Je ne sais trop comment c’était devenu un rituel, mais voilà qu’on y était à ce fameux tête à tête traditionnel des vacances entre Haiwee et moi. Difficile à caler cette année, entre la compétition et les heures de stop pour aller de villes en villes, mais comme d’habitude, on trouvait une solution, elle et moi, même si cela plaçait notre rendez-vous à quelques heures de mon départ. Le meilleur pour la fin comme on dit, une belle façon de mettre fin à mes vacances, mais un aveu que je garde pour moi, la demoiselle étant devenue bien trop confiante en ce qui concerne notre amitié pour lui offrir ce plaisir supplémentaire. Il faut dire qu’elle avait vu juste sur notre relation. Elle était définitivement celle qui se rapprochait le plus pour moi d’une meilleure amie, bien que je ne veuille pas l’admettre. Ou seulement avec difficulté. Après tout, ça avait toujours été compliqué entre les femmes et moi, de les apprécier, de les respecter, ou encore leur faire confiance. Avec Haiwee non plus ça n’avait pas été simple, mais voilà que désormais elle était de celles que je conviais chez moi, que je laissais jouer avec ma fille, à qui je parlais sans filtre. Une évolution dans notre relation que l’on devait surement à la patience  et la bienveillance de la jeune femme.

Direction la région viticole de Maipo, on avait pû réserver une moto pour s’y rendre malgré notre organisation tardive. Un plaisir pour moi que de parcourir la région de cette façon, surtout après toutes ces heures passées à faire du stop. Si on nous avait laissé la possibilité de choisir des moyens de transport nous même, nul doute que j’aurais opté pour celui-ci. Haiwee installée derrière moi, j’avais conduit avec prudence, ne voulant pas lui faire peur ou la rendre malade, ne sachant pas trop combien elle était à l’aise où non avec ce type de véhicule. Mais elle était sûrement plus à l’aise que je ne l’imaginais au départ, n’ayant pas senti ses doigts se planter dans ma peau, comme si elle essayait de m’arracher certains organes. Le moteur coupé et la moto garée, je descends, retirant mon casque avant d’aider l’amérindienne à faire de même. « Ca va, t’as pas eu trop peur ? » Que je lui demande, à la fois sérieux et taquin. « Comment ça va sinon, pas trop fatiguée par la compétition ? Je te cache pas que moi je suis plutôt content que ça s’arrête. Je commence à être k.o. » Il faut dire que j’avais clairement sous estimé les efforts que cela me demanderait,  surtout que j’étais supposé rester tranquille encore jusqu’à la rentrée.

C’est avec un plaisir non dissimulé que j’avais pris place sur le deux roues motorisé pour nous emmener au coeur du domaine. C’était sans aucun doute mon moyen de transport favori, bien que j’ai dû revoir mes préférences depuis plusieurs mois. Déjà parce qu’en terme de sécurité avec un bébé, c’était incompatible, mais en plus parce que ça demandait un peu plus d’efforts physiques et que depuis l’agression que j’avais subi au printemps, la voiture s’était révélée être une option bien plus reposante. Malgré tout, comme le vélo, je n’ai rien oublié des bons gestes et réflexes à avoir, même s’il faut bien admettre que la route étant des plus calmes et des moins fréquentées, le trajet n’avait que très peu révélé de mauvaises surprises. Néanmoins, une fois descendu du véhicule, j’interroge Haiwee sur son ressenti car elle semblait bien moins enthousiaste à notre départ. T’es plus du genre à circuler à pied, vélo ou cheval c’est ça ? C’est un peu cliché venant de ma part, mais quelque part, c’est aussi ce qui collait le mieux à l’image de la jeune femme. Contrairement à ce petit air renfrogné qui s’inscrit sur son visage et que je n’avais jamais vu jusqu’à aujourd’hui.

