Je me suis permis de prendre votre dictaphone ainsi que Scylla, Monsieur. Ah, Gauthier. Véritable sauveur de l'humanité, capable de remplacer le beurre et la margarine, m'amuse depuis quelques minutes à lister toutes les choses dont je pourrais avoir besoin, à commencer par la présence de ma poupette berger belge, au cas où. Mon majordome est probablement l'homme le plus prudent et organisé qui soit, me prouvant une fois encore à quel point je suis chanceux d'avoir quelqu'un tel que lui à mes côtés. Cette fois, j'ai fait appel à un chauffeur afin qu'il soit assis à côté de moi, Scylla sagement assise à mes pieds. Je maintiens qu'il est tout à fait non protocolaire que je me trouve à cette place, Monsieur reprend-t-il alors que j'éclate de rire, ni plus ni moins. Je suis heureux de voir à quel point le protocole vous amuse, Monsieur. Le pire ? C'est que Gauthier ne connaît pas vraiment le second degré et s'il annonce être heureux de quelque chose, il l'est sincèrement. Gauthier... vous êtes vraiment un super-héros que je reprends alors que la voiture s'arrête devant le lieu de rendez-vous. Si mon majordome s'étonne de ma phrase, il ne s'aventure pas à m'en demander le sens caché. Il hoche simplement la tête, suffisamment franchement pour que son ombre puisse être captée par mes prunelles turquoises, incapable de discerner autre chose que des formes désormais. Scylla pose sa patte contre ma jambe, me donnant ainsi le signe que j'attends pour commencer à marcher, mon homme de main sur les talons. Ce dernier a réussi à obtenir une entrée spéciale afin que je sois le seul à pénétrer dans le lieu à ce point précis. Éviter la foule, le brouhaha qui pourrait perturber mon ouïe s'affutant de jour en jour, et permettant de faire une entrée remarquée. Je suis solaire, et j'aime le montrer. Monsieur Lao Xian, Monsieur Manfred, c'est un honneur que de partager votre compagnie en ce jour. J'ôte mes lunettes de soleil, amusé, avant de tendre la main en direction de mon pote, bien trop conscient du plan que nous avions fomenté afin que ces deux-là soient présents aujourd'hui. J'espère qu'on vous a pas trop fait attendre ? que je lance dans un sourire aussi lumineux que mon prénom. Monsieur a refusé que je le conduise, je me désole que nous ayons pu vous faire attendre... Gauthier. Magistral. Mieux qu'un bon film !

Le brouhaha ambiant brouille quelque peu ma perception des choses, des réactions, des respirations, des gestes. Je ne peux me fier qu'aux signaux que m'envoient subrepticement Gauthier puis Scylla, face à ce qui ressemble à de l'étonnement de la part de Sheng. Je ne suis pas fou au point de prendre le volant, je te rassure de suite... que j'énonce d'un ton amusé en retenant le fou rire qui menace d'éclater. Si je me fais remarquer, pour sûr, mon majordome unique et préféré risque de me taper une syncope et des remontrances bien senties sur mon dédain du jour face au protocole si cher à son cœur. Gauthier est simplement choqué que j'ai insisté jusqu'à ce qu'il s’assoie à mes côtés. A jour exceptionnel, méthodes exceptionnelles. Je passe sciemment sous silence le fait que nous ne nous soyons pas rendus jusqu'ici en taxi mais bien en voiture avec chauffeur, service offert par ma mère et accessible à tout instant sur toute la surface du globe. Détail inutile et qui me mettrait grandement mal à l'aise, moi l'écologiste convaincu qui, avant que ma vue ne décide de se faire joyeusement la malle, ne se déplaçait qu'à pieds ou à vélo non électrique. Mes priorités ont dû être revues entretemps, hélas... au même titre que nos majordomes respectifs ont besoin d'une petite mise à jour à ce séminaire. Je sais très bien ce que le mien en pense, et pourtant, j'ai tout autant conscience qu'il ne laissera pas un collègue solo dans cette galère. Excellente idée, je ne dis pas non à un rafraîchissement... Ça vous laisse le temps de trouver ce qui vous intéressera le plus ? Scylla pose une nouvelle fois sa patte contre ma cuisse, signal universel m'indiquant que rien n'obstrue mon avancée. J'ose te demander de me guider ou tu me laisses me démerder ? que j'ajoute d'un ton taquin. Dans un cas, il m'évite de me ridiculiser en bousculant certainement pas mal de personnes au passage. Dans le second, au pire les deux premières vont se faire avoir par ma carrure, et les suivantes comprendront qu'il vaut mieux me laisser passer... comment indique l'adage déjà ? Ah oui : ça passe ou ça casse.

Le clin d’œil à peine dissimulé à l'éducation de Sheng m'arrache un franc sourire. Nous sommes fait du même bois, pour ainsi dire, et jamais quelqu'un en difficulté ne passerait devant nous sans que nous n'y prêtions la plus petite attention. Vieillard ? T'es pas si loin de la trentaine pourtant, si ma mémoire est bonne... tu verras quand tu y seras ! que je réplique en le suivant telle une ombre, Scylla sur mes talons, comme si mon guide aux yeux aussi bleus que les miens avait conscience que je sois en présence d'une sorte de protecteur. Elle se mit donc en retrait, non sans me suivre de très près, au cas où. Généralement, un être humain accompagné d'un chien - dont la présence est tolérée - alors qu'il peut y avoir un buffet, il ne faut pas sortir de Polytechnique pour faire a+b. Compte sur Gauthier pour faire un cours à Manfred sur l'utilité de savoir se diriger dans l'inconnu, en toute circonstance que je plaisante, mais à peine. Mon majordome maîtrise absolument tous les sujets, tant et si bien que c'en est parfois flippant. Mais en attendant, je ne doute pas que ces deux-là aient beaucoup de possibilités de conversations... voire même de débats, étant donné leurs connaissances, leur statut ainsi que leurs expériences. En attendant, Sheng nous conduit jusqu'à un endroit un poil moins bruyant et je l'en remercie d'un hochement de tête. Bruit est synonyme de perdition parfois, dans mon cas. Juste un peu ? Tu me diras, un peu plus intelligent c'est toujours mieux que moins ! que je rebondis aussitôt, laissant le liquide tournoyer dans mon verre. Je n'ai pas encore bu une gorgée et la question de mon interlocuteur pique ma curiosité, probablement autant que la sienne. Je compense avec mes autres sens, en effet. L'ouïe, pour la plus grande partie. Le toucher, lorsque cela m'est permis. Là, je ne distingue pas tout du fait que l'on est entouré d'un brouhaha inintelligible, mais je peux te dire qu'une femme au bout du buffet raconte ses coucheries à une autre. Avec un certain... Je tends très légèrement l'oreille, sourit, et reprends : Gilbert ! L'ouïe développée peut-être une malédiction... mais quelques potins comme ceux-ci m'amusent, parfois.