La vérité, c’est qu’elle n’avait pas de véritables espérances, par rapport à cette soirée, bien qu’évidemment, du thème de l’amour, elle en avait conscience. Tout ce qui comptait pour l’amérindienne, c’était de passer quelques heures à ses côtés. Parce qu’indéniablement, lorsqu’elle l’est, elle se sent à sa place, rassurée. Bien sûr, à la vue de leur relation, elle ne s’attendait pas à recevoir un présent pour l’occasion. Car depuis des mois, Haiwee, elle a appris à l’aimer de loin, à ne pas l’étouffer de son affection, sachant qu’il en chercherait, envers et contre tout, la libération. Car à chaque fois qu’elle avait voulu faire un pas dans cette direction, c’est contre un mur qu’elle est entrée en collision. Elle en tient pour preuve, le bal de fin d’année et sa piètre déclaration. Alors ce soir, elle a simplement profité du moment, de chaque manège qu’ils ont partagé, de flirter avec leur proximité. Se satisfaire de l’affectionner et se dire qu’au niveau auquel elle le fait, si pour lui ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave, le sien d’amour pour deux, il est assez.  

Alors c’est pour cette raison qu’elle ne prononce rien de plus lorsqu’il prend le chemin du campus, elle se s’éprouve déjà privilégiée, d’avoir pu jouir de ce moment avec lui, si bien qu’elle envisage dans son silence de lui proposer – si ses colocataires sont absentes – de venir passer avec elle, le reste de la nuit. Tandis qu’il ralentit l’allure, elle est toute à ses songes, aux paroles qu’elle pourrait articuler afin de le convaincre de ne pas la contraindre à terminer cette journée esseulée, de fait, elle se laisse surprendre lorsqu’il vient articuler un ; « Bon. » D’abord, elle observe sa paume qui s’aventure à la toucher, elle en esquisse un sourire avant de le regarder afin de connaître la suite de ses idées, « Que dirais-tu de… ne pas en rester là ? » Son sourire, il s’en devient plus franc, mais elle reste dubitative de constater Sheng un tantinet hésitant. « Nounours adhère à l'idée, » puis en exulte un rire lorsqu’il prend la peluche à partie. Ce n’est pas son genre, elle le connaît bien pour l’affirmer, elle, elle ne trouve pas que ce soit un mauvais projet, qu’il se rassure, elle ne demandera rien de plus sous couvert d’un quatorze février.

Si elle réfléchit, ce n’est que pour la forme, mais aussi parce qu’elle se fait malicieuse, qu’elle aspire en agissant comme ça, ne pas lui montrer, combien, à l’intérieur, elle est heureuse. De ses phalanges, elle accroche les siennes, quelque part, elle s’en veut d’en ressentir autant d’électricité jusque dans la moindre de ses veines. Luttant contre son envie de l’embrasser, « Si… » elle amorce sur le fil de son sourire carnassier, « Nounours approuve… » Autant ne pas le décevoir, pas vrai ? Autrement dit, évidemment, que c’est oui. « Il me semble que c’est une bonne idée. » Elle paraphe en se rasseyant correctement, Haiwee, c’est jusqu’au bout du monde qu’elle suivrait l’étudiant. Après tout, l'endroit où elle se sent le mieux, elle a affirmé que c'était son appartement.

Terminer la soirée à ses côtés, elle n’aurait pu mieux demander, d’entre toutes les possibilités, elle est simple la vérité, c’est que celle-ci est son scénario rêvé. Confiante quant aux promesses à venir, elle se recale contre le dossier de son siège, conservant son sourire. « Alors, si tu es prête, » c’est le cas, plus encore lorsque c’est pour passer une nuit avec toi.
Leurs phalanges finissent par se séparer, à regret, en un énième regard elle caresse son profil avant de se reconcentrer sur les lumières extérieures et la course instoppable de ses pensées. Jusqu’à ce qu’il ne vienne la perturber en ralentissant l’allure, apostrophant, « Oh attends attends. » De prime abord, elle ne comprend pas ce qui a retenu son attention, pour faire le lien à l’ouverture de sa fenêtre sur la découverte qui retient son attention. « Des cours particuliers professeur ? » De sa langue, elle humidifie ses lèvres, gênée par l’interrogation qu’elle n’aurait jamais osée. Sans s’apercevoir qu’elle n’est pas la seule à ressentir de l’embarras dans cette histoire. D’ailleurs, la piètre œillade qu’elle leur décoche est la preuve même de son malaise. Une fièvre s’intensifiant à l’entente de leurs baptêmes. « Xian. Et Wind River. » Démasqués par le professeur, il ne lui reste pas d’autre choix que d’assumer, de croiser les prunelles de la Dudley, d’endosser le rôle de la fille facile, qui réinvente dans le lit de l’étudiant, son caractère docile.

