Je dirais pas que c'était étrange depuis la dernière fois, mais je dirais qu'on a été différent. On a fait semblant, moi en tout cas, j'ai fais semblant. J'ai prétendu de rien, mais en vrai, je sais pas. Horace me plaît pas, du moins pas comme ça. Depuis notre échange, on a pas beaucoup parlé par message et je suppose que c'était le temps que nos intérieurs se calment, se taisent, se tassent. Aujourd'hui, je lui ai proposé de prendre un café et de se balader, savoir comment va la vie, où il en est lui, où est-ce qu'il vit. tu crèches où, alors ? dans quels draps tu te caches, ces temps-ci?

Quand on accepte un mensonge mutuellement, est-ce que ça en devient un peu, une vérité acceptable ? Est-ce qu’à force de se le souffler, ça commence à ressembler à une évidence ? J’ai pas beaucoup parlé, c’est vrai. J’saurais même pas te dire pourquoi. Peut-être parce que, au quotidien, j’t’assure, j’suis pas un menteur. J’suis de ceux qui murmurent le vrai, mais qui l’enrobent de fleurs de champs quand il est trop violent. J’en ai fini des roses et de leurs épines. Un café et une balade, on a au moins trente ans, là. J’accepte, évidemment que j’accepte. “Sur ton paillasson, et je déguerpie quand la voisine sort pour m’inviter dans son pieu.” Un rictus d’idiot amusé, en s’rappelant de cette mamie flippante. Le sourcil qui s’arque, -un peu- plus sérieux : “J’ai plusieurs canapés. Je choisis selon la couleur qui va avec mon humeur.” Selon les absences, les présences, les bras et les reins. Le boulot, le plaisir ou l’amitié, je choisis. “T’as retrouvé quelqu’un?” Pour me remplacer, tu sais.

Est-ce que t'a remarqué ? Je t'ai pas proposé d'activité. Je pourrais, j'aurais pu, j'avais pu. J'ai préféré éviter. Tu sais pourquoi ? J'évite les rapprochements. J'évite ta peau trop proche de la mienne. Là, je contrôle la distance. Là, je contrôle le peu que j'ai de moi. J'évite les rires qui nous rapprochent, les mains sur toi, autour de toi. J'évite tout ça. Je préfère, tu vois. Rien d'amusant, mais j'ai fais exprès, crois moi. “Sur ton paillasson, et je déguerpie quand la voisine sort pour m’inviter dans son pieu.” Je rigole ; Tu sais pas ce que tu rates, sa télé fait la taille de mon appart. C'est pas tant que mon appartement est petit, c'est surtout que sa maison est très grande. “J’ai plusieurs canapés. Je choisis selon la couleur qui va avec mon humeur.” Je sais que tu parles pas de ton humeur, on le sait tous les deux. Je te connais, mais je demande rien. Je sais rester en retrait. “T’as retrouvé quelqu’un?” Secoue la tête, prends une gorgée de café : Non non et j'y tiens pas, j'ai jamais pris cet appart pour faire de la colocation, j'ai juste une chambre en plus mais j'l'utilise en bureau. J'avais fais une exception, pour toi. Alors, t'as des nouvelles conquêtes ? ça me manque, les feux d'Horace. les feux de l'amour version toi, que tu me racontais parfois jusque tard, quand entre deux histoires, tu séchais les larmes de mes histoires à moi.

On s’en fout un peu, non, d’où je dors ? Tu sais que je me démerde, que j’ai besoin de rien d’autre qu’un morceau de lit, de canapé, de matelas, de sol, même. L’habitude de la débrouille, du manque de confort. T’as failli me faire perdre ça. T’as failli me faire croire que j’avais le droit à un morceau d’appart, que je pouvais déballer mes vêtements de mes sacs, et mettre ma brosse à dents quelque part. Grossière erreur, hein ? J’te soufflerai que je m’en fous, que c’est pas grave. Et ça l’est, pas grave. Mais j’m’en fous pas.  J’y étais bien, à tes côtés. Tu sais pas ce que tu rates, sa télé fait la taille de mon appart. Les épaules haussées, brièvement. “Ca m’donne mal au crâne, quand les acteurs font ma taille.” Quand la télé fait la taille du mur. Je m’en fous, en fait, cette fois vraiment. J’te le dis, ton appart, ta télé et tes mugs à la con m’allaient parfaitement. Non non et j'y tiens pas, j'ai jamais pris cet appart pour faire de la colocation, j'ai juste une chambre en plus mais j'l'utilise en bureau. Y a au moins ça pour me réconforter un peu. Aucune nouvelle brosse à dents. Un fin sourire s’affiche, furtif. Traitre. “Dire que t’as dû survivre sans bureau pendant des mois.. j’m’en veux un peu.” Pas du tout ; et ça se lit sur les lèvres rieuses, qui s’effacent contre la boisson. Quand à la suite.. “J’ai pas trop de nouveaux plans.” Depuis l’absence, les retrouvailles, j’aime à retrouver les mêmes peaux. Mais, j’le sais, qu’il faudra replonger dans la nouveauté, pour ne pas trop s’accrocher. Le piège est délicieux. “J’attends que tu me présentes tes copines.” Rajouté, avec une provocation lisible sur les traits, légère pourtant. Une grimace. “Sauf si tu leur a déjà dit que j’embrasse comme une machine à laver.” Et rire de nos mensonges.

