Les années ont passé sans qu’elle ne le voit vraiment, apaisée et heureuse de vivre dans cet équilibre qu’ils avaient fini par trouver… Le quotidien dont elle avait depuis le début rêvé, dès le jour de leur rencontre lorsqu’elle avait compris, qu’elle ne pourrait jamais se passer de lui. Deux petites filles nées de leur amour venant parfaire le tableau, dont une qui semble refuser de rester calme ce soir alors qu’elle est officiellement la cavalière de sa maman.

A la regarder fuir de l’autre de côté de la salle, Haiwee ne peut se retenir de sourire face à ce remarquable amalgame de globetrotteuse et de sauvage. Elle lui rappelle que tout allait encore bien il y a de ça quelques mois déjà, elle et son innocence qui ne réalise pas ce qui se déroule dans le monde des grands. Et quand elle disparaît de son champ visuel, instinctivement, elle cherche celui de Sheng qui ne devrait pas être loin, qui veille lui aussi au grain, mais elle se heurte à son absence, et de fait, avec rapidité, féline, elle se relève.

Elle a beau se dire dans son for intérieur qu’ici nul ne saurait maltraiter sa descendance, elle sent son sang bouillir à la mesure que dure son absence. Jusqu’à ce qu’elle remarque sa silhouette, sur le côté, à la recherche de mets à subtiliser. Derechef, l’amérindienne se rassure, jusqu’à ce que la coupe s’éclate sur le sol et que la petite brune s’agace de ne pas avoir atteint son bu et d’entendre qu’autour d’elle, certains adultes ricanent. Alors Haiwee s’approche, empêche les phalanges potelées d’attraper les bouts de verre, et enguirlande avec toute sa douceur, son enfant, « C’est ce qu’on gagne quand on ne reste pas avec sa maman. » néanmoins ça ne semble pas la toucher plus que ça, si bien qu’Haiwee ramasse son crime avec rapidité, écoute deux de ses anciens camarades articuler, à l’aide d’un humour démodé, « Ca commence tôt. » le fait de boire, forcément, alors que le nombre de soirées auxquelles elle a pu participer, c’est sur les doigts des mains qu’elles peuvent se compter.
Les morceaux jetés, elle relève le visage en direction de sa cadette, irritée de constater qu’elle a nouveau détalé… Ce n’est que pour mieux s’adoucir lorsqu’elle la voit, entourant la jambe, de ses petits bras, de l’homme qu’elle appelle papa.

Même après tout ce temps passé à ses côtés, elle éprouve encore et toujours ce délectable effet lorsqu’il est à proximité. Presque treize ans qu’elle l’aime, qu’elle lui est fidèle, que son cœur l’a choisi sans qu’elle ne parvienne jamais à s’en détacher. Et lorsqu’elle le voit avec l’une de leur fille dans les bras ça avive le moindre de ses sens, le brasier qui sommeille en son intérieur, les pulsations de son cœur.

Mais au milieu de cette sale, entourés de tous ceux qu’ils ont pu un jour croiser, dans la situation actuelle de leur relation, elle n’a pas le droit d’exister, cette affection. Alors elle la range dans un coin de sa raison, bien cachée, dans l’attente de pouvoir à nouveau ouvertement exister. « Tu devais la surveiller. » Elle arque ses sourcils, surprise par ce qu’elle prend pour un reproche à peine déguisé. Sur son derme, les mots ont l’effet de l’irriter. Être une mauvaise mère, elle ne saurait pas le supporter.
Et puis, veiller sur elle, elle s’y attelait, elle prend juste plaisir à la voir évoluer, à ne pas trop lui retirer sa liberté. Exploratrice en herbe, petite aventurière dont elle est fière. « Qu'est-ce que tu faisais ? » Elle l’observait, de loin, suivre son propre chemin. Elle le connait si bien qu’elle sait déceler l’amertume dissimulée par la délicatesse. « En chasse d’autres mécènes ? » Il est instinctif le sourire qui vient parer ses lèvres, parce qu’une fois encore, elle n’est plus novice, elle n’a plus besoin que les allusions soient traduites. Elle entend les choses qui ne sont pas dites.

