L’annonce de ma meilleure amie a eu raison de moi et de la résolution de prendre la poudre d’escampette au plus vite. Ahuri, je retrouve la salle commune mais ne reprends pas la place qui était la mienne, avant qu’Alyssia me prenne en aparté pour sa grande annonce, derrière le bar. Mes yeux grands ouverts ne me permettent pas de voir, tout est flou, je suis perdu dans mes pensées duquel on m’extirpe pour me proposer un verre de champagne. Allez, si on insiste. Une coupe à la main, Sheng apparaît dans mon champ de vision mais même sa présence ne me ramène pas sur terre. Je devrais ressentir de la colère, une pointe de jalousie sans doute, mais c’est le vide en moi et autour de moi. Si je ne suis pas concerné, au premier degré, par la grossesse d’Aly, je ne peux m’empêcher de penser aux mois à venir si elle choisit de la garder, et à ses études qui risquent d’être mise à mal. Sa présidence, aussi, même si c’est secondaire.
Ma coupe descendue d’une seule longue gorgée, elle est placée sur un autre plateau alors même que sa présence à elle me rappelle pourquoi je souhaitais partir aussi vite que je suis arrivé. Les yeux plantés dans les siens, je suis son regard pour voir que je ne suis pas le seul dont elle remarque la présence. Evidemment. Cette fois, je ne peux retenir un rire amer. Que quelqu’un me rappelle le nombre de fois où elle m’a assuré qu’elle ne pouvait pas se le voir, qu’il n’y avait rien de plus entre eux que cette pseudo-collaboration. Pivotant sur moi-même, je récupère deux nouvelles coupes et les tends à l’homme à qui je ne me suis, jusqu’ici, jamais adressé. « Ta copine a bien besoin d’une coupe vu la tête qu’elle tire. » De l’alcool, ce qu’elle préfère. Après lui, peut-être. « Enfin ta copine… La mienne ? Ça dépend des jours. » Selon les médias, du moins, car ce titre elle ne l’a jamais eu. Attitude puérile qui traduit tout ce que m’inspire leur petite séance photo, ou plutôt l'acte derrière celle-ci. « Il n’y a pas de caméra à la piscine, si vous cherchez un peu d’intimité. » Et si c’est de lui dont je suis toujours le plus proche, c’est elle que j’observe et à qui je décroche un sourire en coin, retenant la précision que c'est confirmé par notre présidente.

Les phalanges accrochées au verre que Sheng laisse en ma possession, la mâchoire se contracte à le voir la chercher, avec ce qui ressemble à une lueur d’espoir dans le regard. Abruti fini, incapable de réaliser sa présence alors qu’on ne voit qu’elle depuis qu’elle a fait son entrée. Wendy a pris possession des lieux et avec eux, de mon attention. Sauf qu’il semble déçu, quand enfin il daigne remarquer la rousse. « Elle. Non non. » Ah, il a donc opté pour le déni, lui aussi. C’est peut-être ce qui rend leur petit jeu excitant ; prétendre ne pas pouvoir s’encadrer, quand il suffit de gratter sous la surface pour découvrir des sentiments contraires. Malgré cette pensée, à laquelle je m’accroche fermement, je dois bien une admettre ne pas pouvoir m’empêcher d’être rassuré par sa réaction et le fait qu’ils s’en tiennent à la même version. « Lui passer dessus une fois m’a suffi, » Par contre, moi, je ne suis pas certain de m’arrêter à un seul poing dans sa gueule. La seule chose qui me retient est la présence d’Alyssia, dont je ne souhaite pas ruiner la fête puisqu’elle a activement participé à son organisation. Ma meilleure amie a bien assez de souci sans que je vienne y ajouter une bagarre, au beau milieu du groupe d’étudiants. « Trop expressive. Impossible de ne pas se faire remarquer ». Je lui donnerais raison, si je n’avais pas un minimum de respect pour Wendy et ce qui se passe dans le domaine du privé. Aveuglé par la jalousie, j’en oublierais presque que l’un deux a choisi de rendre cette photo publique et il n’y en a qu’une qui possède les accès aux