“if you can't cope i will dry your eyes”

Just take my hand, together we can do it, I’m gonna love you through it

@Marla Witherspoon

Je me sentais mal pour toi, évidemment. Perdre quelqu’un dont on était proche, très proche, surtout une enfant, c’était pas facile. C’était pas aux enfants de partir les premiers, c’est pas la suite logique de la vie. Mais certains enfants ont des vies plus courtes que d’autres malheureusement et on y pouvait pas grand chose. Alors que je tentais de te soutenir dans cette épreuve, je me sentais quand même pas mal mis de côté. Je voulais me sentir utile. C’est normal non, puisque je tenais à toi ? Depuis mardi, j’avais en tête de faire quelque chose pour toi mais je ne savais pas. La révélation m’est alors venue hier. Tu ne mangeais pas, rien du tout et c’était pas forcément bon. Alors j’suis allé chercher ce qu’il fallait au marché bio, j’ai passé une partie de mon après-midi à confectionner cette soupe. Je la trouve bonne perso, mais je n’avais aucune idée de ce que tu pourrais en penser. Alors quand tu acceptais de me voir, j’étais à la fois soulagé, parce que je pourrai ainsi te voir, mais de l’autre, le stress me gagnait. L’empoisonnement devait être proscrit. C’était déterminé que je me rendais chez toi. La porte était ouverte, je refermais derrière moi et mes pieds me guidaient directement dans ta chambre. Deux coups sur la porte boisée avant de pénétrer dans les lieux. Tu étais ainsi emmitouflée dans la couette, dans ton lit, avec un air malade quand même, ça m’attristait, pour être honnête. « Hey… livreur Uber Eats, pour vous servir » que je disais d’un sourire discret avant de relever le sac que j’avais en main, contenant le Graal. Je le posais sur le bureau pour retirer mon manteau et mes chaussures, et j’avançais ensuite vers le lit pour m’assoir sur le bord. « Comment tu te sens aujourd’hui…? » demandais-je alors d’une petite voix, me retenant de te toucher le front, comme si tu étais malade.

TW automutilations.

Je me sentais comme une coquille vide. Impossible de ressentir quoi que ce soit, toutes mes émotions semblaient avoir quitté mon corps. À croire que l'éponge à sentiments n'étaient plus capable d'absorber quoi que ce soit. L’inconvénient quand on ne ressentait plus rien, c'est qu'on avait la sensation de mourir à petit feu. Je détestais cette sensation. Je détestais d'autant plus que je savais de quoi j'étais capable dans ces moments en particulier.

Ces dernières semaines avaient été particulièrement rudes. Mardi avait été le coup de massue. Cette nouvelle qui aurait pu tomber pendant des mois, lors de la maladie de Caprice, je l'avais totalement éluder dès l'instant où je m'étais retrouvée autour d'une table avec la demoiselle et son père. Elle allait bien. C'est sortie de sa bouche, elle rayonnait. Elle allait bien. Elle n'était plus malade. Je n'arrivais pas à comprendre comment ça avait pu arriver, sans que personne ne voit de signe. Une vie fauchée d'un instant à l'autre, sans prévenir. C'était choquant. Ouais, c'était ça le mot. Depuis l'annonce, j'avais du mal à accuser le coup, me retrouvant depuis immobile dans mon lit, en état de choc.

C'était terrible, parce que, toi qui faisait naitre les sourires et les rougeurs habituellement, je n'étais pas certaine que tu puisses réussir à éveiller une quelconque réaction. Pas même quand j'entends tes pas à travers l'appartement et que tu franchis le pas de la porte de ma chambre. Je ne peux même pas te dire si je suis contente de te voir ou si tu me manques... Je ne ressens plus rien. « Hey… livreur Uber Eats, pour vous servir » Il n'y a rien qui bouge, sauf peut-être ma main qui ressert la couverture un peu plus autour de moi. Tu prends tes aises, tu viens t'installer au bord du lit. J'comprends pas que tu n'aies pas envie de repartir aussitôt après que tu es croisé mon regard et mon apparence de zombie. « Comment tu te sens aujourd’hui…? » - " Mal " que j'articule à peine d'une voix faiblarde. Ça ne sert à rien de mentir, tu m'as sous les yeux. Il y l'autre main qui se ressert autour de la petite lame. Comme beaucoup, si tu le voyais, tu ne le comprendrais pas. Moi, la douleur me fait du bien. Ça rappelle qu'on est pas complètement inerte au fond du gouffre.