Alors elle incline le visage, ses prunelles couleur ambrée plantées dans les siennes, vénérable à la force de sa sincérité, quand ça la peine de constater qu’il pense avoir des raisons de la soupçonner. « Ôte-moi d’un doute… » et elle impose sa paume sur sa main, elle étudie ses phalanges une à une, avant de s’arrêter sur celle qui retient tout son intérêt. Qui l’ébranle, la brise faute de l’anneau dont elle est parée. Elle le jure, le métal lui brûle la pulpe de ses doigts, « C’est bien ce que je me disais. » C’est lui qui est marié à une autre, qui passe du temps là-bas, à faire elle ne sait quoi. Après dix ans, elle a toujours le même bourreau, Wendy Witter maîtresse de ses éternels maux.

C’est douloureux, même si elle est censée être consciente qu’entre eux, tout est faux. Mais l’ombre de Wendy a plané si souvent sur leur relation, que plus que souvent, elle en perd la raison. Depuis toujours elle se demande si ça vient d’elle ou bien de lui, s’il est accroché à elle comme elle peut tenir à lui. Parce que même si cela fait dix années qu’ils s’évertuent tous deux à le nier, ça n’a jamais tenu la route, dans l’esprit d’Haiwee. Elle en est persuadée même quand ça peut l’attrister. Comme maintenant alors qu’elle se tient face à lui, haute de toute cette candeur qu’elle a réussi à accumuler au fil du temps.

Et la réponse de l’homme qu’elle aime lui arrache un sourire, des plus furtif ; « Je le retire tous les soirs » Peut-être, mais tu le remets tous les matins. Qu’importe si ça engendre pour la mère de ses filles, du chagrin. Alors elle ferme ses yeux, meut son visage par la positive, comme si elle approuvait, l’air de lui souffler qu’elle est d’accord pour jouer les femmes crédule encore un peu, si ça peut le soulager. Rendre ses choix moins difficiles à porter. « Ta mère te nourrit bien, tu pèses ton poids la grenouille. » La vision de la brune se déporte sur le petit être qui le câlinait et qu’il repose finalement au sol, naturellement, elle va chercher sa petite main potelée de la sienne, pour s’assurer qu’elle ne s’échappera pas cette fois.

Cependant, si elle, elle souligne les traits de sa seconde fille avec bienveillance, le regard de l’ancien étudiant Adams, lui, jauge la brune de haut en bas, jusqu’à oser une remarque sur la tenue qu’elle a choisi pour cette soirée. « Elle est pour qui ? » Comme si elle pouvait porter quoi que ce soit pour un autre que toi. Mordant un sourire une fraction de seconde avant de lui murmurer, seulement audible pour lui, « Jaloux ? » un fait qu’elle a toujours aimé, cette possessivité qu’il éprouve et s’évertue habituellement à cacher. C’est un amusement pour lui, elle le sait. Alors parce que ses retrouvailles signent quelque part la mélancolie liée à leurs jeunes années, quand ils n’avaient aucune responsabilité, elle accepte de s’y adonner, « Pour un homme déjà pris. » Elle se fond dans ce rôle de la potentielle maitresse, désireuse de voler le mari d’une autre et débuter une relation adultère, « Tu crois que ça va lui plaire ? » L’innocence comme les bonnes intentions pave aussi l’enfer.

Ce n’est qu’un jeu, un piètre amusement qu’elle impose avec douceur à ses dépens. Mais elle vient à rapidement à le regretter lorsqu’il s’adresse à la petite avant de répondre à la brune qui perd un peu de sa candeur à l’entente de cette accusation qui lui file le bourdon. « Voilà, tu vas avoir un autre papa. Ta mère en aime un autre. » Celle là, elle pourrait probablement la lui renvoyer, mais l’idée de Wendy comme nouvelle mère de ses filles lui donne des hauts le cœur, fait grimper son niveau d’énervement spontanément. Son calme n’étant qu’une façade à présent.

