J’ai quitté Boston le neuf mai à vingt et une heure trente, je me suis envolée en direction de Los Angeles, sans aucune envie de me retourner, en étant parfaitement consciente que j’allais rentrer presque trois semaines après. Certains diraient que c’est le contre coup, qu’après avoir failli crever à Boston, j’ai eu envie de souffler. De me sentir vivante, reine de mon monde, et surtout que j’ai eu besoin de quelque chose de plus spectaculaire que quelques jours de convalescence dans le manoir de mon père.

Invitée d’abord, le dix, au défilé croisière de Channel, soirée incroyable mais vraie, puis j’ai flâné cinq jours dans les rues iconiques de la ville des Anges. Avant de me décider à accepter d’aller représenter mon paternel à cette cérémonie de cinéma réunissant tout le gratin du septième art. Le festival de Cannes. Cannes et sa croisette, et la French Riviera, et le luxe à la française. Faut dire que dans ce milieu, je suis de plus en plus à mon aise.

Alors plutôt que d’en profiter seule, je l’ai invité. Sans y réfléchir, sans arrière-pensées. Sans avoir la moindre envie de le manipuler. Une princesse qui a le cœur sur la main, à ne pas en douter. Je lui ai même envoyé un chauffeur pour qu’il soit directement ici, à l’hôtel, amené.
Sur le balcon de la suite des Oliviers, j’observe les lumières de la croisette qui se reflètent dans l’eau bleutée en cette fin de soirée. Des badauds parsèment le décor, et moi, l’espace d’une fraction de seconde, je m’aventure à songer au fait que même à la fin du festival, je ne rentrerai pas. Un caprice de petite fille peut-être, mais après tout, est-ce que mon compte en banque ne peut pas me le permettre ? Et si pour une fois la fille du couple Miller n’était pas parfaite ? Ca me fait sourire d’un rictus dépité, et quand on toque contre ma porte, je reviens dans la réalité. Celle dans laquelle je suis née pour régner.
Je parcours la distance qui me sépare de l’entrée, et l’accueille d’un « J’ai failli t’attendre. » Comme sa vierge éplorée.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

De deux pas à la suite de l’ouverture de la porte, je recule, et je n’ai pour le sonder qu’une seule et unique seconde avant qu’il ne me réponde. Les lèvres étirées fier de son effet de son faible retard et de ma légère irritation. « Il ne trouvait pas mon nom. » Il est à la lisière d’être agacé, son ton. Etrangement, ça me fait sourire à mon tour, c’est à penser que ça me fait plaisir de le savoir bougon. Alors j’hausse les épaules, innocente jusqu’au bout des ongles, quand dans un balayement de ma paume, je l’invite en entrer, avant de me retourner et de m’expliquer. « Pourtant, je te jure que je leur ai annoncé l’arrivée imminente de mon fiancé. » Cette appellation, je sais combien il peut l’aimer. Et moi, j’adore l’idée de le faire tressaillir, chaque fois que je me risque à le prononcer. Faute de mieux, c’est toujours un effet que je lui fais. Puisqu’il a nouvellement fait vœux de chasteté.

A l’inverse de mon comportement habituel lorsque nous nous retrouvons dans mes quartiers, ici, dans cette chambre aseptisée, à la décoration millimétrée, je me fais violence pour lui proposer. « Je te fais visiter ? » Comme si nous étions chez moi, alors que je ne suis arrivée que dans la matinée, quelques heures de plus que lui seulement, et pourtant, c’est en véritable hôte que je veux bien me transformer, enfin, il ne faut pas non plus abusé et c’est ce qui me force à lui demander ; « Je suis certaine que tu rêves de voir ton canapé de prés. » Même si par message, j’ai – juste un chouilla - supposé que j’étais prête à m’y allonger, condition sine qua non pour le voir débarquer. Mais… Sheng, toi et moi, on est si doués pour négocier, ce n’est pas Cannes qui va nous arrêter.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

Il est vrai que je m’attends à l’entendre rechigner, me faire une piqûre de rappel au sujet de nos fiançailles qu’il n’approuvera jamais, qu’il préfère refuser … Presque, d’ailleurs, je me suis fait une raison, ce n’est maintenant plus qu’un refrain qui m’amuse sur ton de « on ne sait jamais » s’il revenait enfin à la raison, et qu’il se décidait à laisser tomber ses … amérindiennes distractions. Cela dit, de la réplique qu’il consent à lancer dans mon dos me laisse dubitative, « Tu m’en diras tant. » j’en accuse un brin de déception.