“if you can't cope i will dry your eyes”

Just take my hand, together we can do it, I’m gonna love you through it

@Marla Witherspoon

La situation était loin d’être évidente. Si j’avais vécu bien des choses depuis des années, la mort était de loin ce que j’évitais au plus, tant c’était délicat et que les gens y réagissaient différemment. Et aujourd’hui, c’était toi qui y faisait face. La petite Caprice, celle dont tu m’avais parlé peu de temps après notre rapprochement. Cette petite était décédée et t’en étais anéantie. C’était normal, je suppose. Tout ce que je voulais, c’était être présent pour toi, quand tu en avais besoin. C’était étrange, parce que je comprenais que tu voulais de l’espace, mais j’avais peur d’être mis de côté. Peur que tu me rejettes. Peur que, comme tu l’aies dit toi même, on ne redevienne que des inconnus. Je me débarrassais de mes chaussures, la soupe dans le sac était sur ton bureau et je venais me poser sur le bord du lit, ne voulant pas trop m’imposer non plus. Ta réponse, prévisible, me faisait de la peine mais en même temps, comment espérer autre chose quand tu venais d’être vidée d’une vie que tu appréciais que trop ? « T’as mangé un peu depuis mardi ? » Je connaissais déjà la réponse mais j’avais osé demander. Après tout, si j’étais présent ici, c’était pour m’assurer que tu ne te déshydrates pas, que tu viennes à te nourrir pour ne pas périr. Malgré l’envie qui me tiraillait, j’évitais le moindre contact avec ta peau, de peur de me faire rejeter. Si ta condition était délicate, je n’étais pas assez maso pour me trigger mes pires angoisses. « Je vais te la réchauffer si tu veux, faut que tu manges un minimum… » N’y vois pas la moindre pitié dans mon regard, juste une inquiétude, l’inquiétude de quelqu’un qui tient à toi bien plus qu’il ne le devrait.

TW automutilations.

C'était comme découvrir au grand jour la face cachée de la lune, pour toi. Découvrir une nouvelle facette, une à laquelle on ne s'attendait pas. Tu découvres ce que ça fait, quand j'éteins toute once de vie. Quand je fais disparaitre les nombreux sentiments, les réflexions qui grouillent dans la tête. Le corps est emballé dans la couverture. Elle camoufle ce qu'il n'y a rien de beau à voir. Elle camoufle mes erreurs et mes faiblesses. Elle évite que tu ne sois déçu ou que tu ne te sentes mal. Rien qu'à cette réflexion, mes doigts se ressent un peu plus dans ma peau. Raviver la douleur pour se sentir en vie, pendant que toi tu habites les lieux laissés à l'abandon. Tu fais comme chez toi, tu prends tes aises mais, ça ne fait pas disparaitre ton anxiété pour tant. J'suis pas devenue aveugle Kai. « T’as mangé un peu depuis mardi ? » Tu connais déjà la réponse, dois-je vraiment la formuler ? " non ". Le ton est toujours aussi morne. J'ai rien à t'apprendre, rien à ajouter de plus. Si ce n'est que je n'ai pas faim, mais tu dois bien t'en douter. La soupe, c'est un prétexte pour t’apercevoir, c'est un peu une question de survie et aussi, pour faire un signe, pour ne pas que tu t'inquiètes plus. « Je vais te la réchauffer si tu veux, faut que tu manges un minimum… » Je hoche la tête de haut en bas et je profite de l'instant où tu t'éclipse pour bouger. J'ai une plaie à nettoyer, une lame à dissimuler dans le tiroir de la table de chevet. Visage fermé, je m'éclipse sans un bruit dans la salle de bain pour passe ma main sous l'eau. L'entaille est à vif, la peau tiraille et pique, mais rien d'insurmontable. Dans ces moments, la douleur fait du bien. Je déteste simplement sentir ta présence au même moment, dans mon dos. " Rien de grave " Racle la gorge, fronce les sourcils en douceur. " J'arrive ". Sous entends que tu n'as pas besoin de rester à regarder.

“if you can't cope i will dry your eyes”

