Comme je l’avais prévu, ils ne l’ont pas écourté, leur séjour en Floride, mais ce n’est pas pour me déplaire, passer une convalescence au manoir Miller est une chose, y être en compagnie de mes paternels, ça en est une autre. Ne sont donc présents que les employés, ceux qui, plus que mes parents, m’ont élevé. Et parce que mon chauffeur l’a mené jusqu’ici une heure après moi, bien sûr, il est là. Probablement toujours dans la chambre que je lui ai attribuée, à quelques pas de la mienne, à dire vrai. Cela dit, que l’on ne vienne pas me demander de justifications quant à son invitation. Ni même une quelconque argumentation au sujet de notre relation. Un savant mélange de haine, d’aversion, de respect et d’affection.

Assise sur le molletonné du lit de mon adolescence, je m’égare à regarder le bandage d’un blanc immaculé qui couvre l’entièreté de ma main, deux jours se sont écoulés depuis les évènements du TD Garden, et ma brûlure reste comme une piqûre de rappel. Comme pour m’empêcher de tirer rapidement dessus, un trait. C’est pourtant une de mes capacités, celle de volontairement oublier. Mais il faut croire qu’en ce qui concerne les cris et l’effroi c’est un peu plus compliqué, n’est-ce pas. Je n'irais pas jusqu’à dire que je suis cassée, mais finalement, peut-être que je donne raison à mon père, j’ai vraisemblablement besoin de quelques jours pour me retrouver. Pour redevenir à part entière Wendy Witter, la cheffe d’entreprise au sourire putassier.

D’ailleurs pour ce faire, je me remets sur pieds, et sors de la pièce, arpentant le couloir, laissant voguer mes prunelles sur les différents tableaux qui l’orne, et lorsque j’arrive au niveau de sa porte pour les jours à venir, de ma paume valide, je frappe dessus pour lui signaler ma présence. Cependant, je l’ouvre sans en avoir eu l’autorisation, on se trouve dans ma maison, de toutes les façons. « Dis-moi, je dois éteindre les caméras ? » On joue selon tes règles ou les miennes, cette fois ?

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

D’un regard je balaie l’entièreté de sa silhouette, présentement allongée. Ce n’est que la seconde fois qu’il est ici, et pourtant, j’ai une sensation qu’il se fond bien dans ce paysage, au cœur de mon héritage. Les mâchoires serrées lorsqu’il replie le coin de sa page, ça me fait tiquer, moi qui adore quand tout reste absolument parfait. Mais j’opte pour le fait de me mordre le bout de la longue plutôt que de commenter. Tant que ce ne sont pas les livres de la bibliothèque familiale qu’il se permet de corner.

Et j’arque un sourire carnassier quand il cherche – j’en suis sûre – où pourrait se trouver les caméras, pas forcément visibles mais elles sont belle et bien là. C’est le minimum dans une maison telle que celle là. Pour une famille comme la mienne. Pour le contrôle et la paranoïa qui découle de mes gênes. « Si y’a des caméras dans ma chambre, » voyons, tu peux le retirer le si que tu as positionné en amont, « tu vas avoir de quoi visionner durant tes soirées, » l’arc de mes lèvres s’en devient vicieux, « L’héritier Xiaomi, star de film porno, » c’est simple à balayer, les souvenirs mauvais, comme si ici, maintenant, dans le manoir de mes parents, il n’était jamais arrivé, l’accident, « tu as toujours su comment me faire rêver, » le TD Garden ne s’est pas effondré, Boston n’est pas endeuillé, je n’y étais pas, et je suis toujours intacte. Je ne porte sur mon être, aucun stigmate.

Cependant, malgré les mensonges que je me répète, je bats des paupières, en une tentative de conserver ma superbe, quand je lui propose d’une détournée manière, d’aller prendre l’air. « Je vais aux écuries. » Après tout, dans les croyances populaires, il parait qu’ils apaisent les maux, les chevaux. Inutile de faire semblant de croire à cette thérapie, j’ai simplement énoncé une envie de sortir d’ici, avec lui.  