Cependant, je laisse ce débat sur le côté, de toute évidence, nous avons la semaine pour revenir dessus et nous disputer, en favorisant un autre, qui me semble plus approprié. Cette histoire de lit et de canapé. Mais pour le moment, je ne suis pas encore prête à faire preuve d’une véritable honnêteté en ce qui concerne le fond de mes désirs, et ce à quoi j’aspire. Sans me douter qu'il va me mener à rapidement lui dire.

Tandis que je me retourne vers lui afin de contempler sa réaction, l’amusement présent sur les traits de mon expression, je constate les siens renfrognés, ça a le don de me faire craquer un sourire carnassier. « J’ai eu raison d’amener ma tente alors » qu’il commente avec un mouvement significatif contre la lanière qui lui bande l’omoplate, sans savoir que c’est ce qu’il a fait précédemment, j’en lève à mon tour les yeux au ciel, convaincue que ce n’est que du flan et qu’il n’osera jamais me tenir à un niveau aussi élevé. Enfin… je me dois d’avouer que je n’irais pas jusqu’à le défier. Pas peureuse, mais pas rassurée.

Alors après un soupir, j’en crache un autre face aux paroles qu’il articule sans sourciller, ce n’est pas comme ça que l’on va négocier. « Elle est où ma chambre ? » D’un regard, j’aspire à lui souligner, le fond de mes pensées ; Je crois que tu t’es trompé de pronom possessif Sheng, mais ne t’inquiètes pas, je sui là pour réparer tes erreurs, et assurer tes arrières, ce n’est pas là, tout ce qu’une future femme se doit de faire ?
Mais au lieu de lui répondre, je ne le fais que corporellement, haussant les épaules négligemment, mais lui détourne le regard, visiblement victime d’une illumination quant à ses prochains gestes résultant de ses réflexions, « La salle de bain devrait être à coté… » Au moins, j’ai la preuve qu’il a mémorisé la visite virtuelle que j’ai pris la peine de lui envoyer, et parce qu’il se diriger vers ladite salle de bain, j’en prends moi aussi le chemin. On va dire que j’ai la réponse à ma première question sur le fait de lui présenter l’endroit, c’est ce qu’on gagne à vouloir être aimable, n’est-ce pas ? Je prends note, ça m’apprendra.

Quelques pas suffisent à nous y amené, bien que la surface de la suite soit démesurée, et lorsque nous nous retrouvons à l’entrée, la porte pour y accéder déjà ouverte, j’hoche le visage, pour le moins satisfaite. « Ils ne sont pas jaunes, tu vois. » Bien sûr, je parle des draps, comme quoi, je suis prête à fournir des efforts, parfois. J'ai demandé à ce qu'ils soient changé avant que tu ne sois là. Et mes prunelles délaissent finalement la literie dans le seul but de se reposer sur lui. « Je peux toujours exiger un traversin. » Un de ces longs coussins… Et poursuivant pour lui expliquer de mes pensées, le cheminement. « Pour délimiter une frontière. » Entre nos deux corps dans le lit, comme ça, il sera assuré que je n’abuserai pas de lui. « Aucune main baladeuse, promis. » Je lui sers le serment de l’angélique Wendy, mais dis-moi Sheng, la vraie question on la connait, toi et et moi, et c'est bel et bien celle ci ; est-ce que toi tu pourras te tenir tranquille durant cinq nuits ?

