Tu étais finalement rentré chez toi alors que ce n'était pas prévu à la base, pas depuis longtemps en tout cas. Tu avais encore moins prévu d'y aller accompagné mais il faut croire que tu étais plein de surprises. Tu savais que la présence de Jinx allait soulever quelques questions mais tu n'avais pas envie d'y répondre, c'était comme ça, point à la ligne. Tu avais encore moins envie de te justifier, surtout auprès de ta mère car ton père était aux abonnés absents. Comme toujours, il était parti étudier un ouragan dans on ne savait quelle partie éloignée du globe. Il ne fallait pas t'attendre à le voir débarquer d'ici la fin de votre séjour, tu rentreras donc à Boston sans l'avoir vu. Tant pis. En fait cette absence t'arrangeait, la situation était beaucoup moins gênante que si tes deux parents avaient été présents. C'était toujours ça de moins à gérer. Mme Spencer étant retournée à ses occupations, tu te retrouvais enfin seul avec Jinx. Tu n'avais pas dit grand-chose depuis votre arrivée, te tenant en retrait comme à ton habitude. Par messages tu t'étais montré beaucoup plus loquace, limite fanfaron mais à présent que le projet s'était concrétisé tu la ramenais moins. C'était étrange d'avoir ramené quelqu'un ici, à dire vrai c'était du jamais vu. Depuis que tu étais parti tenter ta chance à Boston, tu n'avais plus jamais ramené qui que ce soit ici.  Tes parents ne connaissaient pas tes amis, ils ne savaient pas qui tu étais quand tu étais loin d'ici. C'était le signe que Jinx était vraiment spéciale à tes yeux car il était évident que tu ne serais pas venu avec n'importe qui. Tu ne te dévoilais pas aussi facilement, tu ne laissais pas les autres entrevoir les ombres de ton passé, tu t'efforçais même de tenir les autres à l'écart pour te protéger sous ta carapace épaisse. Sans même que tu t'en rendes compte, la jeune femme avait pris de la place dans ta vie, au point qu'elle laisserait un vide immense si elle n'était plus là. Ainsi tu lui faisais assez confiance pour l'inviter chez toi, tu baissais un peu ta garde. C'était une première et ça te terrifiait, tu avais horreur de te sentir vulnérable et ça te préoccupait vraiment de savoir ce qu'elle en pensait. Ce qu'elle voyait là, c'était ta vie avant Harvard, tout du moins une partie de ta vie parce que tu n'avais pas encore parlé de Sarah - tu n'étais même pas obligé de le faire, d'ailleurs, et à ce stade tu ignorais si tu allais en parler un jour. Ton regard se posa alors sur Jinx, te tirant ainsi de tes pensées. Tout en laissant ton esprit vagabonder, tu venais de terminer de rouler un joint. Vous étiez dans le champ qu'il y avait derrière chez toi, à l'abri des regards. Une légère brise vous ébouriffait les cheveux et tu ressentais la chaleur du soleil sur votre peau. Surtout, il y avait la nature, à perte de vue, des prairies interminables où il était facile de se cacher, de disparaître un peu de la surface du monde, au moins pour quelques heures. Une fois ta tâche accomplie, tu tendis le joint à la jeune femme. "À toi l'honneur." Tu dis enfin, en la regardant de biais. Tu te risquas même à sourire légèrement. Loin de tout,  tu ne risquais plus rien, alors tu pouvais laisser tomber le masque. Tu te penchas alors vers la fille solaire pour l'embrasser.    

