Après la relecture de l’article qu’elle a rédigé, fait divers qu’elle vient de relater, elle dépose la feuille sur le bordel organisé du bureau minuscule qu’on lui a attribué. Mais l’espace lui plaît, elle sait forte d’une confiance nouvelle en elle, que ce n’est que temporaire, que son avenir ne demande qu’à être attrapé. Puis, elle regarde l’écran de son téléphone pour constater de l’heure qu’il est. Impatiente de le retrouver… Malgré les cours, le travail, elle ne peut nier que durant ce mois qu’il a évoqué, c’est le manque de son être, qui l’a le plus éprouvée. A jouer les indifférentes quant au mal que ça lui fait de ne pouvoir être plus souvent à ses côtés. A s’ordonner de ne plus être autant attachée, puisque la réciproque n’est pas vraie. Elle en tient pour preuve les fois où il l’a blessée, et ce dernier anniversaire qu’il a oublié. A la finalité, elle est devenue, celle qu’il voulait qu’elle soit, pas une petite amie, juste une amante avec laquelle il lui plaît de froisser quelques fois, ses draps. C’est après tout, ce qu’elle avait glané pouvoir être, la première fois. Inconsciente des difficultés auxquelles elle allait se heurter.

Pourtant, quand elle range ses affaires, elle ressent son impatience redoublée, elle essaie de se convaincre que ce qui la galvanise, c’est d’aller apporter son aide aux personnes défavorisées. Piètre menteuse qu’est Haiwee. C’est dans la bouche de métro qu’elle s’engouffre une fois sortie des bureaux de Boston Globe, GPS activé sur son cellulaire afin de savoir quel trajet effectuer, citadine peut-être depuis trois ans, mais trois ans, ce n’est pas assez pour connaître par cœur cette ville dont elle s’est amourachée.

Après quelques minutes la voilà donc à ressortir, le pas pressé pour se rendre sur le lieu du rendez-vous donné. La culpabilité imprégnant ses gestes, car elle ne s’est pas franchement penchée sur cette récolte de fonds qu’a organisé sa maison, elle arrive finalement à proximité de la silhouette de son étudiant préféré. Trahissant ses sentiments d’un sourire, elle pose naturellement son regard au niveau de ses doigts, jouant les plus malignes quand elle l’accoste d’un air taquin, « Un jour, un mec m’a dit que ça détruit plus que ça ne fait du bien. » avant de sourciller face à l'hématome qui pare ses traits, soucieuse de ce qui a pu lui arriver.   

A l’écoute des paroles de l’amérindienne, il s’autorise de prime abord à répondre d’un rire taquin, lui décochant une œillade enjouée, tandis qu’elle en mord un sourire, l’air de rien. « Un gars bien. Un vrai sage, c’est sûr. » Pour la sagesse, elle ne s’y risquerait pas, mais pour le bien, elle y laisserait volontiers, probablement un brin naïve, ses deux mains. Malgré tout, c’est une chose qu’elle ne peut lui retirer, sinon, elle ne serait jamais, pour lui, tomber. Et même si elle n’aime toujours pas ça, c’est un vice auxquels elle s’est presque habituée à force de le côtoyer. Sachant que de toutes les façons, il n’allait pas arrêter de fumer à cause de son aversion.

Elle s’envisage durant cette fraction de seconde silencieuse à le questionner sur ce qui a pu lui arriver, mais parce qu’elle se souvient de chaque minute passée à ses côtés, elle se remémore de quelle manière en janvier, ses interrogations, il les avait éludées. Sheng, ce n’est jamais qu’il apprécie se confier. « T’es prête à jouer ? » La question la surprend, sachant qu’elle a gagné d’avance, en ayant consenti à participer. « On choisit notre …partenaire » Ses prunelles vacillent en direction de ceux pour qui ils vont aider à faire leurs commissions. « et celui qui remplit sa tache le plus rapidement gagne quelque chose. » Il signe sa demande par le rangement de sa cigarette tandis qu’elle, elle opine de la tête.

De sa vision, elle balaie l’intérieur de la supérette, compétitrice dans l’âme, à la recherche de la personne qui pourrait devenir son partenaire, « Je suis content que t’aies accepté, » elle s’étonne de la légèreté qu’il utilise, lui décochant un regard de biais, elle n’a jamais refusé de partager avec lui des défis. Alors elle ne voit pas pourquoi, ça aurait été différent avec celui-ci. Mais elle aussi, elle ne peut le nier, son expression égayée depuis qu’il est à proximité, elle est heureuse de le retrouver. Bien qu’elle s’interdise de lui souffler qu’il lui a manqué. Se permettant d’ajouter lorsque son épaule effleure son être, « Ca c’est parce que tu n’as pas encore perdu. » l’envie de lui rappeler qu’elle l’a battu deux fois par le passé au bord des lèvres, elle se retient car elle connaît l’étudiant comme beaucoup trop fier. « Je peux choisir la tienne ? » De personne âgée, en espérant que ça ne compte pas dans la faveur qu’il lui a accordé. Pour celle-là, elle a déjà une délicieuse idée.  

