciès paré d’une perverse curiosité.

Je pallie l’attente de sa réponse en buvant une autre gorgée, et cette fois, mon rictus dégouté, je peine moins à le camoufler. Jusqu’à ce qu’il prononce sa vérité. « Oui. Parfois. » Et je ne saurais pas dire si ça me surprend du bon ou du mauvais côté. En même temps ce n’est pas comme si je croyais qu’il était resté chaste durant cette décennie qui vient de s’écouler. Néanmoins… « Parfois… » je répète, pensive quant à toutes ces fois où il m’a donné cette impression d’être repoussante, à la limite de l’effrayante. Il faut dire que ça titille d’autant plus mon envie d’enquêter, comment est-ce qu’elles sont, ces femmes citées, pour arriver à trouver grâce aux yeux de mon employé.

J’en mordille ma lèvre inférieure, retenant le venin qui menace de s’échapper de ma bouche, je m’essaie à faire preuve d’un tantinet de respect. Mes insultes et vulgarité, je veux bien les ravaler. Notons donc que j’ai muri au fil des années. « Et qu’est-ce qu’elles ont de plus que moi, ces femmes-là ? » Bon, d’accord, je veux bien être honnête, je n’ai pas tant muri que ça peut-être. En toute objectivité – et modestie – je suis riche, belle, célèbre… Je ne suis pas certaine que ce soit le genre de femmes qu’il côtoie. Indiscrète, j’attends son développement, qu’il accepte de m’expliquer ce qui pourrait justifier ses faveurs alors que de mémoire, d’expérience, je sais qu’il n’a jamais apprécier les échanges légitimant trop de proximité.

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Ca fait partie des moments que j’ai peut-être imaginés, une ou deux fois, depuis que je le côtoie. Plus durant nos années universitaires, cela dit, puisque nous nous sommes plutôt éloignés, depuis. Mais s’il s’étonne à l’aide d’un ; « Pardon ? » c’est moi qui le suis, à la finalité. Enfin non, ce n’est pas ça la vraie émotion que je viens d’éprouver. Ce qu’il me prouve avec son pardon, c’est qu’il ne l’a jamais envisagé. En fait, j’accuse ma propre stupidité. Et c’est un fait que je n’apprécie pas. Surtout lorsque c’est Dan Hackman qui engendre ce ressentiment-là. Plus que le couple parfait séparé, ça me file une incroyable nausée. « Madame Witter. Je ne suis qu’un employé. » Les doigts crispés sur ma coupe, je m’agace de la signification cachée dans ce qu’il a osé prononcer. Il ne manquerait plus qu’il me colle, pour harcèlement, un procès. Ca a en devient presque grisant tant c’est désappointant. « Voilà des années que je travaille pour toi et jamais tu n’as daigné me montrer de l’intérêt. » C’est une réécriture de l’histoire, qu’il me fait, si bien que la pointe de ma langue goûte mon aigreur en soulignant ma lèvre inférieure, « Sauf pour mes recherches. » J’en hoche par la positive, la tête, comme si j’assimilais où il veut en venir, et cautionnais ce qu’il est en train de dire.

Mais après tout, je me fous de ce qu’il peut penser, de mon supposé intérêt, j’ai conscience que pour lui, ce n’est qu’une manière de gagner du temps, de trouver, pour se justifier, un semblant d’argument. Car c’est du sien, qu’il est question, savoir en quoi une femme peut retenir son attention. Jusqu’à ce que tombe le couperet. « Elles ont.... Une beauté intérieure. » Comme quoi, en dix ans, être mesquin, ça s’apprend. Même dans nos plus houleux échanges, l’attaque gratuite n’est jamais venue dans un premier temps, de sa part à lui.

Décontenancée, j’ai besoin d’un laps de temps pour récupérer de ma candeur, pour lui montrer que ses mots n’ont pas franchit les frontières de mon cœur. Mon sourire s’en devient aussi faux que mauvais, battant des paupières une seconde avant que mes yeux ne se plantent dans les siens. Mes vices n’ont d’égaux que ma froideur, que mes instincts dictateurs. « Alors tu peux prendre congés. » Te tirer de cette table, revenir d’où tu viens, remettre le costume du parfait laborantin, puisqu’au-delà de ça, tu n’es rien. « Inutile de t’imposer ma laideur. » Le point positif c’est que grâce à sa répartie, je n'aurais pas à écrire son prénom sur la liste de mes erreurs.  

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