Les vacances - ou tout du moins le summer camp - touchant à sa fin pour moi, j’interroge la jeune femme sur son ressenti, sur les trois semaines d’épreuves qui lui reste encore à affronter avant le retour à Boston tout en livrant le mien. Entre autres, mais pas que. Bien sûr ça m’avait couté de l’énergie de reprendre une activité aussi soutenue si soudainement, mais la plus dure épreuve avait peut-être été de garder un mental d’acier pendant tout ce temps. Je n’ai pas de comparatif avec les années précédentes, c’est la première fois pour moi que je la fais, mais je te crois sur parole. Car bien que je n’ai pas participé aux compétitions les années précédentes, j’avais tout de même participé au voyage, et je n’avais pas souvenir que les équipes avaient dû voyager de la sorte la plupart du temps, en stop, livrées à elles-mêmes. Il faut dire que c’est assez particulier. Et c’est bien moins reposant. On avait eu la chance d’être hébergé par des locaux pour la plupart adorables, mais pour quelqu’un comme moi, ça provoquait des nuits tout aussi épuisantes que les journées. Impossible de dormir sur mes deux oreilles chez de parfaits inconnus dans un des pays les moins sûrs du monde, impossible de ne pas rester en alerte, à veiller qu’il n’arrivera rien à personne pendant son sommeil. Finalement, je m’étais même trouvé à apprécier nos nuits de camping improvisé, à l’écart de la civilisation. Je pense que je referais la compétition si je peux, mais à condition qu’on ait pas autant de nuit à passer chez des inconnus. J’ai eu beaucoup trop de mal à fermer l'œil de la nuit dans ces conditions. C’est aussi pour ça que je suis pas mécontent de retourner à Boston, pour pouvoir dormir dans un vrai lit, et dans une chambre avec. Parce que le manque d’intimité à voyager constamment en équipe n’avait pas non plus été des plus agréables. Je pense que tu comprends un peu ce que je veux dire. Je ne sais pas comment les choses avaient évolué depuis la dernière fois qu’elle en avait fait mention, mais je n’ignorais pas que dans son équipe se trouvait une personne à part, et je suppose qu’elle aurait volontiers préféré se sentir moins entourée par moment Haiwee.

Je suis un peu moqueur, il est vrai, mais quelque part, c’est aussi la preuve que je suis bien en compagnie de l’amérindienne. Autrement, je ne prendrais pas le temps d’avoir ce genre de propos, je ne guetterais pas la réaction à venir sur son visage et afficherait encore moins un si grand sourire. Et puis il n’y avait rien de méchant dans mes propos, cela n’étant aucunement un jugement. J’étais bien placé pour savoir qu’en termes de transport, les habitudes différaient très rapidement, selon d'innombrables facteurs. Pour ma part, j’avais été habitué aux motoneiges, ski et téléphériques avant toutes choses, tandis que certains ne les utiliseront jamais au cours de leurs vies. Comme je n’utiliserais jamais au quotidien barque, cheval ou pousse-pousse. Chacun ses habitudes, chacun ses coutumes.  Et puis, là réponse de la brune n’avait rien de ridicule. C’était encore à pied qu’on profitait le plus des paysages, à pied qu’on flanait le plus librement et que l’on faisait les plus belles découvertes. D’un mouvement de tête, je viens alors approuver ses mots, qu’elle sache que je ne portais pas de jugement sur cela.

