Je ne peux pas mentir, j’adore la France. Cela reste un de mes pays préférés. Amoureuse de la capitale, de la dame de Fer, du Four Seasons, depuis la première fois où j’y ai posé un pied. Et cela fait déjà plusieurs jours que nous sommes tous les deux à Paris, et si les journées sont rythmées par certaines de ses râleries, ainsi que par nos joutes verbales, elles le sont aussi et surtout par les différents défilés et autres diners.

D’ailleurs, ce soir, pour ce qui concerne le défilé de la maison Valentino, c’est dans les backstages que nous nous trouvons. Invités à voir l’envers du décor, à profiter de ce que certains considèrent comme de l’or. A noter que notre duo a aussi été convié à participer à l’aftershow qui est organisé.
Entre le rythme euphorique, la tension qui grimpe, le stress des créateurs, de celles qui vont porter la collection qui attend d'être présentée, je ne saurais dire ce qui, le plus, me plaît. Dans mon élément, à ne pas douter.

Et puis, il y a ce point, des plus importants, qui me fait sourire allégrement, qui fait que je me délecte à chaque nouveau modèle préparé. Parce qu’elles sont toutes ce soir maquillées par les produits de la marque WW. Alors guidée par ma bonne humeur, ce côté détendu que je ne parviens pas à cacher, je me rapproche de mon égérie masculine préféré. « Avoue-le. » que je prononce, une fois à proximité, mes ongles allant lui effleurer son bras, « Ca te plaît. » Ce monde-là, ces escapades avec moi.

La réaction de mon compagnon ne se fait pas vraiment attendre, d’un regard il balaie, les coulisses dans leur entièreté, et se décide à commenter. « Je ne suis pas con Wendy » Ca, ça reste encore à prouver, mais pour une rare fois, je me tais, envieuse de connaître le fond de son étrange pensée. Le cheminement de son esprit étriqué étant donné que sa connerie, je ne l’ai pas citée. « ça n’dure qu’un temps » Permets-moi de te souligner, très cher, que cela dépend. « Yves Saint Laurent. » Pour premier exemple, que je sache, il est décédé à soixante et onze ans, il était long, non, son temps ? Sachant qu’en plus de cela, sa marque existe encore, malgré qu’il ne soit plus là. Ce ne surprendrait personne si je venais à articuler le fait que j’aspire à une même destinée. Voir WW envers et contre tout, perdurer. « Cardin ? Lagerfeld ? » Et terminer mon semblant de plaidoirie par une femme dont j’espère prendre le chemin, puisque nous sommes en France et qu’ici c’est elle qui possède le plus de puissance. « Liliane Bettencourt ? » Qui possède une marque rimant avec le mot toujours. « Ca ne dure qu’un temps pour ceux qui ne savent pas gérer. » Et je n’en fais pas partie, je suis prête à y miser, d’ailleurs, tout ce que je peux posséder. « Puis à deux… » que je débute armée d’un sourire enclin à la fausseté. Car à deux, mais toujours ma personne positionnée en premier.

Amusée et toujours autant calculatrice, j’aiguise le bout de ma langue sur mes dents, le temps d’un sourire, consciente que l’étudiant ne perdra pas de temps pour s’aventurer à contrer mes dires. Il est comme ça, je le sais, il s’évertue à contrer cette histoire que je lui sers et qui pourrait nous servir à tous les deux. Ce n’est pas un caprice, ce n’est pas un jeu, c’est une liberté qui s’accorde avec tous nos vœux. Je ne comprends même pas pourquoi il ne veut pas le voir, ne serait-ce qu’un peu. « Un refrain usé. » Pas tant, il n’a que quelques mois, et j’estime en avoir d’autres encore devant moi, « Et je parlais de moi, d’elles, » il désigne les mannequins, les autres participantes de ce spectacle, les silhouettes élancées, les femmes que l’on prend plaisir à décorer. Nul besoin de dire que lorsqu’elles seront fanées, c’est en un claquement de doigts, que le monde de la mode saura les remplacer. Ce n’est pas une cruauté, c’est la loi, quoi qu’il en pense, c’est comme ça.

Puis il vient – légèrement – me surprendre à venir me demander de préciser ; « Tu dis deux mais dans le fond, rassure-moi, tu ne penses toujours qu’au « je. » » De gauche à droite mon visage oscille, en une hésitation actée, à l’image d’une véritable vacillation jusque dans les profondeurs de ma raison. « Peut-être. » insinuer le doute doucereusement, dans sa tête. Bien que ce soit connu, dans le reflet du miroir, je ne supporte que ma vue. « Tu devrais penser à te changer. » Car la folie des backstages va bientôt laisser place à celle du défilé, et nous y avons des places vip attitrées.