Jinx n'avait sûrement aucune idée des tourments qui t'habitaient et c'était probablement mieux ainsi. Parfois tu te demandais ce qu'elle pouvait bien te trouver, tant vous sembliez radicalement différents l'un de l'autre. Peut-être était-ce précisément cette raison qui avait provoqué cette rencontre. Après tout, ne dit-on pas que les contraires s'attirent? C'était à ne rien comprendre et peut-être n'y avait-t-il rien à comprendre, ça existait, voilà tout. Parfois les choses ne pouvaient pas être expliquées de façon logique et rationnelle et tu avais encore du mal à l'accepter car les comment et pourquoi tournaient en permanence dans ton esprit. Tu voulais savoir, tu voulais comprendre, comme si tout ce que tu vivais et ressentais dans ta chair était une série d'informations que tu voulais trier et classer dans un coin de ton crâne. Pourtant, aux côtés de Jinx, tu te sentais apaisé. Tu avais encore parfois du mal à oser la spontanéité, tant ce n'était pas quelque chose de naturel chez toi mais tu lui offrais volontiers un visage plus chaleureux, plus séduisant aussi. Tu te surprenais même à flirter avec elle alors que tu étais complètement nul pour ça, tu ne flirtais pas pour attirer ta cible dans tes filets mais bel et bien pour la garder le plus longtemps possible auprès de toi, de crainte de la voir s'envoler par manque d'intérêt. À en croire la façon dont elle rendait ton baiser, ta spontanéité semblait être très appréciée, si bien qu'elle en dédaigna le joint que tu venais de rouler pour t'embrasser de plus belle. Tu te contentais de donner ce que tu avais, même si ce n'était pas grand-chose. Tu finis par t'éloigner pour reprendre tes esprits et tu posas ton front contre le sien, tes prunelles ancrées dans les siennes. "Quoi donc?" Tu t'enquis, le souffle court et le cœur cognant à tout rompre contre tes côtes, devenu fébrile à cause du désir qui s'insinuait dans ton système. "Ah, ça." Tu conclus quand elle s'empara de ton visage pour t'embrasser à son tour. Tu te laissas tomber en arrière jusqu'à ce qu'elle te surplombe de tout son être, à califourchon sur toi. Tu laissas tes mains explorer les parcelles de peau qui se trouvait à ta portée, profitant de ce corps contre le tien, de cette chaleur humaine qu'elle t'offrait, chaleur qui te manquait parfois dans tes heures les plus sombres, quand ta solitude te broyait tout entier et quand les nuages ne semblaient pas vouloir quitter ton horizon. Tu laissas tes doigts courir le long de son bras. "Non." Tu répondis alors tout en continuant tes papouilles. "Pourquoi, tu avais une envie particulière?" À  bien y regarder, on pouvait déceler un double-sens et peut-être que c'était fait exprès, allez savoir. "À dire vrai je ne sais même pas si elle est là ce soir, elle parlait d'aller au studio pour enregistrer son émission." Autrement dit le bulletin météo du jour. L'allusion était très claire : ce soir, vous serez seuls, au moins pour quelques heures. "Si tu as envie de quoi que ce soit, dis-moi et je verrai ce qu'il est possible de faire." Tu conclus en lui adressant un clin d'œil appuyé.  Que ce soit la cuisine ou autre chose, d'ailleurs. L'un comme l'autre étaient parfaitement dans tes cordes.  

Tu n'as jamais été un brûlant, Landon, tu avais même tendance à fuir les passions dévorantes. Tu étais toujours très stable d'un point de vue émotionnel. Tu n'étais pas non plus un sentimental, tu ne gardais ni photos ni babioles de ta vie passée, tu te contentais des souvenirs que tu stockais dans ta mémoire. La seule exception était cette alliance que tu portais autour de ton cou, au bout d'une chaîne, comme un talisman. Il s'agissait là du seul vestige de ton engagement passé, et pourtant tu ne t'étais jamais expliqué à ce sujet, à qui que ce soit. C'était pourtant la clé qui verrouillait l'accès à ton coeur, non que tu sois encore amoureux de Sarah - tu avais compris que c'était fini pour de bon et rien ne pourra changer cela, pas même ces visions que tu avais et qui n'étaient pas réelles - mais tu avais peur de perdre à nouveau quelqu'un que tu aimais, si d'aventure tu t'attachais de nouveau. Tu craignais que ta frilosité, ton manque de fantaisie et de passion finisse par définitivement lasser Jinx, elle qui brûlait d'un feu ardent quand tu étais fait de glace, elle qui incarnait la vie quand tes liens avec le monde des morts ne faisaient que se resserrer toujours plus sans que tu puisses l'éviter. C'était tout du moins ce que tu croyais, jusqu'à ce qu'elle finisse par t'avouer qu'elle pourrait rester des heures avec toi. "Vraiment?" Tu t'enquis, la voix rauque, un peu surpris par une telle confession. "C'est surprenant." Tu mourais d'envie de lui demander ce qui la captivait tant chez toi mais tu te retins, parce que tu n'étais pas du genre à gratter de l'attention ou encore des compliments. Tu n'avais pas besoin d'être rassuré et ça se passait probablement de commentaires mais il n'empêche que ça t'intriguait. "Tant mieux parce que je n'ai pas l'intention de te laisser partir." Elle aurait pu choisir de rester à Boston, de profiter de voir toutes ces personnes qu'elle n'a probablement pas vues quand elle était en vacances mais le fait est qu'elle avait choisi d'être là, avec toi, dans votre bulle et ça te suffisait. "Oui, tous les deux." Tu confirmas, encore électrisé par vos baisers, tu en avais la chair de poule, preuve directe qu'elle ne te laissait pas indifférent, loin de là.  Se rendait-elle compte à quel point tu l'avais dans la peau? Ça allait au delà d'une chimie purement physique, tu pouvais le deviner. Était-ce présomptueux de parler de connexion à ce stade? Tu avais pourtant l'impression que c'était le cas, que ton âme s'était accroché à la sienne tu ne savais trop comment. Comme tu le lui avais dit par message quelques jours plus tôt, parce que c'était plus facile pour toi de t'exprimer par écrit, tu ne réfléchissais pas quand tu étais avec elle, c'était comme si ça allait de soi. "Vendu pour la pizza et le film d'horreur." Tu approuvas, un peu déçu de la sentir quitter ton corps pour revenir sur la couverture où vous étiez allongés. "C'est une invitation?" Tu demandas en soutenant son regard, un frisson te remontant le long de l'échine tandis que tu sentais ses doigts sur ta joue. En soi il n'y avait pas grand-chose qui t'impressionnait dans ce monde, même si cela risquait de changer bientôt, face à toutes ces choses que tu ne comprenais pas encore. "C'est peut-être toi qui vas venir te réfugier dans mes bras." Tu soutenais son regard incandescent sans ciller, avec ta franchise habituelle. "Tu serais donc une sorte d'amulette qui me protège contre les mauvais esprits?" Tu chuchotas contre ses lèvres sans pour autant briser ces quelques centimètres qui vous séparaient. Quelque part c'était le cas, quand Jinx était là, tu dormais mieux, tes songes n'étaient pas peuplés de cauchemars et de visions. Tes ombres te laissaient tranquille.     