Just take my hand, together we can do it, I’m gonna love you through it

TW: automutilation

@Marla Witherspoon

J’étais pas forcément le plus à même de gérer tout ça. Vivre la mort d’une personne, vivre le deuil d’une personne qu’on a aimé plus que tout, c’était compliqué. Je n’avais jamais eu à vivre ça, heureusement. Seulement, c’était ce que toi t’étais en train de vivre, en plus de gérer la disparition de ton frère que tu ne connaissais pas tant que ça. J’avais fait de la soupe, moi-même, pour palier au fait que tu devais te nourrir, mine de rien. Certes, ce creux, cette dépression que tu étais en train de vivre, je ne voulais pas que ce soit continu. Je l’acceptais sans te brusquer, mais je voulais malgré tout te tirer de nouveau vers la vie, quand tu sauras être prête à faire face au monde extérieur. En attendant, c’était cette fameuse soupe que je me devais de réchauffer un minimum pour que tu puisses la déguster. Seulement, alors que la soupe était dans le micro-ondes, je revenais sur mes pas pour te poser une question, tu n’étais plus là. Je tentais la salle de bains, non loin, et bingo. Tu y étais. Et le rouge qui recouvrait le lavabo, tiré par l’eau qui coulait du robinet m’indiquait que tu n’étais pas forcément dans le meilleur état. « Je… d’accord » Respecter ça, ne pas forcément en parler par la suite. Je m’éclipsais de nouveau dans la cuisine, l’esprit ailleurs, l’envie d’aider qui venait surpasser tout le reste. Mais comment aider une personne qui n’en a pas envie ? Le dernier souvenir que j’ai face à ce genre de situation, j’avais huit ans et ma mère avait mis du sang partout dans la salle de bains. Quand on y réfléchit, c’était possiblement une tentative de suicide ratée. Main dans la nuque, je sursautais quand le micro-ondes sonnait la fin de son temps.

TW automutilations, pensées suicidaires

Je suis comme une étoile. Présente, toujours en train de briller et pourtant déjà disparue. Une coquille vide qui renvoie la lumière, une absence complète qui pourtant aveugle si fort qu'elle donne l'illusion que tout continue de s'articuler. Et plus j'y pense, plus je remonte le fil de ces années. Le premier janvier 2019, j'ai choisi de mettre fin à mes jours. Et bien que je ne me sois pas noyée ce jour-là, je crois qu'une part de moi s'est éteinte dans le tourbillon des eaux glacées. L'étoile est morte, mais elle a continué de briller par la suite. Elle a donné l'impression que ça allait, qu'elle remontait la pente. Elle a continue de tournoyer, d'éclairer le chemin des proches. Elle a continué d'aimer et d'être aimé. Et puis, ces jours-ci, elle s’essouffle. La lumière ne vibre plus de la même façon. L’intensité est plus faible. La flamme arrive à bout de souffle.

Inerte dans le lit, j'ose à peine un mouvement. Les mots sont solitaires. Le ton est faible et froid. Tu vois bien, il n'y a plus de vie ici. La Marla que tu as fréquenté s'en est allée. Elle a eu bien trop peur de la noirceur qui habite les lieux. Celle qui reste ne sait plus comment faire pour retrouver son chemin et pendant que tu t'éclipses dans la cuisine, j'en profite pour me réfugier dans la salle de bain. La plaie est à vif et le sang s’écoule avec l'eau, tintant l'émail blanche du lavabo, horrifiant ton regard. Je te chance pour gérer cela toute seule, préférant ne pas t'infliger de telle image. J'aimais te dire que tout ira bien, mais je n'y crois pas un instant. Je désinfecte, sèche et viens mettre un bandage sur la main. Pour celles recouvrant le bras, je me contente de baisser ma manche pour les dissimuler. À mon retour dans la cuisine, tu es sous tension. N'importe qui le serait. " Ce n'est rien de grave... " que je répète d'une voix faiblarde en venant me caler contre le comptoir de cuisine, à proximité de toi. " ça sent bon... " J'me racle la gorge, détourne l'attention sur le repas que tu as préparé. " Il y a quoi dedans ? " J'me force à faire la conversation pour te ménager.

“if you can't cope i will dry your eyes”

Just take my hand, together we can do it, I’m gonna love you through it

TW: automutilation

@Marla Witherspoon

Bien évidemment que j'avais eu un haut le cœur à cette vision sanglante. Te voir dans un tel état était compliqué à assimiler. Bien sûr que je le savais, j'étais au courant que tu avais ce genre d'agissements, et le moment était assez critique pour que tu plonges les yeux fermés dans ces pratiques. Mais voir le sang se répandre dans le lavabo, attiré par cette eau que tu faisais couler dans le but de nettoyer les plaies, c'était tout autre chose. Je n'insistais pas, m'en allant dans la cuisine pour m'occuper de cette satané soupe. Je n'étais même pas certain que tu la boiras. Je n'étais pas non plus certain que j'allais rester plus longtemps dans cet appartement. T'avais mal, tu voulais souffrir autrement que par la peine ressentie par la perte de ton être proche. Seulement, j'avais suffisamment de démons à combattre pour avoir la force de combattre les tiens. C'était ton combat, pas le mien. Seule toi pouvait réellement t'en sortir, relever la tête, la sortir de l'eau et retrouver peu à peu goût à cette vie qui t'attend. Je ne suis même pas certain de faire partie de celle-ci. Peut-être n'étais-je qu'éphémère. De passage simplement. Le micro-ondes sonnait la fin du temps, me faisant sursauter, et tu arrivais peu de temps après. « Je sais... je sais. T'as pas à te justifier » finissais-je par dire, sans forcément te regarder, m'occupant simplement de verser la soupe dans un bol, de sortir une cuillère à soupe pour t'apporter le tout. « Potiron, citrouille, carotte.. légumes frais de saison » que je disais, me calant dos au plan de travail, les mains se réfugiant dans les poches, tandis que mon regard était dirigé vers mes pieds.