Alors, dans les méandres de sa conscience, ça s’entrechoque, un pêle-mêle dans lequel elle tente de mettre de l’ordre. Seulement elle déteste cette piqûre de rappel, celle de n’être qu’une au milieu d’elles, bien qu’il écourte cet étrange aparté, « Bonne soirée et à demain, » elle reste songeuse, perturbée. Comme les voitures redémarrent en chœur, elle se questionne, idiote, sur le sujet du bonheur. Cette alégresse qu’elle a éprouvé à l’instant où il lui a proposé de venir chez lui… Est-ce un mensonge par lequel elle souhaite bercer sa vie ? Une ignominie ? A savoir qu’elle l’aime quand lui l’apprécie. C’est incontrôlé, comme il est bordélique, son esprit. Un haut le cœur, un vague à l’âme qui se disputent la victoire sur ses ressentis.

Sur le tempo audacieux des kilomètres qu’ils avalent, aux rythmes chromatiques des lampadaires … La question, elle la pose, car il est évident que ça lui brûle la langue, aspirante à devenir experte en la matière. « Ca ne t’a pas dérangé ? » Qu’on vous voit ensemble durant cette particulière soirée. Car même s’il se retrouvent et passent à deux beaucoup de moments, aujourd’hui c’est différent. Lorsque c’est pour la Saint Valentin, c’est synonyme d’un autre refrain… Qui suggère qu’ils ne sont pas que de simples copains, que deux étudiants s’apprivoisant durant des nuits qui s’étirent jusqu’aux matins. « On est arrivé, » elle note, ses yeux perdus sur les bâtiments qu’elle connait, qu'importe le désordre de ses idées, elle est impatiente de le retrouver.

« Carrément. Il pourrait être son père. » Elle en sourit de manière très légère à la faveur de cette question qu’il vient d’esquiver. Elle n’en est même pas déçue, car elle s’y attendait. C’est pour cette raison, dans le fond, qu’elle ne l’a pas posé de façon franche, son interrogation. Elle lui a donné la possibilité de se dérober, trop effrayée à l’idée de le perdre, de le braquer, et de passer à côté de cette fin de soirée. Elle ne veut pas de drame, des scènes qui lui feraient de la peine… Oui, elle est plus que décidée à les éviter, en ce quatorze février. Même s’ils ne sont pas un couple, elle estime avoir le droit d’en profiter, juste un peu, juste assez… De nourrir ces illusions qui découlent de son affection.

Alors plutôt que de relancer la discussion sur le professeur d’histoire et l’étudiante Dudley, elle préfère lui signaler, qu’ils sont arrivés, comme s’il ne l’avait pas remarqué. D’ailleurs quelques mètres plus loin, il coupe le moteur, et d’un ton taquin s’amuse à parapher, « On dirait. » d’un autre sourire elle souligne ses deux mots, approuve d’un hochement de tête satisfait, se languissant des prochaines minutes voluptueuses à ses côtés. Seulement, lorsqu’elle pose ses empreintes sur la poignée de la portière afin de s’extirper de la voiture, en une phrase, il avorte ses mouvements, « J’ai une surprise. Mais avant il faut que je passe le voir, » Interloquée par l’évocation de cette surprise, elle reste murée dans un silence, un tempo imperceptible qui réinvente la cadence. Ses prunelles fixées sur l’énigme que lui transmettent les traits de son visage avant qu’il ne quitte l’automobile. Elle en a cette brève hésitation, celle de vouloir réfléchir un peu plus à l’actuelle situation. Comme si elle pouvait y trouver une véritable explication. « D’accord. » un murmure inaudible aux embruns de témérité, tandis qu’elle s’intime de se retenir d’éprouver autant de fébrilité. Elle refuse sa propre faiblesse, si bien qu’elle observe ses doigts se tortiller entre eux, tu sais, Sheng, elle craint de ne pas ressortir indemne de ces étincelles qui aspirent à devenir feu.

