Toute chose à une fin et notre amitié, bien qu’elle dure depuis des années, tend elle aussi à vouloir évoluer parce que sa vie est en train de changer. Sa carrière, notre fraternité, peut-être que je lui en ai trop demandé en souhaitant qu’il garde lui aussi le secret et maintenant qu’elle est officiellement dans sa vie, la Mila, quoi de plus normal que de vouloir la protéger en s’éloignant de cette vile gangrénée… A y réfléchir, peut-être que je devrais en faire de même avec Joey.

J’ai ruminé son départ depuis son annonce, ai rongé mon frein avant de me faire une raison et puisque je ne peux le retenir alors il partira avec ma bénédiction. Mais je n’irais pas jusqu’à l’aider avec ses cartons, occupé, à rien, lorsque je le croise dans le couloir alors qu’il s’apprête à quitter cet endroit pour de bon. « Ca c’est à moi ? » Ses doigts enserrent quelque chose de rosé, verni et à la forme d’une tasse atypique, déformée par un groin et des oreilles repliées. Je suis resté à le regarder plaisanter, comme si j’étais capable d’acheter quelque chose d’aussi laid. Même en cadeau il aurait fini dans un carton, oublié à jamais au grenier. « Quoi que… » Et si le doute persiste chez lui, je lui fais comprendre d’un mouvement de tête que même si c’était le cas et s’il l’emportait, je ne m’en vexerais pas. Cette gestuelle singée est brusquement ponctuée par la mélodie vieillotte de la porte d’entrée. Encore un truc que je devais changer mais par manque de temps, elle est restée… « Guizmo, assis. » Sans doute Mila qui vient faire le constat du repli de chantier alors même s’il y a peu à parier qu’il m’écoute, ma main sur la poignée, prêt à ouvrir, un ordre est donné « Guizmo… attaque ». Même une fois la porte grande ouverte c’est  abattu que je me suis planté devant l’inconnue parce que la bestiole n’a pas d’un poil bougé… «  Vendu... » paria, traitre… Heureusement d’ailleurs parce que mes yeux viennent de croiser ceux de Joey et ses lèvres sont venues à la recherche des miennes, comme un baume apaisant, voilant de son contact les meurtrissures cachées de cette journée. « Qu’est-ce qu’il a ton copain ? » Le couteau remué dans la plaie… Puis elle dévisage ces quelques cartons qui trainent encore dans le hall, dernières traces de son passage ici. « Un escargot envahissant. » Voilà le problème aujourd’hui, la laissant pénétrer à l'intérieur bien que j'ai derrière elle tiqué sur ses mots en refermant. Elle semble déjà être au courant...

 Une limace que j’aurais dû écraser avant qu’elle ne s’amuse à tout dévaster, Mila, voilà le prénom du parpaing venu me les briser. « Bonjour Joséphine. »  A peine un talon dans le salon qu’il s’amuse à lancer les hostilités et moi à coté d’une main qui tente de lui faire comprendre – vainement – de se calmer. Ce n’est clairement pas le jour pour nous agacer, l’un comme l’autre visiblement. « On se détend. Prenez place s’il vous plaît.»  

Toujours debout légèrement derrière Joey, nous nous sommes tous deux arrêtés pour l’observer se donner en spectacle, pour sa dernière représentation.  « Comme l’a susmentionné Dutch Buchanan Cooper ici présent, » Un soupir alors que mes mains trépanent avec conviction le bois du dossier où nous devrions nous installer comme suggéré. « Abrège… » On n’a pas toute la journée et je préfère de loin m’assurer de l’arrivée de certaines cargaisons que de voir partir tes quelques cartons. Un moyen comme un autre de nier l’évidence alors que je me résigne finalement en prenant place. « J’ai trouvé un escargot envahissant » qui lui demandera sous peu de lui faire un mioche avant que ne vienne ses quarante ans. A présent il joue de ses index pour marquer un temps d’arrêt avant de reprendre de plus belle, toujours avec ce timbre aussi formel ce qui va en exciter une sous peu. « Joséphine, s’il vous plaît. » Et bien qu’il s’adresse à elle, je me permets moi aussi de fusiller ce sur quoi il vient d’attirer notre attention : un dossier relié, pochette cartonnée au contenu moyennement épais. Le con…. Il a fait son testament ? Encore une blague vaseuse qui me fait détourner mon attention lorsque Joey s’assoit elle aussi à mes cotés. « S’il redit Joséphine, je vais le tuer. » Pourtant c’est ce qui est écrit sur ta carte d’identité… Faudrait te faire une raison. « Inutile, elle va s’en charger, » la milf avec qui il souhaite entretenir une relation. Ce n’est qu’une question de temps avant que n’explose le couple susmentionné.