TW automutilations

Je sens ta gêne. N'importe qui la sentirait. Je sais que tu n'es pas à l'aise avec cette Marla ci. Je le sais très bien. Et pareil, n'importe qui le serait. En dehors de mes amis les plus intimes ou de quelqu'un comme Miles. Tu as beau connaitre des informations sur le background, ce n'est pas pareil quand on le vit. Alors, je ne t'en veux pas vraiment pour le regard fuyant et la tension dans tout ton corps. Suffisait que je sois dans la même pièce que toi pour que tu changes de comportement. Bon, en même temps, tu ne t'attendais peut-être pas à te retrouver tête à tête avec une nana ayant du sang sur les mains. Tu ne t'attendais pas à autant de violence. On est loin des rapports légers et embrasés que l'on a pu avoir par le passé. Je sais que j'ai l'air terrifiante. Je sais l'image que je renvoie et peut-être que là, tu comprends mieux pourquoi je préfère être seule depuis quelques temps. J'le fais pas seulement pour moi, j'le fais pour vous aussi. Je sais que mes démons sont terrifiants, si moi je me suis faite à leur présence, ce n'est pas votre cas.

« Je sais... je sais. T'as pas à te justifier » Les lèvres se pincent et le silence s'installe quelques secondes. En effet, je n'ai pas besoin de justifier mes actes. Je suis assez grande pour savoir ce que je fais et pour savoir - contre toutes attentes - que je maitrise la situation. Je t'observe sans bouger, prendre vie dans la cuisine quand moi j'en ai pas la force. J'essaie de faire la conversation au moins. « Potiron, citrouille, carotte.. légumes frais de saison » Je hoche la tête de haut en bas en silence et ça devient pesant à nouveau. Ça ne nous ressemble pas. Et... peut-être qu'on est pas fait pour repêcher l'autre quand soi-même on est pas bien. J'me mords la joue le temps de la réflexion et j'redresse la tête dans ta direction. " Tu peux... partir... Si ça ne va pas... " Les épaules se dressent, mais le reste du corps ne bouge pas. " Je ne t'en voudrais pas. " Promis.

“if you can't cope i will dry your eyes”

Just take my hand, together we can do it, I’m gonna love you through it

TW: automutilation

@Marla Witherspoon

La situation était délicate et j’étais pas sûr de pouvoir vraiment gérer. Il fallait admettre quand même que le sang était quelque chose d’assez marquant, tout comme les différentes entailles que tu avais pu te faire sous mon nez, sous cette couverture. Parce que c’était ce que tu faisais, n’est-ce pas ? Enfin j’étais parti dans la cuisine, m’occupant de ton repas, de tout ce que t’allais devoir ingurgiter pour avoir des forces. Surtout avec les entailles que tu t’es faite, il fallait renforcer ton système immunitaire. Soupe chaude devant toi, cuillère qui allait avec, je finissais par rester à côté, pour ne pas m’en aller tout de suite. Il fallait que tu manges et j’allais m’assurer que ce soit le cas. « Ça va, t’en fais pas pour moi » Dans le fond, c’était pas toi le problème, c’était ce passé, toujours aussi présent. Cette mère qui faisait de ma vie un enfer, contre toute attente. J’avais du la gérer et maintenant, c’était sa tête que je voyais quand mon regard se posait sur toi. « Mange tant que c’est chaud. Je partirai pas tant que t’as pas fini » Peut-être que j’étais un peu trop protecteur pour un “plan cul”, mais que veux-tu. J’ai toujours été aux petits soins des gens auxquels je tenais. Tu en faisais partie, bien malgré moi. Un attachement qui s’est fait petit à petit, sur ce laps de temps assez court mine de rien. À présent, je faisais appel à mon bon sens pour ne pas faire d’amalgame. Tu gérais les choses à ta façon, c’était un fait. Je faisais bien la même chose de mon côté.