Alors que l’on pénètre dans le domaine, je la questionne sur ses vacances, me demande si elle tient le coup avec la compétition que je trouve particulièrement rude cette année. Et ce bien que je n’ai pas vraiment matière à comparaison, mais les participants des éditions précédentes me paraissaient bien moins fatigués que nous ne l’étions. A moins que je ne transpose ma propre fatigue. Il faut bien admettre qu’elle était particulièrement intense ces derniers jours. Entre les nuits inconfortables à la belle étoile, le stop, les kilomètres parcourus pour chaque épreuve, et ma condition physique déplorable depuis mon agression, j’avais un combo gagnant. Et puis il y avait aussi ce sentiment d’insécurité persistant, celui d’être à découvert en toutes circonstances, malgré certaines précautions prises. Je me confie sans détour sur mon ressenti, sur cette première expérience qui malgré tout, me laissera un souvenir impérissable de ces vacances. Je pourrais au moins me vanter de l’avoir fait, de m’être surpassé pendant quelques semaines, aussi dur que ce fût. Et ça me rassure de me dire que je ne suis pas le seul à trouver la compétition difficile, à regretter un peu mon lit et l’intimité d’une chambre individuelle. Comme quoi, on oubliait parfois rapidement la chance et le confort que l’on pouvait avoir au quotidien. Naturellement, un sourire se dessine sur mes lèvres quand elle mentionne pourtant l’évolution de sa relation avec un homme qui ne m’est pas inconnu, bien que je n’ai presque jamais eu de réel contact avec lui.Ca me fait plaisir pour elle d’apprendre que les choses avancent, même si c’est lentement. Je ne sais toujours pas où en était réellement leur relation, mais ça semblait avancer sur la bonne voie. ” Hm non. Disons juste que j’essayerais de mieux me préparer la prochaine fois. “ Parce que j’étais bien tenté de relever à nouveau le défi, pourquoi pas l’année prochaine, pour clôturer mes études en beauté. “ Ah bon ? “ Que je laisse s’échapper, surpris par la confession de la jeune femme. ” Parce que la compétition t’as dégoutée, ou il y a autre chose . “ J’essaye de ne pas paraitre trop indiscret avec ma question, bien que je ne comprenne pas totalement la position de la jeune femme. L’expérience de cette année avait-elle été si mauvaise ? ” Je te le souhaite. Je vous le souhaite même. D’arrêter sur une victoire. Ensemble. “ Après tout, ça serait sûrement la plus belle consécration pour elle que de gagner avec celui qu’elle aime à ses côtés.

Fatigué d’avoir le sentiment de tourner en rond continuellement, j’avais repris le sport un peu plus tôt que ce qui m’avait été recommandé. La prudence aurait voulu que j’attende la rentrée, mais l’impatience s’était révélée plus puissante que jamais, notamment quand le coeur avait commencé à s’en mêler. De la frustration, de la jalousie, de la colère, éprouvées en masse depuis quelques mois et j’en avais perdu la raison, prêt à troquer ma santé physique pour simplement avoir un moyen de me défouler. Novel en avait été le premier à en faire les frais, de cette convalescence, cette supposée tranquillité, et malgré une semaine de vacances passée loin du monde, notre relation semblait encore plus fragile que jamais. Peut-être même que notre relation était brisée, et que je ne le savais pas encore. La compétition me permettait un échappatoire à ces pensées, d’éviter de me demander ce que faisait Novel, où et avec qui, m’occupait suffisamment pour ne pas passer mes journées à me languir d’un message de sa part, plutôt rare. Elle a donc raison Haiwee, quand elle souligne que pour la prochaine fois, le plus judicieux serait encore d’attendre que je sois véritablement d’attendre que je sois en état, au lieu de n’en faire qu’à ma tête, comme je le faisais souvent avec les recommandations médicales. Adoptant un air faussement penseur, je regarde donc la jeune femme, haussant légèrement les épaules à sa rhétorique. « Ca profiterait pas assez à mon côté maso je pense. » La blague est évidente, mais des fois, c’était à se demander s’il n’y avait pas un peu de vrai dedans.

Et si je voyais la compétition comme une sorte de délivrance m’offrant la possibilité de chasser mes pensées et obligations du quotidien, il semblait ne plus en être de même pour l’amérindienne qui aspirait désormais à des vacances plus tranquilles. Doucement, je hoche alors la tête pour lui signifier que je comprends. Même si la compétition était sympathique, on ne pouvait nier qu’y participer était contraignant et assez épuisant. « C’est définitivement la meilleure façon de passer ses vacances. » Je la gratifie d’un petit sourire amusé. Je n’avais eu que peu de vacances sans devoir répondre à de quelconques obligations, toujours très courtes, mais elles avaient toujours eu une saveur toute particulière. Comme si enfin, j’avais le temps de prendre du temps pour moi, pour réfléchir, à ce que je voulais faire de ma vie, quand bien même celle-ci commençait à être bien avancée. Une façon de trouver la paix avec moi-même, pour faire en sorte que celle-ci dure le reste de l’année. « Qu’importe la destination, tu pourras toujours t’inscrire en tant que vacancières. Tu verras, c’est sympa aussi, et on a pas non plus le temps de s’ennuyer. » Car même sans compétition, les possibilités restaient infinies. Mais comme elle le souligne, avant de penser à l’été prochain, encore fallait-il que celui-ci se termine. « Oh, vous survivrez. T’es bien des choses, mais du genre à abandonner, certainement pas. » Non pas que je l’idéalise ou cherche à la flatter, mais on ne pouvait pas nier son entêtement et sa détermination à Haiwee. Et certainement pas moi.