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

Ouvertement, il ne fait aucun commentaire, ce qui me force à froncer mes sourcils, un tantinet contrariée, c’est vrai. Ils sont rares, mes efforts, et j’ai comme une sensation qu’il ne les voit pas à leur juste valeur. J’en ai au fond de la gorge, un goût d’aigreur. Alors certes, je ne demande pas non plus des remerciements, mais au minimum un signe d’approbation, sauf que lui opte pour un tout autre comportement, débute une étrange inspection. Allant même jusqu’à pincer le drap de deux doigts et le relever, comme si j’y avais caché des insectes ou autres pranks dignes d’une caméra cachée.

Mais sur le chemin de mon idée, malgré ses façons de douter de moi, je poursuis et propose ce qui le fait rigoler spontanément, pourtant, je suis prête à jurer que je l’ai demandé sérieusement. Et parce qu’après son rire il reste silencieux, je me doute qu’il pèse le pour et le contre, je n’ajoute rien de plus, je me fais aussi docile que ce que je le peux, patiente sans montrer que ça ne me plaît qu’à moitié ce petit jeu. Ce doit être épuisant, pour les filles parfaites, de rester tranquille et de ne pas vouloir, aux autres, tenir tête. « T’avais dit le canapé, » Oui mais tu oublies un détail, un succube ne fait pas tout ce qui est possible afin d’attirer dans ses filets l’homme qu’elle souhaite emprisonner ? Tu sais bien de quoi je suis capable pour exaucer mes souhaits. Sinon, je ne me trouverais pas au sommet. « Mains et… tout ce qui va avec. » Le sourire que je lui offre il est autant satisfait qu’un brin putassier. « Autre chose. Ton téléphone, je le garde la nuit. » C’est drôle de constater combien il peut se méfier. A quel point il craint, aussi, être découvert par Haiwee. Parce que je ne suis pas stupide, je sais que c’est pour elle qu’est née cette volonté.

Inclinant le visage sur le côté, je feins de jauger les pours et les contres, d’hésiter, alors qu’en soi, je n’ai aucune véritable raison de refuser. Pas la moindre photo ne sera prise, et mon écran verrouillé, alors j’imagine que le marché est parachevé. J’estime, évidemment, l’avoir gagné. « Rassure toi, je ne fais jamais le même cadeau deux fois. » Autrement dit, si je veux blesser Haiwee j’emprunterai une autre voie que celui du cliché envoyé. « J'accepte la condition. »

Tandis qu’il se perd dans la contemplation de la vue que nous offre la baie vitrée, je me laisse surprendre – c’est un fait – par l’interrogation suivante, presque, j’en déchante. « Et tu ne sors pas ce soir ? » En un acte manqué, je serre mes mâchoires, puisque non, je ne sors pas, et que je le ferais que pour me montrer, quelque part, parce que j’y suis obligée. Sans que je n’aie l’opportunité de lui répondre, faute d’être plongée dans mes propres réflexions, il commente ce qu’observe sa vision, « Ces français… » ils sont on ne peut plus différents, c’est vrai, mais à force de voyage, je m’y suis habituée, puis il faut dire que ceux que je côtoie sont toujours aux petits soins envers moi.

Sa silhouette toujours retournée en direction de l’extérieur, je m’approche de quelques pas, comme si je voulais regarder ce qui semble l’avoir happé, et je me joue de mes véritables ressentis lorsque je me hasarde à expliquer ma présence dans la chambre à cette heure plutôt que dans une soirée, « Non, pas ce soir, le festival commence demain alors je profite du confort de la suite et des services de l’hôtel, » articulé avec un sourire en coin, j’ai beau avoir été écorchée, je prouve que je reste égale à moi-même, que si l’on me blesse, ce n’est qu’en surface que cela reste, « D’ailleurs autre chose en plus du traversin ? » j’interroge alors que je recule afin de m’asseoir sur le rebord du lit, attrape le téléphone de service d’une main, prête à appuyer de l’autre afin d’écourter la tonalité, une qu’il aura prononcé ses souhaits.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.