J'ai du mal à te comprendre, à nous comprendre. Comment on est, comment on fonctionne, qui on est, même. Je commence à croire qu'on s'est liés par chance mais qu'on a rien à faire ensemble. T'es celui que je ne pourrais jamais avoir, je suis celle que tu n'as pas envie d'avoir. Alors pourquoi on est encore là ? A faire semblant de quoi que ce soit ? C'est avec empathie que je t'ai proposé une chambre et c'est une colocation qui nous a lié, mais qu'est-ce qu'on est, au delà de ça ? T'es capable de me le dire, toi ? “Ca m’donne mal au crâne, quand les acteurs font ma taille.” Je rigole en taquinant légèrement ; elle t'aurais probablement pas allumé la télé. Autre chose oui, la télé, non... toujours un peu taquine, on sait faire, ça, par contre. “Dire que t’as dû survivre sans bureau pendant des mois.. j’m’en veux un peu.” hausse les épaules en prenant une gorgée. J'aimais la compagnie, j'aimais nos jeudis, j'aimais bien cette vie. Moins d'ennui, je suppose. “J’ai pas trop de nouveaux plans.” hoche la tête, n'ajoutant rien de plus. “J’attends que tu me présentes tes copines.” rigole, le visage faussant la surprise.  “Sauf si tu leur a déjà dit que j’embrasse comme une machine à laver.” feint une grimace en souvenir de cet échange. "Alors, plusieurs raisons. et commence à décompter de ses doigts : "jamais avec aucune de mes copines, elles sont bien trop sérieuses pour toi" second ; "faut vraiment que t'apprennes à embrasser, j'comprends pas comment t'arrives à pécho autant avec si peu de talent" tire la langue, comme presque encore dégoutée, "et ensuite... ouais, trois parce que trois. aucune autre raison, ça fait déjà trop de mensonges en si peu de temps.

Tu vois trop loin et moi j’vois pas plus loin que le bout de mon nez, c’était presque trop beau qu’on finisse par se croiser. Arrête de te balader avec tes boites, j’n’en veux aucune. J’suis soit trop grand, trop mince, trop fantasque ou pas assez sérieux ; aucune ne me sied. Je te les laisse, t’as sûrement pleins d’autres mecs qui te tournent autour, qui n’attendent qu’un moment de faiblesse de ta part pour te saisir la jugulaire, qui eux rentreraient là dedans. On a qu’à juste être ces gens qui dansent autour des boîtes. Moi le type à la tête basculée en arrière, les paupières fermées et pressées, grimace aux traits. “Ah putain, j’ai les images en tête.” C’est pas beau à voir. “J’crois que je pourrai plus jamais bander de ma vie.” Au moins jusqu’à demain matin, peut-être. En tout cas, ça me fait marrer. Ca et le reste. Parce que je m’en fous, vois tu. J’ai pas besoin de marquer des points là dessus. Venge toi pour tous les egos de mâles alpha qu’on t’as demandé de gonfler, marrons nous sur les errances linguales. “T’as des tutos sur youtube, des trucs comme ça ?” M’lance pas dans la recherche, j’ai peur de ce que je vais trouver. Un rictus amusé. “J’crois qu’elles ont pitié, c’est mon arme secrète.” Pour pécho autant, comme tu dis. “Mais compris.” Une gorgée. “Pour le trois alors, pas de copine.” Surtout pour le trois ; y a que le trois qui compte dans ton trio d'arguments. “Tu vas devoir me rincer, vu comme t’es sympa avec moi aujourd’hui.” Et, j’compte bien commander quelques trucs à manger, vu qu'on passe devant un glacier.