Ca lui fait du bien de le retrouver après ce mois de silence, sous le thème de cette légèreté, bercé par cette ambiance de presque fêtes de fin d’année. Les vitrines s’étant déjà parées de décorations guirlandes et Père-Noël esquissés à la peinture sur les différentes devantures comme les portes coulissantes qu’ils viennent de traverser. L’arrivée du mois de décembre, elle l’attend avec impatience, la Haiwee. Tout comme les premiers flocons de neige, même s’ils ne pourront pas y couper lorsqu’ils seront chez elle. A Boston, ce n’est pas pareil.

Seulement pour l’instant, elle n’a pas envie d’y songer, elle préfère cette ambiance bon enfant, celle qui s’installe par automatisme lorsqu’ils sont prêts à jouer pour être, à la finalité, tous les deux gagnants. Elle apprécie la teneur de son sourire qui lui répond de prime abord, et l’écoute émettre une précision, « A condition que je choisisse aussi pour toi. » elle plisse les paupières afin de jauger la proposition, mais c’est de bonne guerre alors elle accepte d’un mouvement de tête après une fraction de seconde d’hésitation.

Les voilà donc à s’avancer du petit groupe qu’il reste, elle se fait charmante, douce et souriante, quand lui semble être craintif, ce qui engendre une envie de l’amérindienne de lui désigner, celle qui être la pire, se pourrait. « Si on les choisit toutes les deux, on n’avancera pas, » il souligne ce qu’il voit comme une vérité, et bien sûr, à les contempler discuter on pourrait croire que rien ne pourrait les arrêter. Peut-être que, justement, c’est sur l’une d’elle qu’il faut miser. Puis l’espace d’une pensée, elle se dit que ne pas avancer à ses côtés, ça lui plairait.

Toutes à ses réflexions, elle observe toujours les trois derniers seniors qu’il leur reste comme possible choix, et s’arrêtant sur le détail de l’une des dames précédemment citées, elle attrape dans l’étalage de bonnets, écharpes et autres accessoires dédiés à l’hiver, une paire de moufles pour les lui montrer, sous son nez les agiter, amusée, « Je crois que tu vas avoir besoin de ça. » mordant un sourire quand elle désigne de sa main libre, l’une des grands-mères dont les ongles pourraient rivaliser avec certains monstres que l’on ne voit qu’au cinéma.  

 Alors toute sourire, elle attend sa réaction, chose qui ne tarde pas, d’un regard de biais pour l’amorcer, « Mais je n’ai pas froid. » elle s’amuse d’autant plus du fait que pour l’instant, il ne comprend pas. Mais en un mouvement de menton en direction de la grand-mère, elle précise son choix, l’invite à aller se joindre à elle pour effectuer sa bonne action de cette fin de journée. Il s’en approche à petits pas, comme s’il se méfier d’avance, de ses possibles déviances.

Et si la dame lui lance un sourire significatif, l’amérindienne dénote l’expression de son acolyte, en pinçant ses lèvres afin de réprimer un rire, de toutes les façons, elle n’est pas aussi crédule que cela, Sheng aurait rechigné dans tous les cas.
Evidemment, c’est à son tour de déterminer qui elle se devra d’accompagner, et le visage de la brune suit le chemin que trace le regard de l’étudiant, sur le vieil homme s’arrêtant. « Vois çà comme…un entrainement lorsque plus tard je serais pareil. » Pas dans ses habitudes, mais elle lui en décoche pour toute réponse, une œillade assassine. « C’est touchant. Tu crois encore au Père Noel Wind River. » Bien sur, elle aurait préféré qu’il choisisse de la sienne, la cousine.

Mais à son intention, elle n’ajoute rien, parce qu’elle est trop polie et qu’elle saura se venger lorsqu’ils seront tous les deux sur un autre terrain. « Baby, it’s cold inside. » Elle l’écoute malgré elle, riant en secouant le visage, à la hauteur du grand-père, une dernière fois, elle l’entend, « Il DIT IL FAIT FROID DEDANS. » Elle doit se forcer pour recouvrer son sérieux, afin de se présenter à son petit vieux, « Je suis Haiwee, et c'est donc moi l'étudiante désignée pour vous aider. » Mielleuse, douce, armée de son sourire… C’est la douche froide quand il finit par lui dire, « J’en sais rien. » Si bien qu’elle ose à peine lui prendre le papier qu’il tient entre ses mains. Elle l'avoue, oui, elle en a perdu ses airs sereins, recherchant la silhouette de Sheng un peu plus loin... Les yeux finalement fixés sur la liste qu'elle vient de récupérer, à s'essayer à la lecture de ses besoins. « Un entraînement... » dont elle aimerait déjà voir la fin.