Tu sentais que tu t'approchais de ton côté plus émotionnel et ça te déstabilisait, comme chaque domaine pour lequel tu n'étais pas compétent. D'ordinaire si sûr de toi, tu devinais tes insécurités remonter à la surface. Tu avais toujours eu des opinions bien arrêtées et des grandes certitudes, tu n'étais pas spécialement réputé pour ton ouverture d'esprit mais ce que pensait Jinx t'importait. Cela s'inscrivait dans la même démarche, le même processus, celui de tout connaître d'elle. Il faut croire que tu n'étais pas si inébranlable que ça en fin de compte, et tu ne faisais plus vraiment le fier, même s'il t'arrivait encore de fanfaronner, en particulier quand tu flirtais. C'était ainsi que la fille solaire avait laissé son empreinte sur ton être. Tu ignorais depuis combien de temps tous ces changements étaient à l'œuvre tant ils étaient subtils et s'inscrivaient dans une certaine logique, mais c'était là, tangible. Tu te rappelais des mots de Kobe quand tu en parlais avant ton départ. De ton point de vue, tu n'avais pas tant changé que ça, ou tout du moins, c'était ce que tu voulais croire. Il était évident que tu étais moins renfrogné, tu te sentais plus léger, plus apaisé. Tu étais en train de t'ouvrir, de te dévoiler. Tes barrières tombaient complètement dans les moments intimes que vous partagiez, révélant une intensité que tu ne te connaissais pas. Tu secouas la tête pour chasser tes pensées. "Je ne sais pas." Tu dis alors, décontenancé. "C'est juste que des fois je me dis que tu pourrais te lasser de ma froideur, de mon silence, de mon obscurité. Tu finiras peut-être par vouloir quelqu'un de plus passionné, de plus démonstratif, de moins chiant. " Quelqu'un qui n'était pas toi en somme. Tu en étais persuadé, elle devait côtoyer des personnes plus dynamiques, plus intenses que toi, toi qui semblais être forgé dans l'acier. D'un geste tendre, si rare quand on te connaissait, tu effleuras son visage du bout des doigts pour y chasser la mèche de cheveux blonds qui s'était plaquée sur sa joue. Tu fermas les yeux un instant, comme pour mieux apprécier cette plénitude que tu ressentais, d'être enfin complet. Tu les rouvris quand tu entendis sa tirade. Une drôle de sensation te transperça tout entier, encore une fois, sans que tu ne saches la nommer. Il t'avait même semblé que ton cœur avait manqué un battement. Ton regard sondait ses iris, comme si tu pouvais lire au fond de son âme. Un regard intense, pénétrant. Tu ne savais pas quoi répondre après de telles paroles, en fait, les mots te manquaient, tu te contentas de hocher simplement la tête, comme si tu avais compris - et c'était le cas, encore une fois c'était un sentiment profond, viscéral. Puis, tu captas la tristesse dans le sourire de Jinx, son si beau sourire qui réchauffait ton cœur endolori. Après quelques minutes de silence, pensant à vos dernières conversations, en particulier cette nuit là où tu étais venu chez elle parce qu'elle ne se sentait pas bien, enfin, tu compris. "C'était donc ça, pas vrai?" Tu interrogeas alors, sans détacher ton regard inquisiteur de son visage. "Ton mood de l'autre soir?" Tes phrases étaient volontairement écourtées, pour qu'elle ne se sente pas obligée de développer. Tu n'en avais pas besoin. Tu savais. "Je ne suis pas d'accord avec toi." Tu affirmas, sans ambages. "Je ne pense pas que tu portes malheur." Dans le fond, tu n'en savais rien, des traumatismes qu'elle avait pu vivre pour penser ainsi. Tu pouvais toutefois essayer de lui expliquer le fond de ta pensée. Tu regardas le ciel, un instant. "Ça fait un moment, que le monde s'est arrêté de tourner pour moi." Tu ne voulais pas lui parler de Sarah, pas encore. Tu voulais simplement expliquer avec tes mots à toi ce que ta vie avait été depuis. "Ce n'est que récemment qu'il s'est remis à tourner. que je commence, tout doucement, à sortir de ma léthargie." Tu te sentais vivant, le comprenait-elle? "Un mauvais esprit ne me ferait ferait pas cet effet là, tu peux me croire." Encore une fois, c'était loin d'être une métaphore en ce qui te concernait. Tes ombres laissaient une morsure glacée sur ton âme, bien loin de ce que tu ressentais quand tu étais avec elle.   