fameuses caméras de surveillance de la résidence. « L’argent et l’éducation, ça ne va définitivement pas de pair. »  Je crache entre mes dents et retiens un long soupir lorsque les doigts de Wendy s'accaparent de la coupe qui lui était, initialement, destinée. « C’est le problème lorsqu’on doit simuler. » La remarque est accueillie d’un rire nerveux, mais je ne suis pas certain qu’il comprennent de qui je me moque, ici. S’il l'intéresse si peu, que faisait-elle dans ses bras pour commencer? Qu’elle arrête donc de prendre le monde pour des cons. « J’ai été très vilaine ? » Mon sang ne fait qu’un tour au ton employé, presque tourné à la dérision. Devant lui. J’aimerais avoir la volonté de m’éloigner sans mot dire, afin de ne pas offrir ce spectacle à son nouvel (?) amant, mais c’est au-dessus de mes forces - la faute aux bulles, dirons-nous. « T’expose ton cul sur la toile autant que tu veux. Si c’est l’image que tu choisis de donner à WW, c’est vous les experts. » Je lève les mains en l’air pour démontrer mon ignorance dans le domaine, sourire en coin accroché aux lèvres. Sa société, son cul, son image. Celle-ci sera bientôt plus salie que la mienne, il faut croire que la grande patronne qu’elle est n'est pas en mesure de tout contrôler en fin de compte. « Sur ce, je vous souhaite une bonne soirée. Vas-y doucement sur les bulles chérie, il y en a d'autres qui rêvent de faire la une. » Mais ivre sur la toile, cela aurait le mérite de changer de thème.

" Déjà " Oui, déjà. N’allons pas prétendre que je vais leur manquer, d’une quelconque manière. Quoi que, il est bien plus amusant de se foutre de ma gueule en face-à-face qu’une fois le dos tourné, mais je n’ai franchement pas l’envie de leur offrir cette joie. Leurs petits jeux tordus de gosses pourris gâtés, qui se pensent au-dessus du reste du monde, ne m'intéressent pas. A se demander ce qu’ils peuvent bien faire à la Adams, quand tout les ramène à la Pfo. La rush week arrive, qu’ils n’hésitent surtout pas à effectuer la transition afin de ne plus avoir à composer avec eux lors des diverses épreuves et événements organisés par nos présidentes.
Le poul bat contre mes tympans, au point d’à peine entendre mon prénom. Appel pitoyable auquel je ne compte de toute façon pas répondre, ne souhaitant pas régler mes comptes devant l’asiatique. Mon sang ne fait qu’un tour à sa réflexion suivante. Il n’est pas question, uniquement, de jalousie mais bien de l’envie de lui faire bouffer sa langue jusqu’à ce qu’il apprenne le respect. C’est donc ça, qui la fait vibrer ? Un gamin qui joue au grand homme d’affaires et parle d’elle comme d’une vulgaire prostituée ? Je roule des yeux à son mime, parce qu’il est un peu tard pour prétendre être dégouté, après qu’il lui soit passer dessus - pour reprendre les mots de Sheng. Elle n’avait pas l’air contre l’idée, sur les photos. Je ne réagis même pas le fait qu’ils n’aient pas pris la peine de se protéger, notant seulement que puisque madame ouvre à présent les jambes à tout va sans sécurité, le test de grossesse n’est pas le seul qui lui soit conseillé. Toutes ces réflexions en restent à ce stade; je mords sur ma langue, formellement interdit de leur donner de quoi se payer ma poire lorsqu’ils se retrouveront en tête-tête. « Arrête, s’il-te-plait. Je préfèrerais encore me taper ton ami ici présent que signer ce contrat. » Et on sait tous les deux à quel point l’idée même de toucher un homme me dégoûte profondément, quel qu’il soit. Je me retiens d’ajouter que c’est elle qui me débecte, mais je suis à peu près certain que le regard que je lui porte parle pour moi, sans avoir à y mettre les mots. Sans attendre mon reste, je leur tourne le dos et me dirige vers le bar pour aller y poser la coupe vide, à la recherche d’Alyssia pour la prévenir de mon départ.