Mais lorsqu’il ouvre la porte, qu’elle relève sa vision sur sa silhouette, elle ne saurait désavouer combien elle le veut. Les attentions de cet homme, cela fait des mois qu’elle les espère, qu’elle souhaite qu’il n’ait d’yeux que pour elle et que rien autour n’interfère. Alors l’arc de ses lèvres s’étire car elle choisit de ne pas laisser Nounours à l’abandon, l'attrape avant de sortir. Les doigts crispés sur la peluche, une fois à l’extérieur, après quelques pas sur le même rythme, elle s’ordonne la maitrise des battements de son cœur, pour s'exprimer, sur un ton méfiant qui se fait railleur, « Je dois avoir peur ? » de la surprise, certes, mais surtout des plaies qui pourraient strier son intérieur. Si elle se mettait à  croire avec ferveur à leur possible bonheur.

Elle ignore à quel moment l’atmosphère a changé, comment la désinvolture d’une soirée à la fête foraine s’est autant transformée. Ce n’est pas comme si c‘était la première fois, qu’elle passait une soirée à ses côtés. Mais elle entend encore les douces moqueries qu’il avait pu lui souffler, l’an passé, lors de la même journée. Sheng n’est pas de ceux qui pensent que la Saint Valentin a une importance. Alors Haiwee, elle craint de ne pas comprendre le sens de la danse. « Juste lui dire de prendre sa journée demain, » elle ne sait pas pourquoi, mais elle en exulte un soupir soulagé. Il n’y a rien à craindre, elle s’est simplement emballée, elle se fait des scénarios sans intérêt. Tout ira bien, il suffit juste qu’elle oublié la date de cette journée.

Les doigts toujours crispés sur la peluche, elle se contente d’hocher le visage, taciturne, et de le suivre dans son bâtiment, de toutes les façons, elle ne pourrait faire autrement. Son besoin de lui, il est tout le temps présent. Une fois l’ascenseur appelé, elle accepte en un sourire le trousseau qui lui est confié. Bien que cela ne soit que pour quelques minutes, elle aime savoir qu’il a suffisamment confiance en elle pour lui donner le droit d’arpenter son appartement sans être chaperonnée. C’est un privilège qu’il n'accorde qu’à très peu de personnes, pour le savoir, elle le connaît assez. Et sur l’arrivée de l’ascenseur, il s’amuse à préciser ; « Les animaux ne sont autorisés… que pour cette nuit… » Si durant une seconde elle s’interroge au sujet de l’animal cité, quand les portes s’ouvrent et qu’elle voit où penche la vision de l’étudiant, le nounours encore évidemment, « Mais. » elle s’étonne de voir poindre une condition, « L’accès à certaines pièces lui sera refusé. » Peut-être que cela vient de ses mots ou qu’à ses côtés elle finit toujours par se sentir bien indéniablement, mais petit à petit, elle se détend.

Alors avant de s’engouffrer dans l’élévateur, elle s’aventure à articuler une réflexion, en rapport avec leur récente discussion, « Je croyais que c’était ton fantasme, d’être épié. » le leur, à dire vrai. Coupable aux instincts nouvellement lubriques, qui confirme avec cette phrase-là que cette nuit elle compte froisser ses draps. Puis elle se décide en un semblant de rire à entrer dans la cage de métal en premier. Faisant preuve de discipline, elle se retient de lui souffler de ne pas traîner, qu’elle savoure d’avance les prémices qu’ils ont à peine chuchotées.