D’une simple pression, après mon dernier message, je verrouille l’écran de mon téléphone avant de le poser sur la table basse. Le temps de l’échange, j’ai tellement serré les mâchoires que j’en ai la désagréable sensation de migraine naissante. Je déteste absolument tout ce qui vient de se passer. La perte de contrôle. Mes projets remisés. Ses caprices qu’il ne semble pas vouloir délaisser. Le fait de devoir m’écraser. De me dévoiler. Ca me fout les nerfs, rien que d’y songer. Et ce fichu risque de le perdre, de le voir me quitter. Pas maintenant que les choses me paraissent de plus en plus limpides à notre sujet. Bon, je le sais que j’ai possiblement trop poussé… Que je n’aurais pas dû autant m’avancer. Mais si personne ne bouge, rien ne va changer. Rien ne sera enclenché. Moi, je suis de ce genre à voir mes rêves se réaliser. Après tout, mon plus grand n’était-il pas ma si précieuse WW ?

Les minutes s’amoncèlent et mes pensées s’entrechoquent. Cette attente, elle la met à mal, ma patience. A croire qu’il fait durer le supplice, pour son plaisir. Ce me tape sur le système, plus que ce que je ne peux me permettre de le dire. Et lorsque j’entends l’interphone qui retentit, je ferme les paupières durant quelques secondes, parfaitement consciente que cela ne peut être que lui. Car ils ne sont pas nombreux, ceux autorisés à venir jusqu’ici. Territoriale, j’ai du mal à accepter que l’on vienne violer mon intimité. Qu’on cherche plus loin que les apparences que je désire montrer. Mais Sheng, ce droit, il se l’est octroyé, il y a plusieurs mois déjà. Quelques pas et j’arrive à hauteur de l’image de l’étudiant se reflétant dans l’écran de la caméra. Appuyant sur le bouton de mon index, je soupire avant de prononcer, « Inutile de te préciser l’étage. » Et d’un autre appuie, je lui donne le loisir d’engendrer un potentiel naufrage.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

Une fois qu’il disparaît de l’écran, je me retourne, j’effectue quelques pas dans mon hall, limant le parquet, comme si je fuyais ma propre porte d’entrée, mes paumes entortillées entre elles, j’essaie de mettre de l’ordre dans mes pensées. Je pèse mes pours et mes contres. Mes arguments, la thèse et l’anti, forcément. J’analyse d’avance les possibles scénarios. La teneur que vont avoir ses mots. Ce qu’il va imposer, parce que je sais pertinemment que je n’ai pas fini de négocier. Ca m’étonnerait que Sheng passe aussi rapidement l’éponge sur ce que j’ai tenté. Elle a été vilaine, la fille friquée. Elle a voulu aller trop vite, trop s’imposer. C’est rare que lorsque j’avance mes pions, je me retrouve coincer. Je suis habituée à gagner.

A la suite des minutes qui lui sont nécessaire pour accéder à mon appartement, j’entends les coups significatifs contre le bois qui prouve qu’il est là. Alors j’exulte un soupir, peut-être trop long, mais j’aime bien l’idée, de le faire poireauter. Ma position de force, je m’évertue à la conserver. Puis mes doigts accrochent la clef restée dans la serrure, je la tourne avec lenteur, je déclenche le clic significatif du barillet, et abaisse, logiquement, la poignée.

Quand la porte, je l’ouvre, je m’arme d’un sourire vicié. « Bonsoir, » solennelle et pourtant à la lisière de m’en amuser. « sur le balcon, » que je commente – incapable de retenir ma langue de fourcher quand c’est un profil bas qu’il me faudrait employer –  en observant ce qu’il tient dans sa main, l’ordre est donné et malgré tout, je sens qu’il va se mettre à fumer. Je suis presque prête à m’en moque. « je t’en prie, entre. » Les mâchoires serrées tant que les mots paraissent hachés. Les situations qui me dérangent, il sait que j’arrive toujours à les transformer. Je tente de tourner à mon avantage, même quand ça paraît compliqué, comme lorsque j’accepte de faire entrer quelqu'un chez moi - même si c'est lui et que je le connais - alors que je déteste ça.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

D’un hochement positif de la tête, d’entrer dans mon loft, il accepte. Je ne saurais dire lequel des deux est le plus mal à l’aise… Me refusant avec véhémence d’avouer que c’est moi, parce que lui, il s’amuse, secoue face à mes yeux les feuillets de son contrat. C’est con, Sheng, n’est-ce pas ? Que j’ai cette vision de ma personne en train d’agiter face aux petites gens mes billets. Je l’exècre, ce changement de rôle. Ca me débecte de partager mon foutu contrôle. Cela dit, je me mords la langue, pour pallier mon envie naturelle de la faire fourcher.

Refermant la porte derrière lui, je l’observe durant le laps de temps où il apprivoise mon intérieur, reprend ses marques, ses aises, jusqu’à aller à l’orée de ma baie vitrée, ne m’en déplaise. « Un gin. » Il commande, comme si c’était dans un bar qu’il venait de poser le pied. Encore, mes mâchoires, ça les fait grincer. Et pour le moment, je m’impose de ne pas bouger, je ne suis pas à ses ordres, bien loin d’être la chienne obéissante qu’il semble désirer.