Sous couvert d’un conseil, c’est bel et bien un ordre que je viens de lui souffler. Car même si on joue au petit duo parfait, je reste la patronne et lui l’employé. Cela dit, je me permets d’avouer que pour une fois, la guerre on ne se la fait pas. Pas ouvertement en tous cas, aucun combat n’a été débuté devant les objectifs et les caméras. Tellement que j’en viens à songer que je devrais probablement me méfier, tout a un coût dans la vie, je le sais, et je m’interroge sur celui que Sheng va donner à son obéissance. Mais à défaut de directement me le donner, il intime, « Faudrait penser à me lâcher. » Comme si j’étais un parasite dont il essaie de se débarrasser.

Alors c’est vivement que je dégrafe ma pate de son avant-bras, lui rend sa liberté, le tout agrémenté d’un petit « Mhm. » succinct, et tourne les talons dans la foulée. Avant d’aller moi-même enfilé une tenue que certaines ne pourront que jalouser, je m’arrêter à hauteur des modèles, les maquillages, je les inspecte, de gouverner dans ce monde, je me délecte. D’ailleurs, je me sens tellement à ma place que j’en viens à me demander pourquoi je perds encore mon temps à l’université. Ce n’est pas comme j’étais encore en quête de crédibilité, depuis toutes ses années, mon talent, je l’ai prouvé. Certes mais que dirait-on d’une famine capable d’abandonner ? Les gros titres, je suis déjà capable de les visualiser.

Au détour de ma ronde, au niveau du paravent où se sont changées la plupart des mannequins – et parce que je sais Sheng dans la loge réservée à mon entreprise – je retrouve deux habilleuses, stressées et à l’évidence pressées, « Mademoiselle Witter les retouches ont été réalisé dans la matinée, » j’espère parce que si la robe ne me va pas, elles vont entendre le son de ma voix. Le tissu roule avec douceur sur ma peau, une fois que j’ai délaissé les vêtements que je portais, elles attachent et boutonnent, et me voilà déjà en route pour le retrouver. Toute en transparence et présentée lors de septembre dernier, j’apprécie qu’elle m’aille comme un gant, une seconde peau vraiment.

Quelques mètres sont talonnés pour m’entendre quémander, « T’es prêt ? » que j’interroge une fois que je suis devant la porte de notre espace privé. Et pousse la porte, parce que même sans savoir s’il est vêtu ou pas, clairement, je m’octroie ce droit. Puis, le retard, pour le coup, aujourd’hui, je ne supporterais pas ça. Armée d’une grimace de façade, je commente, « Approximativement élégant. » c’est ce que je peux faire de mieux comme compliment, et prier pour qu’il ne note pas le léger sourire aux bords de mes commissures trahissant mes véritables sentiments. Son bras, je le retrouve quand je glisse sur mon visage les lunettes de soleil comme accessoire. Panoplie à présent complète, j’hoche d’un mouvement directif la tête. « Action. » Il est temps de montrer, encore une fois, à quel point elles s’accordent bien, nos silhouettes.

Pour la collection de cette année, Yves Saint Laurent a repoussé les limites, la bienséance, et j’adore, ce soir, porter cette arrogance. Je me galvanise aussi de l’effet que je lui ai fait, inutile pour l’étudiant de feindre une réaction opposée. Car ses prunelles détaillent la transparence et mon soupir l’accompagne, avec une certaine insolence. Je me permets de commenter sa propre tenue, d’un mensonge quasiment pas déguisé, même si le costume n’est pas commun, il est vrai que je trouve que ça lui va bien. Mais il ne serait pas lui s’il ne venait pas râler à l’aide d’un ; « Trop serré. » comme un éternel insatisfait, alors que normalement, c’est moi qui possède ce trait.

J’en lève les yeux au ciel, une seconde avant d’y déposer la paire de lunettes, de toutes les façons, il n’est plus le temps des réflexions, les changements de dernières minutes ou autres hésitations. Il est l’heure de la représentation. Alors on s’engage, moi à son bras. On marche en rythme et les flashs parviennent à m’éblouir malgré les verres teintés. Je m’arme d’un sourire, je me délecte de chaque seconde passées. Ce monde, c’est le mien, c’est tout ce que j’aime, l’univers dans lequel je me complais. C’est pour ça que je suis née. J’ai été faite pour briller.

Et lorsqu’on arrive à hauteur de nos places, il se fait galant, me laisse m’asseoir en premier, de deux doigts, je décale mes lunettes et lui offre un regard admiratif, je minaude pour les objectifs. Pour prendre place juste après et d’une œillade sur le côté, je m’assure de sa présence. D’une paume déposée avec délicatesse sur sa cuisse, je me tourne vers lui, l’autre allant caresser sa joue lorsque j’approche de son oreille ma bouche. « T’es si docile que j’en oublie presque la mascarade dans ta chambre. » Une brève piqûre de rappel, ma rancune, elle est réelle. Avant de le délaisser, tout du moins son visage, sur sa jambe, je conserve mon point d’ancrage. Puis je me concentre sur le défilé à la lisière de débuter, puisque la musique vient de changer et la lumière des spectateurs est maintenant tamisée, à la faveur du catwalk que les modèles vont bientôt fouler.