À quel moment les choses avaient-elles évolué de cette façon? Cette question tournait en boucle dans ton esprit sans que tu saches comment y répondre. Pourtant, c'était là, tu re-découvrais des émotions que tu ne pensais plus jamais pouvoir ressentir un jour. Comme pour à peu près chaque chose que tu ne comprenais pas, que tu ne pouvais pas contrôler, tu verrouillais tes émotions, tu les rejetais. Tu savais pertinemment que tu allais t'épuiser mais c'était là un réflexe presque pavlovien, une tentative désespérée de te mettre à l'abri. Non que tu pensais Jinx capable de te faire souffrir - en fait c'était tout le contraire - mais c'était justement parce que cette relation, quelle qu'elle soit, te faisait un bien fou que ça te faisait flipper. Allongé dans cette prairie, Jinx dans tes bras, tu te sentais heureux, comme tu ne l'avais pas été depuis longtemps. Peut-être était-ce pour cette raison que tu partais du principe qu'elle allait finir par se lasser de toi, par te laisser. Pas d'attentes, pas de déceptions. Pourtant, ton être tout entier trembla quand tu entendis ces quelques mots : c'est toi que je veux. Ton coeur manqua un battement et ton regard se troubla. L'intensité de son regard te transperça tout entier et en cet instant tu compris que ce n'était pas des mots en l'air, qu'elle le pensait réellement parce qu'elle voyait en toi quelque chose que tu ne voyais pas. Ta lumière. Tu caressas son visage du bout des doigts. "C'est parce qu'elle est éclairée par le soleil que la lune brille." Tu murmuras, tout bas, de façon presque interceptible. Une fois encore, tu parlais par métaphores parce que c'était encore la seule façon que tu connaissais pour exprimer une idée plus complexe. Une image, qui illustrait ce que tu ressentais. C'était elle et elle seule qui réchauffait ton âme d'ordinaire cachée dans l'obscurité. Alors, tu te révélais, brillant d'une lueur glacée alors qu'une face restait dans le noir et le froid. Comme la lune, tu étais criblé de cratères et de fissures profondes, témoin d'une existence mouvementée au début, et désormais figée, immuable, se contentant de tourner et tourner à l'infini. Tu expiras longtemps, à peine conscient que tu retenais ton souffle depuis tout ce temps. "Qu'il en soit ainsi." Tu répondis en plantant ton regard dans le sien, embrassant ses dextres au passage tandis qu'elle caressait ta bouche, te faisant frissonner de la tête aux pieds à chaque contact. "Je continuerai à sourire rien que pour toi." Le pire, c'est que tu pensais réellement ce que tu disais. Ta mère te l'avait dit pas plus tard que la veille, elle ne t'avait jamais vu sourire autant qu'en sa compagnie. Les regards quant à eux disaient tout, les mots devenaient superflus. Vous n'aviez pas besoin de ça pour vous comprendre, pour ressentir. Le contact visuel intense fut rompu par la prochaine remarque de Jinx. Tu haussas un sourcil, esquissant un rictus amusé. "Moi qui croyais que j'y étais déjà, je vais finir par me vexer." Tu taquinas, tout en refermant tes bras autour d'elle tandis qu'elle se blottissait contre toi. Tu songeas alors brièvement au joint que tu avais lâché et qui s'était perdu quelque part sur la couverture pendant vos embrassades. Tu l'enserrais dans l'étau de tes bras comme pour lui dire que tu ne comptais pas t'en aller, toi non plus. Tu scellais implicitement cette promesse, resserrant ce lien si particulier que vous aviez et que, égoïstement, tu n'avais pas envie de partager avec le reste du monde.