Arrivé devant l'entrée du vignoble, je me stoppe, regarde Haiwee avec un grand sourire. « T’inquiète pas, moi non plus ! » Faut dire que j’étais pas le plus porté sur l’alcool. « Mais pour être honnête, j’avais envie d’une balade au grand air, un peu à l’écart de la ville. Et d’un tour en moto, je l’avoue aussi. » Je n’avais pas l’intention de prétendre connaître quoique ce soit en vin, au contraire, c’était plutôt l’occasion d’apprendre. « On dira que si en partant d’ici on a retenu quelques infos, ça sera déjà pas mal ! » Je ris doucement, mais il fallait bien commencer à nourrir notre culture sur le sujet quelque part.

Bien que je sois content d’avoir expérimenté la compétition du Summer Camp, je ne peux pas nier que je suis soulagé que les épreuves soient terminées pour cette année. Déjà pour des raisons physiques, ayant mis mon corps à rude épreuve sans préparation au préalable, mais aussi pour des raisons émotionnelles. Trois semaines loin d’Anaé ou Novel, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps, et qui provoquait un étrange sentiment de solitude que je n’avais pas éprouvé depuis un long moment. Alors oui, peut-être que l’année prochaine encore, j’envisagerais de n’être qu’un vacancier parmi les autres pour pouvoir assurer plus facilement ma part de garde et voyager plus facilement avec Anaé, ce qui n’était pas possible cette année, avec nos conditions de voyage. Je ne peux alors que comprendre Haiwee et sa volonté de vacances sans contrainte, ou du moins, sur-mesure. Ce que je l’encourage à faire, si c’est ce qui lui fait envie. Il n’y avait parfois rien de mieux que de s’éloigner un peu du sentier pour faire les plus belles découvertes. Mais avant de songer aux prochaines vacances, il fallait que celles-ci prennent fin. Bientôt pour ma part, dans quelques semaines pour la jeune femme. Une fin de séjour qui semble s’annoncer un peu difficile, ou du moins, moins paisible qu’on ne peut l’imaginer. ” T’as pas à te mettre la pression Haiwee. Ca reste un jeu. Et je sais que ça peut être difficile et prenant, mais même si vous échouez, l’essentiel c’est que tu repartes d’ici avec de bons souvenirs. “ Je suis bien placé pour savoir que la défaite peut se révéler désagréable, mais au delà de ça, il n’est pas question de se mettre une quelconque pression vis-à-vis de la compétition. Quoiqu’il arrive, on rentrerait tous à Boston, et on reprendrait nos vies comme on les avait laissé, ou presque.

Alors que l’on franchit l’entrée du domaine, la confession sur nos non connaissances en matière de vin se fait naturellement, de même que les véritables raisons qui m’ont poussé à choisir cette activité au détriment d’une autre. L’envie du grand air, de s’éloigner de la ville et d’un virée à moto m’avait convaincu, plus que la dégustation de vin en elle-même. Mais c’était l’occasion de s’y mettre, d’apprendre quelque chose avant de repartir. Je laisse Haiwee nous annoncer auprès de l'accueil, en profitant pour observer les lieux avant qu’elle ne vienne captiver mon attention. ” Pour ma moitié, bébé, et sa mère même. Ma valise est définitivement plus lourde que quand je suis arrivé ici. “ Ca devenait une habitude, à chacun de mes voyages, de repartir avec une petite attention pour chacun.es, y compris Céleste. Notre amitié était toujours présente, bien que les choses aient beaucoup changé entre nous, mais elle rendait la co-parentalité et la garde alternée plus facile que je ne l’aurais imaginé au début de cette histoire. Alors à chaque voyage, elle avait aussi le droit à son petit cadeau, comme une façon silencieuse de la remercier.