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

Avant de prendre la décision de venir avec moi, il use de quelques secondes afin de contempler au-delà de la fenêtre, la vue que lui offre la hauteur de cette chambre. J’ignore ce qu’il recherche ou ce qu’il tente de voir, ce n’est pas comme s’il n’était jamais allé dans les écuries, qu’on en doute pas, j’ai toujours en travers de la gorge d’en avoir perdu un pour un vulgaire pari. L’introspection silencieuse de l’invité se poursuit et j’en soupire longuement, me disant qu’il apprécie me faire poireauter, que c’est volontairement qu’il prend tout son temps pour se positionner… « Ils sont payés combien ? » Les employés ? Probablement une fortune, c’est vrai. Un montant qui sur le compte de mon cher paternel ne doit même pas se remarquer. « J’en sais rien, » que je réponds en un haussement d’épaules, « ce n'est pas moi qui paie. » ça peut paraître égocentrique, mais ce n’est pas une chose qui sait m’intéresser.

Puis enfin il se tourne vers moi, récupère sa veste qu’il passe sur son dos dans la foulée, et j’opine à le voir faire, pressée de sortir d’ici et de prendre une bouffée d’air frais. « T’attacher dans un box…. » derechef, j’en arque un sourire pervers à cette idée, trahissant le vice qui m’anime rien qu’à y songer. Nos jeux licencieux mis sur pause depuis l’été dernier. « Là aussi, caméras ? » Mon rire, je ne peux pas le contrôler tandis que je recule de deux pas, dans l’embrassure de la porte quand je réponds en toute simplicité. « Seulement à l’entrée. » mais en y réfléchissant peut-être qu’on devrait en installer, pour s’assurer que les chevaux sont bien traités. On a envisagé les vols mais pas le reste, ce n’est pas le genre de ma famille pourtant de s’appuyer sur des peut-être.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

L’été dernier… Il faut croire qu’à l’époque, il en avait encore. Mais depuis, les choses ont bien changé. Pourtant, je me suis tenue bien docile, même moi j’en suis encore surprise, à la païenne je ne lui ai rien balancé. Dieu sait pourtant combien mes lèvres me démangeaient, que j’en rêvais de la voir à nouveau pleurer, sa soumise. Seulement, je ne peux nier un fait, je n’attaque que lorsque c’est dans mon intérêt – dans une relation comme la notre en tous cas – et si j’avais blessé la Haiwee une nouvelle fois… C’est un adieu à mes projets que j’aurais dû articuler. Un plan que je ne suis pas encore résignée à abandonner. « Pas plus que toi tu n’t’es adoucie. » Un rictus mauvais installé sur mon faciès rien qu’à l’idée de m’adoucir un tantinet, je balaie d’avance la possibilité, alors que dans le fond, je sais, que je me suis montrée plus vulnérable lors de nos derniers échangent. Un frisson parcourt mon corps rien qu’à songer à cette possible perte de ma maitrise, ce presque naufrage.


S’il est là, chez mes parents, à la suite d’une invitation de ma part, c’est bel et bien que certains points ont changé. Que je suis encline à le tolérer. Que même, parfois, je peux l’apprécier. Et puis… Il était avec moi, c’est à deux qu’on a failli crever. « Tu n’pourras pas tenir seule les rênes, » Intérieurement, je le remercie d’avoir stoppé la course dégoulinante d’…affection de mes pensées avec cette phrase que je n’entends pas directement, c’est vrai. Trop songeuse pour comprendre, une Wendy différente, à s’y méprendre. « On parle de mon empire ou bien des chevaux ? » De nos fiançailles ou de notre prochaine balade ? D’un sourire je souligne ma question, avant d’apporter une précision. « On pourra monter à deux, je suis sure que ça te plaira. » Que cette position fera grimper la frustration de tes interdictions. Et sur ces mots, j’ouvre enfin la porte, si bien que ma vision se porte sur les bâtiments au loin, foyer de ma passion.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.