 « D’accoooooord, » Voilà que le ton est donné en ce qui nous concerne tous les deux et je ne peux que la contempler, dans un fugace regard échangé, résultante de nos esprits en parfaite communion. « Passons, si vous le voulez bien. On arrête d’interrompre le maitre de cérémonie. » Mais si seulement il ne marquait pas à chaque fois un temps d’arrêt et qu’il en venait directement aux faits plutôt que de caqueter, toujours plongé dans cette recherche si peu subtile d’une façon de faire remarquer.  « Comme vous le savez déjà, monsieur Cooper ici présent… » très cérémoniel ce qui ne lui ressemble pas alors il y a forcément anguille sous roche pour la suite de ses paroles. « a eu quelques ennuis. » Et j’espère qu’il a gardé ses détails croustillants pour lui sans en faire part à celle qui partage son lit. « Alors pour trouver une solution, j'ai longuement réfléchi… » Impossible qu’une idée de génie ne vienne directement de lui… Alors le doute s’installe parce qu’il va forcément nous sortir une connerie monumentale.

Puis il reprend avec beaucoup plus de solennité, ses traits complètement changés pour amorcer les hostilités. « Je soussigné, Alexander Snow Burns, unique propriétaire de Guizmo, le pas beau, Burns… » C’était presque parfait sans l’annonce de cette chose à poils courts qui n’a jamais été qu’un poids pour nous tous. « De la villa se trouvant au… du bateau baptisé True Love, Blablabla. »  Mais il l’a fait, il a fait rédiger son héritage ce petit dégénéré et j’en roule du regard jusqu’à Joey pour lui susurrer : «  Même lui le sait… » qu’elle aura sa peau l’autre mégère une fois qu’il lui aura fait un héritier. « Confirme ce jour, la donation des biens cités ci-dessus, »  cette fois c’est ma respiration qui marque un temps d’arrêt, à songer au mot qu’il vient d’employer : donation. Mais puisque je suis écarté de l’équation du fait de mes petits écarts de conduite, la question reste de savoir qui est l’heureux vainqueur de cette loterie. « à Joséphine Porter. » C’était le choix le plus évident et pourtant il y a cette légère rancœur qui s’insinue petit à petit parce que je ne suis plus chez moi mais chez elle dorénavant, ma paume pressant mon jeans nerveusement. «  Guizmo... » incompatible avec l'escargot? Bien joué Joey, te voilà aimée et fortunée, de quoi en rendre jalouse plus d’une même si tu ne peux pas non plus le raconter, sans compter le clebs qu'elle va... que nous devrons le coltiner.  

« Quoi ? » Elle aussi n’en revient toujours pas parce que ce genre de nouvelle, en règle générale, ne se fait que dans l’office d’un notaire grassement payé, une fois le bienfaiteur mort et enterré. C’est de son regard complètement incrédule qu’elle cherche vainement chez moi une réponse, dans l’incapacité totale de lui en fournir une à la mesure de ses attentes. « C’est une blague ? » J’aimerais parce que sa révélation marque officiellement la fin à tant de mois de vie commune, pas totalement prêt à son départ parce que des deux c’était moi réellement le cafard. Squatteur à mes débuts et venu me retrancher chez lui le temps de retrouver mes marques dans cette ville dont j’ai été banni. Joey a jugé bon de son coté de refuser catégoriquement cette chance et ces dons généreusement offerts. « J’en veux pas. Je te les laisse. » Hargneuse comme jamais elle n’a été, à cracher sur cet héritage sans même calculer. « Gardes les. »

Si seulement c’était possible, si tout pouvait être aussi simple qu’elle le prétend. Mon attention accrochée à ce feuillet de papiers qu’il vient de déposer sous nos yeux, je n’ai pas cessé de ronger mon frein en réfléchissant pour nous deux. « Tu ne comprends pas. » Avant de crier à la folie. « Snow va partir », et les mots percutent ma raison. Il va se lancer dans cette aventure que je ne peux qu’imaginer, le mérite même si je déplore que ce soit avec ce vampire femelle. « Je n’ai jamais existé, pour cette maison » et me retrouverais à chercher encore un subterfuge afin d’avoir un toit sous lequel me loger, la dure réalité pour un « sans-papier » recherché. Simon Ross ne doit être en aucun cas affilié au nom de Burns afin d’éviter tout recoupement entre mes deux identités. Autrement dit je me retrouverais à la rue ou à devoir …. Un soupir bien las m’échappe quand j’abaisse le visage, faisant peser mes paumes liées sur ma nuque. « Et je ne retournerais pas au Sidh. » C'était réellement la seule chose à faire, la seule façon de procéder.