Puis il fait demi-tour, choisit de s’installer dans mon canapé, balance les papiers sur la table basse, à proximité de mon cellulaire précédemment délaissé, et si je n’entends pas de prime abord ce qu’il recherche, les yeux en l’air, quand il questionne, dans mon esprit, ça résonne. « Tu les as éteintes ? » Derechef, un haussement d’épaules, pour une fois que je n’y avais pas pensé, tu vois, quand je dis que tu me connais. Que tu sais comment je peux fonctionner. Que tous les deux, on saurait s’allier, s’assembler. Alors le visage fermé, j’approche, et récupère mon portable, tandis que j’ouvre l’application désignée, j’articule, « Je suis certaine qu’elle aurait apprécié, tu es pénible, tu sais. » puisque je suis consciente de l’origine de la demande, cette putain de païenne avec laquelle j’aime un peu trop jouer. Une vraie Barbie, une poupée, la torture comme récréation préférée. Quand j’appuie sur l’interrupteur présent sur mon écran, afin d’éteindre mes caméras, je le tourne vers lui, « Satisfait ? » et repose l’appareil avant qu’il n’ajoute quoi que ce soit. « Donc, » je reprends, le sang bouillonnant, parce que moi aussi, je cnnais l'étudiant, « un gin et un stylo. » J’abdique avec parcimonie, bien loin d’abandonner mes idéaux.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

Bien que je n’apprécie pas cela, le laisser faire comme chez lui alors qu’on se trouve chez moi, je lui tourne le dos, et me déplace vers ma cuisine, à la recherche de la boisson demandée. N’étant pas très fanatique d’alcool, j’avoue que je ne suis même pas certaine d’avoir la bouteille désignée. La porte du placard à alcool ouvert, je laisse traîner mes ongles, je m’accorde un temps de répit, je sélectionne… « Beaucoup trop tôt pour songer à son cadeau. » Mais Noël ça peut être toute l’année, surtout lorsqu’il est question de blesser la Haiwee. Tu sais, c’est tellement facile que plus je le fais, plus ça me plaît. Comme une routine, un refrain dont on ne veut pas se délester.

J’attrape enfin la bonne bouteille un tantinet vieille, quand je l’entends sicler de l’autre côté, mes nerfs, il prend plaisir à les irriter. « Par hasard, t’aurais pas quelque chose à grignoter ? » Dieu, donnez-moi la force, même si je suis athée, « J’réfléchis toujours mieux après » Ma salive, elle a du mal à suivre le chemin de mon gosier. Si bien que lorsque je commence à remplir nos verres, car moi aussi j’en ai besoin d’un, je songe à ce qu’il pourrait manger, mais tout ce que je risque, c’est de passer pour une princesse vivant dans un appartement aseptisé. « Me force pas à te dire ce qui traverse mes pensées. » Le fait qu’il peut toujours me manger. Le naturel, il ne faut pas trop le chasser… Mais la vérité ? C’est qu’à fouiller, on pourrait croire que le loft est habité par une anorexique n’ayant pas envie d’être sauvée. Tout ce que j’ingurgite, c’est simple, c’est du livré.

Alors armée de nos boissons, je reviens dans le salon, quand je lui tends le sien, il vient m’interroger, « Comment tu l’sais, que je n'ai pas signé ? » j’en ricane, portant le venin à mes lèvres, je réponds derechef après avoir avalé, « Je te connais. » c’est un fait, irréfutable, on est liés. Et je me décale une énième fois pour aller récupérer une plume gravée. Estampillée de deux W. Un coffre offert par papa. Il y a de l’or, ici et là. « T’es comme moi. » même si tu détestes ça. « Si tu es venu en personne, c’est pour négocier. » Je suis loin d’être stupide, alors, ne m’insulte pas. « J’attends. » D’apprendre à quelle sauce il va tenter de me bouffer, finalement.

I am not a muse
I am the somebody
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Sous mon regard, il s’accorde le temps d’analyser ce que je viens de lui confier. Ce stylo offert il y a quelques années et qui malgré tout semble vierge de tout papier. Les grandes occasions, Sheng, inutile de te le préciser. Durant de longues secondes silencieuses où j’accepte moi aussi de rester sans mot dire, l’aparté semble s’étioler, le temps devenant obsolète, tout comme les pensées qui traversent en long et en large ma tête. « Un cadeau j’imagine. » Il commente et j’en soupire, le oui est-ce vraiment utile de le lui dire ? Certes, je possède un narcissisme à toutes épreuves, mais pas au point, d’estampiller moi-même un stylo, mon père est un homme doté d’un plus gros égo.

Seulement si je m’attends à ce qu’il paraphe enfin les feuilles posées devant lui, il délaisse la plume à la faveur de son verre, parfaitement conscient qu’il joue avec mes nerfs. « à ta santé. » Je l’observe boire une gorgée, opine à ses mots d’un mouvement du visage, par pur mimétisme, politesse et bonnes manières que l’on m’a longuement enseigné. Et je porte mon gin à mes lèvres quand il repose le sien, seulement à cause de ce qu’il articule, je manque de m’étouffer. Avale de travers et l’alcool semble d’autant plus brûler. « Maintenant dis-moi pourquoi je suis là. » C’est une blague, n’est-ce pas ?

En un mouvement nerveux, je bats la mesure de l’ongle de mon index contre le verre, m’agaçant seule par la mesure cristalline. Evidemment, je ne suis pas sans savoir ce qu’il espère obtenir comme réponse, je ne peux pas me contenter de lui souffler qu’il est là pour signer. « Pourquoi t’es là… » Je répète, moi qui pensais avoir été suffisamment claire durant nos sms. Qu’il avait compris où je voulais en venir lorsque je lui ai écrit qu’il n’était pas le seul héritier. Sous-entendant le fait que j’aurais pu en choisir un autre si ce n’était qu’une question de trouver un mec beau et friqué. Pourquoi t’es là… putain mais c’est pas vrai… J’ignore comment m’en dépêtrer, de cette embuscade dans laquelle il s’évertue à me piéger. « Parce que je ne te déteste pas. » Alors que j'ai dit l'inverse de nombreuses fois. A prendre ou à laisser. C’est le mieux que je peux faire en termes de sincérité.

I am not a muse
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