Alors les mâchoires serrées, elle s’essaie tout de même à sourire à sa version miniature, caressant du bout des doigts sa joue rosée comme celle des poupées. Relevant le nez lorsqu’il recommence à parler, « S’il a du gout oui. Il est là ? » Le compliment passe quasiment inaperçu au milieu du rôle de l’amant perturbé qu’il tente de se donner. Elle le connaît assez pour savoir que son mal être n’est pas vrai. Tout comme l’homme qu’elle pourrait vouloir impressionner. « Riche ? Je parie que oui. » Il attrape une coupe de champagne au moment de l’interroger, et les sourcils relevés, maligne, elle ne peut contenir un sourire contrefait.

Sa paume gauche glissée dans celle de sa cadette, sa dextre répète de Sheng, le geste. Récupérant un verre pour la porter à ses lèvres, se délecter faussement des bulles de champagne qui chatouillent son palais. « Il le faut bien, je me suis habituée à un certain standing maintenant. » Un mensonge puisqu’elle n’a pas changé autant en dix ans. Au contraire, au-delà de tout ce qu’il lui apporte, elle n’a jamais désiré plus que sa présence et son affection. Elle est restée égale à elle-même, bien que la chenille se soit transformée en papillon. Et pour lui asséner un coup elle-aussi, encore irritée par ses diffamations, elle articule une question teintée de provocation, « Et toi, tu l’aimes ? » Restant dans le thème. Est-ce qu’il l’affectionne… L’autre, la seconde certes mais celle qui reste l’officielle. Peu certaine finalement que la première, ce soit bel et bien elle.

C’est peut-être sa question mais plus les secondes passent plus elle craint la réponse qu’il pourrait lui donner. La sensation d’être le dindon de la farce de plus en plus grandissante. Même pour un simple jeu de répartie, elle n’est pas capable de le supporter, et même si parfois, il n’est pas un cadeau, jamais volontairement – pas après ce qu’ils ont vécu – il ne lui infligerait de tels maux. Surtout pas lors d’une joute verbale improvisée, où les esprits ne sont pas échaudés, quand les agacements ne sont que surjoués. Seulement, il fait tomber le couperet et met en doute l’intégralité des certitudes auxquelles elle vient de songer, « C’est ce qu’il y a d’écrit sur cet anneau, » en un acte manqué, ses doigts se crispent sur ceux de sa fille, et ça malgré le fait qu’en son for intérieur, elle sait que c’est faux.

Mais les convictions s’en deviennent des doutes à la mesure des secondes et des jeux de regard, au rythme des bulles de leurs coupes, et l’ombre de Wendy qui plane depuis toujours sur leur couple. « Mais Non. » Elle devrait en ressentir du soulagement, mais elle n’y est pas encore encline pour le moment. Le contre coup de ce piètre amusement. Puis il faut dire que la négation, elle ne la réalise pas vraiment, « je suis tombé il y a longtemps sous le charme de l’impossible. » elle s’essaie à une esquisse de sourire à l’entente de son aveux… Ce qu’elle désire sur le coup, c’est sa proximité. Sheng a toujours été plus doué pour lui démontrer son affection que pour lui conter, et si à l’insuffisance de mots doux, la brune s’est habituée, le manque de sa présence, de sa peau, c’est une autre histoire…

Pourtant elle exulte un soupir délesté de son irritation, n’ayant pas une grande envie de plus disserter sur le sujet de ce mariage qui lui file des nausées. D’un battement de cil, elle reprend, « Mais impossible n’est pas Xian. » Parce qu’ils l’entretiennent bel et bien cette relation depuis plus de douze ans. Parce que c’est avec elle, qu’il a eu deux enfants. Rebelles aux yeux de leurs ascendants. Et parce qu’elle n’a jamais eu que lui dans sa vie et son lit, elle éradique les premières incertitudes qu’il avait pu articuler, les compteurs, elle les remet à égalité, « Je ne l’ai mise que dans le but de te faire découcher. » un murmure qu’elle dissimule à l’aide d’une gorgée de sa boisson alcoolisée.